Octobre 45 : Les troupes de Leclerc mettent fin au blocus de Saigon et reprennent le delta du Mékong au cours de combats qui vont durer deux mois (carte n° 4 in Teulières, 1979, p. 34). Les Français peuvent reconquérir le Sud mais sont incapables, faute d’effectifs, de vraiment tenir dans le temps ce qu’ils ont repris. Leclerc obtient du renfort avec le débarquement d’éléments de la 2e D.B. (Massu). Mais, plutôt que frapper fort alors que les forces du VM sont concentrées autour de Saigon, la constitution de colonnes mobiles françaises visant à la reconquête du Sud les disperse et favorise la constitution d’une guérilla endémique (Devillers, 2010, p. 43-44). Dans chaque village reconquis, faute de pouvoir y laisser des troupes, Leclerc doit se contenter de placarder des affiches de propagande pour gagner les cœurs : « Annamites, chassant les terroristes et les pillards, les troupes françaises sont arrivées dans votre localité. Comprenez et dites autour de vous qu’elles ne viennent pas en ennemies. Elles vous aideront à rétablir l’ordre et la paix chez vous. Elles protégeront les familles et les biens et permettront la reprise dans l’ordre et a sécurité […] La France vient reprendre et améliorer autour de vous l’ordre et la sécurité […] La France va reprendre et améliorer, auprès de vous, l’œuvre commencée il y a 80 ans. » Un ton menaçant n’est toutefois pas absent de certains messages contre « une poignée de malfaiteurs […] Pas de vengeance contre les gens sincères, pas de pitié pour les criminels. » (cité in Ruscio, 1992, p. 54)
Sainteny s’entretient avec Ho Chi Minh mais ces pourparlers buttent sur deux points : la question de l’unité du Vietnam et celle de son indépendance. Le retour armé des Français est loin de faire l’unanimité. Il est alors critiqué par la gauche française, les Soviétiques et les Américains.
D’octobre 1945 à février 1946, HCM écrit huit lettres à Truman ou à son secrétaire d’État demandant une intervention des États-Unis et des Nations-Unies contre l’intervention française. Il ne reçoit aucune réponse à ses demandes (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 53-54).
Une famine commence à sévir sérieusement dans les campagnes du Nord, conjuguée à l’arrivée des troupes chinoises.
1er octobre 45 : A Chandernagor, Sainteny est reçu pour la deuxième fois par D’Argenlieu. Il lui expose la situation au Tonkin et, déçu par une manque de considération et une totale absence de reconnaissance pour ce qu’il a entrepris, exprime son désir de rentrer en France avec l’arrivée d’Alessandri qui vient d’être nommé au poste de commissaire de la République au Tonkin (Devillers, 1988, p. 96). Pour autant, rien ne change.
Gracey joue le médiateur et parvient à négocier une trêve entre Cédile et le Comité du Nam Bo. Elle sera effective le 3 mais ne durera que 10 jours (Francini 1, 1988, p. 244 ; De Folin, 1993, p. 108).
Le major Patti, définitivement discrédité (voir 9 septembre), quitte le Vietnam. Selon Sainteny, les Américains regretteront, mais trop tardivement, de n’avoir pas délégué au Tonkin en août et septembre 1945 un personnage d’une autre envergure que celle de Patti (Sainteny, 1967, p. 92). Le gouvernement français a, par ailleurs, exprimé son mécontentement par le biais de l’ambassadeur de France à Washington auprès du secrétaire d’État par intérim afin « que des instructions très fermes soient envoyées à certains représentants isolés des services américains actuellement en Indochine pour qu’ils évitent de prendre parti à tout le moins contre nous. » (Turpin, 2005, p. 175)
L’amiral Decoux est rapatrié en France (voir 7 octobre).
1er – 3 octobre 45 : En visite à Hanoi, le ministre chinois de la Guerre, le général Ho Yin Chin, décide, compte tenu de la manière dont les Français se sont emparés de Saigon le 23 septembre, de n’autoriser jusqu’à nouvel ordre ni le retour des troupes françaises ni le réarmement des ex-prisonniers de la citadelle (Devillers, 1988, p. 102).
2 octobre 45 : Une trêve est conclue à Saigon avec le Comité du Nam Bo. Elle sera prolongée tant bien que mal jusqu’au 11 octobre. Les diverses interventions de Cédile demeureront souvent infructueuses.
Suite à la réception d’un télégramme de Leclerc (voir 23 septembre), De Gaulle tranche définitivement la question d’une déclaration allant plus loin que celle du 24 mars, contrairement à ce qu’attendent les Américains et les Britanniques : « Il est exclu que le gouvernement français fasse actuellement une nouvelle déclaration concernant l’Indochine. Celle de mars [voir 24 mars] se suffit à elle-même. Le fait d’édicter une nouvelle circulaire dans les circonstances présentes aurait toutes les apparences d’une reculade compliquerait d’avantage la situation en Indochine et à l’extérieur. » Il écrit par ailleurs : « Je répète qu’il me paraissait nécessaire que le général Leclerc aille s’installer à Saigon sans délai. Il est essentiel et urgent que l’autorité française soit sur place. » (Bodinier, 1987, p. 194)
Le général Pechkhoff (ambassadeur de France en Chine) évoque la préoccupation qu’inspire au gouvernement français « l’attitude des autorités chinoises en Indochine » (Turpin, 2005, p. 174).
2 – 10 octobre 45 : Trêve à Saigon sur l’initiative des Britanniques. Elle sera rompue le 10 suite à une embuscade les affectant (voir 11 octobre) (Pedroncini, 1992, p. 393).
3 octobre 45 : Arrivée à Saigon à bord du Triomphant et du Richelieu d’un convoi transportant le reliquat du 5e R.I.C. (issu du C.L.I.) et un bataillon S.A.S. (commando du capitaine de corvette Pontarchier), soit environ 1 000 hommes (Pedroncini, 1992, p. 95).
Leclerc, en partance pour Saigon, rejoint d’Argenlieu à Chandernagor. Ce dernier lui relate sa rencontre avec Sainteny (voir 25 septembre) et lui demande son avis sur son maintien. L’amiral qui a rencontré Sainteny le 1er estime qu’« il est quelqu’un. » (D’Argenlieu, 1985, p. 61) Sans pour autant trancher dans l’immédiat la lancinante question de sa représentativité.
