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par Jean-François Jagielski

Octobre 1972

Octobre 72 : Alexander Haig, théoriquement adjoint de Kissinger mais devenu en fait un proche conseiller de Nixon, s’en prend au laxisme du secrétaire à la Sécurité nationale à l’égard de Moscou. Kissinger lui répond : « Les Soviets n’ont rien à faire du Nord-Vietnam. S’ils voulaient baiser Nixon, ils le feraient au Moyen-Orient… » (cité in Portes, 2016, p. 43)

Les forces du F.N.L. abandonnent progressivement la zone de Kratié au Cambodge où elles s’étaient réfugiées le 19 mars 1970. C’est en effet à cette époque que commencent les premières attaques des KR contre les Vietnamiens détestés et considérés par eux comme une force d’occupation (Marangé, 2012, pp. 361-362).


2 octobre 72 : Haig rencontre à nouveau Thieu. L’entrevue dure deux heures. Haig expose la position américaine : négocier pour obtenir un maximum de concessions, sachant qu’Hanoi est en train de lâcher du lest. Thieu écoute et semble rassuré par le fait que la question de sa démission n’est plus forcément d’actualité (voir 8 - 12 octobre). Haig repart sur une bonne impression mais qui ne sera que très passagère. Il transmet un rapport à Nixon qui a rencontré Gromyko (Affaires étrangères d’U.R.S.S.) ce même jour à Camp David et lui a confié que les choses pourraient se débloquer le 8. Mais Nixon lui a confié qu’en cas d’échec, les U.S.A. pouvaient recourir « à d’autres méthodes » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 394-1 395 ; Marangé, 2012, p. 353).


3 octobre 72 : Thieu annule cette fois une nouvelle entrevue avec Haig et se mure à nouveau dans le silence dans l’attente de la réunion d’un C.N.S. (voir 4 octobre) (Kissinger 2, 1979, p. 1 395).

Un rapport du département de la Défense américain indique que 7 555 800 tonnes de bombes ont été larguées en Indochine entre février 1965 et juin 1972 (2 056 244 tonnes de bombes avaient été utilisées durant la SGM) (Burns Sigel, 1992, p. 131).


4 octobre 72 : Thieu convoque Haig devant un C.N.S. s-v. Il y attaque toutes les propositions américaines, y compris celles qu’il avait acceptées au préalable. Il refuse de discuter de variantes (voir 27 septembre) (Kissinger 2, 1979, p. 1 395).

Kissinger communique à la Maison Blanche : « Ce n’est pas que Thieu renâcle, c’est qu’il refuse la moindre proposition que nous avons faite. Il refuse de donner son avis sur aucun paragraphe de notre plan, même sur ceux qu’il avait approuvé avant. » (cité in Portes, 2016, p. 117)

Nixon, dont Kissinger note que l’attitude est beaucoup plus virulente que celle qu’il rapporte dans ses mémoires, déclare au secrétaire d’État à la Sécurité nationale que Haig avait commis une erreur en ne s’opposant pas à Thieu et en refusant de « lui mettre les points sur les i ». Nixon autorise Kissinger à aller de l’avant lors des négociations secrètes du 8, pensant a priori que les N-V refuseraient les propositions américaines. Kissinger lui dit qu’il y a 50 % de chances pour qu’ils acceptent les propositions du 15 septembre. Il confie à Nixon que le refus de Thieu constitue pour lui une manière de laisser porter la faute de l’échec des négociations aux seuls Américains (Kissinger 2, 1979, p. 1 396).


5 octobre 72 : Craignant que Thieu ne rende publique son refus de tout accord (voir 4 octobre), Kissinger lui envoie une lettre mentionnant que Nixon le consulterait avant de prendre une décision définitive (Kissinger 2, 1979, p. 1 397).


6 octobre 72 : Kissinger câble à Bunker que Thieu doit étudier les propositions américaines (élections présidentielles, Assemblée constituante, révision de la Constitution par une commission électorale) « de sorte qu’il ne pourra se plaindre de n’avoir pas avoir eu assez de temps pour considérer les divers aspects de ces propositions […] » (Kissinger 2, 1979, p.       1 397).


Nuit du 6 au 7 octobre 72 : Au Cambodge, un détachement d’une centaine de combattants kr et vietnamiens donne l’assaut au camp du 2e escadron blindé à Phnom Penh, non loin de l’ambassade de France. Un autre détachement fait sauter le pont de Chrouy Changvar qui relie la capitale à sa banlieue de la presqu’île du même nom. La situation militaire continue à se dégrader au fil des heures dans la capitale (Cambacérès, 2013, p. 179).


8 - 12 octobre 72 : A la veille des élections américaines, nouvelles séances de négociations secrètes à Gif-sur-Yvette qui vont aboutir à un accord américano-nord-vietnamien. Côté américain, Haig et John Negroponte (conseiller de Kissinger pour l’Asie) participent, ainsi que certains membres du C.N.S. américain. Côté vietnamien sont présents Le Duc Tho et Xuan Thuy. Ambiance détendue, on plaisante.

Le Duc Tho propose une synthèse des deux plans en 10 points. Pour accélérer les discussions, il a mis en place une procédure à deux niveaux : un projet d’accord militaire non réglé à ce jour et urgent (cessez-le-feu ; évacuation des américains ; sort des prisonniers) et un projet d’accord politique pour les deux parties vietnamiennes (droit à la détermination du peuple s-v ; devenir des deux forces armées qui doivent demeurer sur place), plus long à élaborer. Le représentant de la délégation n-v parle d’« un tournant majeur dans le processus de négociation sur le Vietnam. »

On observe des avancées du point de vue américain et s-v. Elles reprennent des propositions des 7 octobre 1970 (cessez-le-feu), 31 mai 1971 (cessation des infiltrations au S-V), 25 janvier et 8 mai 1972 (propositions de Nixon). Les N-V lâchent du lest sur la question du maintien d’une aide militaire américaine au S-V discutée depuis trois ans (question des réparations), l’arrêt des infiltrations au S-V, la libération des prisonniers, le renoncement au renversement du gouvernement s-v, la tenue d’élections présidentielles. Il n’est désormais plus question de gouvernement de coalition (avec maintien des deux gouvernements jusqu’aux élections). Le retrait des troupes serait contrôlé par une instance internationale. Un cessez-le-feu sur place au Vietnam pourrait être étendu au Laos et Cambodge.

