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par Jean-François Jagielski

Septembre 1953

Septembre 53 : La poursuite de l’offensive vietminh vers le sud à travers le Haut-Laos se confirme. Luang Prabang et les autres centres de résistance de la plaine des Jarres sont dégagés par les forces franco-laotiennes. L’opération durera jusqu’en octobre.

Suite à la visite de la mission Nixon-Collins et au vu de leur financement de la guerre (à hauteur de 60 % en 1953), les Américains sont tenus au courant des plans d’opération français (Toinet, 1998, p. 152). Pour autant, peu après l’expérience de la guerre de Corée, 85 % des Américains sont hostiles à un engagement de leurs troupes en Asie (Ruscio, 1992, p. 203 ; Lemaire, 2000, p. 61).


1er septembre 53 : Réunion interministérielle à Matignon qui constate le comité de Défense nationale a été incapable d’approuver ou de rejeter le plan Navarre. Il demeure une orientation parmi d’autres (David, 2007, p. 7).

Opération Tarentaise. Les Français abandonnent le secteur de Bui Chu (zone des Évêchés, sud-est de Nam Dinh) à l’armée vietnamienne pour constituer leur force de manœuvre. Le VM comprend le sens de la manœuvre et réagit en contre-attaquant cette relève. Les Français doivent cependant à nouveau intervenir pour soutenir les forces vietnamiennes, le transfert des  compétences ayant été trop rapide (Gras, 1979, p. 518). Nguyen Van Hinh (chef d’état-major de l’armée vietnamienne) note la bonne tenue de ses troupes lors de cette opération (Maigre, 1994, p. 32).


2 septembre 53 : Première réunion de la commission d’enquête sur le trafic des piastres suite à la dévaluation de cette monnaie (voir 10 mai).

Déclaration de Foster Dulles sur l’Indochine à Saint-Louis (Missouri) : « Nous voulons la paix en Indochine comme en Corée. De la conférence politique sur la Corée, si la Chine le veut, pourraient venir la fin de l’agression et la paix en Indochine. Les États-Unis accueilleraient favorablement ce développement. » (cité in De Folin, 1993, p. 262) L’idée de lier le sort des deux conflits se poursuivra par la suite pour aboutir à la conférence de Genève (voir 26 avril 1954).


3 septembre 53 : Dulles lance un avertissement à la Chine pour ne pas reproduire au Vietnam les erreurs de Corée (De Folin, 1993, p. 263).


4 septembre 53 : Dans un éditorial remarqué, la Pravda (organe de presse du P.C. soviétique) envisage de mettre fin à la guerre d’Indochine par une négociation internationale (Ruscio, 1992, p. 209). Dans un contexte de guerre froide, cette proposition ne sera toutefois pas retenue avant la conférence de Genève.


6 septembre 53 : Les réformes du gouvernement Nguyen Van Tam ont coalisé toutes les oppositions. Opposition des sectes qui n’acceptent pas les tentatives d’intégration de leurs milices au sein de l’armée nationale. Opposition de la bourgeoisie qui accueille mal la réforme agraire. Opposition des traditionnalistes et du cabinet impérial qui jugent dangereuse toute évolution démocratique. Opposition aux propositions françaises du 3 juillet par les nationalistes intransigeants qui reprochent à Tam, malgré son discours du 6 juin, sa francophilie et ses tendances autoritaires.

Une cinquantaine de nationalistes organise un « Congrès d’union nationale » sous la protection des Binh Xuyen et auquel participe Ngo Dinh Nhu, le frère de Diem. Ils forment un « mouvement d’union pour l’indépendance et la paix » qui devient une opposition active au régime de Bao Daï (Gras, 1979, p. 509-510).


9 septembre 53 : Les États-Unis accordent une aide supplémentaire de 385 millions de dollars pour la poursuite de la guerre en Indochine.


11 septembre 53 : Navarre est informé d’une fin de non-recevoir gouvernementale concernant les demandes de renforts qu’il avait faites lors du Comité de défense du 24 juillet. Le gouvernement lui a demandé de réduire ses prétentions et subordonne ses demandes en matériel aux seules requêtes qui vont être faites auprès des U.S.A. pour l’entretien des armées des États associés. L’intéressé se plaint de cette situation dans ses mémoires : « Je n’acceptai pas cette décision et protestai vivement, me plaignant de n’avoir qu’un « outil fabriqué au rabais » et déclarant que « les chances de succès en seraient diminuées. » » Rien n’y fait : «  Un Comité de défense nationale du 13 novembre 1953 rejeta mon appel. » (Navarre, 1979, p. 282)

Au Cambodge, le premier ministre Penn Nouth fait pression sur la France en lançant un appel aux rebelles issaraks et au VM. C’est aussi une manière de s’engager plus en avant dans la voie neutraliste (voir 31 juillet). Les U.S.A., ennemis de cette approche, menacent de retirer leur aide économique et militaire au pays (Gras, 1979, p. 509).