Sainteny remet D'Argenlieu une longue note de synthèse rédigée à Chandernagor le 1er. Malgré la poussée du Dong Minh Hoï prochinois, le VM est le « seul parti annamite digne d’intérêt » qui bénéficie d’un intérêt populaire ; la violence ne peut être mise au compte de ses dirigeants mais d’une « tourbe » nationaliste manipulée par les Japonais ; pour reprendre pied en Indochine, la France n’a que deux options, ou le faire seule ou avec « un allié » ; la première solution suppose qu’elle « y revienne forte, les armes à la main » mais dans ce cas « l’Indochine sera reconquise physiquement, matériellement, mais définitivement perdue moralement » ; la seconde solution est préférable « à savoir réintégration de la France avec une aide alliée ». Sainteny pense que la France peut jouer la carte de la « haine millénaire » entre Vietnamiens et Chinois. Il mesure assurément mal combien le mot « indépendance » n’est pas un mot comme les autres pour les Vietnamiens et fait preuve d’une certaine naïveté lorsqu’il écrit qu’ils « deviendront vite nos meilleurs alliés. » Il appelle donc le destinataire de cette note à la pondération : les moyens d’actions militaires ne doivent pas aller au-delà du strict nécessaire (Pedroncini, 1992, pp. 155-156).
Une première et brève rencontre a lieu entre Sainteny et Leclerc qui s’apprécient d’entrée (Sainteny, 1967, p. 71). Les deux hommes discutent et c’est sans doute suite à cet entretien que Leclerc commence à mieux cerner l’imbrication du politique et du militaire, à mieux percevoir toute la complexité de la situation au Nord qu’il va devoir gérer.
Sainteny deviendra au lendemain de cette rencontre, le 4, responsable d’un vaste territoire comprenant le Tonkin, l’Annam jusqu’au 16e parallèle et le Nord-Laos. Selon Raymond, « les ressortissants français portaient beaucoup d'espoir en son arrivée : « [ils] vivaient alors dans la situation d'apatrides, désarmés, pourchassés [...] » et attendaient la délivrance. Sainteny organise à l'automne l'évacuation des malades et des enfants vers Saigon. Il tente de son mieux d'aider les autres à survivre dans un climat qui leur est hostile. Cette hostilité est durable. En janvier 1946, on ne comptera pas moins de 145 crimes ou voies de faits qui seront commis contre des Français, dont 6 assassinats (Raymond, 2013, p. 69).
Les amiraux Decoux et Béranger quittent l’Indochine pour Paris (via Calcutta) sur demande expresse de D’Argenlieu (voir 17 août) (D’Argenlieu, 1985, p. 63 et pp. 424-425).
Entrevue entre Cédile, le colonel Repiton-Préneuf (représentant Leclerc, 2e Bureau), Pham Van Bach (Comité du Nam Bo) et le Dr Tach. Les discussions sont bloquées par la demande française de libération des 100 otages disparus de la cité Héraud qui, dans les faits, ont été massacrés (Gras, 1979, p. 52).
Remise de la lettre du 16 septembre de De Gaulle à D’Argenlieu par l’intermédiaire de Leclerc. De Gaulle lui demande de rejoindre Saigon dès le débarquement du détachement Massu (2e D.B.) accompli. Dans cette même lettre, De Gaulle confie à D’Argenlieu : « Je n’ai aucune confiance dans les Anglais : ils prennent et garde une attitude hypocrite [...] Ne prenez et ne laissez prendre à l’égard du Vietminh aucun engagement quelconque. Vous pourrez accepter certains contacts à condition qu’ils soient directs et ne comportent aucun intermédiaire, ni anglais, ni chinois, ni américain. Quand du côté allié on vous proposera des « bons offices », refusez catégoriquement. Nous ne traitons pas avec nos sujets par le truchement de l’étranger. » Au moment de la rédaction de cette lettre, De Gaulle pense à tort que les Anglais ne prêteront pas les moyens de transport des troupes françaises et que les Français devront compter sur leurs propres moyens, ce qui prendra du temps. (D’Argenlieu, 1985, pp. 63-64)
De Plus en plus isolé, La Laurentie (directeur des Affaires politiques au ministère des Colonies) demande une audience à De Gaulle en des termes qui soulignent son opposition à la politique menée jusque-là en Indochine : « Depuis près d’un an, bien que je sois chargé de la diriger, il m’a été impossible de connaître la politique coloniale du Gouvernement. Nos déclarations ne sont suivies d’aucune tentative utile. S’il y a encore quelque chose à faire en Indochine, notamment par un accord avec le gouvernement annamite, le Haut-Commissaire tarde à le faire […] Nos seuls gestes remarquables sont des coups de fusil ; l’apparence de notre fureur répressive se repère partout. » (cité in Turpin, 2005, p. 165) La Laurentie aura réponse à sa lettre le 16 par le biais de Gaston Palewski, chef de cabinet de De Gaulle. Le Général le recevra… dès qu’il le pourra…
Au Cambodge, le chef du gouvernement nationaliste et pro-japonais Son Ngoc Thanh (voir 9 août et 8 septembre) organise un semblant de référendum sur la question de l’indépendance, le retour des Français et le maintien au pouvoir de son gouvernement. La réponse est « oui » à 100 % ... Voyant qu’il n’était plus possible de traiter avec lui, l’émissaire français au Cambodge (le commandant Gallois) décide de l’éliminer (voir 15 octobre) (Gras, 1979, p. 55).
4 octobre 45 : Leclerc quitte Chandernagor, fait escale à Rangoon avant de faire son entrée à Saigon.
Après accord de Leclerc (voir 3 octobre), D’Argenlieu nomme (enfin…) officiellement Sainteny au poste de commissaire de la République pour le Tonkin et le Nord-Annam (en remplacement de Messmer qui est retenu par le VM) et lui demande de rejoindre Hanoi « sans tarder » (D’Argenlieu, 1985, p. 62). Sainteny obtient donc enfin et bien tardivement une accréditation officielle. Mais ce n’est qu’un titre car il n’a pas la moindre autorité et doit se contenter de résider à Hanoi dans la maison du directeur de l’Instruction publique puis dans un appartement de la Banque d’Indochine. Lui et son équipe se retrouvent confrontés à un État vietnamien déjà constitué. Il est assisté de Léon Pignon (ex-conseiller politique d’Alessandri), du général Salan, de François Missoffe et du lieutenant Sauvagnac pour former une « Mission française ». Ils reprennent d’anciens administrateurs et reconstituent une modeste administration dont le rôle est essentiellement humanitaire : prendre en charge femmes et enfants voulant quitter le Nord, pourvoir au ravitaillement en vivres des Français demeurés sur place et intervenir auprès des autorités vietminh et chinoises (De Folin, 1993, p. 116).