On observe quelques différences entre les versions anglaise et vietnamienne de la proposition du texte d’accord : on aplanit tout les 11 et 12. On est désormais en vue d’un accord qui prévoit un cessez-le-feu, avec une solution politique à terme qui permettrait à Thieu de conserver temporairement le pouvoir au S-V et on observe donc un nouveau revirement dans les propositions par rapport à ce qui avait été décidé le 26 septembre.


10 octobre 72 : Le démocrate George Stanley McGovern, rival de Nixon à la future élection présidentielle, présente son plan de paix pour le Vietnam. Kissinger a demandé à Nixon de n’y apporter aucune réponse tant que la phase de négociations en cours n’a pas été validée. Il a demandé à Haldeman (directeur du cabinet présidentiel) de « maintenir le calme [car] une nervosité excessive ne peut que compromettre le résultat de nos efforts produits ici. » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 407-1 408)

Nouvelle séance de négociations à Gif-sur-Yvette. Frictions entre Kissinger et Le Duc Tho sur les exigences américaines en matière de sécurité pour le Laos et le Cambodge. On les met de côté pour l’instant en se centrant sur le Sud-Vietnam (Kissinger 2, 1979, pp. 1 408-1 409). Kissinger décide rester un jour de plus et en avertit Haldeman (Kissinger 2, 1979, p. 1 414).

Kissinger câble à Bunker un message pour Thieu. L’armée s-v doit conquérir  « le plus de territoire possible », notamment dans les territoires les plus peuplés autour de Saigon. Il ne pense pas que le cessez-le-feu puisse intervenir avant 15 jours, ce qui laisse un peu de temps mais il faut agir vite (Kissinger 2, 1979, p. 1 414).


11 octobre 72 : Séance marathon à Gif-sur-Yvette d’une durée de 16 heures, de 9 h 30 à          2 h 00 du matin avec production d’un important travail d’écriture, où les choses sont décrites point par point. Accord sur le cessez-le-feu, un retrait américain est prévu sur une durée de deux mois, libération des prisonniers, un accord politique à produire dans les trois mois entre les parties vietnamiennes : elles « feront de leur mieux » pour parvenir à un règlement, selon un principe d’unanimité… L’ancienne appellation « Administration de Concorde nationale » chargée d’organiser les élections est renommée,  après accord, « Conseil national de réconciliation et de concorde ». (Kissinger 2, 1979, p. 1 409 et 1 545)

De nombreux points d’achoppement et de résistance des N-V sur les questions militaires subsistent cependant. La cessation des infiltrations est obtenue avec grande difficulté. Il en est de même pour la question des retraits, les N-V ne considérant pas le S-V comme un pays étranger. Le remplacement du matériel militaire aux dux belligérants sur le sol s-v se négocie sur un principe d’égalité. Les problèmes épineux sont laissés en suspens.

Le Duc Tho accepte que les questions du Laos et du Cambodge soient considérées comme faisant partie de l’accord du Vietnam, il y est donc aussi question de retrait des forces armées des deux parties et de leurs dates. La libération des prisonniers pose également problème. Nombres d’entre eux sont des cadres du VM enfermés dans les geôles s-v. Les S-V ne seront sans doute pas favorables à leur libération : les deux parties « devront faire au mieux »… On s’accorde sur les réparations américaines. La question du contrôle international est évoquée ainsi que celle d’une conférence de paix. On en reste là, le 12, à 2 h 00 du matin (Kissinger 2, 1979, pp. 1 410-1 412).

Kissinger envoie un nouveau message à Bunker pour Thieu : il faut conquérir avant les cessez-le-feu le plus de territoire possible ; il faut « faire preuve d’une plus grande flexibilité sur la plan politique ». Il envoie à l’ambassadeur « le projet de « lignes directrices » soumis par Le Duc Tho le 9 octobre et depuis longtemps abandonné. » Il avoue : « Ce n’était pas là une manœuvre très honorable ; elle ne porta pas ses fruits, pour une tout autre raison d’ailleurs. » Il se justifie à bon compte en se méfiant de l’entourage du président s-v et de l’influence de « l’arrogant Nha et [du] pédant Duc ». Il pense également que l’abandon du gouvernement de coalition satisfera Thieu. Seul John Negroponte (conseiller de Kissinger pour l’Asie) est pessimiste  (Kissinger 2, 1979, pp. 1 414-1 415).


12 octobre 72 : Le projet d’accord reconnaît et une légitimité politique aux alliés s-v d’Hanoi et le Gouvernement révolutionnaire provisoire (G.R.P.). Le conseiller de Kissinger, Bob Haldeman, qualifie dans ses mémoires cette nuit du 12 octobre 1972 de « nuit super-historique » (Hanhimäki, 2008, p. 67).

On projette la signature d’un accord pour le 30 octobre avec une séance pour peaufiner les choses le 17. Kissinger est également optimiste : « Je pense que nous sommes engagés dans une discussion qui nous mènera au succès, et je pense également que nous devons établir nos relations sur une base de confiance qui leur permette de se développer. » (cité in Portes, 2016, pp. 120-121 ; voir également Kissinger 2, 1979, pp. 1 397-1 404) On trouve même un compromis laborieux sur l’épineuse question des réparations. Mais tout ce bel agencement n’est qu’illusion car Thieu, mis devant un fait accompli pour lequel il n’a pas été consulté, y est opposé et le fera savoir après une période d’habituel silence et un nouveau refus de recevoir Bunker.

