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par Jean-François Jagielski

Octobre 1968

Octobre 68 : Sondage analysant l’évolution de l’opinion publique américaine envers le conflit au Vietnam : pour 37 %, contre 54 %, sans opinion 9 % (Nouilhat in collectif, 1992, p. 60).

Trois nouvelles réunions de négociations secrètes paraissent prometteuses aux Américains. LBJ est en fin de mandat et essaie de sauver la mise. C’est encore une illusion qui ignore l’intransigeance des N-V au sujet de l’arrêt des bombardements.

Les N-V admettent pouvoir tolérer les vols de reconnaissance américains (voir 8 mai). Des annonces publiques sont faites sur leur existence à Washington et Paris. Selon Johnson, même après la décision d’arrêter les bombardements du 1er novembre, Hanoi prétend qu’il n’y a eu aucun accord sur la question. Des accrochages auront lieu. Selon Johnson : « On se mit à tirer de temps à autre sur un avion de reconnaissance non armé. Ils nous fallut donc protéger ces vols en les accompagnant d’escortes armées et exerçant des représailles contre les batteries antiaériennes qui attaquaient nos pilotes et nos appareils. » (Johnson, 1972, p. 623) En fait, au-delà des précédentes déclarations de principe, rien n’est véritablement réglé sur cette question.


1er octobre 68 : Nouvelle séance de négociations secrètes. Harriman annonce un éventuel arrêt total des bombardements. C’est l’acceptation d’une exigence « inconditionnelle » de Hanoi. Les N-V profitent toujours de l’affaiblissement de LBJ et tentent ainsi de saper la confiance entre Washington et Thieu. Ce dernier réagit et demeure décidé à empêcher tout accord en refusant notamment que le F.N.L. soit partie prenante dans les négociations. Il dit à qui veut l’entendre que, s’il était citoyen américain, il voterait pour le candidat républicain aux élections présidentielles à venir. De leur côté, les N-V se contentent d’avoir obtenu un relâchement de la pression militaire américaine mais gardent toujours à l’esprit de renverser Thieu. On est bien loin d’un accord de toutes les parties. Les avancées demeurent maigres voire inexistantes (Portes, 2016, pp. 32-34).


2 octobre 68 : L’agence de presse khmère évoque l’infiltration en territoire cambodgien dans la province de Svay Rieng d’éléments kr encadrés par des VC. Ces troupes viennent du S-V. Elles déclarent appartenir au Front révolutionnaire du peuple khmer et sont accompagnées d’éléments purement vietnamiens (Sihanouk, 1979, pp. 245-246)


3 octobre 68 : Après Harriman (voir 17 septembre), Cyrus Vance, l’un des deux principaux négociateurs à la conférence de Paris, se rend à son tour à la Maison Blanche. Il est assez optimiste sur la possibilité de progrès dans les négociations. Le président l’est moins. Il évoque trois points incontournables dans les exigences américaines : la mise en danger des troupes américaines par l’arrêt des bombardements, l’occupation de la D.M.Z. par les N-V, l’arrêt des attaques d’artillerie ou de fusées contre les grandes villes s-v (Saigon, Hué, Danang, entre autres). Vance confirme que lui et Harriman n’ont cessé d’évoquer ces trois conditions et continueraient de le faire (Johnson, 1972, p. 618). La poursuite d’un dialogue de sourds s’installe durablement à Paris.


4 octobre 68 : Après son récent abandon (voir 27 juin), les Marines réinvestissent la base aérienne de Khe Sanh pour établir une position d’artillerie en vue de couvrir la zone (Burns Siger, 1992, p. 81).


7 – 12 octobre 68 : A la conférence de Paris, les N-V demandent lors d’une réunion privée si les Américains étaient prêts à stopper les bombardements. De leur côté, ils s’engageraient sans équivoque à accepter la participation du S-V aux négociations. Harriman demande à consulter Washington. Le président veut en référer à Bunker et Abrams qui lui répondent rapidement. Ils voient tous deux dans l’attitude d’Hanoi une inflexion. Le président leur demande d’évoquer la proposition n-v avec Thieu. Contacté par l’ambassadeur Bunker, ce dernier n’est pas opposé à explorer cette voie (Johnson, 1972, pp. 618-619).