Le général Wedemeyer (conseiller de Tchang Kaï Check chapeautant l’état-major de l’O.S.S. en Chine) envoie à Washington des instructions pressantes pour que soit retiré tout le personnel américain d’Indochine au nord du 16e parallèle. Ce qui sera accompli le 20.
D’Argenlieu adresse un message aux Français d’Indochine. Son ton, empreint de relents d’épuration à la française, est aussi virulent que maladroit : « Depuis cinq ans, jusqu’en mars dernier, le plus grand nombre d’entre vous, exécutant docilement les ordres des chefs mal inspirés sont restés sur place sans que change le rythme de leur existence. Qu’aviez-vous fait pour hâter la victoire ? Parlons nettement : rien ou presque rien […] » (cité in Turpin, 2005, p. 166)
5 octobre 45 : Leclerc est à Saigon avec un état-major restreint. L’essentiel étant demeuré à Kandy car il sait qu’il sera un temps coupé du monde, faute de moyens de transmission appropriés. Il entend être maître à bord et confie à Salan : « L’amiral vient-il ? Je n’y tiens pas tout de suite, qu’il me laisse travailler, c’est pour le moment, avant tout, une affaire de militaires. » (cité in Salan 1, 1970, pp. 173-174).
Malgré un orage torrentiel, Leclerc va rencontrer la foule qui l’attend devant le palais Norodom. Jusqu’à l’arrivée de D’Argenlieu, il est haut-commissaire par intérim et doit donc gérer les troubles civils. Il ne dispose que d’un faible contingent, ses 1 000 hommes et les 1 400 ex-prisonniers du 11e R.I.C., renforcés de deux compagnies venues en septembre avec les Britanniques (voir 19 octobre). Ces troupes ont été récemment engagées et sont physiquement affaiblies. Les premiers combats ont lieu autour de Saigon (toujours privé d’eau et d’électricité) en collaboration avec les Anglais. Leclerc déclare à son conseiller politique, Paul Mus : « Il faudrait 500 000 hommes pour y arriver, et même alors ce ne serait pas faisable. » En France, on ne l’écoute pas (Halberstam, 1974, p. 104). Toutefois le rapport de force entre les Anglo-Français et les troupes du VM est en train de s’inverser : des éléments de la 2e D.B. (Massu) sont attendus sous peu.
Début des opérations militaires de reconquête en Indochine du Sud puis vers le Cambodge où des troupes seront parachutées par Leclerc sur Phnom Penh (voir 15 octobre) (Burchett, 1970, p. 24).
Réponse de D’Argenlieu à la lettre de De Gaulle datée du 16 septembre transmise par Leclerc qui lui avait enjoint de ne prendre aucun engagement à l’égard ni du VM ni des Alliés. Il lui confirme son départ pour Saigon. Il est « enchanté » de l’arrivée de Salan. Il est préoccupé par le ravitaillement du Nord par le Sud en riz (famine en perspective au Tonkin). Les populations françaises très éprouvées d’Hanoi, Saigon et la région d’Hué doivent tenir car « c’est leur présence, leur sécurité, leur entretien qui maintiennent de façon tangible nos droits imprescriptibles à intervenir partout et spécialement au Tonkin-Annam. Chinois et Américains surtout voudraient tant leur évacuation. Avec Leclerc, je la tiens pour inadmissible […] » D’Argenlieu trouve que « le général Alessandri et ses états-majors de Kunming et Hanoi [sont] très en dessous du train qu’il faut mener. » Il rassure De Gaulle sur ses relations avec Leclerc (D’Argenlieu, 1985, p. 65).
Sainteny se rend à Kunming pour liquider Mission 5 qui n’a plus lieu d’être du fait de sa nomination au poste de commissaire de la République au Tonkin (Sainteny, 1967, p. 81).
D’Argenlieu produit des instructions : « L’épuration est une œuvre de justice dont l’accomplissement ne doit entraîner aucun désordre. Partant de ce principe, le personnel administratif qui s’est disqualifié par ses actes sera dirigé, à la première occasion, vers la métropole, où seront prises les sanctions à leur encontre. » (cité in Turpin, 2005, p. 134) Il est vrai que les tentatives d’épuration en Indochine n’ont guère le vent en poupe parmi la population française. Ce qui n’empêche pas l’amiral de dénoncer l’attentisme de cette même population durant l’occupation japonaise (voir 4 octobre).
Cédile, encore plus discrédité depuis sa mauvaise gestion l’affaire de la cité Héraud, se plaint dans un rapport de ce jour adressé à D’Argenlieu des oppositions auxquelles il doit faire face : « La politique que je suis, selon vos ordres, en plein accord avec les Anglais, rencontre dans tous les milieux une opposition générale. Je répète qu’il est indispensable de renouveler aussi rapidement que possible les fonctionnaires français et les militaires également ; certains doivent être éliminés rapidement. » (cité in Turpin, 2005, p. 137, note 73) S’en prendre aux « fonctionnaires » et « militaires » est un moyen commode pour faire oublier son assez pitoyable retour en Indochine : fait prisonnier et humilié par les Japonais dès son arrivée, il a particulièrement mal géré les récents troubles et massacres des populations françaises à Saigon…
6 octobre 45 : Suite des entretiens entre Pignon, Alessandri et HCM (voir 28 septembre) (Sainteny, 1967, p. 162). Les discussions du moment entre les délégués du VM et les Français aboutissent toutes à un échec car elles buttent, sans surprise, sur la notion d’indépendance. Un compte rendu de l’une de ces rencontres constate : « Aucun effort d’apaisement des ces derniers [les délégués du VM] qui estiment que questions d’ordre général doivent être traitées à Hanoi […] La conduite du général Leclerc consiste à discuter des arrangements locaux et à gagner du temps. » (cité in Turpin, 2005, p. 162)
7 octobre 45 : L’amiral Decoux arrive au Bourget et est directement transféré au Quai des Orfèvres puis assigné à résidence. A sa demande, il rencontrera De Gaulle le 14 (Turpin, 2005, p. 134).
