Octobre 67 : Sondage analysant l’évolution de l’opinion publique américaine envers le conflit au Vietnam : pour 44 %, contre 46 %, sans opinion 10 % (Nouilhat in collectif, 1992, p. 60). Poursuite du basculement de l’opinion publique aux U.S.A. Mais il existe une disparité entre la population noire et blanche. 56 % des Noirs souhaitent un retrait immédiat alors que les Blancs ne sont que 43 % (Porte, 2008, p. 282). Selon Wainstock et Miller, « […] une majorité d’Américains était opposée à ce que les États-Unis retirent leurs troupes du pays et se prononçaient pour les attaques contre le Nord. Le sentiment général était donc contradictoire et incertain. Une ménagère américaine résuma ce sentiment en déclarant : « Je veux que nous quittions le Vietnam mais je ne veux pas qu’on abandonne. » » (cité in Wainstock, Miller, 2019, p. 215).
Un sondage Gallup montre que 70 % des Américains estiment que l’administration Johnson leur cache des informations (Nouilhat in collectif, 1992, p. 62).
Après l’éviction de Hoang Minh Chin (voir 6 juillet), Le Duc Tho ordonne de nouvelles purges dans l’armée et au sein du Lao Dong. Les accusés sont qualifiés de « révisionnistes » prosoviétiques. Ces nouvelles purges affectent 10 colonels proches de Giap, le ministre de la Défense et même d’anciens codétenus de Le Duc Tho (Marangé, 2012, p. 332).
En l’absence d’HCM parti en septembre pour se faire soigner en Chine, le numéro trois du Politburo du Lao Dong, Truong Chinh, président de l’assemblée nationale et recteur de l’école du parti, fait adopter un décret sur la répression des crimes contre-révolutionnaires, ce qui renforce le dispositif répressif du régime. Toute forme d’opposition, même passive, est punie de plusieurs années de camps, de peines d’emprisonnement à vie, voire la peine de mort. Selon Marangé, cette purge est cependant limitée et ne touche directement aucun haut-dirigeant du parti (Marangé, 2012, p. 333).
Le VC procède à un déplacement important des troupes vers le S-V. Les infiltrations n-v ne cesse de croitre. Des rapports signalent que des éléments de 2 divisions n-v font mouvement par le Laos vers la D.M.Z. et le Sud (Johnson, 1972, p. 449).
2 octobre 67 : Lors d’une rencontre avec Marcovitch, Mai Van Bo (délégué général du gouvernement n-v à Paris) estime que le discours de Johnson de San Antonio est « insultant » (voir 29 septembre) (McNamara, 1996, p. 291). Il le fera savoir publiquement en novembre dans une interview accordée à Olivier Todd : « Notre combat est un combat de principes et quand des principes d’une telle magnitude, d’une telle importance sont en jeu, il n’y a pas, il ne peut y avoir aucun compromis possible. » (cité in Francini 2, 1988, p. 321)
3 octobre 67 : Au cours d’une réunion de travail, Johnson confie à ses proches collaborateurs (Rusk, McN, Helms, Rostow, George Christian) qu’il n’entendait pas faire acte de candidature aux prochaines élections présidentielles de 1968. Selon ses mémoires, il a alors des scrupules : « Au cours de ces derniers mois, comme l’annonce de ma décision approchait, je crois qu’une seule chose aurait pu me faire changer d’avis : savoir que nos hommes au Vietnam considérerait mon attitude comme déloyale et peu judicieuse. » (Johnson, 1972, pp. 517-518). Son attitude sur cette question d’un second mandat demeurera ambivalente jusqu’à la dernière minute. Selon Wainstock, Miller, le jour même du discours du 31 mars 1968 où il annoncera jeter l’éponge, 2 versions auraient été rédigées : l’une ou il reste et l’autre ou il part (Wainstock, Miller, 2019, p. 242).
4 octobre 67: Le siège de Con Thien (au sud de la D.M.Z.) entamé le 13 septembre par 3 divisions n-v est finalement partiellement levé après de durs combats.
