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par Jean-François Jagielski

Septembre 1940

Septembre 40 : La Thaïlande (Siam) fait connaître son exigence de rétrocession de territoires sur la rive droite du Mékong et d’une partie du Laos (régions de Luang Prabang et Paksé). Paul Baudoin, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, s’y oppose et demande un soutien des Japonais. Les États-Unis font pression en cessant leurs ventes d’avions au Siam. Après l’occupation japonaise, un deuxième conflit est en train de se tramer pour les Français (Toinet, 1998, p. 34).


1er septembre 40 : Le gouvernement de Vichy donne des instructions à Decoux sur ce que doivent respecter les Japonais : intégrité territoriale de l’Indochine, respect de la souveraineté française, négociations à venir entre l’occupé et l’occupant. Pour le gouvernement français, Decoux doit absolument conserver une marge d’action dans la gestion de cette situation difficile (détail des instructions qui lui sont données in Toinet, 1998, pp. 45-46).


2 septembre 40 : Pétain clôt le débat lancé par Decoux (voir 31 août) quant à la résistance de l’Indochine à l’occupant japonais. Tout en comprenant les « appréhensions et angoisses » de l’amiral, il lui donne l’ordre « d’ouvrir des négociations avec le Japon qui, en évitant un conflit fatal pour l’Indochine, doivent sauvegarder l’essentiel de nos droits. » (Cadeau, 2019, p. 64) Le chef de l’État français répond aux préoccupations que Decoux a exprimé dans son télégramme du 27 août en ces termes : « Je comprends vos appréhensions, vos angoisses. C’est après mûres réflexions que j’ai ordonné à mon gouvernement d’ouvrir des négociations avec le Japon qui, en évitant un conflit total pour l’Indochine, doivent sauvegarder l’essentiel de nos détroits. » (cité in Zeller, 2021, p. 21)

Le colonel Sato, commandant l’armée japonaise en Chine du Sud, informe Decoux que le stationnement militaire et naval débutera le 5. Pour Tokyo, l’occupation doit être pacifique mais ces ordres ne seront jamais respectés par l’état-major japonais de Canton qui se considère en territoire conquis et n’hésite pas à avoir recours à la violence comme bon lui semble (voir nuit du 22 au 23 septembre) (Toinet, 1998, p. 42).


3 septembre 40 : Decoux évoque l’accord franco-japonais de son prédécesseur qui doit, selon lui, demeurer local, purement militaire (et non gouvernemental). Il le qualifie d’« ultimatum qui est en complète opposition avec les instructions que j’ai reçues de mon gouvernement » et se dit prêt à résister mais sans moyens (Valette, 1993, pp. 44-45). Le démarrage des discussions d’état-major est immédiatement marqué par l’antagonisme des positions : là où les Français veulent laisser traîner les choses, le Japonais veulent au contraire obtenir des résultats dans les plus brefs délais (voir nuit du 5 au 6 septembre) (Cadeau, 2019, pp. 64-65)


4 septembre 40 : Une Convention militaire provisoire est signée. Les forces nippones sont autorisées à stationner au nord du Fleuve Rouge (avec, en réalité, plus de 25 000 hommes). Trois terrains d’aviation sont mis à leur disposition. Un torpilleur japonais est autorisé à mouiller en permanence à Haïphong. Les Français continuent à laisser volontairement traîner les choses (Isoart, 1982, p. 87).


5 septembre 40 : Les Japonais multiplient les provocations en pénétrant dans l’espace aérien tonkinois et en faisant franchir la frontière à un bataillon d’infanterie peu de temps après. Un ultimatum est adressé aux Français. Il est fixé au 22 septembre. S’il n’y a pas d’accord, les Japonais menacent d’envahir le Tonkin (Zeller, 2021, p. 21).


Nuit du 5 au 6 septembre 40 : Des éléments de la 5e D.I. japonaise stationnés face à Dong Dang (frontière chinoise) pénètrent en territoire vietnamien et menacent la localité. C’est un avertissement même si des excuses officielles sont fournies par le commandement japonais. Decoux suspend pendant quelques jours les négociations en cours en signe de protestation (Cadeau, 2019, p. 65).


6 septembre 40 : Un bataillon japonais se trouvant au Kouangsi (Chine) exécute des manœuvres d’intimidation devant Langson. La tension est alors extrême (Isoart, 1982, p. 87).


11 septembre 40 : Paul Baudoin (Affaires étrangères) demande à Arsène-Henry (ambassadeur de France à Tokyo) d’obtenir le soutien du Japon contre le Siam (Valette, 1993, p. 85). Cette demande demeurera lettre-morte car le Japon fait la sourde oreille.

