1er octobre 46 : Le général Valluy occupe officiellement le poste de commandant supérieur des troupes françaises à titre définitif suite au départ de Leclerc (Bodinier, 1987, p. 132). Dans les conclusions d’un rapport en date du 10 septembre, celui qui était encore commandant en chef par intérim avait écrit avec une certaine clairvoyance : « Nous avons mis la main sur tout le pays. Nous le tenons des doigts […] Mais il est bien certain qu’en face d’un monde en fermentation, notre vulnérabilité est grande […] C’est bien gênant pour quelqu’un qui vient de prendre un commandement de déclarer : « Le plus dur reste à faire : c’est la vérité. » » (cité in Bodinier, 1987, p. 286).
Un télégramme du ministère de la Défense adressé à l’état-major de D’Argenlieu estime que « ce modus vivendi est destiné à créer un climat favorable de pacification en Cochinchine avec le concours de l’autorité d’Ho Chi Minh […] » Il permettrait « de dénoncer les éléments extrémistes et irréductibles » qu’il faut désarmer et exclure du Sud. Une personnalité du gouvernement vietnamien doit être envoyée pour aider à accomplir cette tâche (Devillers, 1988, pp. 227-228).
2 octobre 46 : Un message de Giap au comité du Nam Bo est intercepté par les services français : « Nos aspirations politiques à l’heure actuelle sont de fondre la masse en un bloc unique, de tendre la main à tous ceux qui approuvent l’unité territoriale à quelque parti qu’ils appartiennent […] Nos collègues devront savoir renoncer à toute idée de vengeance individuelle ou de séparatisme […] » (cité in Bodinier, 1987, p. 293). Pour combler ses faiblesses, le VM cherche toujours à ratisser large dans les milieux nationalistes.
5 octobre 46 : La France se dote d’une nouvelle Constitution après un premier rejet le 5 mai (voir 21 octobre). Dans son préambule, elle précise : « La France forme avec les pays d'Outre-mer une Union fondée sur l'égalité des droits et des devoirs sans distinction de races ni de religions. L'Union française est composée de nations et de peuples qui mettent en commun et coordonnent leurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien-être et assurer leur sécurité. » (cité in Catroux, 1953, p. 233)
6 octobre 46 : D’Argenlieu adresse un télégramme au Comité interministériel d’Indochine évoquant la signature du modus vivendi dont le gouvernement n’avait pas jugé utile de l’informer rapidement. Il émet plus que des doutes à l’encontre du respect de l’article 9 au vu de la situation actuelle : « Il ne saurait nous échapper que l’article 9 est de beaucoup celui qui exigera le plus de doigté. Il est clair déjà que la propagande de Hanoi d’une part et l’activité militaire déployée au sud du 16e parallèle par les troupes vietnamiennes sur ordre de Hanoi tendent manifestement et contrairement aux engagements de nos partenaires à renforcer un climat de terreur, de violence et d’arbitraire vis-à-vis des populations et d’offensive vis-à-vis de nos troupes. » (cité in Bodinier, 1987, p. 294). Pour D’Argenlieu comme pour Moutet (F.O.M.), le devenir de la Cochinchine est la clé de voûte de la présence française en Indochine. L’amiral se propose de rencontrer HCM dès son retour au Vietnam. Ses doutes quant à la sincérité du VM seront confirmés par un rapport de Valluy en date du 14.
9 octobre 46 : Suite à la fermeture du 5e Bureau, Philippe Devillers quitte l’Indochine (Devillers, 2010, p. 138). Jean Lacouture quant à lui y demeure.
D’Argenlieu signale à Paris « une recrudescence du climat de terreur et de violence » au sud du 16e parallèle accompagné notamment de l’attaque de postes français (Turpin, 2005, p. 277).
11 octobre 46 : Le commandant de la 2e D.B., le colonel Massu, quitte Hanoi pour Saigon puis la France. Ses troupes le suivent de peu. Le colonel Crépin, ancien commissaire de la République par intérim au Tonkin, quitte également l’Indochine (Fonde, 1971, p. 273, note 1).
