2 - 4 octobre 54 : Salan, remercié par Ély, met au point avec Cogny le protocole de départ des troupes françaises au Nord et de commente, amer : « Rien ne m’aura été épargné. » (Salan 2, 1971, p. 436)
5 octobre 54 : 60 000 réfugiés sont arrivés au S-V. Les autorités s-v sont dépassées, les réfugiés placés dans des camps de fortune (Cap Saint Jacques, Saigon avec le camp de Phu To et d’autres plus petits et disséminés). L’aide française devient de plus en plus indispensable (Ély, 1964, p. 222). Les difficultés humaines, logistiques, financières, politiques et religieuses (afflux de catholiques) mettront des mois voire des années à se régler au S-V. Selon Jean Lacouture, « […] l’exode de 700 000 catholiques du Tonkin et du Nord-Annam vers le Sud […] déversa […] une foule fanatique qui ne s’intégra jamais. Les catholiques du Sud ne demandaient qu’à vivre en paix autour de leur église, disant leurs prières et ignorant le reste du pays. Les catholiques du Nord installés dans le Sud suivent aveuglément leurs curés qui se conduisent souvent comme des meneurs […] » (Lacouture, 1965, p. 117).
6 octobre 54 : Sainteny est officiellement nommé par Mendès France Délégué général du Gouvernement de la République française auprès de la République démocratique du Vietnam (Sainteny, 1970, p. 137). Ce titre et cette fonction ne sont pas reconnus pas les conventions diplomatiques de Vienne et donc par le droit international public (De Quirielle, 1992, p. 15, note 1). Sainteny part pour Hanoi. Selon Ély, qui n’apprécie pas cette décision, Mendès regrette ce choix « qui paraissait lui avoir échappé et ne correspondait pas à ses désirs. » (Ély, 1964, p. 235) Toutefois la France est en train d’opérer depuis juillet un timide rééquilibrage diplomatique entre le N-V et le S-V et Sainteny est l’un des rouages de ce changement de position.
Retour d’Ély de France à Saigon. Salan l’informe de son départ et de la fin de son intérim pour le 9. Une cérémonie est prévue à cet effet. Ély y fait un éloge de Salan. Et ce dernier de commenter : « Le général Ély demeure pour moi une énigme… » (Salan 2, 1971, pp. 436-437)
9 octobre 54 : Date buttoir pour l’évacuation d’Hanoï par les troupes françaises. Le Vietminh occupera la ville dès le 11 (De Folin, 1993, p. 299). Les U.S.A. maintiennent pour l’instant (voir 12 décembre 1955) un consulat à Hanoi tout en ne reconnaissant pas le nouveau régime (Fall, 1960, p. 138).
Départ définitif de Salan pour la France. Il est remplacé dans le rôle d’adjoint militaire d’Ély par le général Jacquot.
8 octobre 54 : Installation définitive de Jean Sainteny à Hanoi dans le rôle de Délégué du gouvernement de la France au N-V (Sainteny, 1970, p. 137). Cette installation a été différée sur intervention d’Ély mais a été avalisée par Mendès France (voir 16 août) qui y voit « comme un balcon sur la Chine, en prélude à un hypothétique rapprochement sur Pékin ». (Journoud, 2011, p. 66) Américains et S-V voient naturellement la chose d’un mauvais œil.
10 octobre 54 : Presque 8 ans après l’avoir quitté, réinstallation d’HCM à Hanoï qui, à son habitude, fait une entrée discrète (Sainteny, 1970, p. 138).
13 octobre 54 : Guy de La Chambre (États associés) en visite à Saigon considère que « la domination du Vietminh [au Vietnam] est déjà un fait accompli. » (Grosser, 2011, p. 62)
11 octobre 54 : Au Tonkin, passation des pouvoirs de l’armée française à l’armée populaire vietnamienne. Selon les mémoires d’Ély, « le passage de Hanoi au Vietminh le 11 octobre, qui s’effectua avec beaucoup de dignité et d’ordre, fut la marque tangible que les cessez-le-feu était appliqué par les deux adversaires. »
Les membres de la commission internationale de contrôle (C.I.C.) s’installent à Hanoi (Ély, 1964, p. 217).
16 octobre 54 : Un document français s’interroge sur le sort des prisonniers manquants. Le chiffre total des absents du C.E.F.E.O. depuis 1945 s’élève à 21 567 hommes. 13 439 sont des autochtones. Le nombre de Français métropolitains manquants est de 3 037 dont 2 983 légionnaires. Il est de 2 044 pour les Nord-Africains et de 279 pour les soldats de l’Afrique noire. Parmi ces chiffres, il y a des disparus mais également de nombreux militaires qui sont morts en captivité (voir 28 août) (Cadeau, 2019, pp. 527-528).
