Fin de l’été 46 : Giap a mis les bouchées doubles pour former une armée vietnamienne en créant des centres de formation, en constituant des stocks d’armements non négligeables d’origine diverse : pris aux Français, stocks cédés par les Japonais, contrebande avec la Chine, constitution d’ateliers d’armement. Giap a mis sur pied 35 régiments d’infanterie et 3 régiments d’artillerie, soit 60 000 hommes dont 12 000 combattent en Cochinchine. Le modèle militaire est d’inspiration soviétique, doté de commissaires politiques dans chaque unité. En vue d’une reprise de la guérilla, des bases militaires sont établies dans les régions montagneuses d’accès difficile (Gras, 1979, p. 126).
1er septembre 46 : Une note de Pignon (conseiller politique de D’Argenlieu) approuvée par Moutet (F.O.M.) évoque l’éventualité de conclure « des accords limités et provisoires […] » mais ce pis-aller a pour préalable de mettre fin à « la situation faite aux personnes et aux biens dans les territoires contrôlés par la R.D.V.N. » et qui constitue un point de blocage pour les Français (Devillers, 1988, p. 214).
Au Cambodge, les premières élections législatives donnent une écrasante majorité au Parti démocrate du prince Youtevong (74,6 % des suffrages, 50 sièges sur 67 à l’assemblée). À la différence du Laos (voir 30 août), le pays rejette globalement l’idée de modus vivendi (voir 7 janvier), toute forme de protectorat (théoriquement abolie, voir 4 janvier) et aspire à l’indépendance. Le prince Monireth, premier ministre en désaccord avec le commissaire de la République, démissionne. Le gouvernement issu des élections constitué en décembre trouvera un compromis évolutif, tout en maintenant des liens étroits avec la France (De Folin, 1993, pp. 129-130).
Au Laos, le vice-roi Petsarath (pro Lao Issara) exilé en Thaïlande, entre en dissidence contre les Français et ce, contre l’avis du roi Sisavang Vong. Il réclame l’indépendance mais n’est soutenu que par une faible minorité. Le roi a quant à lui décidé de faire confiance à la France (voir 30 août) (Gras, 1979, p. 82).
Le groupement de marche de la 2e D.B. transmet ses missions et matériels à un groupement de blindés du Tonkin (G.B.T.) nouvellement constitué. Le colonel Massu quittera son commandement le 30 septembre (Pedroncini, 1992, p. 398).
2 septembre 46 : La note de Pignon du 1er est communiquée à la délégation vietnamienne qui, pour éviter une rupture, acquiesce du bout des lèvres (Devillers, 1988, p. 215).
HCM participe à la soirée organisée salle Pleyel en l’honneur du premier anniversaire de la proclamation de l’indépendance. Il prend la parole aux côté de membres du P.C.F., de la C.G.T. et de l’association France-Vietnam (Ruscio, 1985, p. 119).
3 septembre 46 : Moutet adresse une lettre à D’Argenlieu. Au vu de la situation générale en Indochine dominée par la violence, le gouvernement a décidé de mettre HCM devant l’alternative suivante : « […] ou un accord qui marquera un pas en avant sur celui du 6 mars […] » est trouvé, ou c’est « la rupture de la conférence [de Fontainebleau], avec toutes les conséquences qui s’ensuivent. » Pignon (conseiller politique de D’Argenlieu) et La Laurentie (directeur politique à la F.O.M.) ont été chargés de négocier une nouvelle note transmise à la partie adverse. Moutet ajoute prudemment qu’une rupture serait dommageable car « tous les renseignements [lui] indiquent que [la] situation n’est pas brillante », notamment en Cochinchine où un climat de violence terroriste s’est installé durablement. Il prévoit un renforcement des 85 000 hommes présents si la situation s’aggrave mais l’envoi de ces renforts posera problème en dégarnissant la défense de l’Europe. Reste un espoir : « […] le président [vietnamien] peut être dépassé ou par son entourage, ou par les événements. »
Moutet et Pignon (conseiller politique de D’Argenlieu) sont reçus par HCM et Pham Van Dong. On tente une conciliation de la dernière chance pour éviter une rupture de la conférence en appelant les deux parties à faire des concessions ne serait-ce que sur des points qui ne bloquent pas : situation des personnes et des biens français, régime douanier, commerce extérieur. Pham Van Dong ne s’en contente pas et estime qu’ « il fallait envisager, aussi pénible que cela soit, l’ajournement à quelques mois de la Conférence de Fontainebleau. » (Devillers, 1988, pp. 216-217).