9 octobre 68 : Pékin multiplie une fois de plus ses pressions pour forcer Hanoi à rompre les négociations avec les Américains et couper définitivement les ponts avec Moscou. Les dirigeants chinois auraient déclaré à cette occasion que l’arrêt des bombardements sur la R.D.V.N. représentait « une grande défaite, une grande perte pour le peuple vietnamien ». Ils ajoutent : « Si vous voulez vaincre les États-Unis, dans ce cas vous devez rompre vos relations avec l’Union soviétique, soit vous voulez trouver un arrangement avec les États-Unis, utiliser l’assistance de la Chine pour les frapper et ensuite négocier tant bien que mal avec eux, et, dans ce cas, l’assistance de la Chine aura perdu tout son sens. » (cité in Marangé, 2012, p. 335)


12 octobre 68 : McGeorge Bundy (conseiller extérieur à l’administration, membre du comité des Sages) critique la guerre du Vietnam dans une déclaration publique : « Il n'y a aucune perspective de victoire militaire contre le Nord-Vietnam, quel que soit le niveau de la force militaire américaine qui soit acceptable ou souhaitable d’engager ». Il déclare par ailleurs que l’administration suivante devra réduire « régulièrement, systématiquement et substantiellement » le nombre de soldat américains stationnés au Vietnam ainsi que le coût de la guerre. » Une déclaration qui ne peut qu’effrayer Thieu et les S-V (Johnson, 1972, p. 621). Avec Bundy, Johnson perd l’un de ses importants appuis à sa politique d’engagement dans le conflit.


13 octobre 68 : Rencontre Bunker-Thieu. L’ambassadeur l’informe de la tenue de négociations discrètes à Paris. La délégation américaine a demandé à son homologue n-v le respect de trois points jugés essentiels pour l’arrêt des bombardements : la participation du gouvernement s-v aux pourparlers de paix, le respect de la D.M.Z. et l’arrêt d’offensives communistes contre les villes du S-V. Selon Bunker, en cas de non-respect de ces clauses, les U.S.A. prévoient une reprise des bombardements. Il précise que ces trois conditions forment un tout indissociable et ne seront pas divulguées publiquement. Pas plus que la menace de reprise des bombardements.

Face à ces révélations, Thieu convoque un C.N.S. qui prend immédiatement des décisions. Les S-V demandent à être impliqués directement dans les négociations avec le N-V au sein de la conférence élargie de Paris, mais uniquement sur les questions militaires et non sur les politiques, ce qui les entraineraient avec les Américains vers l’épineuse question de la présence du F.N.L. dans les négociations. Les N-V devront manifester concrètement une forme de désescalade. Le F.N.L. ne pourra à lui seul représenter une entité incluse dans le processus de négociation distincte des N-V. Selon Johnson, l’attitude de plus en plus rétive des S-V à l’égard de son administration s’explique par le fait que ceux-ci pensent obtenir plus des Américains si le républicain Nixon est élu. Les récents propos du candidat démocrate Humphrey sur l’arrêt des bombardements n’ont en effet pas rassuré les S-V (voir 30 septembre) (Johnson, 1972, p. 621).

Revenu l’après-midi, Bunker est mis au courant de ces exigences. Nguyen Phu Duc (conseiller de Thieu) les a couchées par écrit. Il a bien reprécisé à l’ambassadeur américain que, du point de vue de son gouvernement, le F.N.L. ne pouvait en aucun cas être considéré à Paris comme une entité différente de celle des N-V. Bunker prend connaissance du texte qui lui est remis. Il précise que, pour le moment, Hanoi n’entend pas exprimer le moindre principe de réciprocité et fait de l’arrêt « inconditionnel » des bombardements une condition incontournable pour amorcer tout processus de négociation. Bunker émet des réserves sur la non-représentation du F.N.L. comme entité distincte à Paris, car c’est une décision qui revient aux seuls NV. Il ajoute que si le principe de la conférence élargie est retenu, la non-participation des S-V au processus ne pourra être qu’un sujet de tension avec le gouvernement américain (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 201-203).


