Octobre 63 : 16 732 « conseillers militaires » américains sont au Vietnam alors qu’un plan de désengagement est théoriquement en cours, basé sur les pronostics « fumeux » d’amélioration de M. Micawber (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 109 et 140).
Kennedy autorise Lodge à « annoncer la suspension de l’aide économique » au gouvernement Diem (revendication des futurs généraux conjurés).
La Maison Blanche continue de reprocher à Diem d’être sous l’influence néfaste de son frère Nhu et de sa femme lors de la crise contre les bouddhistes (déclarations maladroites de cette dernière le 8 août à la presse dans lesquelles elle a comparé les immolations de bonzes à des « barbecues »). Les Américains veulent assurément se débarrasser du chef de l’État s-v mais sans trop savoir comment faire et surtout comment le remplacer…
En guise de rétorsion américaine, suspension le programme d’importations commerciales qui alimentaient le budget s-v par le système des « fonds de contrepartie de l’Agence américaine pour le développement international (A.I.D.) ».
2 octobre 63 : Retour de la mission MacNamara-Taylor qui donne lieu à un C.N.S. Kennedy prend connaissance de leurs impressions. Ils préconisent d’exercer des pressions sur le régime en place pour obtenir des réformes mais, en même temps, suggère de prendre contact avec des hommes susceptibles de remplacer Diem, sans que ceux-ci fassent nécessairement partie de l’équipe des futurs putschistes.
Ce plan, approuvé par Johnson (vice-président), prévoit l’interruption de toute subvention aux Forces spéciales de Nhu sauf si elles se rangent sous l’autorité des conjurés. Selon Halberstam, Kennedy est conscient des problèmes politiques du S-V mais demeure persuadé de pouvoir les résoudre, d’en avoir le temps et pense même que le temps joue en sa faveur (Halberstam, 1974, p. 323). Les auteurs du rapport estiment que « la sécurité du S-V demeure vitale pour [celle] des États-Unis ». Ils concluent que la situation militaire progresse, mais que les tensions à Saigon sont de plus en plus importantes. Ils estiment également que rien ne permet de conclure qu’un coup d’État sera couronné de succès. Enfin, ils constatent qu’il n’est pas clairement établi que les pressions exercées sur le gouvernement de Saigon porteront leurs fruits.
Dans ce rapport, ils font également une série de recommandations. Entre autres :
- ne pas encourager un coup d’État dans l’immédiat ;
- prendre une série de mesures pour montrer la désapprobation américaine de la politique suivie par Diem (MacNamara, 1996, pp. 86-88 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 168-169).
L’essentiel des conclusions « présentables » du rapport sont rendues publiques par une déclaration de la Maison Blanche : « la sécurité du Sud-Vietnam est un intérêt majeur des États-Unis » ; le programme militaire fait des progrès ; une assistance américaine est pour l’instant nécessaire mais pourrait s’achever fin 1965 ; 1 000 conseillers pourront être retirés fin 1963 ; la situation politique du S-V demeure « grave » et les États-Unis sont opposés à toute forme de répression ; ils entendent aider le peuple s-v à « lutter contre l’agression […] pour construire une société libre et pacifique. » (Johnson, 1972, p. 688)
L’optimisme de McN est pourtant toujours de mise, du moins publiquement : « Nous sommes en train de gagner la guerre et la plus grande partie de l’effort militaire des États-Unis pourra être accomplie d’ici la fin de 1965. » (cité in Chaffard, 1969, p. 345, note 1). Il préconise un premier retrait de 1 000 hommes au 31 décembre 1963 et un projet d’un retrait total est évoqué pour la fin de 1965 (Baudron, 2009, p. 431). Selon McN, rétrospectivement, dans ses mémoires, cette question a été vivement débattue au sein du C.N.S., « avec une totale absence de consensus dès qu’il s’agissait de dire « où nous en étions » dans la réalisation de nos objectifs. » Pour autant, à l’époque, McN est toutefois tout à fait favorable à l’annonce publique de bonnes nouvelles : « Nous pourrons dire au Congrès et au peuple que nous avons réellement un plan pour réduire l’exposition du personnel militaire américain aux actions de guérilla au Sud-Vietnam. »
Kennedy approuve le projet de retrait proposé par le secrétaire à la Défense. Selon lui, « cet acte nous donnera un argument très précieux pour répondre à la conviction très forte de Fullbright [sénateur démocrate favorable à une solution politique] et de quelques autres, qui affirment que nous sommes enlisés en Asie et que nous y resterons pendant des dizaines d’années. » McN lui demande d’annoncer publiquement la décision de procéder à un retrait et ajoute : « Elle serait ainsi irrévocable. » Ce que Salinger fait immédiatement (MacNamara, 1996, pp. 88-89 ; Pericone, 2014, p. 118).