De retour à Washington, Kissinger rend compte immédiatement des avancées dans le Bureau ovale autour d’un verre avec Haig et Haldeman (Portes mentionne ce retour à la date du 15, ce qui paraît être une erreur : Kissinger (2, 1979, p. 1 417) et Nixon (1978, p. 509) mentionnent tous deux le 12 au soir). Le secrétaire à la Défense nationale est radieux : « Eh bien, Monsieur le Président, il semble que nous ayons obtenu vingt sur vingt. » (Nixon, 1978, p. 509). On convient bien sûr de soutenir le régime s-v. Mais des doutes subsistent (Nixon, Haig) quant à l’acceptation de Thieu.

Trois importants problèmes demeurent et doivent abordés le 17 à Paris en séance plénière : la libération des prisonniers civils au S-V, le remplacement du matériel militaire pour les S-V, les accords de cessez-le-feu au Laos et au Cambodge. Kissinger doit rencontrer Thieu du 18 au 22 puis partir pour Hanoi. L’accord devrait être annoncé le 26 et signé le 31. L’optimisme règne et Kissinger, pour une fois un peu euphorique, espère tout régler avant les élections présidentielles. Ce qui lui importe, c’est que par « un aussi bon accord politique » les Américains ne perdront pas la face (Portes, 2016, pp. 123-124).

Il reconnaît dans ses mémoires : « Nixon s’inquiétait surtout de la réaction de Thieu. Pour ma part, j’étais – naïvement – optimiste, car les résultats obtenus étaient meilleurs que ce que nous avions ensemble proposé pendant des années. » Le président est visiblement beaucoup plus réservé. Il charge Winston Lord (assistant de Kissinger) de donner son accord à Xuan Thuy mais à condition que les N-V modifient plusieurs points : la portée de l’accord sur l’arrêt des infiltrations, l’acceptation de l’aide militaire accordée au S-V, un affaiblissement des pouvoirs du Conseil de réconciliation. On envoie immédiatement ces requêtes à Hanoi. Puis elles sont rédigées vers l’administration par l’équipe de Kissinger, avec l’aval de Nixon (Kissinger 2, 1979, pp. 1 417-1 418).


13 octobre 72 : Nixon autorise les raids de B-52 sur le N-V, histoire de mettre un peu plus de pression sur les négociations en cours. Il autorise leur extension de la zone démilitarisée jusque vers le Nord (Nixon, 1978, p. 519).

Kissinger rencontre le secrétaire d’État Rogers qui semble satisfait de la tournure des négociations. Alors que ce dernier a toujours été mis en touche, le secrétaire à la Sécurité nationale lui demande pour une fois de l’aide. Rogers lui adjoint William Sullivan, ancien ambassadeur au Laos et chef du groupe de travail pour le Vietnam au département d’État.

Bunker ne parvient toujours pas à rencontrer Thieu à Saigon, car ce dernier est à nouveau souffrant… (Kissinger 2, 1979, pp. 1419-1420)


14 octobre 72 : Prévoyant les futures difficultés avec Thieu, Kissinger envoie un message à Bunker pour préparer le terrain de sa future rencontre avec le président s-v qui s’annonce particulièrement compliquée : « Thieu doit abandonner son attitude hostile envers nous et, en même temps, être prêt en retour des concessions politiques d’Hanoi, à se montrer souple et raisonnable en ce qui concerne les modalités d’un cessez-le-feu sur place. » Toujours aucune réponse de l’intéressé (Kissinger 2, 1979, p. 1 420).

Au Cambodge, démission du gouvernement Son Ngoc Thanh. Celui-ci se retire définitivement au Sud-Vietnam où il décédera en prison en 1976.


14 et 15 octobre 72 : Kissinger rencontre Dobrynine et lui demande que l’U.R.S.S. cesse de fournir des armes aux N-V après l’accord. L’ambassadeur élude cette demande. Une lettre de Nixon adressée à Moscou et Pékin se heurtera à une même absence de réponse. Chose plus inquiétante, Kissinger constate dans ses entretiens avec l’ambassadeur soviétique qu’Hanoi a fait parvenir aux Russes une version des entretiens dans laquelle le Conseil de réconciliation demeure « une structure administrative » alors que, lors de ses entretiens avec Le Duc Tho, il était parvenu à lui faire admettre un caractère non gouvernemental. Kissinger considère cette version comme inacceptable (Kissinger 2, 1979, pp. 1 420-1 421). Tout n’est donc pas réglé. Loin s’en faut.


Mi-octobre 72 : Au Cambodge, importante crise au sein du pouvoir exécutif. Une nouvelle instabilité gouvernementale s’installe. Son Ngoc Thanh (voir 14 octobre) qui avait succédé à Sirith Matak depuis mars au poste de premier ministre donne sa démission. Il sera successivement remplacé par Hang Thun Hak bientôt suivi de de In Tam puis de Long Boret. Cheng Heng qui avait dû céder le poste de président à Lon Lol le 10 mars se répand en violentes critiques contre celui-ci. En fait, le régime de Lon Lol est en faillite totale (Cambacérès, 2013, p. 179).


16 octobre 72 : Kissinger part pour Paris. Il reçoit dans l’avion un message de Nixon lui disant de ne pas se préoccuper des futures élections dans les négociations à venir : « Si le règlement ne se faisait pas, cela nous porterait préjudice mais ne serait pas fatal. Nous devons à tout prix éviter non seulement d’imposer ou d’accepter un gouvernement  de coalition, mais encore d’en donner l’impression. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 421). Nixon est toujours réticent devant les récentes avancées auxquelles il ne croit pas. Il demeure prêt à torpiller ce qui entrain de se négocier.

Nixon rencontre Laird (Défense) et Abrams (commandant le M.A.C.V.) qui approuvent les éléments de l’accord à venir. Abrams est persuadé qu’il est inutile de prolonger indéfiniment des combats qui, de toute manière, n’aboutiront à rien (Kissinger 2, 1979, p. 1 422).


