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par Jean-François Jagielski

Septembre 1954

Septembre 54 : Au S-V, mise au pas des partis politiques. Ne subsisteront que le Mouvement de Rénovation nationale de Nhu et le Can Lao (voir 8 août). Organisation de police secrète qui noyaute l’armée, l’administration et instaure une forme une hiérarchie parallèle qui n’est pas sans rappeler celle du VM (Toinet, 1998, p. 207).

Les relations entre Diem et le général de division Nguyen Van Hinh (chef d’état-major de l’armée vietnamienne) se dégradent rapidement. Ce dernier – de nationalité française – étant jugé comme trop pro-français (les Américains l’ont surnommé « french-puppet »). Selon le général, « [Diem] prit comme prétexte pour se débarrasser de moi de me mettre en congé d’étude pour six mois en m’intimidant l’ordre de partir immédiatement pour la France. » L’officier refuse et en appelle à l’arbitrage de Bao Daï toujours à Cannes. Se sachant soutenu par les sectes et les Français, Himh est tenté par la préparation d’un coup d’État. Il y renonce car Ély l’en dissuade et les Américains menacent de « couper les vivres au Corps expéditionnaire et à l’armée vietnamienne ». Selon Hinh, en novembre, un général et un diplomate américains lui proposent une poste de vice-président à condition de soutenir Diem. L’intéressé refuse (voir 19 novembre) (Maigre, 1994, pp. 35-36).


Début septembre 54 : Sur le nombre de prisonniers français libérés ou présumés disparus (voir 28 août) qui s’élève à 14 590, seuls 8 516 ont été pour l’instant libérés. Ceux qui reviennent sont souvent « dans un état physiologique impressionnant ». Le nombre de prisonniers vietnamiens libérés par le VM est encore plus mince : 1 039 sur 13 359. Salan proteste auprès de la C.I.C., sans beaucoup de résultats au vu, selon lui, de sa composition (voir 8 mai) (Salan 2, 1971, pp. 433-434). L’armée française crée le Bureau des prisonniers de guerre et des internés mais il faudra attendre le 22 janvier 1952 pour que soit créé l’Office des prisonniers (voir septembre 1955) (Cadeau, 2019, p. 528 et p. 631, note 17).


2 septembre 54 : Nhu officialise par décret l’existence de parti Can Lao (voir 8 août).


3 septembre 54 : Libération en soirée par le VM du général De Castries, vieilli et amaigri. Il rejoindra Hanoi le lendemain, préférant passer la nuit à bord d’un bateau de la Marine. Il est accueilli le lendemain à 10 kilomètres de la ville par Cogny. Il répond peu aux journalistes, fait un rapide historique des combats à Dien Bien Phu et rappelle qu’il n’a jamais fait hisser un drapeau blanc lors de la chute du camp retranché. Il revient rapidement sur ses condition de détention et notamment la dureté de son isolement. Il n’y a que 3 jours qu’il a pu croiser Langlais et Bigeard qui n’ont pas encore été libérés (Le Monde du 6 septembre 1954).


4 septembre 54 : Mendès France télégraphie au chef de la délégation française à la conférence de Manille en vue de la constitution de l’O.T.A.S.E. (voir 6 septembre) : « Il est indispensable que l’orientation politique à prendre dans le Sud-Vietnam soit soigneusement étudiée en accord avec les États-Unis. Il sera donc nécessaire de réaliser avec eux un accord indispensable sur la politique à Saigon. » (voir 30 septembre) (cité in De Folin, 1993, pp. 301-302)

La France jouera un rôle des plus secondaires à Manille. Jean Chauvel, diplomate mandaté par Mendès-France, constate sur place avec Jean Daridan (conseiller politique d’Ély) : « J’assistai dès l’arrivée à une réunion d’experts. Daridan me dit les difficultés qu’il avait éprouvées dès l’abord à tenir les thèses du Département. Je le constatai tout aussitôt. Non seulement en effet la date de la conférence, sa composition et sa procédure avaient été arrêtées avant seulement que nous puissions nous en aviser, mais les projets sur lesquels nous avions formulé nos observations avaient été arrêtés à Washington, soumis à diverses autorités. Ils avaient reçu l’approbation de la Maison Blanche et du Pentagone. Ils avaient été, en outre, communiqués aux leaders des partis du Congrès, lesquels étaient représentés au sein de la délégation américaine. Ils avaient enfin été discutés, toujours avant toute consultation entre Washington et Paris, avec les gouvernements partis à la conférence. Nous nous trouvions devant des constructions déjà cimentées. » (Chauvel, 1973, pp. 95-96)