4 octobre 63 : Le colonel John Richardson (directeur de l’antenne C.I.A. Saigon), dernier soutien de Diem, est définitivement rappelé à Washington (Chaffard, 1969, p. 330). C’est peut-être une manœuvre de Lodge qui le juge trop proche de Nhu. De plus, le nouvel ambassadeur juge que la fonction de la C.I.A. est de renseigner et non de mener des actions politiques comme celle qui vient d’être confiée au lieutenant-colonel Conein (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 206 ; Halberstam, 1966, p. 252).
5 octobre 63 : Bundy élabore le National Security Action Memorandum n° 263 (NSAM/263). Il préconise un programme pour former l’armée s-v à assumer la tâche des troupes américaines dès la fin de 1965. Il précise : « Il devrait être possible de retirer la majorité du personnel américain à cette date. » Il constitue la seule source documentaire qui laisse à penser que Kennedy aurait prévu un retrait américain total à cette date (Wainstock, Miller, 2019, p. 37, note 1).
Kennedy décide retirer 1 000 conseillers d’ici la fin de l’année. Cette décision « ne doit pas être reliée formellement avec Diem » et n’est donc en aucun cas une acte de pression sur le régime (Péricone, 2014, p. 119). Ce pseudo-retrait ne sera en fait qu’un tour de passe-passe purement médiatique, en jouant sur les relèves.
Immolation par le feu d’un bonze sur le marché de Saigon. C’est la sixième depuis juin. « Le 5 octobre, la mission américaine retourne à Washington. Une sixième immolation bouddhiste a eu lieu à Saigon. Trois journalistes américains présents sur les lieux ont été agressés par des hommes en civil. Un pilote de l'armée de l'air sud-vietnamienne a fait défection au Cambodge, attribuant plus tard son acte à la situation politique. » (Union Calendar n° 371, 88e Congress, 1st Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19, 1963)”, p. 8)
Rencontre fortuite entre le lieutenant-colonel Conein (C.I.A., ambassade de Saigon) et le général Minh. Ce dernier déclare qu’il n’a aucune ambition politique particulière mais qu’il pensait, comme les autres chefs militaires sud-vietnamiens, que la guerre serait perdue sans un prompt changement politique. Il préconise 2 plans : le premier prévoit de conserver Diem et d’assassiner ses 2 frères (Nhu et Ngo Dinh Can) ; le second est d’engager la bataille contre les troupes qui resteront loyales à Diem (environ 5 500 hommes) (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 206-207 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 169-171).
Dans un câble adressé à Rusk, Lodge précise : « Ni Harkins ni moi ne faisons confiance au Gros Minh. Je demande donc des instructions à propos de l’entrevue qu’il a demandée à Conein. » Conein doit donner à Minh l’assurance que les Américains ne s’opposeront pas à ses projets. Ils examineront ses plans sauf s’ils prévoient l’assassinat de personnalités. Les U.S.A aideront le futur gouvernement qui doit s’assurer d’un soutien populaire et poursuivre la guerre (Bodard, 1971, doss. Pentagone, p. 172).
Tentative d’attentat de Minh contre Nhu. La présence de Tran Van Don aux côtés de Nhu dans le véhicule fait avorter le projet (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 73).
Remise à Kennedy du rapport écrit de McN et Taylor qui provoque de nouveaux débats. Sans encourager un éventuel coup d’État, le président ordonne à la C.I.A. d’établir des contacts discrets avec « un groupe de dirigeants de substitution » s’il apparaît (MacNamara, 1996, p. 90).
La Maison Blanche adresse à Lodge des instructions : pas de participation directe au projet de putsch mais l’ambassadeur doit être prêt à nouer des contacts avec les conjurés s’ils réussissent (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 208 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, p. 172-173).