8 octobre 45 : De retour à Hanoi, Sainteny tente, avec l'aide de Léon Pignon, de protéger les Français du Tonkin et d'établir un dialogue avec HCM qu'il considère comme le seul interlocuteur valable (Raymond, 2013, p. 69). A son retour de Kunming pour Hanoi, il doit faire face aux premières tracasseries administratives chinoises. Les Chinois cernent son avion durant sept heures sur le terrain de Giam Lam avant de l’autoriser à débarquer (Sainteny, 1967, p. 116).
Au Sud, à Cantho, 15 000 Hoa Hao (300 000 adeptes) s’en prennent au VM. Des combats, massacres et représailles ont lieu dans les jours qui suivent. La secte entre en dissidence contre le VM sans pour autant se rallier franchement à la France (Gras, 1979, p. 57).
Entrée de troupes britanniques à Phnom Penh sous le commandement du lieutenant-colonel E.D. Murray en sa qualité de suprem allied commander. Il est chargé de désarmer les forces japonaises. Khim Thit, émissaire de Sihanouk, se rend à Saigon pour y rencontrer Leclerc. Il évoque avec lui la question de l’indépendance du Cambodge. Leclerc lui répond : « L’indépendance ? Mais s’il ne tenait qu’à moi, vous l’auriez toute suite ! » (cité in Chaffard, 1969, p. 70).
Le G.P.R.F. et les Britanniques procèdent à un échange de lettres concernant les négociations entamées depuis la deuxième quinzaine d’août au sujet de la gouvernance de l’Indochine au sud du 16e parallèle. De Gaulle a validé les décisions le 29 septembre. Un mémorandum n° 1 traite des questions administratives et juridiques. Il stipule que « sur le territoire de l’Union indochinoise, la responsabilité administrative incombe uniquement aux autorités françaises qui exercent tous les pouvoirs, y compris ceux résultant de l’état de siège. » (cité in Turpin, 2005, pp. 153-154) Un mémorandum n° 2 acte que la monnaie demeure la piastre. Un mémorandum n° 4 traite des questions portant sur le change et les exportations de capitaux. Les Britanniques se montent d’autant plus conciliants qu’ils n’entendent pas demeurer longtemps – l’Angleterre étant exsangue et la situation en Inde préoccupante - une force d’occupation en Indochine, même si les négociations ont traîné jusqu’alors.
9 octobre 45 : Le Foreign Office signe un accord avec l’ambassadeur français reconnaissant l’administration civile française comme seule autorité au sud du 16e parallèle (Francini 1, 1988, p. 245). Le corps expéditionnaire français se substitue donc progressivement aux Britanniques.
Gracey convoque à Saigon les chefs vietnamiens pour une tentative de conciliation suite à la trêve du 2. Les Vietnamiens disent ne pas vouloir entrer en conflit avec les Britanniques mais qu’il n’en sera pas de même avec les Français puisque les négociations ont échoué avec eux (Gras, 1979, p. 53).
Mountbatten se rend à Rangoon. Leclerc, Gracey et Cédille le rejoignent. Les relations entre Mountbatten et Leclerc continuent à s’améliorer mais aucune décision importante n’est prise au cours de cette entrevue. Rencontrant l’un des membres de son état-major resté à Kandy, Leclerc le met au courant des télégrammes en provenance de Paris qui n’apportent rien sur les moyens matériels demandés. Leclerc envoie un émissaire à Paris rencontrer De Gaulle lui remettre un message : « Il faudrait compléter les messages déjà publiés par une promesse assez générale d’indépendance, sans toutefois que le mot indépendance soit prononcé, mais une promesse allant nettement au-delà de la déclaration du 24 mars. » Or De Gaulle estime que cette déclaration suffit et qu’il n’ira pas plus loin. (Pedroncini, 1992, pp. 118-119). La proposition de Leclerc avait déjà été préalablement retoquée par D’Argenlieu (voir 26 septembre).
En réponse à la note de D’Argenlieu sur le VM du 28 septembre, Pleven (ministre des Colonies) lui répond en accord avec les membres du Cominindo. Il tient à clarifier la position du gouvernement quant à d’éventuelles négociations avec le G.R.A. ; « Primo : Il n’est pas question de discuter avec les éléments troubles en particulier vis-à-vis de leurs compatriotes des campagnes. Secundo : Toutefois le parti Viet-Minh comprend des éléments honorables et sincères avec lesquels on peut procéder à des échanges de vue normaux. L’ouverture de négociations n’implique d’ailleurs pas que le Viet-Minh soit reconnu comme un mouvement représentatif à lui seul de l’opinion indochinoise. Tertio : Les autres fractions de cette opinion seront également consultées avant que soit déterminé le statut définitif de la fédération. » (cité in Turpin, 2005, pp. 164-165)
Début octobre 45 (après le 9 octobre) : Message d’un Leclerc, clairvoyant car présent sur place, à De Gaulle transmis par le biais du colonel Weil : « La situation en Indochine est grave, les aspirations du peuple annamite sont profondes et se manifestent avec vigueur. La France ne pourra pas faire l’effort qui permettrait de revenir au « statu quo ante » ; au surplus serait-ce possible dans le contexte général qui règne dans le Sud-Est asiatique ? Il faudrait compléter les messages publics par une promesse assez générale d’indépendance, sans toutefois que le mot indépendance soit prononcé, mais une promesse qui aille au-delà de la déclaration du 24 mars. » Selon le colonel Weil, « le général De Gaulle m’écoute sans m’interrompre ainsi qu’il a coutume de la faire lorsqu’on lui dit des choses qu’il n’approuve pas. Quand j’ai fini, il me répond simplement qu’une telle promesse est hors de question, qu’il ne veut plus qu’on lui parle de nouvelle déclaration sur l’Indochine. Celle du 24 mars 1945 suffit : il n’ira pas plus loin, tout autre déclaration affaiblirait nos postions. S’animant un peu, il ajoute : « Et puis, vous savez, s’il n’y avait que des gens comme Leclerc, on perdrait l’Indochine… » (cité in Pedroncini, 1992, p. 119)
9 – 13 octobre 45 : D’Argenlieu se rend à Chunking où il rencontre les plus hautes autorités chinoises qui lui donnent des assurances en vue de l’apaisement des relations sino-françaises. De belles paroles qui seront suivi de peu d’effet car les Chinois vont exiger des compensations économiques et financières pour leur occupation militaire au nord du 16e parallèle (Devillers, 1988, p. 99).
10 octobre 45 : Le Vietminh déclenche sa première attaque contre l’autorité britannique qui garde l’aéroport de Tan Son Nhut (Francini 1, 1988, p. 245).