5 septembre 54 : Dans une note, Mendès France précise son ralliement au camp américain : « J’écarte toute orientation de la politique au Vietnam qui doive conduire à terme à une tentative de conciliation avec le Vietnam du Nord. » Il déclare par ailleurs à Guy De La Chambre (États associés) qui va se rendre sous peu à Washington : « Dans le Sud-Est asiatique, c’est l’Américain qui est le leader de la coalition. » Il lui donne des instructions claires avant son déplacement Outre-Atlantique : « J’écarte toute orientation de la politique au Vietnam qui doive conduire à terme à une tentative de conciliation avec le Vietnam Nord […] Autant j’ai souhaité que nous soyons valablement représenté à Hanoi [envoi de Sainteny, voir fin juillet et 7 août], autant il est indispensable de sauvegarder l’indépendance de la politique faite au Sud. Cela ne doit pas prêter à aucune confusion. Il est indispensable que l’orientation politique à prendre dans le Sud-Vietnam soit étudiée en accord avec les États-Unis […] » (cité in Devillers, 1988, p. 366) De La Chambre signera donc un protocole secret avec Bedell Smith le 29.


6 septembre 54 : Ouverture de la conférence de Manille qui donnera naissance à l’O.T.A.S.E. (voir 8 septembre). Le « pacte de Manille » qui en ressort est assez faible : l’Australie, les Philippines et la Thaïlande auraient souhaité la création d’une organisation permanente de défense à l’image de l’O.T.A.N. Or il ne prévoit que des consultations militaires à périodicité irrégulière (article 5). En cas d’attaque d’un État membre, les autres États se contenteraient d’une simple consultation. Les États-Unis ne s’y engagent d’ailleurs qu’a minima. De plus, lors de sa première réunion, en février 1955, il est posé pour principe que les décisions devront être prises à l’unanimité (Cesari, 2007, pp. 14-18). Le Cambodge n’y adhère pas, campant sur la position de pays non aligné et neutre mais aussi du fait de la teneur des récents accords de Genève.


7 septembre 54 : A Saigon, cérémonie de transfert du palais Norodom au gouvernement sud-vietnamien. Il est occupé par Diem et non Bao Daï, toujours à Cannes et qui n’évoque toujours pas son retour... Diem n’occupe pas l’aile principale qui demeure réservée au chef de l’État. Quant à Ély, il dispose désormais du palais Gia Long (Ély, 1964, pp. 261-262). Par cet acte symbolique, l’indépendance du S-V est alors totale, à l’exception des contraintes toujours imposées par l’Union française. Des discours sont échangés et c’est Ély qui a voulu hâter ce transfert et demandé à ce qu’il se fasse officiellement et non « à la sauvette » (Ély, 1964, pp. 262-263).

Un bon nombre de ministres du gouvernement s-v sont des transfuges du VM dont certains ont été aussi à un moment des proches d’HCM : Vu Van Mau (Affaires étrangères), Nguyen Ngac Thau (Économie, futur vice-président), Tran Le Quang (Travaux publics), Vu Van Thaï (collaborateur d’HCM à Genève), Albert Pham Ngoc Thao (gouverneur de province qui aurait fait libérer 12 à 15 000 communistes), Tran Chanh Thanh (Propagande et Information, s’est occupé de la justice du VM dans 18 provinces avant 1954), Tran Trung Dung (Défense, ex-communiste) (Toinet, 1998, p. 207).

8 septembre 54 : Mise en place de l’Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est (O.T.A.S.E.) ou South-East Asia collective Defense Treaty (S.E.A.T.O.) à l’initiative des U.S.A. lors de la conférence de Manille démarrée le 6 septembre.

Contournant les engagements pris lors de la Conférence de Genève (article 19 qui interdit « toute alliance militaire »), ce traité rend possible le règlement pacifique des litiges ou conflits entre pays membres (États-Unis, France, Angleterre, Australie, Nouvelle-Zélande, Philippines, Pakistan, Thaïlande). Il donne force aux institutions existantes en créant une coopération économique et technique, mais permet surtout de constituer une protection contre ce que certains pays désignent sous les termes d'« agression communiste ». Il est notamment spécifié, en exécution de ce traité, que les États-Unis puissent intervenir sous réserve expresse que cette intervention ne soit qu'une réponse à une agression ou à une attaque armée communiste.