13 octobre 46 : Obstinée, la R.D.V.N. confirme que le Comité du Nam Bo (émanation du P.C.I.) est « le seul dépositaire des pouvoirs de la République du Vietnam » au Sud, notamment pour l’application des accords issus du modus vivendi (De Folin, 1993, p. 160). Or ces accords ne seront pas appliqués en Cochinchine du fait de son statut particulier de République autonome (voir 14 septembre). Le comité du Nam Bo est officiellement présidé par Pham Van Bach, un modéré (ou par Tran Buu Kiem, selon Fonde, 1971, p. 272, note 3). Dans la réalité, il est noyauté par Nguyen Binh, un virulent (et violent) nationaliste rallié au VM qui a très probablement fait éliminer une partie des membres modérés de ce comité (voir 26 mars et 3 mai) (De Folin, 1993, p. 159). Binh est également l’instigateur des « comités d’assassins » ou des « volontaires de la mort », groupes fanatisés qui entretiennent un climat de terreur soutenu par le VM dans le Sud (voir 18 septembre) (De Folin, 1993, p. 160).
Départ définitif de Cédile, commissaire de la République en Cochinchine. Il est remplacé par Albert Torel, partisan d’une restauration monarchique baodaïste chère à Pignon. Avec le départ de Cédile, c’est l’abandon de la politique autonomiste soutenue dans un premier temps par les Français (Gras, 1979, p. 140).
Nouveau référendum constitutionnel en France afin de proposer à la population d'adoption d'une nouvelle constitution. Le projet est adopté par un peu plus de 53 % des votants, menant à l'établissement de la Quatrième République proclamée cependant avec pas moins de 31 % d’abstentionnistes. Les Gaullistes ont dit « non ». En parlant de cette nouvelle constitution, De Gaulle l’estime « acceptée par 9 millions d’électeurs, refusée par 8 millions, ignorée par 8 millions et demi. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 398) D’un point de vue politique, c’est donc la poursuite d’un tripartisme gouvernemental : M.R.P., S.F.I.O., P.C.F. En Indochine, le résultat du référendum est largement rejeté et l’avènement de cette nouvelle constitution est une nouvelle déception pour D’Argenlieu.
Rumeurs à Haïphong concernant un coup de force des Français pour le 15. Les Vietnamiens s’y préparent (Devillers, 1988, p. 233).
14 octobre 46 : Le gouverneur général Henri De La Laurentie (directeur des affaires politiques au ministère de la France d'Outre-Mer depuis 1944) écrit dans un projet d’instruction : « Il faut constater que nous n’avons pas gagné la guerre en Cochinchine […] La sécurité n’y revient pas. Il faut y rétablir la situation et susciter un gouvernement représentatif de tendance et d’esprit assez nationaux pour avoir une autorité réelle. Les difficultés viendront des Français de Cochinchine. » (cité in De Folin, 1993, p 162) On est ici loin des déclarations aussi optimistes que les lointaines autorités françaises de métropole répandent en ignorant et gommant la réalité du terrain.
Valluy (commandant en chef) confirme dans un rapport à D’Argenlieu : « L’annonce du « Modus vivendi » du 14 septembre a entraîné au Sud un accroissement net de l’activité rebelle. » Son auteur met en cause « un raidissement de principe du gouvernement d’Hanoi » et « le désir par les éléments irréductibles d’améliorer les positions tenues au moment où commenceront les discussions d’application du « Modus vivendi ». » Il réclame des troupes « constituées, homogènes et aguerries » et non « le magma d’individus que m’envoie la métropole », soit, selon ses souhaits, 10 000 hommes (Bodinier, 1987, pp. 295-297).