A Saigon, Cédile, complètement dépassé par les événements récents de septembre et revenant sur ce qui s’est passé reconnaît : « Nous sommes en présence de foules de bandits, surtout à base de caodaïstes et trotskystes, très fortement renforcées par des bagnard de Poulo Condor (Tous poussés par les Japonais [car libérés par eux]) […] Ils n’obéissent pas aux chefs Viet-Minh [...] Les dirigeants annamites, dans leur action antifrançaise, cherchaient à paralyser par tous les moyens la vie des Français à Saigon : ils organisaient une grève générale et la préparaient. La vie quotidienne était faite de conflits perpétuels […] Nous assistons, impuissants, à des sabotages de tout ce qui était français, à un pillage de nos biens et nous perdions un peu plus la face tous les jours. » (cité in Turpin, 2005, p. 160). Dans le même rapport, Cédile, en réclamant une réaction des troupes françaises, met également le doigt dans un engrenage belliqueux : « Je pouvais de moins en moins laisser bafouer la France : j’ai pensé qu’il n’était pas incompatible avec les directives que j’avais reçues de nous faire respecter. » (cité in Turpin, 2005, p. 161)
Au Laos, le 16e parallèle coupe le pays en deux. Les Anglais n’occupent pas le Sud mais les Chinois sont au Nord alors que les Japonais se sont retirés en passant par la Thaïlande. L’occupation chinoise n’a donc pas lieu d’être. Or les Chinois sont présents et encouragent même un mouvement procommuniste, le « Lao Issara » qui a constitué à Ventiane « un gouvernement populaire provisoire Lao ». Le premier ministre Petsarath, mis en place par les Japonais, fait appel au Vietminh. Pour autant, le roi Sisavang Vong a réaffirmé la déclaration de protectorat aux Français. Le 10 octobre, le roi destitue Petsarath qui forme alors un nouveau gouvernement avec le prince Souphanouvong, son demi-frère, futur chef du Lao Issara (voir 30 octobre). Apparaît dans la pays une « armée de libération » encadrée par le VM (De Folin, 1993, p. 130 ; Gras, 1979, pp. 83-84).
Paris donne le feu vert à D’Argenlieu pour ouvrir des discussions avec le VM sur toute l’Indochine. De Gaulle ne donne curieusement aucune directive à l’amiral et aucune réunion n’est convoquée à Paris sur ces discussions jusqu’à son départ des affaires le 20 janvier 1946. Les problèmes sont pourtant graves au vu de la situation à laquelle les Français sont confrontés : brimades, intimidation, brutalités, assassinats, tentatives d’empoisonnement… De Gaulle semble s’en désintéresser (De Folin, 1993, p. 134 ; sur les brutalités, Salan 1, 1970, p. 200).
Selon le général Pechkoff, diplomate gaulliste qui dirige la Mission militaire française en Chine (M.M.F.) et ambassadeur de France à Chungking, Tchang Kaï Chek fait savoir qu’il aidera De Gaulle à restaurer la souveraineté de la France en Indochine. De Gaulle le croit sur parole (voir 8 décembre 1943). Dans les faits, l’attitude du dirigeant chinois est beaucoup plus ambiguë qu’il n’y paraît. Les Chinois ne font rien pour aider le retour des derniers soldats de la brigade Alessandri au Tonkin, trop heureux de l’occuper seuls (De Folin, 1993, p. 73 et pp. 117-118).
D’Argenlieu quitte Chandernagor pour Chungking (capitale provisoire du gouvernement nationaliste chinois) où il doit prendre contact avec Tchang Kaï Chek. Dans un premier temps, il est reçu par le président du Comité exécutif, T.V. Soong (beau-frère de Tchang Kaï Check). Ce dernier, devant s’absenter, laisse la suite des discussions au ministre des Affaires étrangères qui s’était entretenu avec De Gaule à Paris et lui a assuré que la Chine n’avait aucune visée sur l’Indochine. Celui-ci le rassure en lui disant que l’on applique simplement les accords de Postdam. D’Argenlieu l’informe du départ de Decoux compromis avec les Japonais, ce qui agrée les Chinois. A 17 h 00, à l’occasion de la fête nationale à Chunking, réception diplomatique par Tchang Kaï Check en présence de Mao Tsé Toung puisque nationalistes et communistes ont combattu ensemble l’occupant japonais depuis 1937. Les États-Unis sont attachés à cette cohabitation entre les deux chefs ennemis (D’Argenlieu, 1985, pp. 66-69). Des allusions sont faites au retour de la France au Tonkin. Salan est chargé de négocier la relève des troupes chinoises. Il doit également négocier le retour des troupes françaises de Chine (De Folin, 1993, p. 135).
11 octobre 45 : Tran Van Giau (chef du Comité du Nam Bo) lance une attaque contre l’aéroport de Saigon gardé par les Anglais et sur les accès à la ville défendus par des troupes franco-anglaises. Un officier et 4 Gurkhas sont tués. Cédile pense qu’il est désormais impossible de négocier avec le VM débordé par ses extrémistes. Le général Gracey décide quant à lui d’avoir recours à la force (De Folin, 1993, p. 108 et 111).
Henri La Laurentie (directeur des Affaires politiques au ministère des Colonies) en disgrâce auprès de De Gaulle depuis ses déclarations à la presse du 14 septembre écrit à son ministre de tutelle : « Tout me donne l’impression que le Gouvernement et le Haut-Commissaire jouent à cache-cache. D’un côté et de l’autre, il faudrait savoir ce que l’on veut, et le dire avec franchise. Pour ma part, je suis d’avis de traiter avec le nationalisme annamite ; le sursis relatif qui nous est donné par l’Amérique ne tardera pas à prendre fin. Si nous n’avons pas conclu au paravent, nous n’aurons plus aucun moyen de le faire par la suite. » (cité in Turpin, 2005, p. 152) Sans démissionner dans l’immédiat mais en durable désaccord avec la politique gouvernementale, il demande à René Pleven de le remplacer à son poste.
12 octobre 45 : Opérations de dégagement dans la banlieue nord de Saigon et du port par les Franco-britanniques afin de permettre le ravitaillement. Les Vietnamiens résistent peu.
