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par Jean-François Jagielski

Octobre 1969

Octobre 69 : Annonce gouvernementale américaine d’un retrait de 50 000 hommes. Réduction des sorties de B-52 de 20 %, des opérations stratégiques aériennes de 25 % et modification des ordres transmis à Abrams qui met fin aux projets offensifs américains.

Selon Kissinger, Sihanouk dénonce, dans un numéro du Sangkum dont il est directeur, l’implantation au Cambodge de 35 000 à 40 000 soldats n-v et vietcong et soutient la présence américaine comme un facteur d’équilibre (Kissinger 1, 1979, pp. 476-477). Pour autant, les Américains n’ont qu’une confiance des plus limitée envers un Sihanouk très versatile (voir 25 septembre).

Souvanna Phouma déclare à l’O.N.U. qu’au Laos on ne compte ni troupes thaïlandaises ni troupes américaines mais uniquement des troupes n-v. Affirmation qui sera contredite quelques semaines plus tard par une commission d’enquête sénatoriale américaine qui entend Helms (C.I.A.) et trois attachés militaires de l’ambassade américaine à Vientiane. Bernard Lossiter, correspondant sur place du New York Times, évoque quant à lui la présence de 300 agents de la C.I.A. « anciens Bérets verts recrutés pour prendre la tête d’unités laotiennes lors de missions de reconnaissance et de raids contre-terroristes. » Il dénonce le transport de soldats et leur approvisionnement par deux compagnies aériennes à la solde de la C.I.A., Air America et Continental. Il évoque pour le Laos l’existence de bombardements tactiques contre le Pathet Lao et les N-V (pouvant aller jusqu’à 300 sorties par jour) ainsi que les opérations au sol de l’armée royale laotienne guidées et dirigées par les Américains qui parfois y participent directement (voir 20 novembre) (Burchett, 1970, pp. 106-107)

Selon Kissinger, au plus fort des manifestations pacifiques, 58 % des Américains soutiennent la politique de Nixon au Vietnam (Kissinger 1, 1979, p. 306).


7 octobre 69 : Hanoï rejette une offre américaine de cessez-le-feu complet (Kissinger 1, 1979, p. 307).


14 octobre 69 : Radio-Hanoï diffuse une lettre de Pham Van Dong (premier ministre) au peuple américain, soulignant l’aide morale qu’apportent les opposants à la guerre aux U.S.A. (Nixon, 1978, p. 291).


15 octobre 69 : Lors du Vietnam Moratorium Day (moratoire du 15 octobre 1969), un million de citoyens américains manifestent contre la guerre dans tous les U.S.A. (Kissinger 1, 1979, p. 304 qui les évalue exagérément à deux millions). La mobilisation n’est pas générale, les états du Nord-Est, du Middlewest et de la Californie sont plus représentés que le Sud. Les manifestations se déroulent dans un grand calme et s’apparentent aux teach-ins de 1965 : réflexion et discussion en sont les principales manifestations.

Selon Debouzy, « Les manifestations nationales prirent un ton nouveau et pour cible le président lui-même. Une marche funèbre, à la lueur de bougies, partie du Monument de Washington, se dirigea vers la Maison Blanche. En moins d’une heure les manifestants encerclèrent la résidence du président, cependant qu’un roulement de tambour résonnait pour les morts de la guerre. » (Debouzy, 2003, p. 30) Présence accrue de syndicalistes dans les rangs de la manifestation. Selon Debouzy les motivations des syndicalistes lors de cette manifestation peuvent être diverses car « la dissidence s’amplifiait, sans doute liée au mécontentement de la base devant l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat qu’elle entraînait. » (Debouzy in collectif, 1992, p. 34)

Deux sénateurs républicains prennent la parole et en appellent au terme de la guerre d’ici la fin de l’année. C’est à cette occasion que se forme officiellement le Vietnam Moratory Committee (V.M.C., Mouvement du Moratoire du Vietnam), un mouvement modéré qui prévoit d’organiser régulièrement mais de manière croissante des manifestations pacifistes (voir 13 novembre). Ce mouvement apparenté aux Républicains était en gestation depuis le 20 avril. Vu l’ampleur prise par ce genre de manifestations, Nixon ne peut faire la sourde oreille, d’où son discours du 3 novembre (Nixon, 1978, p. 290 ; Portes, 2008, pp. 231-233).


19 octobre 69 : Suite à une commission d’enquête de la sous-commission des Affaires étrangères du Sénat sur les actions américaines au Laos, son président, le sénateur démocrate Stuart Symington, accuse l’administration Nixon d’avoir gardé secrète l’intervention militaire américaine et déclare : « Tout ici est travesti. » Certains membres de l’administration sollicités refusent de venir témoigner et Nixon intervient pour que ne soit pas publiée la version intégrale des auditions.