Le S-V, le Cambodge, le Laos n’en font pas partie car, selon les accords de Genève, ils ne sont pas autorisés à « entrer dans une alliance militaire ». Toutefois, l’organisation a été créée et pensée en vue de contrer toute tentative de subversion communiste d’où qu’elle vienne et, dans ce cas, les 3 pays sont susceptibles de servir de base arrière à une intervention américaine. A la différence de l’O.T.A.N., l’O.T.A.S.E. est avant tout un organisme de consultation, et non nécessairement une instance décisionnelle capable de provoquer une intervention militaire directe entre ses membres (voir novembre). C’est avant tout une force de dissuasion et de containment (peu active…) qui persistera jusqu’au 30 juin 1977, date de sa dissolution (Schlesinger, 1967, p. 31 ; Journoud, 2017, p. 31). L’organisme installe son siège en Thaïlande, à Bangkok.


10 septembre 54 : Les Américains ont fait pression sur Français pour que Bao Daï, en résidence à Cannes, ne puisse rejoindre le Vietnam dans l’immédiat.

L’ancien commandant en chef des forces s-v, le très francophile général Nguyen Van Hinh (Rignac, 2018, pp. 116-119 ; Cadeau, Cochet, Porte, 2021, p. 655), se rend auprès de Bao Daï qui le démet de ses fonctions. Pourtant, dès 1952, il avait établi une stratégie pleine de bon sens, bâtie en 4 parties qui entendaient créer une armée du peuple s’inspirant partiellement, du point de vue de l’action psychologique et tactique, de ce que pratiquait le Vietminh. Mais Hinh a eu le tort de fomenter un coup d’État avorté contre Diem. Il n’avait alors été soutenu ni par l’armée s-v, moins encore par les Américains. Par ailleurs, même ses amis français proches du général Ély, l’avaient dissuadé de poursuivre dans cette voie qui contrariait le rapprochement franco-américain décidé par Mendès France (Rignac, 2018, p. 117 ; Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 86-87 ; Journoud, 2011, p. 64)

Suit une période de troubles durant 2 mois où personne ne fait rien de décisif contre Diem. Ce dernier fait alliance avec les 3 000 Caodaïstes dissidents du général Trinh Minh The qu’il rémunère avec de l’argent américain provenant de la Saigon Military Mission (S.M.M.) de Lansdale (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 87-88). Le colonel Trinh Minh The acceptera de soutenir le gouvernement Diem en prenant part à la campagne contre les Binh Xuyen. C’est au cours de cette campagne qu’il trouvera la mort en les combattant le 3 mai 1955 (Tran Van Don, 1985, pp. 85-86).


16 septembre 54 : L’ambassadeur Jean Daridan, désormais membre du cabinet civil d’Ély, rencontre Sainteny. Il s’interroge sur l’intérêt de poursuivre sa mission et fait part à l’intéressé de sa crainte de voir son action se déliter sans grand profit. Il suggère de le remplacer par un simple chargé d’affaires mais ne sera pas pour l’instant écouté (Cadeau, 2019, p. 539).


18 septembre 54 : Au Laos, assassinat du vice-président et ministre de la Défense Kou Voravong, neutraliste profrançais et signataire des accords de Genève. L’attentat s’est produit chez Phoui Sananikone (ministre des Affaires étrangères, ex-président de la délégation laotienne à Genève, proaméricain). Les assassins sont arrêtés mais leurs motivations n’ont pas pu être clairement établies. Ils bénéficiaient de complicités dans la police thaïe. Cet assassinat entraîne la chute du gouvernement Souvanna Phouma et de longues et laborieuses négociations qui aboutiront à l’élection de Katay Don Sasorith au détriment de son adversaire neutraliste Souvanna Phouma, jugé trop « à gauche » par les Américains.


20 septembre 54 : Ély, en partance pour Paris, informe Salan qu’il a décidé de confier l’intérim du commissariat général à l’ambassadeur Daridan, contrairement aux engagements pris antérieurement en faveur de Salan (voir 8 juin). Ce dernier, estimant n’avoir pas « démérité », demande à Ély d’en informer le gouvernement et ne conserve donc que les affaires militaires. « Nous nous séparons froidement. », précise-t-il. Salan qui ne comprend pas cette nouvelle séparation des pouvoirs civil et militaire et estime, d’ailleurs à juste titre, avoir été plus présent au Vietnam qu’Ély depuis sa nomination, demandera et obtiendra donc son rappel en France auprès d’Emmanuel Temple, ministre de la Défense.