De Colombey, De Gaulle, exaspéré, tonne contre le paysage de la vie politique française : « Si bien que le Boche battu, les collaborateurs en prison, la liberté recouvrée, la France et son Empire sont devenus le point d’application de notre opposition. Oui, la France et son empire devenaient aussitôt, pour eux, un vaste chantier de démolition ! Au lieu de taper sur Maurras ou sur Pétain, ils s’en prennent à Leclerc ou à D’Argenlieu, coupables seulement de ce crime : avoir cherché à faire prévaloir l’État […] » (cité in Turpin, 2005, p. 270)
5 septembre 46 : Progressivement mais également lentement, au grand dam de certains dirigeants communistes purs et durs, un nationalisme rural apparaît sous l’influence de la propagande vietminh. Toutefois les paysans sont devenus plus sensibles aux problèmes politiques et se sentent non plus membres d’une simple communauté villageoise autonome mais citoyens d’une communauté politique plus vaste. Car le VM a produit une instruction visant à destituer les traditionnels conseils de notables qui entretenaient une oligarchie rurale pour leur substituer des « comités du peuple » élus. Ces comités visent la jeunesse, s’opposant en cela à l’autorité traditionnelle du village et de la famille.
6 septembre 46 : Dissolution par l’état-major français du 5e Bureau (presse). Ses membres, dont Philippe Devillers et Jean Lacouture, ont le choix entre le rapatriement ou la démobilisation sur place. Devillers choisit la première formule, Lacouture la seconde (Devillers, 2010, pp. 136-137).
7 septembre 46 : Long mémorandum du département d’État américain qui déplore l’incompréhension du gouvernement français à l’égard des nationalistes et un réel manque d’initiatives pour que de véritables changements s’opèrent (De Folin, 1993, p. 196).
10 septembre 46 : À Fontainebleau, en séance plénière, Pham Van Dong, après quelques tergiversations, refuse un texte de modus vivendi provisoire tant qu’il n’y aura pas accord sur la date et les modalités du référendum sur la Cochinchine. Comme pour la première conférence de Dalat, c’est à nouveau un échec complet pour les mêmes raisons (De Folin, 1993, p. 151).
Pour lutter contre les trafics de contrebande dans le Nord (riz contre armes), secrètement, le conseiller économique Davée et le général Morlière (commissaire de la République au Tonkin) décrètent un contrôle douanier dans les zones maritimes autour de Haïphong qui doit prendre effet le 15 octobre. Cette décision secrète provoquera une levée de boucliers des Vietnamiens après la signature du modus vivendi du 15 septembre (voir 20 octobre) (Devillers, 1988, p. 235).
11 septembre 46 : Bao Daï s’installe à Hong-Kong.
HCM procède à plusieurs interviews durant lesquelles il souffle le froid et le chaud. Au journaliste américain David Schoenbrun qui lui demande si la guerre contre les Français est sans espoir, il répond : « Non, elle ne sera pas sans espoir. Elle sera dure, acharnée, mais nous pourrions la gagner. Car nous avons une arme aussi puissante que le canon moderne, le nationalisme. Quant aux armes, on peut se les procurer s’il le faut. » Sur le type de guerre à venir, il précise de manière imagée : « Ce sera une guerre entre un tigre et un éléphant. Si jamais le tigre s’arrête, l’éléphant le transpercera de ses puissantes défenses. Seulement le tigre ne s’arrête pas. Il se tapit dans la jungle pendant le jour pour ne sortir que la nuit. Il s’élancera sur l’éléphant et lui arrachera le dos par grands lambeaux, puis il disparaîtra de nouveau dans la jungle obscure. Et, lentement, l’éléphant mourra d’épuisement et d’hémorragie. Voilà ce que sera la guerre d’Indochine. » (cité in Gras, 1979, p. 133)
Au journaliste de l’Associted Press, moins belliqueux, il confie qu’il n’y a pas de « discorde véritable entre nous. Nos divergences sont celles que l’on trouve au sein de chaque famille. » Il se déclare optimiste quant à un règlement plus tardif du contentieux. Il s’efforcera de mettre fin à la guérilla, espérant un effort du côté français. Il critique la proposition française qui veut désarmer et rapatrier de Cochinchine les troupes vietnamiennes qui y séjournent car ce serait « un acte de reddition pure et simple ». Il se donne un délai de « cinq à six mois » pour aboutir à de nouvelles négociations (Devillers, 1988, p. 218).