14 octobre 68 : Johnson réunit ses conseillers et discute avec eux de la dernière proposition   n-v : l’arrêt des bombardements contre la venue à la table des négociations des S-V. Chacun estime qu’il faut essayer cette solution. Le président rencontre les militaires qui ne sont pas opposés à l’arrêt des bombardements mais demandent à ce que les reconnaissances aériennes se poursuivent et que les bombardements puissent reprendre si les N-V ne jouent pas le jeu. En fait, les N-V jouent la montre en changeant la règle du jeu : l’arrêt total des bombardements devait être suivi « le jour suivant » d’une réunion amorçant les négociations. Mais son échéance est repoussée car il leur faut consulter le F.N.L. et ils ne savent pas combien de temps cela peut prendre. Un nouvel espoir qui se délite rapidement dans des débats stériles portant sur les délais pour tenir cette réunion. Car les N-V changent sans cesse de point de vue au fil des discussions (Johnson, 1972, pp. 619-620).


15 octobre 68 : Deuxième rencontre Bunker-Thieu. Cultivant les paradoxes à souhait, les U.S.A. n’ont officiellement pas l’intention de reconnaître le F.N.L. mais soulignent que sa présence aux négociations de Paris est jugée par leur gouvernement comme « nécessaire »… Thieu voit là l’amorce d’un régime de coalition avec les communistes au S-V, éventualité qu’il refuse catégoriquement. Il réitère sa demande d’implication directe de son gouvernement dans les négociations. Le gouvernement américain doit faire pression sur Hanoi pour l’obtenir. Un projet souhaitable de communiqué commun entre les deux parties est donc loin d’être finalisé (voir 28 octobre) (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 203-204).


16 octobre 68 : Johnson organise une réunion avec les trois candidats à l’élection présidentielle : le vice-président Humphrey, les sénateurs Nixon et Wallace. Elle a pour but de mettre à bas certaines rumeurs reprises par certains journaux qui prétendent que les négociations en cours sont sur le point d’atteindre un résultat probant. Le président contactera à nouveau les trois candidats le 31 (Johnson, 1972, p. 665).


22 octobre 68 : Les démons politiciens refont surface aux U.S.A. Selon le candidat Nixon, Johnson pousse un accord avec la N-V (avec arrêt des bombardements) en vue d’un cessez-le feu qui pourrait favoriser le candidat démocrate Humphrey à sa succession (Nixon, 1978, pp. 241-242). Le Vietnam s’invite au cœur de la campagne électorale.


26 octobre 68 : Poursuite des négociations secrètes. Xuan Thuy surprend ses interlocuteurs en reconnaissant à la fois la place de Saigon et du F.N.L. dans les négociations à venir (Portes, 2016, p. 32).


27 octobre 68 : LBJ reçoit à dîner un groupe d’amis et certains de ses conseillers (Rusk, Wheeler, Taylor et Rostow). Ce dernier, alors que cela n’est pas dans ses habitudes, envoie le lendemain une note au président. Il l’incite à poursuivre dans la voie des négociations en cours estimant que « les augures sont aujourd’hui les plus favorables que nous puissions obtenir – bien meilleurs que nous n’avons pu l’espérer depuis 1961. » (cité in Johnson, 1972, p. 622)

