Septembre 64 : Les démarche du secrétaire général de l’O.N.U., U Thant (voir août) aboutissent à ce que l’U.R.S.S. prenne contact avec HCM. Les Russes lui ont demandé de désigner un émissaire pour rencontrer les Américains. Ce qu’HCM accepte fin septembre. U Thant contacte les Américains pour organiser une rencontre en pays neutre. Mais les choses traîneront car l’actuel et futur président des U.S.A. est en campagne électorale jusque novembre.
Jean Lacouture rapporte les propos entendus de « l’un des architectes de la stratégie américaine » dont il ne cite pas le nom. Celui-ci déclare que « nous [les Américains] sommes peut-être là pour vingt ans ». Se pose alors un problème : « Comment, avec une force armée considérable et une force politique réduite, contenir un adversaire à la force politique énorme et à la force militaire modeste ? » La réponse à cette question suppose de trouver une « riposte appropriée, c’est-à-dire la contre-guérilla ». Dès cette époque les dirigeants américains ont une confiance aveugle en leur puissance militaire et encore plus dans leur force technologique : « […] il nous faut employer des moyens plus puissants dans le cadre de l’armement conventionnel […] » Un argument certes valable dans le contexte d’une guerre conventionnelle mais est surtout une illusion qui mettra beaucoup de temps à se dissiper de l’esprit des Américains dans le contexte si particulier de la guerre du Vietnam (Lacouture, 1965, p. 188).
3 septembre 64 : McNaugton (vice-secrétaire d’État à la Défense) adresse à McN une note intitulée « Plan d’action pour le Sud-Vietnam ». Il constate que « la situation au Sud-Vietnam se dégrade de plus en plus. Avant même que le gouvernement ne sombre dans la confusion, la semaine dernière, la situation était déjà critique » du fait des actions du Vietcong largement soutenues par la population. « Au cas où le pire arriverait (effondrement du Sud-Vietnam ou opérations gouvernementales particulièrement révoltantes), il faudrait « désavouer » le gouvernement sud-vietnamien et prouver au monde que « le malade est mort en dépit des efforts extraordinaires de son bon docteur. » » L’auteur du rapport préconise une « réplique » des U.S.A. « en fonction des circonstances » : les communistes « devront être soumis à de dures pressions » pour soutenir le moral des S-V à l’approche des élections présidentielles américaines. Il faut également ménager l’opinion publique américaine en lui expliquant « que nos objectifs sont justes et nos décisions réfléchies et mesurées (Le dossier de Pentagone, 1971, pp. 340-341 et pp. 381-383 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 213-217).
4 septembre 64 : Mise en sommeil du triumvirat composé des généraux Duong Van Minh, Nguyen Khanh et Tran Thiem Khiem. C’est le général Khanh qui reprend le pouvoir après son éviction temporaire (Toinet, 1998, p. 212). Le général Ky, toujours aussi impulsif, menace d’écraser sous les bombes la toute nouvelle tentative de coup d’État. Il annonce son intention de faire la guerre contre le Nord pour contrecarrer les infiltrations au Sud.
En fait, ce projet de guerre au Nord est un paravent pour faire face au mécontentement croissant de la population s-v (Férier, 1993, p. 81). Westmoreland, excédé, demande à son adjoint Holland, en bon rapport avec Ky, d’intervenir : « Dites à votre petit copain de cesser ses conneries sans quoi je vais lui faire foutre sur la gueule. » (cité in Chaffard, 1969, p. 389, note 1).
7 septembre 64 : Lors d’une conférence stratégique à la Maison Blanche, il est préconisé de bombarder le N-V à partir du 1er janvier 1965. Mais cette préconisation sera retardée par l’instabilité gouvernementale qui règnera au S-V dès le 13 septembre et qui perdurera jusqu’au début de 1965 : « Dans les deux ou trois mois à venir, le gouvernement de Saigon est trop faible pour prendre délibérément des risques sérieux d’escalade dans laquelle le Sud-Vietnam aurait un rôle important à jouer ou des dangers trop graves à courir. » (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 341-342 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 209-213). Pour l’instant, seul McN demeure optimiste, du moins officiellement.