HCM déjeune avec Moutet (F.O.M.). Pignon (conseiller politique de l’amiral), certainement présent, produit un compte rendu de cette rencontre adressé à D’Argenlieu. Moutet déclare ne pas accepter l’échec des pourparlers et en fait part à son interlocuteur qu’il désire revoir dans la soirée. Le soir, HCM rencontre avec deux délégués vietnamiens Moutet, Pignon et Messmer (secrétaire du Cominindo) chez Sainteny. On examine encore les points de désaccord et on cherche des rapprochements (Devillers, 1988, p. 218).
13 septembre 46 : La délégation vietminh quitte définitivement la conférence de Fontainebleau pour le Vietnam, sans aucun accord global. Elle déclare : « Nous regrettons que la Conférence de Fontainebleau n’ait pas abouti aux résultats espérés. Nous gardons la conviction qu’elle sera reprise dans de meilleures conditions pour aboutir. » Seuls des accords limités et locaux, sur place, pourront être conclus (Devillers, 1988, p. 219).
Suite à sa conversation de la veille avec Moutet chez Sainteny, HCM voit le ministre de la F.O.M. et lui remet un nouveau texte avec de nouvelles concessions, sur les dispositions monétaires et douanières mais surtout sur la Cochinchine où il renonce au refus de rapatriement des troupes vietnamiennes du Sud vers le Tonkin et accepte la remise aux autorités françaises des ressortissants considérés comme ex-ennemis (Devillers, 1988, pp. 218-219).
Une note du directeur de cabinet de D’Argenlieu adressée au Cominindo dénombre le nombre de morts, de blessés ou de personnes enlevées du 6 mars au 1er août. Il y a eu 1 159 agressions dont 447 ont abouti à des homicides. Cette note, approuvée par D’Argenlieu, vise bien sûr à peser sur les négociations en discréditant le VM (Turpin, 2005, pp. 270-271).
Faisant suite à la directive du 5 septembre, un décret vietminh en date du 13 supprime dans tout le Vietnam le mandarinat et place à la tête de chaque entité territoriale, territoire (bô), province (Tinh), district (huyen) un comité populaire qui doit respecter les ordres des autorités supérieures devant lesquelles il est responsable. C’est l’instauration d’une forme de « centralisme démocratique » qui renforce l’unité politique du pays. Contrairement à ce qui se passait avant, la loi ne s’arrête plus à la « haie de bambou » mais pénètre l’intérieur des villages où sont élus des représentants de la population (Gras, 1979, pp. 69-70). Lors de son entrevue avec HCM à Cam Ranh (voir 18 octobre), D’Argenlieu protestera contre cette décision qu’il juge être une ingérence inadmissible en Cochinchine, territoire de souveraineté française.
14 septembre 46 : Départ de la délégation vietnamienne de Fontainebleau qui embarque à Marseille sur le Pasteur (Devillers, 1988, p. 219). HCM demeure en France.
Un nouveau texte issu des récents pourparlers en off est remis à HCM par Moutet. Il est discuté entre Bidault (président du Conseil) et HCM (Devillers, 1988, p. 219).
Nuit du 14 au 15 septembre 46 : Marius Moutet (F.O.M.) s’accrochant aux accords du 6 mars ne comprend toujours pas qu’ils sont à l’origine de toutes les difficultés, ayant gommé le mot « indépendance » au profit des mots « État libre ». La rupture de Fontainebleau gène sa famille politique, les socialistes. HCM demeure donc sa dernière chance. Il l’engage à signer in extrémis un « modus vivendi » que Pham Van Dong avait refusé d’avaliser en claquant la porte de la conférence de Fontainebleau (texte du modus cité in extenso in Bodinier, 1987, pp. 287-291). HCM agit différemment en se rendant au domicile de Moutet où le texte sera signé à 1 heure du matin.