Rencontre de Tchang Kaï Chek et de D’Argenlieu à Chungking. Tchang « confirme que son gouvernement, loin d’avoir des vues intéressées sur le Tonkin, ne désire, ne veut qu’une chose : que s’améliorent les relations entre la Chine et la France. » Des projets d’accord sont en cours. Le généralissime n’est officiellement pas au courant « des malentendus d’Hanoi » occasionnés par le général Lou Han. Selon lui, tout va se régler à l’amiable, au Laos comme ailleurs… (D’Argenlieu, 1985, p. 70).
Pour autant, dans une conférence de presse, De Gaulle dénonce l’obstruction et l’attitude des Chinois face au retour des Français en Indochine : « Je ne puis pas dire que, jusqu’à aujourd’hui, le comportement du commandement chinois et des troupes chinoises dans le Nord de l’Indochine soit exactement conforme aux déclarations qui ont été faites par le Gouvernement de Tchong King [Chunking]. Nous espérons fermement qu’il va le devenir. » (cité in Turpin, 2005, p. 174) De Gaulle fera également connaître à plusieurs reprises son mécontentement aux Américains (voir 1er octobre), notamment par la voix du général Juin.
Sainteny rencontre une première fois Nguyen Haï Tan du D.M.H. prochinois. Il le reverra le 15 mais le considèrera comme « un personnage terne, ne jouissant d’aucune autorité et ne disposant d’aucun moyen. » Il essaie ensuite de rencontrer deux fois Bao Daï qui se dérobe. HCM lui apparaît donc être le seul interlocuteur crédible (Sainteny, 1967, p. 162). Sainteny le reverra le 15, sans que cette seconde rencontre aboutisse au moindre accord. Les nationalistes prochinois n’ont qu’une idée en tête : profiter de la présence chinoise pour confisquer le pouvoir au VM. Ils menacent HCM d’un coup de force. Ce dernier, affaibli pour l’instant, devra céder, du moins en façade, pour ne pas contrarier les Chinois (voir 23 octobre) (Devillers, 1988, p. 105).
13 octobre 45 : Leclerc écrit à De Gaulle son premier rapport sur la situation en Indochine. Cette lettre, remise par le colonel Fay, évoque son arrivée en Indochine : « Ce serait une erreur absolue de négocier d’une manière sérieuse avec les représentants du Vietnam, le Vietminh, avant d’avoir montré cette force. Je peux aujourd’hui vous l’affirmer, tout ce qui est jaune en profiterait, non pas pour exécuter les traités mais pour abuser d’avantage de cette marque de faiblesse ; j’en suis sûr et je le constate tous les jours. Au contraire, en montrant notre force et après l’avoir montrée, nous pourrons négocier, accorder tous les avantages que vous estimerez légitimes […] J’estime qu’il n’y a qu’un moyen et un seul, c’est le débarquement au Tonkin […] Les indigènes tonkinois résisteront, mais la question sera vite résolue. » (De Folin, 1993, p. 131 ; Pedroncini, 1992, p. 157 ; Turpin, 2005, p. 162). Il enrage à nouveau face à la lenteur des transports de troupes : « Ce ne sont pas des moyens supplémentaires que je vous demande mais toujours cette fameuse 9e division d’infanterie coloniale que je supplie sans succès depuis deux mois et demi de faire transporter. » (Pedroncini, 1992, p. 184).
D’Argenlieu repart de Chungking pour Chandernagor.
14 octobre 45 : De Gaulle reçoit, en secret mais longuement, l’amiral Decoux dans sa résidence de Neuilly. L’accueil est glacial. Le Général lui reproche son comportement après l’armistice de 1940, de ne pas avoir rejoint la Résistance en 1941, les « louanges au Maréchal » mais lui confie : « Je reconnais qu’en ce qui concerne vos rapports avec les Japonais, vous avez résisté par tous les moyens en votre pouvoir, aux entreprises de l’ennemi sur l’Indochine. » (Decoux, 1949, pp. 476-481)
Au Laos, le mouvement Lao Issara forme un « gouvernement du Laos libre » dirigé par Tiao Khammao. Le ministre des Affaires étrangères est le prince Souphanouvong (Devillers, 2010, p. 328).
15 octobre 45 : Première rencontre entre Sainteny et HCM. Ce dernier est considéré par son interlocuteur comme « une personnalité de premier ordre » (Sainteny, 1970, p. 73) et ce, d’autant plus qu’il est relativement conciliant, si l’on excepte toutefois son rapport farouche à l’indépendance. Mais il demeure un interlocuteur à la fois modéré et déterminé : « Ho Chi Minh estime qu’il faut procéder par empiètements successifs. Il répugne à la violence et pense atteindre plus sûrement son but en négociant. Il n’hésitera pas à nous accorder des concessions qui, tout compte fait, seront dans son esprit moins onéreuses qu’un conflit sanglant. » (Sainteny, 1967, p. 166).
HCM adresse un message aux Français d’Indochine : « La lutte que nous menons n’est pas dirigée contre la France ni contre les Français honnêtes, mais contre la domination cruelle en Indochine du colonialisme français […] Est-ce vous, cultivateurs, commerçants, industriels en Indochine qui en profitez ? Avant de vous répondre, je vous prie de vous mettre à notre place. Si des étrangers venaient vous imposer tout ce cortège de maux et de souffrances, que feriez-vous ? Je suis absolument sûr que vous lutteriez jusqu’à votre dernière goutte de sang contre cette domination […] » (cité in extenso in Devillers, 2010, pp. 425-427)
Arrivée à Saigon de La Gloire transportant les premiers éléments de la 2e D.B. soit 330 hommes. Le débarquement du complément sera échelonné jusqu’au 30 : 440 hommes à bord du Suffren le 19, 785 à bord de La Ville de Strasbourg le 21, 234 à bord du Béarn et le 30, 283 hommes à bord du Quercy (Bodin, 1996, p. 15). Certes des renforts arrivent mais toujours au compte-gouttes.