17 octobre 72 : Séance de négociations secrètes entre Kissinger et Xuan Thuy. Kissinger Observe que celui-ci n’a pas vraiment de pouvoir décisionnel en l’absence de Le Duc Tho. C’est ce dernier qui est désormais l’homme fort des négociations.

On ajuste le texte pour le Cambodge, sur le sort des prisonniers et la fourniture d’armes aux deux parties mais rien de définitif n‘est acté ce jour sur ces questions. Le Conseil de réconciliation pourra superviser les élections mais sans en fixer la date qui devra résulter d’un accord « unanime » entre les deux parties au S-V. Selon Kissinger, c’est la mise en place d’une « formule passe-partout nous permettant d’esquiver un problème. » La signature prévue initialement pour le 30 devra donc être un peu repoussée. Kissinger, toujours un peu trop euphorique, affirme lors d’une interview que « la paix est à portée de main », déclaration qu’il déplorera par la suite, la qualifiant de « véritable boulet au pied » lors de la reprise des négociations avec les N-V de novembre (Portes, 2016, p. 124 ; Kissinger 2, 1979, p. 1 422 et 1 475).

Au Cambodge, mise en place du gouvernement Hang Thun Hak qui demeurera en place jusqu’au 17 avril 1973 (Jennar, 1995, p. 165).


Peu avant le 18 octobre 72 : Peu avant son départ, Nixon a conseillé à Kissinger en partance pour Saigon « de traiter [ses] prochaines entrevues avec Thieu « comme des parties de poker » où [il] dissimulerai[t] l’ « atout » jusqu’au dernier moment. » Thieu ne devra pas être mis au courant du volet politique de l’accord. Kissinger devra lui faire croire que la position n-v est beaucoup plus ferme qu’elle ne l’est en réalité pour ensuite mieux l’amadouer. Kissinger, réaliste, ne croit pas que Thieu soit dupe de cette partie de « poker menteur » à la Nixon (Kissinger 2, 1979, p. 1 422). Mais la partie se poursuit plus que jamais.

Kissinger part pour Saigon. Selon le même, « […] l’ambiance fut à l’optimisme », à l’exception de l’humeur grave et sans doute plus réaliste de John Negroponte (son conseiller pour l’Asie). Le secrétaire à la Sécurité nationale envoie un message à Hanoi : sa venue dans la ville ne sera envisageable que si l’accord est finalisé. Il propose de rencontrer au préalable Le Duc Tho à Vientiane « et à Paris si nécessaire. » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 422-1 423).


18 octobre 72 : Kissinger arrive à Saigon pour présenter le projet d’accord à Thieu. Il n’est pas reçu de suite. Il rencontre au préalable des responsables américains (Bunker, Abrams, George Carver, représentant local de la C.I.A.).

Nixon a envoyé au préalable à Thieu un courrier pour préparer le terrain : « Comme nous avons pris des risques pour la guerre, nous devons en prendre pour la paix. Notre intention est de nous conformer pleinement aux clauses de l’accord et de ses interprétations telles que nous les avons négociées avec Hanoi. Je sais que ce sera également l’attitude de votre gouvernement. Nous attendons une réciprocité, que nous leur avons clairement signifiée. Je vous assure que nous considérons comme extrêmement grave tout manquement de leur part, il en résulterait des conséquences très sérieuses. » (cité in Portes, 2016, p. 125)

Nixon rencontre Rogers (secrétaire d’État) et Alex Johnson (conseiller au département d’État) qui lui déclare que l’accord est « une reddition totale » de Hanoi. Nixon semble cette fois jubiler à l’idée de piéger les N-V (Kissinger 2, 1979, p. 1 422). Il s’illusionne…


19 octobre 72 : Accueil de Kissinger à l’ambassade américaine de Saigon par Bunker. Sont également présents ce jour-là Philip Habib (conseiller de Kissinger), l’amiral Noel Gaylor (C.I.N.P.A.C.), le général Weyand (futur successeur d’Abrams à la tête du M.A.C.V.) et John Negroponte (conseiller de Kissinger pour l’Asie).

Bunker qui a, pour la première fois, le texte de l’accord provisoire en main l’approuve. Abrams répète devant Kissinger ce qu’il avait dit à Nixon le  16 : faire durer les combats un an de plus ne servirait strictement à rien. Mais il ajoute que réduire les renforts risque d’entraîner une importante dégradation de la situation. D’autant plus que les N-V se sont lancés dans des activités « intenses » autour de Saigon pour contrôler eux aussi le plus de territoires possibles avant la signature du cessez-le-feu. Charles Whitehouse (ambassadeur adjoint au S-V) approuve l’accord mais émet des réserves : Thieu n’acceptera pas avant les élections que l’on coupe le cordon ombilical américain et ne fera que tergiverser et temporiser à l’envie. Kissinger consulte Habib qui estime lui que le projet d’accord est bon (Kissinger 2, 1979, p. 1 424-1 425).

Première Réunion Thieu-Kissinger de 11 h 00 à 12 h 45. Accueil glacial par Thieu de Kissinger et Bunker qui sont introduits par Hoang Duc Nha (conseiller spécial de Thieu et ministre de l’Information). Thieu ne les salue même pas.

Kissinger lui remet une lettre introductive de Nixon qui donne carte blanche à l’exposé que Kissinger va faire et qui affirme que Saigon, en y souscrivant, ne s’expose pas (citée partiellement in Kissinger 2, 1979, p. 1 426). Thieu en prend connaissance et se tait.

Puis il invite Kissinger et Bunker à se rendre dans une pièce où est réuni le C.N.S. s-v. La délégation américaine comprend également Whitehouse (ambassadeur adjoint au S-V), Abrams, Sullivan (assistant de Kissinger), Lord (autre assistant de Kissinger) et un interprète. C’est pourtant Nha que Thieu désigne d’entrée comme traducteur. Selon Kissinger, ce dernier se vante en effet d’être « passé maître dans l’art de la contraction » traductive. Côté s-v se trouvent Tran Van Huong (vice-président), Tran Thiem Khiem (premier ministre), Nguyen Phu Duc (ministre des Affaires étrangères assez inexistant ce jour car peu au courant des négociations secrètes, voir 8 novembre), Tran Kim Phong (ambassadeur s-v à Washington), Pham Dang Lam (chef de la délégation s-v à Paris), le général Cao Van Vien (chef d’état-major) et Hoang Duc Nha (conseiller de Thieu).