En apparence ce texte minimaliste (« en attendant que les circonstances permettent de conclure un accord total et définitif ») donne satisfaction aux Français : il met théoriquement fin des actes de violence (art. IX) ; des accords d’états-majors règleront l’application et le contrôle des mesures prises en commun (art. IX) ; la date et les modalités seront à fixer pour le référendum en Cochinchine ; une libération « des prisonniers politiques et militaires » (art. IX) est prévue ; une liberté d’établissement sur le territoire contrôlé par le gouvernement vietnamien et une garantie aux entreprises sont accordées ; tout comme le principe de l’unité monétaire et douanière. Mais l’application de ces mesures doit être mise au point par des commissions mixtes qui, dans les faits, ne seront presque jamais réunies car le VM pratiquera une politique de la chaise vide. Selon De Folin, ici encore, HCM cherche surtout à gagner du temps puisque ce texte n’entrera théoriquement en vigueur que le 30 octobre, avec, selon ce qui est prévu et si cela est nécessaire, une reprise des négociations prévues pour janvier 1947. Giap valide le texte et le défendra pour la même raison : gagner du temps (De Folin, 1993, pp. 152-154). Un inspecteur de la Sûreté aurait entendu dire par HCM : « Je viens de signer mon arrêt de mort. », propos non confirmé par Sainteny (Sainteny, 1970, p. 114). Par ailleurs, ce modus vivendi ne sera pas appliqué en Cochinchine du fait de son statut particulier de République autonome et le sera au Tonkin, mais avec de grandes difficultés, jusqu’au 20 novembre.
D’Argenlieu n’a pas été informé de sa signature, d’où son amertume lorsqu’il en découvre l’existence (De Folin, 1993, p. 160). Il considère que « croire à la réalisation des clauses de l’article IX [touchant aux questions de sécurité et de maîtrise de la violence] est […] une simple et dangereuse utopie. » Pignon (conseiller politique de l’amiral) et Valluy (commandant en chef) partagent tous deux ce point de vue (D’Argenlieu, 1985, pp. 322-324).
15 septembre 46 : Long message public d’HCM « au peuple français » qu’il assure de « sa profonde sympathie et de son affection fraternelle ». Il exprime « le ferme espoir que la Conférence recommencera dans les mois qui viennent pour réaliser l’accord définitif tant souhaité de part et d’autre. L’amitié franco-vietnamienne assurera la grandeur et la prospérité de l’Union française. » (cité in De Folin, 1993, p. 153)
Messmer (délégué général du Cominindo) câble à D’Argenlieu le texte du modus vivendi ainsi que celui de la Déclaration conjointe des Gouvernements de la République française et de la République démocratique du Vietnam (datée du 14) qui spécifie : « […] Dans un esprit d’amitié et de compréhension mutuelle, le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République démocratique du Vietnam ont procédé à la signature d’un modus vivendi, apportant, dans le cadre d’accords limités, des solutions provisoires aux principales questions d’intérêt immédiat qui se posent entre la France et le Vietnam. En ce qui concerne le référendum prévu par la Convention préliminaire du 6 mars, les deux Gouvernements se réservent d’en fixer ultérieurement la date et les modalités […] » (cité in Devillers, 1988, p. 220). Une fois encore, D’Argenlieu, furieux, est mis devant un fait accompli pour lequel il n’a pas été consulté par le gouvernement.
Au 15 septembre, le contrôle du Laos par les Français est complet, du moins en apparence. Ils ont désarmé les Japonais et repris possession du pays avec moins de 500 hommes issus des maquis qui y étaient implantés. Seules quelques poches de résistance attisées par le VM subsistent car ce dernier craint que la reconquête française de toute la péninsule indochinoise puisse se faire par le Laos. Ce contrôle est appuyé par le prince Souphannouvuong et le Viet Kieu, mouvement dissident soutenu par le VM. Le vice-roi Petsarath est également entré en dissidence, réclamant l’indépendance, contre l’avis du roi (voir 1er septembre) (Gras, 1979, p. 81).