Radio-Hanoi diffuse le texte d’une lettre que Nguyen Huu Tho, dirigeant du F.N.L., adressée à l’Assemblée générale de l’O.N.U. (voir 11 septembre et 7 octobre). L’agence U.P.I. de Tokyo la diffuse à grande échelle. C’est la première diffusion internationale d’un texte du F.N.L. Il ne sera toutefois repris que parcimonieusement par la presse mondiale qui ignore encore la véritable portée du mouvement. Qualifiant le régime s-v de fasciste, Nguyen Huu Tho écrit en s’en prenant d’ailleurs moins au régime de Diem qu’aux U.S.A. eux-mêmes : « La profonde crise que traverse actuellement la politique d’asservissement et d’agression des États-Unis au Sud-Vietnam a révélé le visage odieux de ses auteurs. Afin d’éluder ses responsabilités, le gouvernement américain a rejeté toutes les fautes sur ses valets de Saigon, mais il n’a pas pour autant caché ses intentions de poursuivre et d’intensifier cette sale guerre. » Le message ménage donc le régime diémiste appelant à un cessez-le-feu « entre les parties intéressées ». Il appelle aussi à la constitution d’un gouvernement « d’union nationale, démocratique et neutre ». Une proposition modérée qui n’exclut donc pas l’actuel gouvernement du S-V (Chaffard, 1969, pp. 331-332).
6 octobre 63 : « Le 6 octobre, une mission du Congrès américain arrive à Saigon. » (Union Calendar n° 371, 88e Congress, 1st Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19, 1963)”, p. 8)
Kennedy rappelle à Lodge que si les États-Unis ne souhaitent pas encourager un coup d’État, ils ne désirent pas pour autant s’y opposer et qu’il fallait garder le contact avec les généraux et découvrir leurs plans. Un appui économique leur sera accordé. C’est, dans la bouche du président, un feu vert à peine voilé (Halberstam, 1974, p. 325 ; Le dossier du Pentagone, 1971, p. 208 et 246).
McCone (C.I.A.) transmet à Kennedy une note où il déconseille à au président de renverser Diem (Prados, 2011, p. 169).
7 octobre 63 : Diem adopte une attitude provocante en exagérant devant la presse le gel des crédits américains et en accusant les U.S.A. de saboter ainsi l’effort de guerre (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 207).
Diem se rend à l’assemblée nationale pour y prononcer un discours annuel. Il revient sur la crise bouddhiste « orchestrée par les communistes, avec la complicité d’éléments étrangers. » (Truong Vinh Le, 1989, p. 99)
Suite à une demande du F.N.L. et alors que Nguyen Huu Tho, son dirigeant, a envoyé une lettre de revendications le 11 septembre, l'Assemblée Générale des Nations Unies ouvre un débat sur la question des droits de l'homme au Sud-Vietnam, et acceptera le lendemain d'envoyer des observateurs invités par le pays comme l’avait demandé le professeur-diplomate Buu Hoi qui a été envoyé à Washington par Diem pour désamorcer le terrain onusien. Cette décision est contestée par les Russes qui font valoir que seule la C.I.C. est la mieux habilitée à mener l’enquête (Chaffard, 1969, p. 330).
Madame Nhu arrive aux États-Unis. Selon Truong Vinh Le, ce voyage serait lié à une cure de désintoxication (Truong Vinh Le, 1989, p. 98). Il est plus probable que ce voyage ait été aussi un moyen pour Diem de s’en débarrasser pour plusieurs mois, sans pouvoir pour autant parvenir à la faire taire totalement... C’est donc ce voyage contraint qui lui permettra très probablement de ne pas partager le futur sort de son mari et de son beau-frère.
Maurice Couve de Murville (ministre des Affaires étrangères français) se rend à Washington et y rencontre Rusk puis Kennedy pour aplanir les tensions entre la France et les U.S.A. Ce dernier revient sur la déclaration de De Gaulle du 29 août : « Au Vietnam, cependant, une déclaration récente qui appelait ce pays à choisir le neutralité nous a paru venir à un mauvais moment. Vous nous avez donné l’impression que vous vouliez ajouter à nos difficultés dans une région où nous nous heurtons à tant d’obstacles. » Couve s’en défend et l’entretien s’apaise (Journoud, 2011, pp. 130-131).