Au Cambodge, Sihanouk a dû nommer à la tête du gouvernement le nationaliste Son Ngoc Tranh sous la pression des Japonais (voir 9 août, 8 septembre et 3 octobre). Il veut négocier avec la France l’indépendance du pays. Or Sihanouk a fait savoir à D’Argenlieu qu’il entendait négocier avec la France, sans se préoccuper de cette question d’indépendance du Vietnam qui n’a que peu d’écho dans son royaume. Ayant fait parvenir un commando à l’aéroport de Pochetong, Leclerc se charge d’écarter pacifiquement le premier ministre nationaliste en se rendant lui-même à Phnom Penh et l’embarque cependant manu militari dans son avion pour Saigon sans autre forme de procès. Sihanouk, absent, découvre la situation le soir même à son retour. Son Ngoc Thanh est envoyé à la prison de Saigon, jugé par une cour martiale et condamné à 20 ans de travaux forcés et à 20 ans d’interdiction de séjour en Indochine. Il est envoyé d’office en exil à Poitiers où sa peine est commuée en résidence surveillée. Son Ngoc Thanh sera remplacé par le prince Monireth, ancien officier du 5e R.I.C. et oncle du roi favorable à la déclaration du 24 mars (Gras, 1979, p. 55 ; Chaffard, 1969, p. 70-71 ; Tong, 1972, p. 39). Le ministre de la Défense, Kim Tith, se rallie aux Français, tandis que le ministre de l'Économie, Pach Choeun, prend le maquis. Leclerc nomme le lieutenant-colonel Huard au poste de commissaire de la République par intérim. Il sera reçu par le roi dès le 17 (Cambacérès, 2013, p. 53).
Poursuite de l’arrivée des premiers éléments de la 2e D.B. du lieutenant-colonel Massu en Cochinchine (Pedroncini, 1992, p. 393).
Mi-octobre 45 : Messmer et son compagnon Marmont, tous deux prisonniers du VM, parviennent à s’enfuir et cherchent à rejoindre Hanoi (Messmer, 1992, p. 160). Là, ils parviennent à fausser compagnie au VM et se constituent prisonniers auprès des troupes chinoises d’occupation. Ils seront confortablement détenus par elles jusqu’au 26.
16 octobre 45 : Rencontre à Chandernagor entre D’Argenlieu et le général Salan en partance pour aller rejoindre Leclerc en Indochine (Salan 1, 1970, p. 167). D’Argenlieu lui propose trois fonctions dont celle d’adjoint à Leclerc (Salan 1, 1970, p. 169). Salan dit à l’amiral que sa présence à Saigon « est peu opportune ». Il lui est répondu : « J’ai reçu du général De Gaulle l’ordre de m’y rendre, j’exécute, il n’y a plus d’indécision dans mon esprit. Je partirai à la fin de la semaine prochaine. » (Salan 1, 1970, p. 171) Leclerc, comme Salan, n’est pas favorable à l’arrivée immédiate de l’amiral, estimant que « pour le moment, c’est une affaire de militaires. » (Salan 1, 1970, pp. 173-174) Et non de politiques…
La Laurentie (directeur des Affaires politiques au ministère des Colonies) tente à nouveau par le biais du Commindo d’infléchir la politique de D’Argenlieu et Leclerc. Il revient sur le fait qu’il est important de considérer que le VM est devenu « la vedette devant le monde et que nous ne parviendrons pas à le déconsidérer. » Sans parler d’indépendance immédiate, il évoque une « indépendance à terme […] comportant la collaboration en matière militaire, culturelle et économique. » Fidèles à De Gaulle, le ministre des Colonies (Pleven) et le Cominindo rejettent cette sage proposition (Turpin, 2005, pp. 165-166).
Dans une lettre adressée à son directeur de Paris, Soulet, directeur de la banque franco-chinoise à Saigon, se plaint du comportement du personnel administratif et militaire venu de la métropole car ignorant tout de l’Indochine : « La Mission Française composée de fonctionnaires d’Afrique, nous considère assez volontiers comme des Français de seconde zone, ayant sur les colonies des idées périmées. Il n’y a à souhaiter que les nouveaux venus fassent mieux dans l’intérêt de la France et de l’Indochine, que ceux qui les ont précédés. » (citée in Turpin, 2005, p. 167, note 73).
17 octobre 45 : Au Cambodge, mise en place du gouvernement Monireth favorable aux Français. Il demeura en place jusqu’au 14 décembre 1946 (Jennar, 1995, p. 142).
18 octobre 45 : D’Argenlieu adresse à De Gaulle un rapport sur la situation en Indochine. Il préconise un rapport de force et écrit : « Pourquoi ces troubles si profonds, graves et généralisés ? Nous le voyons clairement maintenant par interrogatoires, renseignements de toute sorte : c’est parce que la France a été et est encore considérée comme vaincue. Vaincue en 40 et vaincue en mars 45. Comment faire disparaître cette conviction, condition sine qua non pour notre rétablissement dans ce pays ? En montrant notre force. Ce serait donc une erreur absolue de négocier d’une manière sérieuse avec les représentants du Viet-Minh avant d’avoir montré cette force. » (cité in Isoart, 1982, p. 68)
Dans un échange avec De Gaulle, Leclerc s’attaque à nouveau à la déclaration du 24 mars qui « entend faire du nouveau, en substituant à l’administration coloniale directe des gouvernements largement autonomes au sein de la Fédération indochinoise. » (Turpin, 2005, p. 140) De Gaulle lui répondra le 27.
De son côté, l’amiral applique plus que jamais la politique du « diviser pour régner » : « C’eut été grave erreur de prendre position en s’appuyant prématurément sur lui [le G.R.A.] Il faut garder des contacts avec les hommes du G.R.A. comme avec d’autres mouvements. Il y a au Viet-Minh des hommes sincères et convaincus. Ils sont gagnés à la main par leurs bandits et spécialement les jeunes. Leur action prend de plus en plus des allures totalitaires et c’est merveille de voir, une fois encore, au nom de l’indépendance et des principes démocratiques, enfanter un mouvement aux allures fascistes. La Charte de l’Atlantique et celle des Nations Unies n’ont pas comme dessein d’enfanter, nourrir et élever semblable progéniture. » (cité in Turpin, 2005, p. 164)
19 octobre 45 : Arrivée de la suite d’éléments de la 2e D.B. (lieutenant-colonel Massu) transportés par le Suffren et le Ville de Strasbourg. Sainteny précise qu’il s’agit d’« un corps extrêmement léger, puisqu’il ne comportait que sept mille cinq cents hommes » (Sainteny, 1970, p. 75). D’Argenlieu les qualifie quant à lui de « modeste reliquat de la 2e D.B. » (D’Argenlieu, 1985, p. 72).
20 octobre 45 : HCM donne une conférence de presse : « Nous sommes déterminés à lutter jusqu’à la dernière goutte de sang contre les colonialistes français qui tentent de rétablir leur souveraineté sur ce pays par la force. » (cité in Isoart, 1982, p. 69)
Sur demande du général Wedemeyer (chapeautant l’état-major de l’O.S.S. en Chine, voir 4 octobre), retrait effectif des membres de l’O.S.S. au nord du 16e parallèle. Elle fait suite l’éviction du major Archimedes Patti par sa hiérarchie. Ce dernier est de retour aux U.S.A. (Pedroncini, 1992, p. 63).