7 octobre 67 : Au Cambodge, Sihanouk fait fuir Hu Nim, vice-président de l’Association d’amitié khméro-chinoise (maoïste) et traducteur du Petit Livre rouge. Il est accusé d’avoir fomenté la révolte paysanne de Samlaut et est qualifié par Sihanouk de « traître passible du tribunal militaire et du peloton d’exécution ». Parlementaire, il rejoint Khieu Samphan et Hou Yuon qui ont rejoint les montagnes des Cardamomes. On pense alors que Sihanouk les a fait exécuter mais en fait ils réapparaitront le 24 mars 1970 sous l’appellation des « trois fantômes » (Ponchaud, 2005, p. 179 ; Kane, 2007, pp. 156-157). La répression contre les intellectuels se poursuit avec l’arrestation de nombreux enseignants et étudiants. Plusieurs sont d’entre eux ont été exécutés.
15 - 16 octobre 67 : Aux U.S.A., manifestations contre la guerre organisée par le tout nouveau « Comité national pour mettre un terme à la guerre du Vietnam » (Portes, 2008, p 151).
17 octobre 67 : Note de McGeorge Bundy (conseiller extérieur de l’administration, membre du « conseil des sages ») adressée à Johnson : « Je pense que votre politique est plus juste que jamais et que le poids des données venues du terrain est encourageant. » (cité in McNamara, 1996, p. 294). Bundy abonde dans le sens de McN, notamment sur la question des bombardements. Les jugeant suffisants dans leur dimension « tactique » (lignes de communication et dépôts), Bundy s’oppose toutefois à une nouvelle intensification des bombardements dits « stratégiques » sur le Nord et notamment sur Hanoi car ceux-ci n’améliorent pas la situation toujours aussi critique au Sud. Comme McN, il n’est pas non plus favorable à un puissant renforcement des effectifs estimant les forces américaines actuelles sont suffisantes. Il vaut mieux « continuer à étendre, de manière visible, la participation des Vietnamiens sous toutes ses formes. » (Johnson, 1972, pp. 451-452)
Dans le cadre de l’opération Pennsylvania menée par les Français (Aubrac et Marcovitch) et Kissinger, Mai Van Bo fait parvenir le message suivant : « A l’heure actuelle, les États-Unis poursuivent l’escalade de la guerre de manière extrêmement grave. Dans ces conditions, des paroles de paix ne sont que fourberie. Au moment où les États-Unis continuent l’escalade, nous ne pouvons recevoir M. Kissinger ni présenter nos observations sur les opinions américaines transmises par cette filière. » (cité in Johnson, 1972, p. 325)
18 octobre 67 : Réunion autour du maintien ou non de Pennsylvania (voir mi-juillet) : Rusk, Katzenberg, Taylor et Kissinger y sont favorables ; Abe Fortas (Juge associé à la Cour suprême des États-Unis, membre du cabinet de LBJ) et Clifford opposés (McNamara, 1996, p. 291). LBJ autorise cependant Kissinger à se rendre à Paris pour une dernière tentative auprès des Français. Ceux-ci se mettent en relation avec Mai Van Bo qui leur réitère à 4 reprises son refus de renouer le dialogue : « Il n’y a rien de nouveau à déclarer. La situation se détériore. Il n’y a aucune raison de discuter à nouveau. » (cité in Johnson, 1972, p. 326)
20 octobre 67 : Mai Van Bo (délégué général n-v à Paris) refuse de revoir Aubrac et Marcovitch. C’est donc la fin de ce que les Américains appellent la « filière Pennsylvania » mais McN, optimiste, y voit l’une des « bases des négociations de 1968. » (McNamara, 1996, p. 291 ; Aubrac 2000, p. 351)
Aubrac adresse à Kissinger un texte à l’adresse du gouvernement américain : « Les bombardements et les autres actes de guerre contre le territoire de la république démocratique du Vietnam sont le seul obstacle à des négociations significatives. Dès que les bombardements cesseront, les négociations pourront commencer. » (Aubrac, 2000, p. 351)