Kissinger fait un exposé de la situation, rappelle l’engagement d’un petit nombre de conseillers américains aux côtés du S-V. Ils ont dû lutter contre les énormes pressions nationales de gens aux U.S.A. qui sont prêts à lâcher le pays contre le retour des prisonniers. Or ces pressions deviennent irrésistibles.

Kissinger reconnaît une différence entre les impératifs de Thieu et ceux des Américains, la fermeté d’un côté et la souplesse de l’autre. Il insiste particulièrement sur les futures contraintes budgétaires (4,1 milliards de dollars) imposées par le Congrès américain qui ne manqueraient pas de s’opposer, dès janvier 1973, au rejet du projet d’accord que Kissinger est venu exposer ici (en omettant toutefois, comme le lui avait suggéré Nixon, de trop entrer dans les détails de sa partie politique). La question des délais pour accepter l’accord est donc primordiale. Thieu écoute et pratique un dialogue « à la vietnamienne », en éludant. Il pose des questions pertinentes mais dont aucune ne touche vraiment au fond de l’accord (Kissinger 2, 1979, pp. 1 425-1 428).

L’après-midi, Kissinger rencontre à nouveau Thieu et le général Cao Van Vien (chef d’état-major interarmes) au sujet des livraisons d’armes supplémentaires du programme Enhance Plus. Abrams évoque la question du matériel qui sera laissé aux S-V et la livraison rapide de 150 avions supplémentaires.

Un message d’Hanoi arrive tardivement. Les N-V rejettent tout projet de se revoir à Vientiane ou Paris (voir 18 octobre) et demandent de s’en tenir au calendrier prévu pour annoncer publiquement l’accord. Les N-V font deux concessions aux Américains : la signature du cessez-le-feu libérerait tous les prisonniers, civils et militaires, à l’exception des cadres du VC détenus par les S-V ; l’aide militaire accordée par les États-Unis à Saigon pourrait être illimitée. Ces deux concessions vont dans le sens des Américains mais ce sont en fait de véritables cadeaux empoisonnés : les N-V mettent ainsi les Américains en difficulté, sachant que Thieu va lui tout faire pour temporiser. Tout repose désormais sur l’intransigeance du président s-v. Kissinger répond aux N-V « au nom du président » que le texte de l’accord est « complet ». Trois domaines nécessitent encore des arrangements : les prisonniers américains au Laos et au Cambodge, le fin de la guerre au Laos (avec un cessez-le-feu dans les 30 jours), la fin des offensives et des infiltrations au Cambodge (Kissinger 2, 1979, pp. 1 428-1 430).

Le soir, Kissinger envoie un compte rendu mesuré à Nixon : « Il est trop tôt pour dépeindre la réaction de Thieu ; notre expérience nous a appris qu’il n’abat son jeu qu’à la deuxième entrevue. »


20 octobre 72 : Deuxième réunion avec Thieu et le C.N.S. s-v à 14 h 00. Kissinger accompagné de Bunker dirige à nouveau la délégation américaine. Thieu évoque sa méfiance à l’égard de ce qu’il nomme les « embuscades » n-v.

Nha (conseiller de Thieu) interroge précisément certains points de l’accord : la portée réelle du remplacement des armements, la composition et le rôle du Conseil de réconciliation nationale, l’attitude des États-Unis en cas de violation de l’accord. Kissinger répond point par point et rassure. Abrams prend la parole, soutient Kissinger et sa proposition d’accord, rassure ses interlocuteurs en revenant sur les erreurs des N-V (Khe San en 1968, la campagne de 1972 visant Hué). Mais les S-V ne se sentent ni rassurés ni prêts à mener la guerre seuls, même s’ils ne l’avouent pas ouvertement devant leurs interlocuteurs.

C’est ce que dira Kissinger dans son rapport à Washington : « A en juger par l’ambiance sérieuse, un peu triste, qui régnait lors de cette séance, il leur est manifeste qu’il leur est psychologiquement très difficile de couper le cordon ombilical américain. » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 430-1 432)


21 octobre 72 : Nouvelle et troisième entrevue entre Thieu et Kissinger. Le premier repose les mêmes questions sur les points litigieux et toujours en suspend : le Conseil national de réconciliation et de concorde est-il un gouvernement de coalition déguisé ? Est-il vraiment question de trois États du Vietnam ? Pourquoi n’est-il pas fait mention du retrait des N-V au Sud ? Sur la première question, Kissinger dit qu’il reverra les choses avec Le Duc Tho. Sur la dernière, il lui répond que les 140 000 hommes du N-V demeurant au Sud ne peuvent constituer une menace sérieuse face aux 1 100 000 soldats s-v, qui plus est, soutenus par les U.S.A.

De son côté, Nha (conseiller de Thieu) évoque successivement 23 points d’achoppement que Kissinger juge « d’importance » : la formulation « structure administrative » pour désigner le Conseil de réconciliation et dont la traduction pose problème en Vietnamien ; la définition de la D.M.Z. comme ligne de démarcation ; l’absence de mention du G.R.P. dans le texte de l’accord. Sur certains d’entre eux, Kissinger demeure évasif, tout en donnant à nouveau des assurances quant à l’engagement américain en cas de non-respect des accords militaires par les N-V. Il demeure embarrassé voire courroucé, constatant que le texte finalisé avec les N-V ne convient pas aux S-V.