17 octobre 54 : Entrevue Sainteny-Pham Van Dong (premier ministre et ministre des Affaires étrangères) à Hanoi en présence d’HCM qui vient rendre visite à son vieil ami Sainteny et lui dit : « Voyez-vous, nous nous sommes battus, cognés, comme vous dites à Paris, pendant huit ans mais loyalement. Maintenant c’est fini. Il faut que vous restiez et qu’avec la même loyauté nous nous mettions d’accord et travaillions ensemble – comment dites-vous ? – à moitié-moitié. » Sainteny n’a pas de véritable statut diplomatique reconnu (voir 6 et 8 octobre) et ce n’est que le 16 décembre qu’il présentera à HCM l’équivalent de ses lettres de créance.
De plus, son rôle sera encore amoindri par une non réciprocité de la France à l’égard de R.D.V.N. qui n’accorde aucune représentation diplomatique n-v en France, du fait de la pression conjointe du S-V et des U.S.A. (voir 17 août) (Sainteny, 1970, pp. 140-144 ; De Quirielle, 1992, pp. 16-17, ne donne pas la même chronologie évoquant cette rencontre à la date du 25 novembre. De plus, il donne une version divergente qui prête, sans doute avec erreur, les propos cités plus haut à Pham Van Dong et non à HCM. Nous préférons nous fier à la chronologie et à la version de Sainteny qui nous paraît plus fiable).
18 octobre 54 : Au Cambodge, éclatement du Parti Révolutionnaire du Peuple Khmer (P.R.P.K.). Environ 2 500 militants vont, sous la protection de la Commission Internationale de Contrôle (C.I.C.) à Hanoi (Son Ngoc Minh, Keo Moni, Mey Pho, Rath Samueoun, Pen Sovan), rejoindre les forces gouvernementales. D'autres passent dans la clandestinité (Tou Samouth, Sieu Heng, Nuon Chea, So Phim, Ney Sarann). D'autres encore, en vue des élections de 1955, créent un parti légal, le Pracheachon (Non Suon, Keo Meas au poste de secrétaire du P.R.P.K. de Phnom Penh, Penn Youth). Le P.R.P.K. clandestin compte 17 comités provinciaux et un comité central provisoire dont le secrétaire est Sieu Heng. Celui-ci est responsable des zones urbaines et Tou Samouth celui des zones rurales. Des contacts étroits sont maintenus entre cadres du P.R.P.K. et du Pracheachon, celui-ci étant en fait la face légale du P.R.P.K.
21 octobre 54 : Dans une dépêche adressée conjointement à Guy De La Chambre (États associés) et à Christian Pineau (Affaires étrangères) dont il dépend désormais, Sainteny rend compte de ses premiers contacts avec HCM : « C’est bien l’homme de 1945-46 que j’ai eu devant moi […] et qui, après une seconde d’hésitation assez lourde, s’est jeté dans les bras. » Selon lui, HCM « reste le maître » que le « peuple vénère ». Il semble avoir recouvré la santé. Sainteny évoque une entrevue en date du 18 durant laquelle HCM « voudrait reprendre le dialogue là où nous l’avons laissé en 1946 », sachant faire abstraction des 8 années de lutte passées. « Le Vietnam démocratique prétend être prêt à parler, à négocier, à nous réserver une position encore très acceptable, bref à respecter Genève et à « jouer le jeu ». » Sainteny est prêt lui aussi à le faire mais « en toute loyauté ». Il déplore le vaste imbroglio de la politique française passée à l’égard de l’Indochine reconnaissant que « nous avons essayé de reprendre d’une main ce que nous donnions de l’autre. » Il reconnaît : « Or à nouveau nos intentions ne paraissent pas claires aux yeux de nos adversaires d’hier. Je dois à la vérité avouer qu’elles ne le sont pas plus à mes yeux. » La position actuelle de la France manque une fois de plus de clarté et Sainteny de demander aux ministres et à Mendès France de préciser clairement si sa mission actuelle est de prolonger « la ligne de Genève » (à laquelle il est attaché) ou simplement de faire acte de représentation (voir 2 novembre). En bon gaulliste, il se refuse à être associé à « une entreprise de « soviétisation totale ». Il pense que la France doit aider le Vietnam communiste à « une certaine indépendance » et à éviter une « satellisation complète » du pays. La voie lui paraît étroite, « semée d’obstacles de tous ordres ; elle exigera de notre part une patience surhumaine.» Il faut éviter l’éviction totale du Sud en jouant une carte « qui ne doit pas être biseautée. » (Devillers, 1988, pp. 368-370)
22 octobre 54 : Le général Navarre demande à nouveau (voir 12 août) la réunion d’une commission d’enquête sur son commandement en Indochine. Cette première demande n’avait reçu aucune réponse du fait de la démission de Koenig au poste de ministre de la Défense. Cette fois le secrétaire d’État à la Guerre, Jacques Chevalier, lui répond le 26 mais oppose un nouveau refus, cette procédure n’ayant selon lui « aucun fondement légal ni réglementaire ». Selon Navarre, le gouvernement se préoccupe surtout d’étouffer l’affaire en instituant une Commission d’Indochine à l’Assemblée nationale qui aurait des « pouvoirs d’enquête ». En fait, il ne sera entendu que par une « Sous-commission de Défense nationale de la commission des Finances » qui n’a aucune habilitation pour juger le contexte politico-militaire sous le commandement de Navarre et, de plus, évitera soigneusement d’aborder les sujets qui fâchent : répercussions de l’annonce de la conférence de Genève sur la défaite de Dien Bien Phu et la réalité de la situation militaire en Indochine après cette défaite. Il s’agit en fait, selon Navarre, d’ « un tour de passe-passe manigancé à la présidence du Conseil » (voir 15 décembre) (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, p. 242 ; Navarre, 1979, pp. 401-402).