21 octobre 67 : Rassemblement de 75 000 à 90 000 manifestants (20 000 selon McN) qui marchent sur le Pentagone et en appellent au retour des boys. C’est une initiative du National Mobilisation Committee to End the War in Vietnam (Nouilhat in collectif, 1992, p. 63). Les modérés de l’Americans with Disabilities Act (A.D.A., association de vétérans handicapés) et du S.A.N.E. sont présents. Le théologien Reinhold Niehbur et l’historien Arthur Schlesinger en appellent à des négociations immédiates (Sheenhan, 1990, p. 818 ; McNamara, 1996, p. 292 ; Portes, 2008, pp. 162-163 et pp. 165-166 ; description des mesures prises pour éviter les affrontements et sur le déroulement de la manifestation in McNamara, 1996, pp. 291-294). Le docteur Spock déclare devant la foule : « Le véritable ennemi, c’est Lyndon Johnson, que nous avons élu en 1964 parce qu’il était le candidat de la paix et qui nous a trahi trois mois plus tard et qui enfonce l’Amérique de plus en plus profondément dans le bourbier sanglant du Vietnam. » (cité in Wainstock, Miller, 2019, p. 217)
Selon Debouzy, « précédé de nombreuses manifestations, en particulier sur la côte ouest, l’événement majeur de l’automne se passe à Washington. Le 21 octobre, la marche du Pentagone, organisée par le National Mobilization Committee, commence par un rassemblement de 100 000 personnes au Lincoln Memorial, puis se dirige vers le Pentagone. Cet événement, remarquablement décrit par Norman Mailer dans son célèbre reportage Les Armées de la nuit, rassembla toutes les « tribus » d’opposants à la guerre : se côtoyaient étudiants plus ou moins politisés, hippies, intellectuels connus ou non, manifestants respectueux de la légalité et adeptes de la désobéissance civile, partisans de l’action non violente et violente. La marche se voulait à la fois manifestation légale et confrontation non violente, afin de dramatiser la situation d’une façon telle qu’elle mobiliserait l’attention de toute la nation. Ce qu’en un sens elle réussit à faire sans pour autant parvenir à ébranler sérieusement les politiques. » (Debouzy, 2003, pp. 29-30)
En France, une journée de manifestation est organisée par le Mouvement pour la paix (soutenu par le P.C.F., le P.S.U., le C.V.N., le Collectif intersyndical universitaire et 38 autres organisations). Cette journée est un succès puisqu’elle rassemble 350 000 personnes dans les rues parisiennes (Jalabert, 1997, p. 73).
22 octobre 67 : Élections de la chambre des Représentants au S-V.
23 octobre 67 : Après l’échec définitif de l’opération Pennsylvania, les avions américains atteignent des cibles militaires situées à moins de 15 km de Hanoi (Johnson, 1972, p. 326).
25 octobre 67 : Rupture de la trêve des bombardements sur Hanoi annoncée le 24 août. Le pont Long Bien (ex-pont Paul Doumer), remis en service depuis le 5 par les Chinois, est attaqué pour la quatrième fois. L’attaque massive comprend une trentaine d’avions. Cette fois, le tablier est effondré sur une cinquantaine de mètres et plusieurs piles sont détruites. L’utilisation de bombes à fragmentation à ses abords a fait de nombreuses victimes (De Quirielle, 1992, p. 122).
Au Cambodge, Sihanouk, très contesté, dénonce la présence de « Khmers rouges » et de « Khmers bleus ». Des milliers d'étudiants et d'enseignants prennent le maquis.
26 octobre 67 : A Hanoï, nouveaux raids sur la centrale électrique proche du pont Long Bien. Les dégâts sont cette fois mineurs (De Quirielle, 1992, p. 123).
27 - 29 décembre 67 : Au Cambodge, 24e congrès du Sangkum.
28 octobre 67 : Nouvelles attaques aériennes sur le pont Long Bien (ex- pont Paul Doumer), la centrale électrique qui en est proche et le pont du canal des Rapides. Ces attaques coûtent cher à l’aviation américaine : entre 15 (source du Pentagone) et 35 appareils (source nord-vietnamienne) qui sont abattus en 4 jours. De Quirielle (délégué général du gouvernement français au N-V) estime la source vietnamienne plus fiable (De Quirielle, 1992, p. 123).
31 octobre 67 : Lors d’un déjeuner de travail à la Maison Blanche, McN en désaccord avec la politique actuelle de l’administration soumet ce que LBJ qualifie de « proposition essentielle portant sur une nouvelle façon d’agir. » Il estime que la poursuite de l’action américaine en Asie du Sud-Est serait dangereuse, coûteuse et ne satisferait pas le peuple américain. Le président lui demande de coucher ses remarques par écrit (voir 1er novembre) (Johnson, 1972, p. 450).