A Saigon, l’exécution par les Français de membres du VM (des « terroristes capturés sur le fait » selon Fonde) provoque une violente campagne de presse et un mouvement de grève dans la matinée. Selon le même, ce mouvement s’étend vers le Nord. Il est mené « sous le contrôle vigilant de la police, des Can Bo et des Tu Vé dans tous les centres au nord du 16e parallèle. » Le même observateur note également : « A Hanoi, le ton des conversations officielle change subitement, devient acerbe, acrimonieux, agressif même, s’apparentant d’une manière inhabituelle à celui de la presse et de ses outrances. » (Fonde, 1971, p. 273)
15 octobre 46 : Début du contrôle douanier français à Haïphong. Il vise entre autres à stopper le trafic d’armes avec la Chine. Il sera ensuite contesté par le VM et servira d’étincelle au moment des violents événements qui vont affecter le port en novembre (voir 11 et 20 novembre).
17 octobre 46 : Un document du comité du Nam Bo précise dans ses conclusions qu’en cas de non-respect par les Français du modus vivendi, « […] la défense légitime est notre droit […] N’oublions pas que la bataille sur le plan politique est plus difficile que la guerre et nécessite de notre part de la présence d’esprit, la parole mesurée et habile. Il en est de même de notre attitude et notre action. » (cité in Bodinier, 1987, p. 300).
18 octobre 46 : Deuxième rencontre D’Argenlieu-HCM, cette fois en baie de Cam Rahn à bord du croiseur Suffren. L’amiral demande à HCM « le retrait vers le Nord des forces armées vietnamiennes engagées au Sud » que Valluy (commandant en chef) qualifie de « bandes d’irréguliers de Cochinchine » (Valluy 3, 1967, p. 356). Selon De Folin, HCM refuse ce retrait car, dans les faits, à l’approche du cessez-le-feu du 30 octobre, le VM cherche à intensifier ses actions pour occuper le plus de terrain possible (De Folin, 1993, p 166). De plus, Ho estime que le modus vivendi a permis de faire des troupes infiltrées au Sud de véritables troupes régulières, contrairement à ce qu’espéraient les Français (voir 1er octobre). D’Argenlieu a toutefois le sentiment qu’HCM est « assez anxieux face à la situation qu’il trouve à son retour de France et qu’au moins, pour un temps, il va plutôt chercher une entente avec les Français. » (D’Argenlieu, 1985, pp. 335-336) L’amiral demeure toutefois prudent (voir 19 octobre). Selon Valluy, certes HCM fait quelques concessions. Il restitue l’Institut Pasteur (locaux qui ont été vidés de leur substance sans que l’on sache trop par qui…) et désavoue le terrorisme, mais sans que ses actes ne dépassent ses paroles (voir 6 novembre) (Valluy 3, 1967, pp. 356-357).
19 octobre 46 : En accord avec Valluy (commandant en chef), D’Argenlieu prévient le ministère de la Défense que « l’hypothèse d’une action de force du gouvernement de Hanoi sous les prétextes les plus divers, nés de l’exploitation du modus vivendi, ne doit pas être écartée. » Il estime qu’HCM « utilisera la période d’application du modus vivendi non seulement pour rechercher des avantages politiques décisifs dans le Sud, mais encore pour s’y assurer une position militaire forte. » Selon lui, « le modus vivendi prolonge en fait l’incertitude qui plane sur la manière dont le gouvernement français entend régler le sort futur de la Cochinchine et des adversaires cochinchinois du gouvernement de Hanoi. » Il observe que « le gouvernement d’Hanoi introduit au Cambodge de nouvelles forces rebelles. » Or face à cette situation inquiétante, il manque de moyens : « Le maintien de 75 000 hommes de nos forces n’est pas assuré pour 1947 [...] Le matériel américain est fatigué […] » Il réclame à nouveau (voir 14 octobre) à la métropole l’envoi de 10 000 hommes pour pouvoir maintenir un effectif décent (Bodinier, 1987, pp. 300-302).
Du fait de rapports émanant du 2e Bureau convergents, D’Argenlieu met en garde les commissaires des trois Ky et le commandant en chef d’une reprise de l’activité du VM sur Hanoi et ce, dès janvier 1947. Des signes avant-coureurs apparaissent ici et là : fréquentes coupures de la voie ferrée Hanoi-Haïphong, tranchées du VM aux alentours des casernes et des postes du C.E.F.E.O. (Toinet, 1998, pp. 81-82).