8 octobre 63 : « Le 8 octobre. - Le gouvernement vietnamien libère quelques 132 bouddhistes. » (Union Calendar n° 371, 88e Congress, 1st Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19, 1963)”, p. 8)
A L’O.N.U., Le F.N.L. déclare compter sur l’institution pour amener les U.S.A. à ses propres vues : un retrait de leurs forces et un règlement « par les Vietnamiens entre eux de leurs propres affaires ». Pour autant, la décision d’envoyer à Saigon une commission d’enquête onusienne est contestée par Hanoi qui y voit une machination américaine (issue d’un alignement sur la position de l’U.R.S.S. ?). Or les Russes retirent leur contreproposition de la veille qui réclamait une intervention de la C.I.C. plutôt que celle de l’O.N.U. C’est donc à l’unanimité, sans vote, qu’est acceptée la venue d’une mission onusienne demandée par Buu Hoi, adversaire de la politique américaine mandaté à New York par Diem et Nhu (voir 18 octobre) (Chaffard, 1969, p. 332).
10 octobre 63 : La C.I.A. informe le général Minh de la position des États-Unis : pas de soutien direct au projet de coup d’État mais une volonté commune de se débarrasser de Nhu et Diem (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 208).
11 octobre 63 : Le C.N.S. décide par sa directive National Security Action Memorandum 263 (NSAM-263) d’avaliser le retrait de 1 000 conseillers américains d’ici la fin de l’année qui avait été prise le 5 octobre. Mais cette directive demeurera secrète jusqu’au 16 novembre dans le but de ne pas la présenter comme une manière de faire pression sur Diem (Pericone, 2014, p. 119).
15 octobre 63 : Le Sénat des États-Unis autorise Kennedy à suspendre l’aide économique et financière au gouvernement du S-V (Chaffard, 1969, p. 330).
17 octobre 63 : « Le 17 octobre. - Ngo Dinh Nhu a déclaré à des journalistes étrangers que les États-Unis avaient entamé un "processus de désintégration" au Vietnam du Sud et qu'ils avaient été accusés à plusieurs reprises de complot de la C.I.A. avec des bouddhistes. » (Union Calendar n° 371, 88e Congress, 1st Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19, 1963)”, p. 9)
17 - 18 octobre 63 : Attaque par le VC d’une demi-douzaine de postes entourant le village de Loc Ninh (au nord de Saigon, province de Bình Phuoc) qui refusent de se rendre. Face à l’envoi de troupes héliportées, les vietnamiens appliquent la méthode qui leur a réussi lors de la bataille d’Ap Bac. Selon Burchett, lors de ces combats, des troupes s-v refusent de monter à l’assaut malgré les exhortations des conseillers militaires américains (Burchett, 1965, p. 247).
18 octobre 63 : Le général Harkins informe Diem de l’arrêt du subventionnement des Forces spéciales sud-vietnamiennes (celles-ci étant sous la coupe de Nhu).
Arrivée à Saigon d’une mission d’enquête des Nations Unies concernant la crise bouddhiste. Diem l’a acceptée sur demande du prince Buu Hoi, scientifique et diplomate, qu’il avait envoyé à l’O.N.U. pour désamorcer le terrain de la crise religieuse. La mission parviendra à la conclusion qu’il n’y a pas eu de persécution et que la révolte n’a été qu’une affaire purement politique… Or divers témoignages recueillis par des sources différentes soulignent l’implication de la C.I.A. (contre, semble-t-il, l’avis de Nolting) dans l’amplification de la crise. Plusieurs acteurs ont été impliqués dans l’affaire : les services français de renseignement, le prince Buu Hoi lui-même (qui mentionne la présence de la C.I.A. dans la pagode Xa Loi), le chef de la délégation polonaise de la C.I.C. (Journoud, 2011, p. 111 ; Chaffard, 1969, pp. 316-317).