LBJ demande à Rusk de lui indiquer combien de fois a été évoquée à Paris la question des « restrictions qu’Hanoi devaient s’imposer si nous arrêtions les bombardements au Nord-Vietnam. » Rusk transmet la demande à Harriman et Vance qui lui répondent le lendemain. La question a été évoquée 12 fois. La participation des S-V à la conférence a été acceptée sur le principe. Les deux autres exigences américaines (évacuation de la D.M.Z. et arrêt des attaques des villes s-v) bloquent sur le fait que l’intransigeance des N-V se focalise sur l’arrêt « inconditionnel » des bombardements. Les N-V ont dit qu’ils sauraient « ce qu’ils avaient à faire » si cette condition était respectée. Harriman et Vance estiment toutefois que les bombardements devront reprendre si les deux autres conditions ne sont pas respectées (Johnson, 1972, pp. 622-623). Or, pour l’instant, elles ne le sont toujours pas.

Les Américains ont un entretien avec l’ambassadeur soviétique à Washington, Dobrynine. Ils lui remettent un texte qui décrit leur position. Ils précisent que les S-V sont désormais impliqués dans les nouveaux pourparlers. Ils expriment leurs attentes sur les deux points qui bloquent : le respect de la D.M.Z. et l’arrêt des attaques n-v contre les villes du Sud. Ils rappellent aux Soviétiques les propos de leur président : si les bombardements s’arrêtent, il y a « de bonnes raisons de croire » que des discussions productives s’ensuivraient rapidement. Ils demandent les commentaires et réactions que le gouvernement soviétique souhaitait exprimer. Réponse leur est donnée le lendemain. Les N-V veulent la paix et tous les espoirs sont permis au vu de l’intention américaine de stopper les bombardements (Johnson, 1972, p. 624).


28 octobre 68 : Suite aux deux entrevues avec Thieu (voir 13 et 15 octobre), Bunker revient avec un projet de communiqué conjoint : « Le Président Thieu et le Président Johnson ont pris cette décision commune parce qu’ils ont de bonnes raisons pour penser que le Nord-Vietnam à l’intention de se joindre à eux pour désescalader la guerre et entrer en pourparlers sérieux et directs avec le gouvernement de la République du Vietnam et le gouvernement américain sur la substance d’un règlement pacifique. » Dans ce communiqué, le sens du verbe « désescalader » est pourtant totalement contredit par l’attitude particulièrement agressive du N-V depuis la mise en route des négociations de Paris. Le projet de texte sera revu et corrigé par les S-V (voir nuit du 31 octobre au 1er novembre) (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 204-205).


Nuit du 28 au 29 octobre 68 : Avant de prendre fermement la décision de stopper les bombardements, Johnson veut consulter Abrams (commandant le M.A.C.V.) tout juste arrivé après minuit du Vietnam. A 2 h 30 du matin, LBJ réunit Rusk, Taylor, Clifford, Wheeler, Helms et Rostow. Il demande à Abrams si le respect de l’accord en vue avec les N-V présentera un avantage sur le plan militaire. Réponse positive de l’intéressé. Ce dernier est confiant quant au respect de la D.M.Z. où les N-V ont récemment subi des revers. Il l’est moins sur l’attaque des villes, notamment à Saigon et tout au long de la frontière cambodgienne. Mais s’il y a des attaques, elles seront limitées à des tirs de roquettes ou quelques opérations commando.

LBJ pose la question de la reprise des attaques aériennes si les communistes ne jouent pas le jeu. Abrams estiment qu’elles sont possibles et auraient une influence positive sur le moral des troupes américaines et s-v. LBJ joue franc jeu et demande à Abrams ce qu’il ferait s’il était à sa place. Le général lui répond qu’il stopperait les bombardements. Le président apprend que Bunker a du mal à entrer en contact avec Thieu pour établir un accord final sur un projet de communiqué conjoint. Les S-V ont besoin de temps et font savoir que leur délégation ne sera pas prête pour se rendre à Paris à la date prévue du 2 novembre.

A 5 h 00, LBJ clôt la réunion estimant qu’Abrams a besoin de repos. Rusk se rend au département d’État pour tenter de joindre Bunker. Johnson demeure dubitatif quant à l’attitude de Thieu : espère-t-il mieux avec Nixon ou rencontre-t-il une opposition dans son gouvernement ? Il estime qu’il y a sans doute des deux dans cette attitude (Johnson, 1972, p. 625).