20 octobre 46 : De Retour de France, HCM débarque à Haïphong et se rend immédiatement à Hanoi. Il doit faire face à de dures critiques des Français d’Indochine suite à la signature du modus vivendi du 14 septembre. Durant sa longue absence, c’est la tendance dure du VM, celle de Giap, qui a tenu en main les rênes du pays (Devillers, 2010, p. 140).
Suite à la décision secrète prise par Morlière (Commissaire de la République par intérim au Tonkin) sur le contrôle douanier (voir 10 septembre), le comité exécutif du Vietminh appelle les Français à « reconsidérer leur attitude » au vu des engagements pris avec la signature du modus vivendi du 15 septembre (Devillers, 1988, p. 235).
21 octobre 46 : A Hanoi, HCM cherche à apaiser les esprits. A la gare d’Haïphong, il avait, la veille, réussi à faire entonner à ses compatriotes La Marseillaise et fait acclamer l’amitié franco-vietnamienne. Selon Sainteny, « ce devait être sa dernière manifestation profrançaise. » (Sainteny, 1970, p. 117)
Adoption par l’assemblée nationale, suite à un référendum, de la Constitution du 5 octobre 1946. Concernant les colonies françaises, elle stipule en son titre VIII :
« Article 60. - L'Union française est formée, d'une part, de la République française qui comprend la France métropolitaine, les départements et territoires d'Outre-mer, d'autre part, des territoires et États associés.
Article 61. - La situation des États associés dans l'Union française résulte pour chacun d'eux de l'acte qui définit ses rapports avec la France. »
Ce titre VIII évoque la question de l’Union française mais s’avère n’être qu’un mélange maladroit de « théories fédéralistes et [de] théories assimilatrices » (analyse d’Alfred Grosser reprise par De Folin, 1993, p. 172). Les articles de cette constitution concernant l’Indochine sont d’entrée complètement dépassés par les réalités du terrain. Ce que les faits passés, présents et à venir ont ou vont démontrer (voir 20 - 21 novembre) (De Folin, 1993, pp. 172-175). Bao Daï se plaindra de devoir accepter « librement » le cadre de l’Union française qu’on lui impose. Les communistes et nationalistes vietnamiens le rejetteront unanimement. Le Cambodge et le Laos, jusqu’ici relativement épargnés, se retrouveront ultérieurement dans la même situation. Cette constitution entrera en vigueur le 27.
À Haïphong, le colonel Dèbes (commandant de la place) émet une directive donnant un ordre aux troupes françaises de se tenir prêt à toute éventualité et d’être prêtes à intervenir (voir 30 octobre) (Devillers, 1988, p. 233).
22 octobre 46 : Dans une note d’orientation, Pignon (conseiller politique de D’Argenlieu) dénonce les agissements de la presse et la radio de Hanoi qui ont mené « une campagne aussi vive et injurieuse » accusant la France de violer les clauses du modus vivendi comme elle l’avait fait pour les accords du 6 mars. Or la récente rencontre d’Argenlieu-HCM a prouvé tout le contraire. L’annonce de la signature du modus a été mal accueillie par la population franco-vietnamienne vivant en Cochinchine car elle annonce que « le Vietnam possèdera un droit de contrôle » sur la colonie. Il est donc nécessaire de montrer aux habitants « que la politique française en Cochinchine n’est pas modifiée […] la population sera appelée à décider librement, par référendum, de son sort. » Pignon préconise d’élaborer un programme de contre-propagande pour s’opposer « au totalitarisme du Vietminh. » Selon lui, « […] il convient de répandre dans le public quelques idées-forces, ou, si l’on préfère, slogans [...] il faut répliquer au nom de la démocratie, par l’accusation de totalitarisme. » (cité in Bodinier, 1987, pp. 302-305)
La police vietnamienne continue à surveiller la population. Un fonctionnaire des travaux publics de Nam Dinh disparaît après avoir reçu un ingénieur français, ami de longue date du disparu (Fonde, 1971, p. 269).