Le général Duong Van Minh retrouve les attributs provisoires de chef de l’État mais c’est Khanh (premier ministre) qui bénéficie du soutien américain (Toinet, 1998, p. 212).
8 septembre 64 : Mémorandum de McGeorge Bundy à LBJ. Khanh devrait rester à la tête du S-V dans les 2 ou 3 mois à venir et parvenir à renforcer son gouvernement. Mais il n’y aura pas de « miracle » et le programme de pacification en cours ne pourra que tourner au ralenti. Les U.S.A. doivent soutenir le pays car le gouvernement s-v est bien incapable de participer à des opérations militaires importantes. McGeorge Bundy préconise la reprise des patrouilles navales dans le golfe du Tonkin mais sans provocations inutiles, en demeurant strictement dans les eaux internationales. Les États-Unis doivent être « prêts à répondre aux attaques éventuelles » de la R.D.V. et du Vietcong tant que le gouvernement s-v n’aura pas réalisé de réels « progrès » (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 217-220).
9 septembre 64 : Projet de libération et de réintégration dans l’armée des généraux Le Van Kim, Tran Van Don, Maï Huu Xuan, Ton That Dinh et Nguyen Van Vy mis en résidence surveillée à différents endroits depuis le 31 janvier. Tran Van Don n’évoque pas dans ses mémoires cet épisode, peut-être parce qu’il sait qu’il n’aboutira pas dans l’immédiat (Toinet, 1998, p. 212).
De retour à Washington sur demande de LBJ, l’ambassadeur Taylor présente un rapport devant le président, ses conseillers et des militaires du haut-commandement. Les représentants de la marine et de l’aviation préconisent des bombardements sur le N-V. Le général Wheeller craint que cette mesure ne renforce les attaques des N-V et du Vietcong. Tous sont d’accord pour convenir que le S-V n’est actuellement pas en mesure de résister. LBJ demande si « quelqu’un à cette table doutait que le Vietnam vaille tous ces efforts. » Tous estiment qu’l faut poursuivre (Wainstock, Miller, 2019, p. 202 ; Johnson, 1972, pp. 154-155)
10 septembre 64 : LBJ autorise l’intensification des raids s-v au Laos. Mais cette décision sera reportée car ces raids compliquent la tâche de Souvanna Phouma. Ils sont limités pour l’instant aux actions clandestines des T-28 et des jets de l’US Navy et de l’U.S.A.F (Yankee Team, voir 19 mai). Un accord est trouvé pour que les troupes s-v accompagnées de conseillers américains s’enfoncent au Laos sur une profondeur de 20 km. Toutes ces actions demeurent une fois de plus totalement secrètes (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 345-346).
12 septembre 64 : Reprise des patrouilles De Soto par l’USS Morton et l’Edwards dans le golfe du Tonkin. Ils seront attaqués le 18 septembre (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 344).
13 septembre 64 : Troisième coup d’État depuis la chute de Diem. Il s’agit plutôt ici d’une tentative de (faux ?) putsch contre le général Khanh (premier ministre) par les généraux Lam Van Phat (ministre de l’Intérieur catholique, commandant le 4e corps) et le colonel Huynh Van Ton qui vient d’être relevé du commandement du 7e Corps (région de Mytho). Le général Duong Van Duc (4e Région militaire) vient à la rescousse de Khanh car il est opposé à la réintégration dans l’armée des 4 généraux évincés le 30 janvier. Les généraux bannis (voir 28 - 29 mai) qui devaient rejoindre Saigon demeurent donc en résidence surveillée à Dalat.
Les Américains qui, jusque-là, ont soutenu vaille que vaille Khanh (voir 27 août) ne le font plus cette fois qu’avec hésitation. Le général Nguyen Cao Ky, commandant l’aviation s-v, le soutient ouvertement et menace de mitrailler les éventuelles colonnes insurgées. La tentative de putsch avorte dans une confusion totale (Prados, 2011, pp. 218-219).