Une nouvelle réunion démarre à 6 h 15 avec les conseillers du président. Clifford (Défense) réagit aux atermoiements des S-V. Il défend une position de fermeté, à savoir le maintien de la réunion à la date du 2 novembre que les S-V soient là ou non. L’ensemble des conseillers l’approuve. LBJ charge Rusk de transmettre cette décision à Bunker pour qu’il en fasse part à Thieu (Johnson, 1972, pp. 625-626).


29 octobre 68 : Total revirement de l’attitude des S-V. Thieu réunit à nouveau son C.N.S. pour discuter du texte de la veille. La venue de Bunker et Berger (ambassadeur adjoint) l’interrompt. Ils sont reçus par Thieu et Ky. Les S-V, désirant échapper à la pression américaine, invoquent le fait que toute décision ne peut être prise sans en référer à l’assemblée nationale sur une idée de Nguyen Phu Duc (juriste et conseiller présidentiel) qui invoque l’article 39 de la Constitution s-v. Les membres du C.N.S. sont mis au courant de cette initiative approuvée par le premier ministre Tran Van Huong. Thieu en informe par téléphone le président du Sénat, Nguyen Van Huyen, pour validation juridique. Selon lui, une simple consultation de l’assemblée est nécessaire. Pour autant, Thieu hésite à s’opposer directement à Washington et cherche surtout à temporiser jusqu’aux élections présidentielles américaines (voir 5 novembre) (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 205-206).

Un message de Pham Dang Lam (chef de la mission de liaison s-v à Paris) indique qu’il a eu un entretien avec Harriman. Selon Harriman, les U.S.A. ne peuvent garantir que Hanoi soit décidé à négocier directement avec le gouvernement s-v, contrairement à ce qu’affirme le projet de communiqué commun du 28 proposé par LBJ (voir cependant les négociations secrètes du 26 octobre). Thieu exulte et sait qu’il faut plus que jamais  temporiser tant que la position de Washington sur le rôle du S-V ne s’est pas éclaircie (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 207). Selon Johnson, les S-V ont d’autant plus raison d’être soupçonneux à l’égard de la position américaine qu’ils reçoivent des échos différents entre ce que leur dit Bunker à Saigon et Harriman à Paris sur la question brûlante de la présence du F.N.L. au sein de la conférence. S’y ajoute une part d’intox de la part des N-V qui affirment que les représentants du Front constituent une délégation séparée (Johnson, 1972, p. 627).

A 13 h 00, LBJ réunit ses conseillers pour l’habituelle déjeuner-conférence du mardi. Il a invité Abrams. Rusk annonce que Thieu tient actuellement un C.N.S. à Saigon où il est 2 h 00 du matin. Le président lui demande de résumer la situation dans la capitale s-v. Dans l’attente de nouvelles de Bunker, le secrétaire d’État propose d’envisager les choses sur le long terme. Il rappelle le long engagement des Américains depuis 1961, les 29 000 morts et les 75 milliards de dollars investis jusqu’alors dans le conflit. Il ajoute : « Il faut faire attention que tout ceci ne soit pas gâché. » Il estime qu’il faut laisser du temps aux S-V et « fixer une date qu’il leur convienne. » Clifford n’est toujours pas de cet avis soulignant que les S-V ont eu 5 mois pour désigner leurs représentants susceptibles de se rendre à Paris. Il « estime que c’est là un problème de bonne foi. » Arrive le rapport de Bunker évoquant le C.N.S. s-v (voir ci-dessus) qui provoque « une profonde déception ».

Johnson a ensuite un entretien particulier avec Abrams dont il fait l’éloge devant sa personne mais aussi en lui remettant une lettre cachetée destinée à n’être lue que lors de son retour au Vietnam.