14 septembre 53 : Après l’éditorial de la Pravda (voir 4 septembre), c’est au tour de Radio Pékin de faire savoir que les Chinois sont favorables à un processus de pacification identique à celui de Corée (Ruscio, 1992, p. 209).


22 septembre - 10 octobre 53 : Suite à une recrudescence d’activité du régiment 42 à l’est d’Hanoi (quadrilatère de Hung Yen) qui échappe depuis 1951 à toute tentative de ratissage et s’en prend à de nombreux postes dans la région de Kesat, lancement de l’opération Brochet. Les Français engagent 17 bataillons, des escadrons blindés, l’artillerie, l’aviation et la marine contre des villages fortifiés qu’il faut reprendre un à un. Les pertes françaises seront de 121 tués et 621 blessés, celles du VM de 672 tués et 569 prisonniers (Pouget, 2024, pp. 109-110).


20 septembre 53 : Selon Navarre, le dispositif ennemi jusque-là étalé sur tout le Tonkin se rétracte progressivement autour du Delta. Il distingue deux masses : l’une située au nord (divisions 308 et 312 et la division lourde 351) ; l’autre située au sud-ouest (divisions 316, 304 et 320). Les renseignements indiquent le projet d’une offensive en deux temps : une attaque au nord dans la zone Vinh Yen – Phuc Yen – Bac Ninh et une autre, plus au sud, venant de la zone des Évêchés dont le but est d’isoler Hanoi d’Haïphong et de prendre des villes importantes du Delta. L’objectif de la campagne d’automne du VM est donc bien, en l’état, centré sur le Delta. Les Français y concentrent donc toutes leurs forces mobiles (Navarre, 1956, pp. 158-161).


29 septembre 53 : Navarre se rend au P.C. du colonel vietnamien Dong qui commande l’opération dans le Bui Chu (zone des Évêchés) qui s’avère être un échec (voir 22 septembre - 10 octobre). Il lui faut ramener des G.M. engagés dans l’opération Brochet qui ne parviennent pas à établir le contact avec les troupes du VM (Pouget, 2024, p. 111).

Une lettre de Georges Bidault (Affaires étrangères) à l’ambassadeur des États-Unis à Paris dans laquelle précise que « le gouvernement français continuera de faciliter les échanges d’informations et de vues régulières entre les autorités militaires françaises et américaines et prendra en considération les opinions exprimées par ces dernières à propos des plans stratégiques français sans que, bien entendu, il soit porté atteinte à le responsabilité exclusive de la France dans l’adoption et l’exécution de ces plans […] » C’est une porte ouverte à la création du futur M.A.A.G. dirigé par le général américain O’Daniel (voir 15 avril et 8 juin 1954). Selon Rocolle, lors d’un entretien particulier de l’auteur avec Navarre, Bidault n’informera jamais Navarre de l’existence de cette lettre avant la fin de ses fonctions en Indochine. D’où l’étonnement du général en chef lorsqu’O’Daniel lui demandera la communication des plans français (Rocolle, 1968, pp. 65-66, note 118).


30 septembre 53 : Publication d’un communiqué franco-américain annonçant la poursuite de l’accroissement de l’aide militaire américaine à l’Indochine. Les U.S.A. promettent d’accentuer leur effort financier qui doit atteindre 385 millions de dollars. En échange, la France donnera plus de moyens à Navarre pour appliquer son plan (Ruscio, 1992, p. 189).

​Fin septembre 53 : Réunion du comité militaire du Lao Dong en vue de fixer les objectifs de la campagne de l’automne-hiver 1953-1954. Giap propose 2 options : ou engager les forces régulières dans le Delta pour s’opposer à l’ennemi qui menace les zones libérées ; ou s’engager « dans des directions où l’adversaire se trouve à découvert » pour l’obliger « à se disperser » tout en intensifiant les actions de guérilla sur tous les théâtres d’opérations. C’est vers cette deuxième solution que s’oriente le commandant en chef. Mais pour mieux brouiller les cartes, Giap laissera le plus longtemps possible les Français dans le doute sur ses véritables intentions. Une stratégie qui va payer (Rocolle, 1968, pp. 191-192).

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