23 octobre 46 : De retour de France, HCM réaffirme la position de son gouvernement, tout en laissant ouverte une porte assez illusoire : « Je me suis rendu à Paris en vue de régler la question de notre indépendance et de la réunification du Vietnam. La situation actuelle en France ne permet pas encore de résoudre ces deux questions. Il faudra attendre. Mais je puis affirmer catégoriquement que tôt ou tard le Vietnam sera indépendant, Nord, Centre et Sud réunifiés. La conférence franco-vietnamienne n’a pas terminé ses travaux, elle reprendra en janvier prochain. Mais le modus vivendi du 14 septembre crée des facilités pour les deux parties et déblaie la route pour la prochaine reprise de la conférence dans une atmosphère amicale. » (cité in Gras, 1979, p. 134) Lorsqu’il prononce ces paroles « conciliantes », HCM sait qu’il n’obtiendra pas plus en 1947 qu’il n’a obtenu à Fontainebleau et que ce projet de nouvelle conférence est voué à l’échec. Lors de son séjour en France, il a surestimé ses espoirs en une gauche française au pouvoir. Il ne lui reste en fait que le rapport de force (voir 28 octobre).
Une réunion du Cominindo examine les demandes de renforts de D’Argenlieu et Valluy (10 000 hommes). Elle est appuyée par Juin (chef d’état-major de l’armée française) (Devillers, 1988, p. 233).
25 octobre 46 : Une « note d’orientation MV1 » (MV pour Modus Vivendi) de Valluy au général Nyo (président des commissions mixtes d’état-major à Hanoi) concernant un cessez-le-feu en Cochinchine et dans le Sud-Annam précise : « La mise en application sur place des conditions militaires acceptées par les deux parties se fera ultérieurement, par accords particuliers entre les états-majors locaux et les chefs militaires vietnamiens du Sud. En aucun cas, une commission d’armistice venant de Hanoi, ne saura être acceptée en Cochinchine. » (respect dans cette citation des passages mis en gras) La Cochinchine demeure plus que jamais la chasse-gardée des Français (Bodinier, 1987, p. 310).
Faisant fi de l’optimisme gouvernemental, prévoyant une reprise des hostilités au vu des tensions en Cochinchine, D’Argenlieu, dans une lettre adressée à différents responsables civils et militaires en Indochine, écrit : « Mettons-nous en mesure de répondre éventuellement dès janvier 1947 à une reprise des hostilités par une action de force visant à neutraliser politiquement et moralement le Gouvernement de Hanoi et à faciliter ainsi la pacification au Sud. » (Devillers, 1988, p. 234, respect des passages en gras et soulignés). L’amiral n’exclut donc pas une tentative de coup d’État contre le gouvernement en place.
Une note de Pignon (directeur des Affaires politiques de D’Argenlieu), fervent initiateur de la future « solution Bao Daï », adressée à La Laurentie (direction politique à la France d’Outre-mer) s’interroge : « Seule peut être opposée à Ho Chi Minh et au Vietminh une monarchie unioniste et démocratique. La métropole nous permettrait-elle de jouer cette carte ? » (Devillers, 1988, p. 234).