Devant un parterre de journalistes étrangers, Nhu accuse une nouvelle fois les États-Unis « d’avoir mis en route un processus de désintégration du Vietnam. » Selon lui, « il faudra beaucoup de sagesse au gouvernement vietnamien pour réparer les dégâts de ces derniers mois. » (Chaffard, 1969, p. 324, note 2)
19 octobre 63 : La C.I.A. rend compte dans un rapport de l’augmentation des attaques vietcong et de la diminution de combativité des troupes s-v (voir 17 - 18 octobre) (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 208).
20 octobre 63 : Conein (C.I.A., ambassade de Saigon) rencontre le général Tran Van Don et l’informe qu’il parle désormais au nom de Lodge. Le chef d’état-major s-v est « tellement circonspect » qu’il décide de vérifier l’information. Ce qu’il fera le 28 à l’aéroport de Tan Son Nhut, en présence de Lodge (Tran Van Don, 1985, p. 127).
22 octobre 63 : Un rapport du Service des Renseignements et Recherches du département d’État (C.I.A.) s’élève contre l’optimisme de la situation militaire des mois précédents (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 209).
Kennedy reçoit Arthur Ochs Sulzberger, directeur du New York Times. La conversation porte sur le cas Halberstam dont Kennedy souhaite le départ du Vietnam car il juge le reporter trop impliqué. Le directeur du Times ne cède pas à cette pression directe du pouvoir exécutif. Halberstam, qui d’ailleurs à cette époque critique beaucoup moins l’engagement américain que la politique suicidaire de Diem, recevra le prix Pulitzer au printemps 1964 pour l’ensemble de son travail au Vietnam (Halberstam, 1966, p. 260 et 266). L’affaire laisse des traces : dans les semaines qui suivent. Le Pentagone organise des tournées brèves de journalistes favorables à l’administration, comme Joseph Aslop ou Margaret Higgins. McN est quant à lui est chargé de mettre au point une politique contrôlée de l’information qui aboutira à la création du J.U.S.P.A.O. (voir 14 mai 1965) (Portes in collectif, 1992, p. 126).
Le général Tran Van Don (commandant de l’armée de terre s-v) rencontre Harkins et évoque avec lui les rumeurs de coup d’État qui prennent de l’ampleur au niveau de l’état-major général s-v. Harkins lui dit qu’il ne pourra que désapprouver publiquement ce projet. Par la suite, Don se gardera bien d’évoquer à nouveau cette question avec Harkins qui demeurera dans l’ignorance de la préparation du complot alors que les 2 hommes se croiseront à maintes reprises. Selon Don, Harkins ne l’apprendra que 15 minutes avant son déclenchement, ce qui le rendra furieux. Le général commandant le M.A.C.V. est en total désaccord avec Lodge sur ce point (Tran Van Don, 1985, pp. 130-131).
23 octobre 63 : Nhu, sachant que l’administration Kennedy veut l’évincer, tient une conférence secrète avec son épouse et son fils aîné, Ngo Dinh Trac, alors âgé de 15 ans. Il veut que ce dernier tienne le rôle de chef de famille au cas où quelque chose lui arriverait. Nhu est inquiet et redoute la découverte des tractations qu’il a entreprises avec les N-V (Tran Van Don, 1985, p. 75)
Une ébauche de rapprochement avait en effet été initiée entre Nhu et le N-V suite au message de De Gaulle du 29 août. Truong Vinh Le l’évoque dans un entretien qu’il a eu avec Nhu : « - Est-il exact, Monsieur le Conseiller, que vous avez des contacts avec le Nord, en vue d’une négociation ultérieure pour le rétablissement de la paix dans notre pays ? Est-ce vrai ? » Il ne dit ni oui ni non, se contentant de sourire encore. » (Truong Vinh Le, 1989, p. 91).
Dans une interview accordée à Lucien Bodard en date du 28 juillet 1966, Mame Nhu lui confiera : « Mais ce richard [les U.S.A.] se révélait être un gangster ! Alors, peu à peu nous avons pensé chercher une solution avec l’adversaire communiste. Car ces communistes sont vietnamiens comme nous et nationalistes comme nous. » (cité in Chaffard, 1969, p. 299, note 2)
24 octobre 63 : En vue de réchauffer leurs relations, Diem invite Lodge à venir passer un week-end avec lui dans sa résidence de Dalat le 27. Lodge accepte.