Ély applique en fait la politique de Paris et soutient Diem alors que Salan est accusé de faire le jeu des sectes contre Diem (voir novembre). Il estime « gêner le général [Ély] par [s]on intransigeance dans le respect à la lettre de la convention que le Vietminh a trop tendance à négliger. » Il quittera l’Indochine le 9 octobre et sera remplacé par le général Jaquot (Cadeau, 2010, p. 10 ; Salan 2, 1971, pp. 434-435 et pp. 438-440).


22 septembre 54 : Madame Nhu (belle-sœur de Diem) organise une manifestation antifrançaise, anti-Hinh et pro-Diem dans les rues de Saigon et sur la place du marché. Officiellement Diem n’en a pas été informé. Les policiers ouvrent le feu et occasionnent par leur intervention 6 tués parmi les partisans diémistes. Les forces de l’ordre sont alors contrôlées dans Saigon et sa région par la secte mafieuse des Binh Xuyen qui assurent la Sureté confiée à Lai Hung Sang, un proche de Bay Vien (alias général Le Van Vien), chef des Binh Xuyen (Rignac, 2018, p. 124). Avec cette collusion, le système de corruption du régime diémiste s’étend progressivement.


24 septembre 54 : Diem constitue un gouvernement de 14 ministres dont 8 membres des sectes Hoa Hao et caodaïstes. Ce qui lui permet de les contenir, le temps qu’il se débarrasse du général Nguyen Van Hinh qui, lui-même, a des ambitions politiques (Rignac, 2018, p. 122).


26 - 28 septembre 54 : Une délégation française composée de La Chambre (États associés), Edgar Faure (Finances) et Ély se rend aux U.S.A. La finalité du voyage est avant tout financière et a pour but de réévaluer l’aide américaine au corps expéditionnaire français ainsi que l’aide apportée aux États associés qui est toujours gérée, pour l’instant, par la France. Or les U.S.A. entendent « monnayer » cette aide après avoir obtenu de Paris des assurances d’une politique commune en Indochine : soutien à Diem ; aucune concession à HCM ; relève progressive des forces armées par les Américains. Mendès France refuse de s’engager avant d’avoir rencontré Dulles à Washington en novembre. Sur la question du financement directe au S-V, les Américains iront plus vite que ne l’escomptait les Français (voir 27 - 29 septembre et 23 octobre) (Chaffard, 1969, pp. 184-185).


27 - 29 septembre 54 : Fin de l’influence française au Vietnam. La France est informée par les U.S.A. en termes non équivoques que l’aide des U.S.A. à l’Indochine sera envoyée directement aux deux États indochinois à partir de janvier 1955 et qu’aucun soutien financier ne serait désormais plus adressé aux forces françaises. C’est désormais le M.A.A.G., placé sous le commandement du lieutenant-général John O’Daniel, qui prend la responsabilité de l’instruction des troupes s-v.


29 septembre 54 : Français (De La Chambre, États associés) et Américains (Dulles), au mépris des accords de Genève, signent à Washington un protocole secret qui stipule que leurs gouvernements respectifs s’engagent à « soutenir M. Ngo Dinh Diem dans l’établissement et le maintien d’un gouvernement fort anti-communiste et nationaliste. » (De Folin, 1993, p. 302 ; Journoud, 2011, pp. 63-64). Le protocole présente la R.D.V. comme « une force communiste agressive opposée aux intérêts des peuples libres des États associés, de la France et des États-Unis. » Il stipule par ailleurs : « Nous nous opposerons résolument au développement de l’influence et au contrôle du mouvement Vietminh, compte tenu des positions prises par les gouvernements respectifs à l’égard des accords de Genève. » (cité in De Quirielle, 1992, p. 22) En échange, les Américains s’engagent à financer durant encore un temps la présence militaire française au S-V.


30 septembre 54 : De retour à Paris, Guy De La Chambre (États associés) rapporte à Mendès France avoir strictement respecté à Washington ses directives : « dans le Sud-Est asiatique c’est l’Amérique qui est le leader de la coalition. » Il s’est mis d’accord avec Foster Dulles pour que l’aide financière, économique et technique soit désormais distribuée directement par les U.S.A. aux États associés (De Folin, 1993, p. 302).

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