Selon Burchett, « le public n’eut droit qu’à une version généreusement caviardée. » Il faudra attendre 6 mois afin que les 237 pages du rapport et une centaine de réunions avec divers membres de l’administration pour que soit cependant révélées la dépense depuis de nombreuses années de plusieurs milliards de dollars et l’existence de plus de 200 morts de soldats américains sur le territoire laotien. Le rapport expurgé révèle en fait que des dizaines de milliers de soldats américains sont impliqués là-bas et non 1 040 comme l’avait annoncé Nixon dans l’un de ses discours. Le rôle déterminant de William H. Sullivan (ex-ambassadeur à Vientiane puis sous-secrétaire d’État pour l’Extrême-Orient) est également révélé. Mais rien ne filtre sur le rôle de la C.I.A. Plusieurs articles du Washington Post font alors état des mensonges de l’administration (Burchett, 1970, pp. 111-113).


20 octobre 69 : Première réunion du Groupe d’études spéciales sur le Vietnam créé le 5 septembre. Sont présents Elliot Richardson (créateur avec Kissinger de cette nouvelle structure), Dave Packard, Richard Helms (C.I.A.), des représentants de l’état-major interarmes et des services de renseignement de la Défense. Sous la houlette de deux conseillers de Kissinger, Larry Lynn et Bob Samson, le Groupe entreprend une étude poussée de 12 des 48 provinces du S-V pour découvrir la situation réelle sur l’épineux problème du ralliement ou non des populations rurales que l’on contrôle toujours très mal. Le Groupe rédige un rapport de 100 pages qui est soumis et surtout questionné sévèrement par Kissinger qui veut véritablement savoir où l’on en est sur cette question précise pour laquelle beaucoup de mensonges ont été produits par des conseillers américains d’autant plus satisfaits d’eux-mêmes qu’ils étaient, selon lui, incompétents. Le secrétaire à la Sécurité nationale observe par exemple que la réforme agraire n’a pas eu lieu. Pour autant, les rapports lui disent que la pacification progresse. D’où sa question : qu’en est-il réellement ? (Kissinger 1, 1979, pp. 452-453).

Les États-Unis vont essayer de gagner du temps afin de former l’A.R.V.N. et réduire à néant tous les efforts de Hanoi pour contrecarrer ce développement. Afin d’atteindre ces objectifs, Haig et le Pentagone développent une série de plans d’escalade du conflit. Ces plans consistent à bombarder à nouveau le Nord et miner le port de Haïphong. Du fait d’une fuite, ces projets seront connus du Congrès, puis de Laird (Défense) et de Rogers (secrétaire d’État) qui s’y opposeront tous deux farouchement. Par conséquent, le projet sera temporairement abandonné, au grand dam de Nixon.


23 octobre 69 : Au Cambodge, en l’absence de Sihanouk, le général et premier ministre Lon Nol part à nouveau se faire soigner en France. Sirik Matak assure l’intérim.


30 octobre 69 : Suite aux travaux d’audition, menés par le sénateur démocrate Stuart Symington dirigeant la sous-commission des Affaires étrangères au Sénat qui ont révélés une implication directe de l’armée américaine au Laos (voir 19 octobre), le sénateur Fullbright donne une interview au Washington Post : « Ce qui me frappe le plus, c’est qu’une opération de cette envergure [voir mi-août] puisse être menée sans que ni le Sénat ni le public en soit informé ! […] La participation des Américains sur une telle échelle crée un très grave dilemme. Je savais qu’au Laos nous touchions un peu à tout, mais il ne m’était jamais venu à l’idée qu’il pût s’agir d’une affaire aussi énorme. » (cité in Burchett, 1970, p. 111)


Fin octobre 69 : Nixon se retire à Camp David pour finaliser son discours du 3 novembre. Là, il lit une lettre que lui a adressé Mike Mansfield, un démocrate et ami du président qui d’ailleurs a beaucoup d’estime pour ses idées en matière de politique étrangère. Le ton de la lettre est grave : « La poursuite de la guerre au Vietnam compromet […] l’avenir de la nation [...] Plus graves sont les profondes divisions de notre société que provoque ce conflit d’origine et de propos douteux. » Mansfield préconise un cessez-le-feu unilatéral suivi d’un retrait, même si c’est un aveu de faiblesse. Nixon ajoute dans ses mémoires : « Quand je décidai de ne pas accepter l’offre de Mansfield, je savais que, d’un point de vue politique, la guerre de Kennedy et Johnson deviendrait la guerre de Nixon. » (Nixon, 1985, p. 123)

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