Une lettre de Valluy au général Juin (chef d’état-major de l’armée française) lui signale que les documents saisis sur les prisonniers du VM sont aux antipodes des principes d’application du modus vivendi : « […] les ordres et les consignes données s’écartent très loin du slogan « d’application loyale et franche », et ont pour but d’une part d’amener l’emprise totale du gouvernement vietnamien sur la population de Cochinchine et du Sud-Annam, d’autre part d’intensifier la lutte afin de nous créer des difficultés, et de faire pression sur les négociations qui vont s’engager. » (citée in Turpin, 2005, p. 278)
26 octobre 46 : A la veille de la mise en place du modus vivendi du 30, D’Argenlieu rend compte à Paris des intentions et activités du VM qui affirment : « Continuez et intensifiez les sabotages à l’arrière des troupes ennemies ». Il dénonce « une série de manœuvres prenant appui sur l’article 9 du modus vivendi, qui cherchent à annihiler un an d’effort en Cochinchine. » (voir 14 septembre) Le VM, qui a refusé d’évacuer ses troupes du Sud, veut en fait renforcer ses positions et grignoter le dispositif français avant le 30 octobre, date d’application du modus vivendi signé par HCM à Paris le 14 septembre (De Folin, 1993, p. 160 ; Devillers, 1988, p. 236).
27 octobre 46 : Entrée en vigueur de la Constitution française de 1946 (Devillers, 1988, p. 343).
28 octobre 46 : HCM convoque une seconde fois l’Assemblée nationale constituante devant laquelle il donne à nouveau une démission très temporaire. La séance qui se veut intimidante a lieu sous forte escorte militaire (Fonde, 1971, p. 273). Il n’y a plus que 291 députés sur 444 élus car 150 ne sont pas présents du fait des distances, de la guerre au Sud, des évictions mais aussi des intimidations et des arrestations. Des 70 membres de l’opposition, il n’en reste que 37 et ils ne seront plus que 2 à la fin de la session du 9 novembre du fait de purges internes en cours. Les autres ayant été arrêtés pour de pseudos délits de droit commun ou exécutés… Fonde évoque le cas du député Hoang Huu Tan, élu à Tourane mais qui n’a même jamais vu la ville. Tan lui a confié que sa candidature par télégramme a été rendu nécessaire car « il fallait combler les vides. Des députés sont en fuite à l’étranger, d’autres ont été arrêtés, sur ordre du gouvernement, après levée de leur immunité parlementaire. » (Ibid.) Les interpellations des députés nationalistes dénonçant l’abolition de la liberté de la presse ou l’arrestation de leurs collègues (V.N.Q.D.D., D.M.H., Daï Viet) sont systématiquement censurées ou dénigrées. Beaucoup d’entre eux ont déjà pris le chemin de la Chine du Sud pour échapper aux purges, et ce, dès l’été. Une dictature communiste s’installe avec la mise en place d’un gouvernement de combat qui verra le jour le 3 novembre (De Folin, 1993, p 167). L’assemblée nationale ne sera plus jamais réunie avant décembre 1953.
29 octobre 46 : 300 personnes jugées indésirables sont envoyées dans les « camps spéciaux » de la R.D.V.N. (voir 30 mars) (De Folin, 1993, p. 169).
A la veille de l’entrée en vigueur du modus vivendi le 29 à minuit, suite à la mise en place des commissions mixtes décidée à Cam Ranh entre D’Argenlieu et HCM, ce dernier demande à Saigon de réunir rapidement la commission des douanes et du commerce extérieur au sujet du port de Haïphong (Devillers, 1988, pp. 235-236). C’est le non-règlement de ce point litigieux (voir 11 novembre) qui mettra le feu aux poudres à Haïphong le 20 novembre.
Au même moment, D’Argenlieu informe Paris que le gouvernement vietnamien propose à l’agrément de son homologue français, comme personnalité vietnamienne accréditée auprès du haut-commissaire pour établir la coopération en vue de l’exécution à venir des accords, Pham Van Bach. Ce dernier n’étant rien moins que le président du comité exécutif du Nam Bo exécré par l’amiral… Ce dernier demande à Paris de refuser. Une fois de plus, il n’aura aucune réponse à sa requête (Devillers, 1988, p. 236).