La situation à Saigon est également plus que confuse : Minh (en théorie, chef de l’État) refuse de rejoindre Dalat, Khanh qui s’y est réfugié refuse de quitter la station pour rejoindre Saigon… Il rencontre cependant les Américains, William Sullivan (représentant de l’ambassade) et le général Richard Stivell. Ces derniers ont une position ambiguë car ils se livrent « à une évaluation de l’équilibre des forces » tout en exerçant des pressions sur Khanh « en faveur d’un gouvernement civil qui serait le plus populaire » mais que ce dernier avait mis bas lors du coup d’État du 30 janvier en évinçant le premier ministre civil…
Selon Tran Van Don, Khanh serait lui-même à l’origine de ce qui s’apparenterait à un faux coup d’État pour se débarrasser de Minh et Kiem, renforçant ainsi son pouvoir vacillant. Un moyen également pour faire porter le chapeau de l’instabilité gouvernementale aux « jeunes Turcs » : les généraux Nguyen Van Thieu, Nguyen Cao Ky, Nguyen Chanh Ti, Nguyen Huu Co, Le Nguyen Khang, Cao Van Vien, Nguyen Duc Than et l’amiral Chung Tan Cang (Tran Van Don, 1985, pp. 200-201). Un compromis est trouvé entre Khanh, Ky, Duong Van Duc et les Américains : le premier reste donc au pouvoir… Mais Khanh est désormais écartelé entre à droite « les jeunes Turcs » et, à gauche, une opposition des intellectuels et des Bouddhistes.
14 septembre 64 : Réconciliation générale de la junte militaire au cours d’une conférence de presse. Prédominent désormais dans la junte Nguyen Van Thieu et Nguyen Cao Ky (Toinet, 1998, p. 212). La collusion entre la religion et la politique n’ayant pu lieu d’être, La lutte contre le Vietcong redevient une priorité. Du moins pour l’instant…
18 septembre 64 : Nouvel incident entre des unités navales américaines et n-v au large du Tonkin. Aucune opération de représailles n’est menée par les Américains pour autant (Lacouture, 1965, p. 252)
20 septembre 64 : Au Cambodge, inauguration de l'Institut technique supérieur khméro-soviétique offert par l'U.R.S.S.
24 septembre 64 : Khanh annonce aux 4 généraux mis en quarantaine leur prochaine réintégration au sein de son gouvernement. Mais il changera d’avis une semaine plus tard en arguant du fait que les Américains y sont opposés.
Don explose : « Un jour c’est le parti Daï Viet qui est responsable de notre éviction de l’armée, hier c’étaient les Jeunes Turcs qui s’opposaient à notre retour, aujourd’hui c’est la faute des Américains. A qui le tour demain ? » (Tran Van Don, 1985, p. 203).
26 septembre 64 : Sous la pression des États-Unis (Taylor), Khanh et sa junte crée un semblant de régime civil en formant le Haut Conseil national (H.C.N.), simple organe consultatif chargé de former un gouvernement civil qui aurait dû fonctionner comme une sorte d’assemblée constituante. Le H.C.N. choisit Phan Khac Suu comme chef de l'État et Tran Van Huong comme premier ministre. Dans la réalité, Khanh et sa junte qui ont déjà destitué le pouvoir civil par le coup d’État du 30 janvier entendent conserver entièrement la réalité du pouvoir (voir 19 décembre).
27 septembre 64 : Visite de Sihanouk à Pékin. Le communiqué final fait état d'une aide militaire chinoise importante et d'un engagement de la Chine à apporter au Cambodge tout son soutien en cas d'agression étrangère. Négociations à Pékin avec le Front de Libération du Sud-Vietnam sur la question litigieuse des frontières. Au Cours du banquet d’honneur auquel assiste Pham Van Dong, Sihanouk déclare à propos des incidents du golfe du Tonkin : « Nous condamnons sans ambigüité les attaques inadmissibles des forces navales et aériennes américaines dans le golfe du Tonkin, et soutenons entièrement nos frères nord-vietnamiens. » (cité in Tong, 1972, p. 106) C’est au cours de cette réception qu’il lance son idée de conférence des peuples indochinois (voir 14 février – 9 mars 1965).
28 septembre 64 : Ultimatum lancé par les Américains à Khanh contre la réintégration des généraux exilés à Dalat (voir 24 septembre) (Toinet, 1998, p. 213).