Le secrétaire d’État américain Cordell Hull affirme au nouvel ambassadeur français à Washington, Henri Haye, que les États-Unis avaient entravé de toutes les manières autres que militaires le mouvement d’agression japonais. Il reproche aux Français d’avoir accordé aux Japonais un contrôle dans la région Pacifique et toutes sortes d’avantages qui auraient dû être refusés (Isoart, 1982, p. 182). Le torchon brûle entre Vichy et Washington.


17 septembre 40 : Decoux présente un projet d’accords militaires avec les Japonais : leurs effectifs en hommes en transit sont passés à 25 000 hommes, soit 5 fois plus que ce qui avait été prévu par les accords antérieurs. L’importance de tels effectifs est due à un éventuel projet d’attaque de la Chine non acté pour l’instant. La demande d’aéroports à mettre à la disposition des Japonais augmente également et passe de 3 à 5 (Valette, 1993, pp. 27-28).

A Vichy, Paul Baudoin (ministre des Affaires étrangères) avait fait une demande d’échange des ratifications du traité de non-agression conclu entre la Thaïlande et la France en date du 12 juin. Profitant de l’isolement de l’Indochine et de l’affaiblissement de la France, une note thaïlandaise réclame la rétrocession de territoires laotiens et cambodgiens sous domination française de la rive droite du Mékong, en face de Luang Prabang et de Praksé, « en cas de transfert à une tierce puissance [le Japon] de la souveraineté française. » (Valette, 1993, p. 80). Deux délégations siamoises se rendent successivement à Hanoi pour faire valoir ces revendications. Du fait de leur rejet par les Français, le gouvernement de Bangkok engage des opérations de harcèlement (incidents de frontière, escarmouches, propagande, survols aériens menaçants). Les forces thaïlandaises se savent supérieures aux françaises. Elles disposent de 29 bataillons et d’une masse de réserve de 15 bataillons ainsi que de 5 groupes d’artillerie (Isoart, 1982, p. 93).


19 septembre 40 : Decoux rend compte au gouvernement français de nouvelles exigences japonaises qui contredisent l’accord du 4 septembre : les Japonais n’envisagent plus qu’une offensive aérienne contre la Chine et veulent non plus 3 mais 6 aéroports dont 4 situés près de Hanoi. Ceux-ci seront gardés par pas moins de 25 000 hommes cantonnés à Hanoi et ses environs. Ils réclament également le libre accès aux bâtiments de guerre japonais stationnés à Haïphong. Au moindre signe d’hostilité française, les troupes d’occupation promettent de réagir. Les militaires japonais font sans cesse dans la surenchère et les tergiversations, ignorant totalement les accords conclus avec l’ambassade de France à Tokyo. Leurs exigences sont validées par le général Martin, adjoint militaire de Decoux, qui va au-delà de leurs demandes au grand dam du vice-amiral. Ce dernier refuse la présence exorbitante des 25 000 Japonais censés protéger les aéroports (Valette, 1993, pp. 45-46).

Le ministère des Affaires étrangères japonais fait savoir que sa patience a des limites : les troupes japonaises entreront au Tonkin d’ici 3 jours qu’un accord soit trouvé ou non (Cadeau, 2019, p. 65).


20 septembre 40 : Le général Nishihara (chef de la mission japonaise de contrôle) demande le libre accès pour ses troupes au Tonkin. Mais en fait, il n’a qu’un rôle subalterne et seul Sato (commandant l’armée japonaise en Chine du Sud) décide et exige. Les exigences japonaises se font toutefois plus modestes : 4 à 5 aéroports et stationnement de 6 000 hommes après le débarquement des éléments japonais à Haïphong dans la nuit du 22 au 23. L’état-major renonce donc finalement à la présence de 25 000 hommes car, en fait, il ne désire plus attaquer la Chine. On prévoit la signature de nouveaux accords. Face à cet imbroglio, dû à l’autonomie du commandement japonais par rapport au pouvoir politique, Decoux demande une réaction du gouvernement français (Valette, 1993, pp. 47-48).


21 septembre 40 : Decoux, en bon Occidental, demande une intervention du gouvernement japonais face aux tergiversations d’un pouvoir militaire complètement autonome et versatile mais se heurte à un mur (Valette, 1993, p. 49).


22 septembre 40 : Signature d’un énième accord militaire franco-japonais avec le général Nishihara (chef de la mission de contrôle) qui a pris la forme d’un ultimatum. Les Français doivent finalement céder : 3 aéroports sont finalement mis à la disposition des Japonais (Gia Lam, Phu Lang Thuong et Tong), 6 000 hommes pour les garder, la présence d’un effectif de 25 000 hommes (incluant les 6 000) est toujours à débattre mais seulement en cas d’opérations contre la Chine. Seule l’évacuation ultérieure de Haïphong par les Japonais est concédée. Decoux demeure pessimiste, à juste titre, comme le prouvera la suite des événements (Valette, 1993, pp. 49-50).