Il a été décidé de se revoir avec le C.N.S. s-v à 14 h 00 mais l’invitation ne vient pas. La réunion est finalement remise à 17 h 00. Aucune explication ni excuse n’est donnée à ce retard à la délégation américaine, toujours par Nha et au téléphone. A 17 h 30, Bunker perd son sang-froid. Il essaie de joindre Thieu au téléphone mais on lui répond que ce dernier est toujours en réunion avec son cabinet. Vers 17 h 45, le président fait savoir qu’il recevra les Américains après cette réunion. Or aucun appel ne parvient avant 21 h 00. Et Kissinger de constater : «  […] nous n’avions pas d’autre choix que d’endurer sans rien dire, comme l’avait justement calculé Thieu. »

Pour compliquer encore un peu plus l’affaire et mettre les Américains en difficulté, le gouvernement de Hanoi fait savoir qu’il accepte toutes les conditions pour le Laos et le Cambodge : libération des prisonniers américains au Laos en même temps que ceux du Vietnam (officiellement, il n’y en aurait pas au Cambodge) (Kissinger 2, 1979, pp. 1 436-1 438). De son côté, le premier ministre Pham Van Dong informe les Américains qu’il va faire savoir publiquement dans une interview à paraître le 23 que le N-V accepte le cessez-le-feu tout en ayant modifié certains points négociés avec Thieu : l’existence d’une coalition de transition tripartite, incluant donc le G.R.P., suivie d’élections générales dans un délai de 6 mois ; la libération de tous les prisonniers des deux camps ; l’acceptation des réparations américaines. Cette annonce publique ne peut bien sûr que crisper encore plus les S-V (Burns Sigel, 1992, p. 131 ; Kissinger 2, 1979, pp. 1 438-1 439).


22 octobre 72 : Quatrième entrevue Kissinger-Thieu à 8 h 00. Au préalable, Kissinger a reçu dans la soirée du 21 un télégramme de Nixon. Des instructions selon lui « pas très éclairantes quant à la manière dont [il] doit s’y prendre » pour arriver à un règlement pour « pousser Thieu dans ses retranchements sans provoquer de catastrophe. » Nixon ne lui donne pas la méthode : « Je vous ai donné l’idée ; à vous de trouver la manière de l’appliquer sur le plan technique. »

Toutefois le président a fait parvenir à Thieu une lettre : un refus de sa part entraînerait « les plus graves conséquences sur [sa] capacité à [lui] conserver [son] soutien […] » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 439-1 440). Pour autant, Thieu refuse d’entériner un accord qui manque à ses yeux de clarté sur plusieurs points litigieux. Il exige une garantie absolue de la zone démilitarisée, le retrait total des forces n-v du S-V et la tenue d’un processus d’autodétermination. Thieu promet cependant d’étudier avec attention d’autres projets de paix… Il se dit même prêt à adopter un cessez-le-feu sur place, solution dangereuse qu’il évalue mal car ne pouvant permettre aucun contrôle du retrait ou non de l’ennemi. A la sortie de cette réunion, Kissinger est pourtant « optimiste » et envoie à Washington un câble déclarant que « la situation s’est finalement débloquée. »

Kissinger et Thieu se revoient une cinquième fois à 17 h 00. Thieu, en pleur et parlant de trahison, lui notifie son refus de signer l’accord en l’état actuel (Tran Van Don, 1985, pp. 310-311 ; Nixon 2, 1979, pp. 1 443-1 444).

Puis Le secrétaire à la Sécurité nationale part pour Phnom Penh tenter de régler la question cambodgienne avec Lon Lol. Elle est plus complexe qu’au Laos avec le Pathet Lao car, comme ils l’ont fait savoir à juste titre, les N-V n’ont guère d’influence sur les KR dont le rôle demeure pour l’instant modeste. Kissinger pense que Lon Lol peut les contenir avec une modeste aide américaine (3 % de celle accordée au S-V) si les N-V évacuent le Cambodge. Il propose à Lon Lol de décréter un cessez-le-feu unilatéral dans son pays, après accord avec Hanoi.

Au moins un point positif ici, Lon Lol est conciliant et soutient ce projet d’accord. Kissinger a aussi dépêché Sullivan (assistant du secrétaire d’État Rogers, rattaché à Kissinger) à Bangkok et Vientiane pour les tenir au courant du projet d’accord de paix au Vietnam. Ce qui va être considéré par les S-V comme un moyen de les isoler diplomatiquement en les présentant comme l’obstacle principal à la paix. Une position qu’il faut absolument parvenir à contrer (voir 28 octobre) (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 334-335).


23 octobre 72 : Avant son départ pour Washington, Kissinger rend une sixième visite à Thieu qui demeure rivé à sa position de refus. Le secrétaire à la Sécurité nationale en rend compte à Washington par câble. Il évoque alors l’idée d’une paix séparée que Nixon refuse d’entrée à sa grande surprise (Tran Van Don, 1985, p. 312 ; Kissinger 2, 1979, pp. 1 448-1 450 n’évoque pas ce point précis).

Rien n’est donc réglé au S-V alors que le couperet n-v de la signature de l’accord au 31 est toujours d’actualité, ainsi que celui de la révélation publique de l’accord ce jour-même...  Kissinger, au vu de la situation, renonce (avec l’aval de Nixon) à se rendre à Hanoi et prévoit de repartir directement pour Washington en en avertissant les N-V. Un message de Nixon leur est envoyé, il demande une nouvelle entrevue Kissinger-Le Duc Tho, demande qu’Hanoi rejettera d’un revers de main (Kissinger 2, 1979, p. 1 450 et pp. 1 455-1 456).

Alors que Kissinger est en train de négocier péniblement avec Thieu à Saigon, Pham Van Dong (premier ministre n-v) lui met les bâtons dans les roues en donnant une interview au journaliste du magazine Newsweek, Arnaud De Borchgrave, qui révèle la teneur du projet d’accord entre Kissinger et Le-Duc-Tho : l’existence future d’un gouvernement à trois composantes avec les N-V, les S-V (dont Thieu) et le G.R.P. Ce dont les S-V ne veulent absolument pas et qui n’a rien à voir avec la simple « structure administrative » que Kissinger avait évoquée lors de son récent séjour à Saigon (Kissinger 2, 1979, pp. 1438-1439 ; Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 322-323).