25 octobre 63 : L’ambassadeur Lodge répond à McGeorge Bundy (sous-secrétaire à la Défense) et évoque la nécessité de laisser se poursuivre les préparatifs en vue du coup d’État contre Diem (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 257-261). Son argumentation est la suivante : « Il y a au moins une chance sur deux que le prochain gouvernement ne pataugera pas et ne trébuchera pas autant que celui d’aujourd’hui. » (MacNamara, 1996, p. 90 ; Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 247-249).
26 octobre 63 : Report du projet de putsch. Un colonel s-v aurait discuté du complot avec un officier américain et demandé le soutien des U.S.A., sans en avoir été habilité par les généraux comploteurs (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 209). Sont impliqués dans ce projet de coup d’État les généraux Duong Van Minh, Tran Van Dong et Le Van Kim. Ils bénéficient d’un grand prestige dans l’armée s-v mais manquent tous de troupes sûres (Halberstam, 1966, p. 272).
Pour la fête nationale, Diem reçoit tous les Grands Corps dont l’Armée. Après un discours de circonstance, selon Truong Vinh Le, il s’adresse à ses intimes d’un ton ferme disant en substance : « Si j’avance, avancez avec moi. Si je recule, tuez-moi. Si je meurs, vengez-moi. » (Truong Vinh Le, 1989, p. 99).
27 octobre 63 : Diem a invité Lodge dans sa résidence à Dalat. L’ambassadeur évoque d’entrée la question de la suspension de l’aide américaine. Puis il demande à ce que des réformes politiques soient actées rapidement : libération des Bouddhistes, des étudiants et lycéens arrêtés lors des manifestations, réouverture des écoles. Diem ne répond que par des plaintes et de vagues excuses. A la demande expresse de l’ambassadeur : « Monsieur le Président, vous avez rejeté toutes les suggestions précises que je vous ai faites. Voyez-vous quelque chose que vous soyez capable de faire et qui puisse impressionner l’opinion américaine ? », Diem le fixe d’un air absent et change de sujet de conversation (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 211). Ce moment privilégié qui aurait pu rapprocher les 2 hommes ne fait que les éloigner un peu plus.
28 octobre 63 : Au cours d’une inauguration de centrale électrique près de l’aéroport de Saigon, Lodge est abordé par le général Tran Van Don (commandant de l’armée de terre s-v) qui lui demande si Conein (C.I.A.) est vraiment habilité à parler en son nom. A la réponse affirmative de l’ambassadeur, Don lui répond que le projet de putsch ne doit concerner que les Vietnamiens. Selon Don, les généraux ne sont pas encore prêts.
Le même jour, Don rencontre Conein. Ce dernier l’avertit qu’il dispose de fonds pour corrompre les généraux les plus hésitants. Lodge ne doit rien changer à son projet de séjour à Washington prévu pour le 31 afin de ne pas alerter Diem et Nhu de ce qui se trame. Le général Ton That Dinh a finalement rejoint le complot, le rapport de forces militaires est donc enfin favorable aux conjurés (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 211-212 ; Tran Van Don, 1985, p. 128).
29 octobre 63 : Lodge juge que les U.S.A. se trouvent « engagés » dans le complot et qu’il est trop tard pour changer de tactique (McNamara, 1996, pp. 91-92).
McN et Taylor (chef d’état-major) continuent à s’inquiéter des différences d’appréciation entre Lodge et Harkins que tout oppose. Ils exposent leurs inquiétudes lors d’un C.N.S. La Maison Blanche donne des instructions à Lodge pour qu’il communique à Harkins, actuellement en séjour à Bangkok, tous les messages concernant l’éventuel putsch. On modifie le protocole habituel. En cas d’absence de l’ambassadeur de Saigon en partance pour Washington comme le prévoit le calendrier, la direction de la Mission américaine à Saigon devra être confiée à Harkins plutôt qu’à Truehart (adjoint de Lodge) comme le prévoit l’usage (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 212).
Lors de l’inauguration à Dalat de l’Institut de Recherche nucléaire, Diem prend Lodge en aparté. Il évoque avec lui l’allocation mensuelle de 300 000 dollars destinées aux Forces spéciales, supprimée depuis que ces troupes sont concentrées préventivement autour de Saigon sur ordre de Diem par crainte d’un coup d’État plutôt que d’aller combattre le Vietcong là où il le faudrait (Truong Vinh Le, 1989, p. 99).