Les Japonais, stationnés en Chine dans les provinces du Kuangtoung et du Kouangsi, attaquent par surprise sur un front de 70 km les forts frontaliers de Langson et Dong Dang et bombardent Haïphong. Decoux, pris de court, autorise l’entrée des Japonais au seul Tonkin. Il donne des ordres pour que la réaction des troupes françaises soit limitée et privilégie la négociation. Les Japonais, en position de force, n’en ont cure (Valette, 1993, p. 27 et pp. 51-53).

Venant de l’île de Haïnan se concentre au large de Haïphong une escadre japonaise comprenant un croiseur  et 8 torpilleurs escortant 8 navires de transport de troupes destinées à s’implanter au Tonkin selon les accords du 4 septembre (Isoart, 1982, p. 89).


Nuit du 22 au 23 septembre 40 : Malgré les ordres de Tokyo qui parlent d’une intervention pacifique, la 5e division japonaise du général Nakamura (qui ne peut atteindre Haïphong où elle doit être réembarquée) attaque le poste-frontière français de Dong Dang qui commande le passage des « Portes de la Chine ». Les Français résistent jusqu’à 11 h 00. Les Japonais marchent ensuite sur Langson tenu par 6 700 français (Toinet, 1998, p. 42 ; Valette, 1993, p. 28). Les observateurs de ces troupes notent « l’importance et la qualité de leur armement. En particulier, une centaine de chars furent dénombrés. Ceci détruisait les dernières illusions chez certains Français d’Indochine qui avaient encore conservé quelque espoir dans la possibilité de contenir une attaque japonaise. »


23 septembre 40 : L’armée japonaise de Canton, ignorant l’accord de la veille, se heurte à la garnison française de Langson qui résiste (voir 29 septembre).

Des membres du P.C.I. lancent une insurrection dans les régions montagneuses du Tonkin frontalières avec la Chine (Bac Son). Ces opérations très limitées, de pure guérilla, se poursuivront jusqu’en octobre.


25 septembre 40 : Des troupes japonaises débarquent au matin dans la région d’Haïphong-Hanoi et tentent d’occuper les aéroports. Les Japonais ayant atteint leur but, le général Nishihara qualifiera ultérieurement l’opération de « terrible erreur ». Vichy ordonne à l’amiral Decoux d’accepter les demandes japonaises et de reprendre les négociations. Finalement, seules 3 bases aériennes sont laissées aux Japonais ; l’occupation est réduite à 6 000 hommes et le transit des troupes à travers l’Indochine est limité à 25 000 hommes (y compris les 6 000), comme cela était prévu par les derniers accords.

La garnison de Langson se rend dans l’après-midi. Le secteur restera occupé par les Japonais  (Cadeau, 2019, p. 66 et p. 69).


26 septembre 40 : Suite au débarquement de la veille, l’ambassadeur français à Tokyo Charles Arsène-Henry apprend que l’empereur a ordonné à ses troupes de mettre fin à l’invasion et de rester sur place tant que la situation n’est pas réglée avec les Français. Ces derniers comptent 34 tués et 2 500 prisonniers. Plus d’un millier de soldats indochinois ont déserté. Selon Zeller, « l’impact psychologique et symbolique de cette défaite est en revanche très lourd. L’armée du Mikado vient de prouver qu’elle peut anéantir en quelques jours les forces françaises, aussi déterminée et courageuses fussent-elles. » (Zeller, 2021, p. 23)


27 septembre 40 : Signature du pacte tripartite qui officialise l’axe Rome-Berlin-Tokyo. Le Japon tente de normaliser ses relations avec l’U.R.S.S. (accrochages sur le territoire chinois). L’état-major japonais s’efforce de mettre un terme à la coûteuse campagne de Chine qui mobilise une grande partie de ses forces. Celle-ci est soutenue par l’aide étrangère qui bénéficie tant aux nationalistes qu’aux communistes chinois réunis dans un front uni depuis 1937 (Cadeau, 2019, pp. 52-53).

Nouveau signe de la dégradation entre la France et la Thaïlande, l’avion d’Air France qui assure la liaison entre Hanoi et Saigon est poursuivi par des avions de chasse thaïlandais (Cadeau, 2019, p. 75).


29 septembre 40 : Langson tombe après une résistance acharnée. 2 500 Français sont faits prisonniers. Les Japonais s’en prennent à la population française en commettant des exécutions au sabre et à la baïonnette tant sur les militaires que les civils.

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