De Chine où il est toujours en exil, Sihanouk donne une interview au correspondant de l’A.F.P. Jean Leclerc de Sablon. Il révèle qu’il est opposé à toute idée de conférence d’ensemble sur l’Indochine telle que l’avaient suggéré les Américains (voir 22 octobre). Une solution ne peut émerger que d’une discussion directe entre le G.R.U.N.K. et les États-Unis dans laquelle le régime de Lon Lol, totalement discrédité, n’a aucune place. Il précise que les Chinois ont donné en 1972 10 millions de dollars pour mener la résistance au Cambodge. 15 millions sont prévus pour 1973. L’approvisionnement des forces rebelles en armement provient de trois sources : la Chine, le Vietnam et l’armée corrompue de Lon Lol à qui on peut tout acheter, y compris des véhicules (Cambacérès, 2013, pp. 179-180).


24 octobre 72 : Thieu dénonce publiquement les négociations secrètes entre Américains et N-V parlant d’« un accord de capitulation ». Il rejette le projet et affirme son opposition à l’établissement d’un gouvernement de coalition déguisé, ainsi qu’au maintien des troupes n-v au Sud. Il est entendu dans le pays et bénéficie d’un soutien populaire (Tran Van Don, 1985, p. 312 ; Nixon, 1978, pp. 517-518).

Fin du minage des ports et des bombardements sur le N-V (remis en place depuis le 8 mai).

Kissinger repart du Cambodge pour Washington.

En signe de bonne foi et d’avancée, Nixon annonce que les bombardements au Vietnam se limiteront désormais au 20e parallèle (Burns Sigel, 1992, p. 131).


25 octobre 72 : Le corps des élus s-v (échelons national, régional et provincial) organise devant le palais présidentiel une manifestation de soutien au message de rejet de Thieu (Tran Van Don, 1985, p. 313).

La R.P.C. est reconnue par l’assemblée générale des Nations Unies et devient membre permanent du conseil de sécurité. Taïwan, fief des nationaliste jusque-là soutenu par les U.S.A., en est exclue (Marangé, 2012, p. 341).


26 octobre 72 : Le premier ministre Pham Van Dong a révélé publiquement le projet d’accord, le calendrier des paraphes et la signature de l’accord (voir 23 octobre). Il reproche à l’administration américaine d’avoir manqué à ses promesses et d’utiliser les pourparlers à des fins purement électoralistes.

Continuant à mettre la pression, les N-V publient l’accord de paix et Radio Hanoï diffuse, à 5 h 30 heure locale, les dispositions générales d’un « accord complet », les concessions faites par le N-V, le contenu des récentes négociations secrètes et la date du terme de l’accord fixée à ce jour au 31 octobre. On y dénonce aussi divers « prétextes » américains pour ne pas s’en tenir cette date (Nixon, 1978, p. 518 ; Kissinger 2, 1979, pp. 1 456-1 459).

L’information est relayée par le New York Times qui titre ce même jour « Les États-Unis et Hanoi seraient arrivés à une entente sur un accord-cadre de cessez-le-feu. Acceptation de Saigon prévue pour bientôt. » Selon Kissinger, la fuite émanerait de Hanoi via Paris (Schumann, ministre des Affaires étrangères ?).

Kissinger est obligé de provoquer une interview télévisée au cours de laquelle il reconnaît, contraint et forcé, les annonces publiques n-v. Il reconnait : « Bien que la paix soit à portée de main, la date du 31 octobre prévue pour la signature du document pourrait être modifiée, afin de permettre le réajustement de certains détails. »

Pour autant, les N-V continuent d’accuser les U.S.A. de tenter de « faire traîner » l’accord, alors que Kissinger fait des déclarations publiques que le président juge à nouveau prématurées : « Nous croyons que la paix est à portée de main. Nous croyons qu’un accord est en en vue. » Phrases qu’il déplorera par la suite avoir prononcées trop tôt, sans l’aval de Nixon, ce que ce dernier lui reprochera durablement. Ce dernier, de son côté, doit avouer publiquement qu’il demeure des « divergences qu’il fallait résoudre » avec le S-V.

Il envoie le deuxième coup de semonce à Thieu : « Si la tendance évidente vers un désaccord entre nos deux gouvernements continue, la base essentielle à l’appui des États-Unis pour votre gouvernement sera détruite. ». Thieu, de son côté, considère toujours les propositions américaines comme « un accord de capitulation ». Selon Kissinger, ces annonces publiques, porteuses d’espoirs de paix, provoquent « une liesse générale […] ; la grande majorité des Américains éprouvait un immense soulagement. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 462).

Un message des N-V fait savoir aux Américains pourquoi ils ont rendu l’accord public. Visiblement, contrairement à leurs déclarations officielles et privées, ils tempèrent mais uniquement en off. Selon eux, la « meilleure manière de mettre rapidement fin à la guerre […] est de négocier sérieusement. » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 460-1 461)


26 – 28 octobre 72 : Sachant que les Américains et les N-V sont sur le point de conclure un accord de paix, Sihanouk (président du G.R.U.N.K.), Penn Nouth (premier ministre), Ieng Sary (Affaires étrangères) et Keat Chhon se rendent à Hanoi pour éviter que cet accord ne se fasse sur le dos du Cambodge (Cambacérès, 2013, p. 180).


27 octobre 72 : Le Washington Post réagit aux déclarations de la veille de Nixon et tempère leur portée en écrivant que l’on aurait pu arriver aux mêmes accords… en 1969, après l’échec militaire de l’offensive du Têt (Kissinger 2, 1979, p. 1 463).

Les N-V font officiellement marche-arrière : un porte-parole parisien, Nguyen Thanh, déclare aux journalistes que Le Duc Tho et Xuan Thuy sont prêts à revoir Kissinger. Les Américains répondent positivement au message. Les Chinois sont mis au courant. On rassure également les Russes (Kissinger 2, 1979, p. 1 461).