30 octobre 63 : Taylor (chef d’état-major) signale qu’il doute de l’éminence d’un coup d’État. Le général Tran Van Don avait confié à Conein (C.I.A.) qu’il aurait lieu avant le 2 novembre, mais lorsqu’Harkins pose la question à Don, celui-ci fait machine-arrière. Harkins qui a rencontré Don et Minh précise qu’aucun d’entre eux n’a évoqué explicitement la question, ce qui peut aussi s’expliquer par le fait que les 2 généraux considéraient Harkins comme un soutien à Diem (Halberstam, 1974, pp. 326-327 ; Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 212-213).
Harkins, mis au courant tardivement du projet de putsch (voir 29 octobre), envoie à Taylor (chef d’état-major) 3 télégrammes pour manifester sa colère. Il lui reproche d’avoir été tenu à l’écart et s’insurge contre un rapport pessimiste de Lodge qui contredit les siens. Il constate que les instructions de Washington sont contradictoires puisqu’elles préconisaient depuis le 5 octobre de ne prendre aucune initiative encourageant le putsch (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 212).
Ces télégrammes troublent Washington. McGeorge Bundy, secrétaire d’État à la Sécurité nationale, envoie un message à Lodge indiquant que les forces sont à peu près égales entre les troupes soutenant le gouvernement et les potentiels insurgés. Si ces derniers n’ont pas le dessus, il faut les décourager de passer à l’acte pour ne pas entamer la position des U.S.A. au S-V. C’est à Lodge d’aviser mais, s’il est absent, c’est Harkins qui assurera son intérim (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 213 et pp. 261-263).
Lodge lui répond qu’il faut observer la situation sans pouvoir intervenir directement : le général Don (chef d’état-major s-v) lui a d’ailleurs affirmé le 28 octobre « qu’il s’agissait d’une affaire purement vietnamienne. » Informer Diem serait une « traîtrise [qui] porterait un coup sévère à notre prestige ici et ailleurs » Lodge observe que « les États-Unis essaient de transformer ce pays médiéval en pays moderne » : ils ont réussi militairement et économiquement, mais reconnaît que, politiquement, la tâche est plus ardue (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 173-174).
30 octobre 63 : Arrivée de l’amiral Felt (C.I.N.P.A.C.) à Saigon « pour une visite de routine ». Il n’est initialement pas prévu qu’il rencontre Diem. Harkins ne peut donner à Tran Van Don (chef d’état-major s-v) de précisions sur les raisons sur ce refus (Tran Van Don, 1985, p. 129).
Réunion des généraux conjurés « dans un club privé de Cholon ». Ils se répartissent les rôles de la manière suivante en vue du putsch :
Duong Van Minh est désigné responsable des opérations navales aériennes et de la quatrième région militaire.
Tran Van Don est désigné responsable des première, deuxième et troisième régions militaires. Il doit également rallier les élèves des écoles militaires de Quang Trung, Nha Trang et Dalat.
Ton That Dinh est désigné responsable de l’assaut de la citadelle de Cong Goa (garde présidentielle) et du palais présidentiel Gia Long.
Tram Thien Khiem est désigné responsable des opérations conjointes du quartier général de l’état-major et des unités de réserve. Elles sont censées suppléer les troupes de Dinh en cas d’échec.
Le Van Kim est désigné assistant de Minh pour les questions politiques et militaires.
On fixe le jour et l’heure du coup d’État : le 1er novembre à 13 h 30. Tous les conjurés seront invités ce jour à midi à un lunch au quartier général de l’état-major (Tran Van Don, 1985, p. 133).
31 octobre 63 : Finalement Diem déclare à Tran Van Don (chef d’état-major s-v) vouloir recevoir Felt le lendemain si celui-ci demande une audience. Il affirme ne pas être au courant de la venue de l’amiral. La rencontre aura finalement lieu le matin (Tran Van Don, 1985, p. 130).
Diem fait concentrer environ 10 000 hommes autour de Saigon sous les ordres du général Ton That Dinh sans savoir que ce dernier a depuis peu basculé du côté des putschistes (voir début novembre) (Truong Vinh Le, 1989, p. 99).