A 18 h 30, le président retrouve ses conseillers. Entre temps est arrivée une recommandation de Bunker demandant de reporter de 24 heures l’annonce de la fin des bombardements et de dire aux S-V que la date de la première grande réunion parisienne serait reportée du 2 au 4 novembre pour qu’ils aient le temps de mettre sur pied leur délégation. Ces préconisations sont validée et LBJ déclare : « Je veux bien attendre encore un jour ou deux avant de rompre l’alliance. » Ce qu’il ignore pour l’instant c’est qu’il faudra plus d’un mois pour que cette délégation s-v soit enfin constituée car elle ne le sera au final que le 8 décembre (Johnson, 1972, pp. 626-628 et p. 634). Les S-V continuent en fait à jouer la montre dans l’attente des futures élections présidentielles aux U.S.A.

LBJ envoie alors une lettre adressée à Thieu l’exhortant à se joindre aux Américains à Paris selon ce qui avait été convenu (Johnson, 1972, p. 629).


30 octobre 68 : Thieu prépare une réponse écrite à LBJ avec de nouvelles exigences. Il demande : la désescalade de l’agressivité d’Hanoi en réponse à l’affaiblissement des bombardements, l’acceptation claire par les N-V de reconnaître le gouvernement s-v dans le processus de négociation avant toute participation de leur part à la conférence de Paris, la fixation de règles de procédure claires pour entamer toute négociation. Il affirme à nouveau que le F.N.L. ne peut être considéré comme un interlocuteur indépendant d’Hanoi. LBJ commente dans ses mémoires : « Mes conseillers et moi-même nous connaissions l’impossibilité de répondre à ces conditions. De Plus, cela faisait plusieurs fois que nous expliquions aux Sud-Vietnamiens, à Saigon et à Paris, pourquoi on ne pouvait y faire droit. » (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 207 ; Johnson, 1972, p. 629)


31 octobre 68 : Bunker et Berger (ambassadeur adjoint) sont reçus une nouvelle fois au palais présidentiel. Thanh (Affaires étrangères) et Nguyen Phu Duc (conseiller présidentiel) leur signifie le refus du gouvernement s-v de voir le F.N.L. s’immiscer dans le processus de négociation. La rupture donc est consommée. L’attitude s-v est confortée au moment même de la venue des émissaires américains par une nouvelle attaque à la roquette du VC sur Saigon (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 208-209).

A 18 h 05, Johnson organise un appel téléphonique commun avec les trois candidats à la présidence : Humphrey, Nixon et Wallace. Il les met au courant de la situation, de sa décision d’annoncer publiquement l’arrêt des bombardements et du blocage de la situation avec Thieu. Les candidats donnent leur appui au président (Johnson, 1972, p. 631 et p. 665).

Le président adopte ensuite la même procédure avec certains sénateurs et députés auprès desquels il justifie sa démarche : « Tout le monde m’a dit que si nous arrêtions les bombardements, nous pourrions vraiment obtenir la paix. Je vais tenter de savoir si ces gens-là savaient de quoi ils parlaient […] » Là encore, il obtient une approbation générale (Johnson, 1972, pp. 630-632).

Johnson rejoint la salle du Cabinet où se doit tenir un C.N.S. Sont présents les habitués : Rusk, Katzenbach, Clifford, Nitze, Wheeler, Rostow et Helms. Le président a également invité Fowler (secrétaire au Trésor), Price Daniel (directeur du Bureau de Planification des Mesures d’Urgence) et Leonard Marks (directeur de l’U.S.I.A.), des secrétaires civils des services armés, les trois chefs du personnel de ces services et le commandant du corps des Marines.

Il évoque les trois conditions exigées par les États-Unis : représentation du gouvernement s-v à la conférence de Paris, évacuation et respect de la D.M.Z., arrêt du bombardement des villes s-v. Le premier point a été accordé par les N-V. Le non-respect des deux autres entraînerait une riposte américaine.