Pour savoir ce qui se trame à Paris au niveau des négociations secrètes, Thieu envoie Tran Van Dong à Paris. Il y rencontre Sainteny et Maurice Schumann (ministre des Affaires étrangères) « pour avoir leur avis et recueillir auprès d’eux certaines informations susceptibles de nous intéresser. » Il plaide à son tour la cause s-v quant au refus de l’accord (Tran Van Don, 1985, pp. 313-314).


28 octobre 72 : Les Américains reçoivent un mémorandum signé de Hoang Duc Nha (conseiller présidentiel s-v et ministre de l’Information). Il met en parallèle les déclarations de Radio-Hanoi et de Kissinger, manifeste une « surprise » quant au contenu des propos tenus par les N-V, revient sur la question de la « structure administrative » qui n’est, selon les S-V, qu’une « forme de gouvernement de coalition déguisé ».

Nixon réagit en répondant à Thieu : « Cependant, si la tendance au désaccord, qui se manifeste entre nous, devait s’accentuer, la base essentielle de l’appui que les États-Unis vous accordent, à vous-même et à votre gouvernement, serait détruite. A cet égard, les déclarations de votre ministre des Affaires étrangères [Nguyen Phu Duc], selon lesquelles les États-Unis négocient une capitulation, sont aussi néfastes qu’injustes et déplacées. » Les U.S.A. ont par ailleurs commencé à jouer du bâton en freinant, dès l’annonce du refus de Thieu, l’apport en matériel militaire de l’opération Enhance Plus (Kissinger 2, 1979, pp. 1 461-1 462).

Nguyen Phu Duc (ministre des Affaires étrangères s-v) part pour le Cambodge où il est reçu par Lon Lol et son premier ministre Hang Thun Hak suite à la visite de Kissinger du 22 octobre. C’est une opération diplomatique qui vise à rompre l’isolement s-v et mettre en garde le Cambogde contre les dangers du projet d’accord américain : le maintien de troupes n-v au S-V aboutirait au maintien d’une « peau de léopard » des deux côtés de la frontière. Il est donc nécessaire d’établir un cessez-le-feu sur toute l’Indochine et non simplement au S-V comme le prévoit cet accord (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 335-336).


29 octobre 72 : Nguyen Phu Duc (ministre des Affaires étrangères s-v) poursuit sa campagne diplomatique et se rend en Thaïlande. Le gouvernement thaïlandais lui exprime « son appréhension sur l’absence d’une clause sur le retrait des forces nord-vietnamiennes et estime[e] que l’accord [doit] établir aussi un cessez-le-feu  au Laos et au Cambodge. » Lors de sa venue à Bangkok (voir 22 octobre), Sullivan (assistant du secrétaire d’État, rattaché à Kissinger)  a expliqué qu’il fallait établir des accords séparés pour ces deux pays. La chose est en bonne voie au Laos, elle est plus difficile à mettre en œuvre au Cambodge du fait de l’exil de Sihanouk en Chine et de la formation du G.R.U.N.K. Le point de vue chinois doit être pris en compte.

Les autorités thaïlandaises posent la question du potentiel non-respect des engagements n-v. L’émissaire américain leur répond que la force de frappe américaine en Thaïlande est là pour entreprendre des actions punitives si nécessaire. Selon Nguyen Phu Duc, les Thaïlandais ne sont guère rassurés pour autant. L’émissaire s-v déclare qu’il n’est pas favorable à un cessez-le feu séparé car les N-V ne cesseront alors de déplacer leurs troupes entre le Laos et le Cambodge (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 336-337).


30 octobre 72 : Nguyen Phu Duc se rend au Laos en l’absence de Souvanna Phouma. Il est reçu par les autorités laotiennes qui considèrent que les troupes n-v doivent être retirées en même temps et au Laos et au S-V. Les Laotiens ne sont pas enthousiasmés par l’idée d’un cessez-le-feu car le Pathet Lao (communiste) nie depuis toujours la présence des N-V sur le territoire national et refuse d’en discuter avec le gouvernement royal. Selon Duc, l’optimisme de Sullivan (voir 29 octobre) était donc prématuré (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 338).

Hanoi se manifeste en faisant savoir que la proposition américaine de nouvelles négociations fait l’objet d’une étude appelant une réponse différée. Ce qui est plutôt de bon augure (Kissinger 2, 1979, p. 1 462).


31 octobre 72 : La conviction ne suffisant pas avec les S-V, les Américains passent au chantage. Nixon envoie un câble à Kissinger pour qu’il pousse Thieu dans ses retranchements. Si l’accord n’est pas validé par Thieu, Kissinger doit l’aviser que les Américains traiteront séparément avec les seuls N-V. Kissinger prend alors part à une conférence avec les dirigeants s-v, conduite par le ministre des Affaires étrangères : 23 amendements sont présentés, 7 bloquent dont ceux portant sur le retrait des troupes n-v et l’élimination du Conseil national de Réconciliation et de Concorde (Nixon, 1978, p. 514).

Un exemplaire écrit de l’accord est remis à Thieu. Un conseiller de Nixon l’effraie en lui remettant un article de Newsweek dans lequel le premier ministre nord-vietnamien déclare que le président s-v avait été « dépassé par les événements » et que lui-même envisageait la tenue d’un « Conseil de Concorde » ayant la forme d’une « coalition de transition ». Le mot « coalition » met en fureur Thieu. Il accuse alors les U.S.A. de faire collusion avec la Chine et l’U.R.S.S. pour renverser son régime. Les S-V réclament l’existence d’une zone démilitarisée assurant une frontière ainsi qu’une reconnaissance du S-V comme État indépendant, ce dont visiblement les Américains ne veulent plus. Face à un tel imbroglio, Nixon réagit en menaçant le S-V de ne plus être réapprovisionné et de signer un simple accord bilatéral entre les U.S.A. et le N-V. En vue de temporiser, Kissinger propose cependant aux N-V de repousser la date de l’accord (Karnow, 1985, pp. 403-404).

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