23 octobre 54 : Bao Daï est destitué et la République du S-V proclamée à la suite d'un référendum truqué organisé par Diem, qui triomphe avec 98 % des voix. Un prétendu référendum populaire a approuvé la destitution de l’ex-empereur à 5 721 535 voix contre 63 017. L’ex-chef de l’État vietnamien repart en France.
Côté américain, Diem a été porté par le secrétaire d’État américain Foster Dulles qui le considère comme le seul homme politique intègre du S-V. Le futur président va rapidement instaurer un culte de sa personnalité, tout à fait comparable à celui que les communistes ont construit autour d’HCM. On lui dédiera même un chant, « Adoration du président Ngo », qui s’inspire d’ailleurs d’un chant composé à la louange du leader communiste (Tran Van Don, 1985, p. 71).
26 octobre 54 : Lansdale et sa Saigon military mission (S.M.M.) déjouent une nouvelle tentative de coup d’État de Nguyen Van Minh contre Diem, en envoyant les officiers complotistes de Minh découvrir « quelques aspects secrets de la lutte contre les communistes philippins » (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 90). C’est le début d’une longue série de tentatives de déstabilisation du régime de Diem qui sera parsemé à intervalles réguliers de tentatives de coups d’État.
Sans en informer les Français, Eisenhower offre à Diem l’assistance de son pays « pour résister à la subversion » (Gras, 1979, p. 584). Le président américain lui fait parvenir une lettre l’assurant de l’aide directe des U.S.A. qui ne passera désormais plus par l’intermédiaire des Français : « Le but de cette offre est d’aider le gouvernement du Vietnam à bâtir et maintenir un puissant et viable État, capable de résister aux tentatives de subversion et d’agression par des moyens militaires. » (cité in Tran Van Don, 1985, p. 220).
Navarre reçoit une lettre signée du secrétaire d’État aux Forces armées de terre qui l’informe : « Il n’est pas envisagé de constituer une Commission d’enquête au sujet de votre commandement en Indochine, une telle procédure n’ayant, malgré des antécédents [la commission Brugère suite à l’affaire du Chemin des Dames en 1917], aucun fondement légal ni réglementaire. » (cité in Navarre, 1956, p. II, note 1). Le pouvoir politique n’entendant pas rouvrir le dossier bien embarrassant d’une nouvelle affaire, celle de Dien Bien Phu.
Accréditation à Hanoi du premier ambassadeur de l’U.R.S.S.
29 octobre 54 : Le général J. Lawton Collins est nommé ambassadeur à Saigon en remplacement de Heath. Il demeurera en poste jusqu’au 20 avril 1955. Eisenhower nomme donc à l’ambassade un militaire qu’il a pu apprécier durant la SGM. Ses lettres de créances précisent qu’il a « large autorité pour diriger, utiliser et contrôler toutes les agences et ressources du gouvernement américain en ce qui concerne le Vietnam. » (Spencer, Tucker, 2000, p. 80) Cette décision n’enchante pas les Français. Ély note : « Ma première réaction fut très défavorable […] Pour moi, les États-Unis relevaient leur ambassadeur [Health] au moment où celui-ci avait parfaitement assimilé les problèmes du Vietnam. Ils le relevaient peut-être parce que son réalisme l’avait amené à défendre auprès du « State Departement » à des positions très proches des nôtres. La désignation de Collins me paraissait maladroite et inopportune, en raison même de la personnalité de celui-ci. » (Ély, 1964, p. 298-299). Cette nomination lui vaut bien au contraire le respect de Diem. Collins devient alors une sorte de super-ambassadeur et ce, jusqu’en 1955 (Prados, 2011, p. 103).
30 octobre 54 : Au Tonkin, évacuation française du couloir Haïphong–Hanoï dont la ville de Haiduong. En Cochinchine, le VM n’a plus que deux têtes de pont : Quang Ngaï et à la pointe de Camau. Il n’y a plus officiellement d’unités organiques mais demeurent sans nul doute des agents infiltrés (Gras, 1979, p. 580).
Le premier ministre indien, Nehru, dont le pays est membre actif de la C.I.C., est accueilli en visite officielle à Saigon par des banderoles gouvernementales proclamant : « A bas la coexistence pacifique. » (Chaffard, 1969, p. 212).
31 octobre 54 : Au Cambodge, visite du premier ministre indien Nehru qui plaide en faveur de la coexistence pacifique et du non-alignement.