16 septembre 46 : Hanoi apprend la signature du modus vivendi. Selon Fonde, « subitement, l’ambiance change, les visages perdent leurs masques de méfiance et d’inquiétude. » (Fonde, 1971, p. 267) Mais cet effet d’apaisement sera très bref.
18 septembre 46 : HCM quitte Paris. Une délégation non officielle composée de Hoang Minh Giam, Tran Ngoc Danh et Duong Bach Mai y demeure (Devillers, 1988, p. 222).
Les troupes chinoises quittent définitivement le nord du 16e parallèle (Francini 1, 1988, p. 263). À partir de ce moment, et sans qu’il y ait forcément de corrélation avec le départ des Chinois qui assuraient peu la sécurité des populations, un vaste climat de violence (endémique…) se poursuit dans tout le Vietnam : assassinats, enlèvements, élimination d’ennemis politiques, atrocités, tortures (tableau synoptique des incidents du 8 au 20 novembre in D’Argenlieu, 1985, p. 333). Cette violence émane en grande partie du VM (Nguyen Binh) qui cherche à s’affirmer par la terreur et l’extrémisme de certaines de ses factions. Le général Fonde (chef de la « Mission française de liaison ») estime que le chiffre des exécutions des « Viet Gians » (traîtres) dans la seule Cochinchine varie entre 150 et 600 (De Folin, 1993, p. 160).
19 septembre 46 : Après avoir prolongé son séjour en France et, selon Raymond Aubrac, avoir rejeté à deux reprises un retour anticipé voulu par Sainteny (Aubrac, 2000, p. 234), embarquement à Toulon d’HCM vers le Vietnam à bord l’aviso le Dumont D’Urville car il n’a pas voulu prendre l’avion, peut-être par crainte d’un attentat. Il est anxieux car il a entendu les reproches qu’on lui a faits en France du fait de la temporisation induite par les accords du 6 mars : pétitions, cris hostiles dans les gares de Montélimar et Marseille sur le chemin de Toulon où il embarque (Sainteny, 1970, p. 116 ; Chaffard, 1969, pp. 11-25). Sainteny ne l’accompagne pas pour son retour et demeure en France.
Selon Pham Huy Thong qui a côtoyé HCM durant cette période : « Lorsqu’il a quitté la France, le Président gardait un espoir de régler pacifiquement le problème. Il nous a réunis et a cherché à nous convaincre de cela. Il nous a dit que beaucoup de difficultés subsistaient, mais qu’une solution pacifique restait possible. Il a laissé entendre que la situation politique française n’était pas encore stabilisée, qu’il y avait des possibilités d’évolution. » (cité in Ruscio, 1985, p. 114)
20 septembre 46 : Publication dans la presse vietnamienne du texte du modus vivendi. Ce texte minimaliste est loin de faire l’unanimité. Il est notamment violemment critiqué par les nationalistes du V.N.Q.D.D. qui diffusent des tracts, dénoncent une reculade et une trahison de Ho. Selon Fonde, « à nouveau les visages se ferment. La peur renaît. » (Fonde, 1971, p. 268)
21 septembre 46 : Paris envoie des instructions politiques à D’Argenlieu concernant le modus vivendi, jugé « hâtif » et réprouvé par ce dernier : « […] S’il doit être appliqué avec loyauté de notre part, c’est avant tout en vue de susciter une détente, à la faveur de laquelle il est indispensable de reconsidérer l’ensemble de notre politique. Nous devons nous efforcer d’amorcer cette détente dès maintenant et d’éviter toute mesure risquant d’envenimer les rapports franco-vietnamiens avant la date de mise en vigueur de l’accord, le 30 octobre 1946. » Or, sur place, rien n’indique à l’amiral la moindre ébauche ou perspective de pacification (voir 18 et 24 septembre). Il s’avère que « le gouvernement a acquis la conviction que la Cochinchine est le véritable pivot de toute notre politique indochinoise. » Deux méthodes se présentent : ou le coup de force ou la négociation. La première n’est guère envisageable faute de moyens militaires adaptés. D’Argenlieu est donc chargé de mettre en œuvre l’article IX du modus vivendi auquel il ne croit pas. Il faut également élargir le gouvernement du Dr Trinh en Cochinchine, y compris avec des personnalités qui sont favorables à la réunion des trois Ky. Pour le gouvernement français, le texte adressé à D’Argenlieu se veut rassurant à défaut d’être convainquant : « Il ne s’agit nullement d’une politique d’abandon. L’opinion publique française et les milieux gouvernementaux sont de plus en plus décidés à affermir la position de la France en Indochine. » (Devillers, 1988, pp. 225-227).