30 octobre 46 : Mise en place du cessez-le-feu prévu par le modus vivendi du 15 septembre. Il est respecté dans un premier temps, preuve s’il en est qu’HCM sait se faire obéir quand il le veut. Toutefois, la trêve ne fait pas l’économie d’actes de guérilla ponctuels qui vont s’amplifier ici et là. Si les Français ripostent, le VM les accuse de prolonger les combats, notamment en Cochinchine (De Folin, 1993, p 162). Le général Valluy (commandant en chef) ne voit en cet accord qu’avantages pour le VM : « La trêve deviendra un singulier allègement pour les rebelles […] ils seront capables de se renforcer, de recevoir des armes, de se réorganiser. Ils bénéficieront d’une liberté de circulation totale : leur activité deviendra incontrôlable et théoriquement autorisée. » (Valluy 2, 1967, p. 211). Il évoque également « « l’irénisme » des Parisiens » et dénonce leurs recommandations pour ménager HCM. « Ils nous offrent le modus vivendi comme un acte de bonne volonté du Vietminh et nous prient de l’appliquer avec loyauté. » Selon lui, les « Parisiens » ne mesurent absolument pas qu’un régime totalitaire est en train de s’installer sous la houlette du VM (voir 30 mars, 28 octobre, 14 novembre) (Valluy 2, 1967, pp. 212-213).
Discours de D’Argenlieu à l’Hôtel de Ville de Saigon. Il s’accompagne d’une mise en garde contre l’application déloyale du modus vivendi : « Avant tout, ce qu’il importe de réduire et d’éliminer entre peuples amateurs de paix et professant une amitié réciproque, c’est le terrorisme. Pas de conciliation possible entre l’esprit de paix authentique et celui qui préside aux méthodes du terrorisme scientifique. Le terrorisme est un fruit empoisonné, il imprime à toute la lutte un caractère odieux et vil, et pour tout dire satanique […] Ce qu’ajoutent les clauses du Modus Vivendi – c’est capital – c’est la volonté commune de mettre fin dans le Sud, en Cochinchine surtout aux combats, la volonté de renoncer au terrorisme méthodique, organisé, orchestré et généralisé par nos adversaires quels qu’en soient les motifs et d’y voir substituer le respect de la liberté de penser, d’opiner, la volonté de créer le climat favorable à une consultation populaire par voie de référendum. » (cité in Turpin, 2005, p. 279)
Valluy (commandant en chef) adresse au général Nyo (président des commissions mixtes d’état-major à Hanoi) une seconde note d’orientation (voir 25 octobre) intitulée « MV2 ». Elle prévoit « le désarmement et le renvoi dans leurs foyers des éléments cochinchinois ou originaires du Sud-Annam des formations armées se réclamant du gouvernement d’Hanoi. » Si les choses se passent dans les formes, « elles seront susceptibles de créer un climat d’apaisement […] Sinon, elles sont de nature à suspendre fâcheusement les négociations. » (Bodinier, 1987, p. 313).
Suite à l’ordre du colonel Dèbes (commandant de la place à Haïphong) du 23, les troupes du R.I.C.M. au Tonkin se disent prêtes à intervenir et à faire face à toute éventualité. Le capitaine Dercourt qui les commande estime : « La situation demeurant instable, nous pouvons à tout moment être amenés à intervenir très rapidement, de notre propre initiative » Il prévoit un plan offensif pour Haïphong visant à conserver la maîtrise de la ville et de la côte (Devillers, 1988, pp. 233-234).
31 octobre 46 : Libération par les Français de 150 détenus politiques (Devillers, 1988, p. 237).
Fin octobre 46 : HCM envoie Nguyen Luong Bang pour diriger les travaux préparatifs nécessaires à l’organisation et l’installation d’organes centraux du Parti et du gouvernement dans des zones de sûreté nommées par les Vietnamiens An Toan Khu (A.T.K.) L’éventualité d’un conflit franco-vietnamien est donc envisagée dès cette époque malgré la signature du modus vivendi du 15 septembre qui a permis à HCM de gagner du temps. Les A.T.K. couvrent pour l’instant au Nord les districts de Son Duong, Chiem Hoa, Na Hang (Tuyen Quang), Dinh Hoa, Dai Thu, Phu Luong (Thai Nguyen), Cho Don et Cho Ra (Bac Kan).