Il évoque ensuite les conversations avec les Soviétiques (voir 27 octobre) et ajoute en parlant des N-V : « Nous allons mettre leur bonne foi à l’épreuve. » Il évoque également le blocage avec Saigon et le fait que ses principaux conseillers sont tous d’accord pour stopper les bombardements. Il demande alors l’avis des participants qui tous aussi approuvent cette décision. Johnson ne cache pas que l’heure est grave et précise dans ses mémoires : « Cela pourrait être la meilleure décision que j’aie jamais prise ; cela pouvait aussi se révéler une erreur monumentale. » Il ajoute devant son auditoire : « Nous allons avoir de rudes marchandages à discuter. » Et Rusk de commenter : « Il y aura aussi de rudes batailles, Monsieur le Président. » (Johnson, 1972, pp. 632-633)

A 19 h 00, Johnson apprend que la position des S-V n’a pas évoluée. Il en conclut : « Il nous faudra marcher seuls. »

A 20 h 00, l’ordre est transmis à l’aviation et à la marine de stopper les bombardements dès que possible, au plus tard dans les 12 heures à venir.

Puis il annonce à la télévision sa décision qui doit prendre effet le 1er novembre à 8 h 00, heure de Washington. Les conversations se tiendront à partir de la semaine prochaine, « les représentants du gouvernement sud-vietnamien sont libres d’y participer. » Il précise que les N-V ont annoncé la présence de représentants du F.N.L. mais que « cela n’impliquait nullement la reconnaissance, sous une forme quelconque, du Front national de Libération. » Puis il rappelle que tout manquement aux exigences américaines entraînerait une rupture des conversations. Il précise que cette amorce des négociations n’est nullement la réalisation d’une paix : « Ce qu’on nous demande, c’est de faire preuve ici même d’un courage, d’une ténacité et d’une persévérance comparable à celle des soldats qui, ce soir, combattent pour nous au Vietnam. » Il évoque enfin le rôle de son successeur et l’assure de son soutien (Johnson, 1972, pp. 633-634).


Nuit du 31 octobre au 1er novembre 68 : Bunker, Berger (ambassadeur adjoint) et Hertz (conseiller à l’ambassade américaine) sont reçus par Thieu, Ky, Thanh (Affaires étrangères) et Nguyen Phu Duc (conseiller présidentiel). Bunker remet à Thieu une nouvelle lettre de LBJ l’invitant à une rencontre avec les chefs d’États alliés. Thieu évoque quant à lui la mauvaise volonté n-v manifestée par les récentes attaques à la roquette sur les villes s-v. Bunker, gêné par cette remarque, botte en touche. Ky propose de retarder la cessation des bombardements qui ne peut être annoncée tant qu’un véritable accord n’est pas trouvé sur les procédures de négociation. On finasse à nouveau côté s-v sur le texte du projet de communiqué commun qui engage, cette fois, la responsabilité de LBJ. Thieu, lui, ne veut pas s’engager à la légère dans une « conférence [qui] va décider le sort de [s]on pays. » On se quitte à 3 h 10 du matin sans le moindre accord, chacun se chargeant de rendre compte qui à son gouvernement qui à son C.N.S. (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 209-212).

La réponse de Washington arrive à 4 h 45, heure locale. Bunker veut revoir Thieu qui fait alors revenir Ky au palais présidentiel. L’ambassadeur lui apporte une nouvelle mouture du projet de communiqué commun portant la nuance suivante : « Le Président Thieu et le Président Johnson ont pris cette décision commune parce que le Président Johnson a assuré le Président Thieu qu’il y a de bonnes de bonnes raisons pour penser… » (voir 28 octobre pour la suite du projet de communiqué) Les S-V reviennent sur une question qui est centrale pour eux, pas de F.N.L. ayant un statut comparable à celui du N-V dans leur délégation commune parisienne car c’est une porte ouverte à un gouvernement de coalition où les communistes auront voix au chapitre au S-V. Un point de vue que les Américains rejettent (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 209-212).

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