22 septembre 46 : Alors que le statut de la Cochinchine est en attente d’un éventuel référendum, le Comité exécutif provisoire du Nam Bo lance une proclamation où il affirme y être la seule autorité légale (Devillers, 1988, p. 230).
23 septembre 46 : Une note de synthèse sur les effectifs français est adressée aux bureaux de différents ministères. « Sur demandes expresses » de Valluy (commandant en chef) et de D’Argenlieu, « appuyées par l’État-Major de la Défense nationale », elle propose de les maintenir à 75 000 plutôt que les 65 000 initialement prévus. Une demande d’envoi de 12 800 officiers et hommes de troupe est faite pour le 1er semestre 1947 et de 6 à 9 000 pour les autres trimestres (Ruscio, 1985, p. 134 ; Ruscio, 1992, p. 77).
24 septembre 46 : À Hanoi, le climat est toujours aussi délétère. Des collaborateurs de Sainteny sont arrêtés et molestés. Une rumeur d’un massacre généralisé des Français s’y propage (Francini 1, 1988, p. 265).
Hoang Huu Nam (secrétaire d’État à l’Intérieur, commandant des forces de relève) est nommé commissaire politique de l’armée de défense du Vietnam.
25 septembre 46 : Bidault (président du Conseil) câble à D’Argenlieu : « Je forme le vœu que la mise en œuvre par vos soins de cet accord marque de nouveaux progrès dans les relations entre la France et le Vietnam. Soyez assuré de toute ma confiance et de mon amitié. » (Devillers, 1988, p. 22). Or l’amiral, plus que méfiant, entend rencontrer HCM dès son retour au Vietnam (voir 18 octobre). Il espère à l’approche du nouveau référendum sur la Constitution française (voir 13 octobre) un rejet, qui marquerait un potentiel retour de De Gaulle aux affaires et donc l’amorce d’une politique plus ferme en Indochine. Ce qui ne se produira pas.
25 - 28 septembre 46 : Au Laos, face à une menace du Vietminh qui a réoccupé la frontière vietnamienne, les Français, peu nombreux, sont obligés d’évacuer les localités proches de celle-ci. Le VM, lui, considère toujours le Laos comme une marche du Vietnam (Gras, 1979, p. 81-82).
26 septembre 46 : Un article de la Pravda (organe du parti communiste d’U.R.S.S.) évoque la guerre d’Indochine. Il s’en prend aux « troupes étrangères » (Américains et Anglais) mais ne mentionne pas la France. Selon Fall, « l’Union soviétique, pour le moment, voyait la solution au problème indochinois plutôt dans le cadre d’une association avec la France que dans l’indépendance totale. » (Fall, 1960, p. 118) Pour les Soviétiques, du fait du poids du P.C.F. à la Chambre, la France demeure potentiellement une alliée. D’où l’attitude du Parti toujours conciliante envers le conflit et toujours aussi réservée envers l’indépendance vietnamienne (voir 25 septembre 1945). La rupture avec cette attitude ne se produira que le 4 mai 1947.
30 septembre 46 : D’Argenlieu demande à Sainteny (officiellement toujours commissaire de la République au Tonkin mais résidant en France) de reprendre ses fonctions. L’intéressé est hésitant mais donnera finalement une réponse positive le 11 novembre (Devillers, 1988, p. 258).
Septembre-octobre 46 : Débarquement échelonné d’une force française constituée de blindés et de troupes à Haïphong.