Embarquement à Marseille du gros de la 9e D.I.C. de Valluy transportée par des navires britanniques (Turpin, 2005, p. 123). C’est cette unité que Leclerc attend avec impatience.
Au Cambodge, Leclerc, se souvenant de ce qui s’est passé à Saigon avec le 11e R.I.C., donne des instructions suivantes au lieutenant-colonel Huard (assurant l’intérim de commissaire de la République avant l’arrivée du général Alessandri) : « Triez donc soigneusement vos Français : anciens prisonniers de guerre, ne demandez à réarmer que ceux dont vous êtes sûrs au point de vue attitude et discipline. Refoulez-moi les autres à Saigon. » (Turpin, 2005, p. 167).
21 octobre 45 : Référendum en France qui approuve la création d’une Assemblée constituante. Deux questions ont été posées. La première porte sur la rédaction d’une nouvelle constitution (soutenue par De Gaulle) et est approuvée à 96 % des suffrages exprimés. La seconde porte sur les pouvoirs de cette assemblée. Redoutant une prépondérance des communistes au sein de celle-ci, De Gaulle a prévu un texte limitant strictement ses prérogatives : sa durée est restreinte à sept mois ; le projet constitutionnel qu'elle a pour mission d'élaborer sera soumis au référendum populaire (et sera rejeté le 5 mai 1946) ; elle ne peut renverser le gouvernement que par une motion de censure votée par la majorité absolue de ses membres. Cette deuxième question limitant les pouvoirs de l’assemblée constituante est approuvée à 66 % des suffrages exprimés.
En parallèle à ce référendum, on procède à des élections afin d’élire une assemblée législative. Ces élections amorcent un accord de gouvernement basé sur le tripartisme : le P.C.F. a obtenu 26,2 % des voix, le M.R.P. 25,6 % et la S.F.I.O. 24,6 %. Une majorité de gauche émerge donc de ce scrutin puisque le total des députés communistes et socialistes occupent 302 sièges sur 586 mais il n’y aura pas accord de gouvernement entre les 2 vainqueurs (voir 29 janvier 1946) (Pedroncini, 1992, p. 321).
22 octobre 45 : Leclerc a envoyé son conseiller Paul Mus à Chandernagor. Une note de Mus dont Leclerc partage le point de vue conseille à D’Argenlieu de différer son arrivée « quel que soit l’avis de Paris ». Ce qui a le don d’agacer l’amiral qui répond courtoisement au général en lui précisant qu’il arrivera… le 31. L’amiral demande à son subordonné de ne pas employer le mot « « reconquête » […] [car] ce serait à [son] avis une grave erreur politique […] de laisser s’accréditer cette idée ou ce rêve. » D’Argenlieu s’empresse d’aller rendre compte de ces différends à De Gaulle en y allant pas de main morte pour contrer son subordonné (D’Argenlieu, 1985, pp. 72-74).
Suite aux demandes répétées de Leclerc et des Britanniques en faveur d’un nouveau texte sur le statut de l’Indochine plus libéral que celui du 24 mars, De Gaulle réaffirme : « Il est exclu que le gouvernement français fasse actuellement une nouvelle déclaration concernant l’Indochine. Celle de mars se suffit à elle-même. Le fait d’en édicter une nouvelle dans les circonstances présentes aurait toutes les apparences d’une reculade qui compliquerait d’avantage la situation en Indochine. » (cité in Isoart, 1982, p. 64, note 202)
Au Cambodge, une proclamation de Sihanouk indique : « Les obstacles [voir 15 octobre] qui s’opposaient depuis plusieurs mois à la reprise des relations traditionnelles d’amitié de notre Royaume avec la France ont aujourd’hui disparu. » (cité in Chaffard, 1969, p. 71).
23 octobre 45 : Premier accord signé entre le Vietminh et le parti nationaliste Dong Minh Hoi et d’autres nationalistes soutenus par les Chinois. Face à la pression, HCM ne peut que transiger. Un second accord puis un troisième seront élaborés les 18 novembre et 23 décembre. Pour le VM, ces accords ont été signés sous la contrainte, du fait de la présence chinoise. Ce type d’accord ne parvient pas pour autant à endiguer une violente agitation nationaliste prochinoise, notamment à Hanoi.
Arrivée du général Salan à Saigon sur demande de Leclerc (Salan 1, 1970, p. 173). Il connaît l’Indochine où il a eu des fonctions de 1924 à 1937. Leclerc lui propose d’entrée le poste de commandant du Nord et des troupes de Chine en remplacement du général Alessandri (voir 1er novembre) qui est quant à lui nommé au Cambodge au poste de commissaire de la République (Salan 1, 1970, p. 174). Lors d’un entretien avec Salan, Leclerc résume la situation : « Certes nous sommes courts, j’ai seulement le détachement Massu de la 2e D.B., j’attends la 9e D.I.C. de Valluy et la 1ère D.I.C.E.O. devenue 3e D.I.C. de Nyo. Je dispose des « gars » de Saigon que j’ai repris en main et qui sont utilisables [11e R.I.C.]. » (cité in Turpin, 2005, p. 123)
Au Cambodge, Norodom Sihanouk accepte de lire un texte préparé par le Résident supérieur français (le lieutenant-colonel Huard) dans lequel il déclare sa loyauté et celle du peuple cambodgien à la France et son appui aux plans français de création d'une Fédération Indochinoise dans le cadre de l'Union Française.
24 octobre 45 : Le secrétaire d’État britannique à la Guerre souligne que l’intervention militaire britannique dans la région de Saigon doit être strictement limitée dans le temps et dans l’espace (Pedroncini, 1992, p. 53).
Passant outre l’avis des Américains, les Britanniques autorisent le général Blaizot et sa mission faite de quelques hommes à s’installer à Kandy. Mais Blaizot arrive seul, sans le régiment commando dit « Corps léger d’intervention » (C.L.I.) qui a dû rester en Afrique du Nord faute d’un accord des Combined Chiefs of Staff (état-major combiné anglo-américain) pour son transfert par bateaux (Pedroncini, 1992, p. 84). Ses moyens demeurent donc des plus limités.
Lancement de l’opération Moussac en vue de reconquérir le Sud : cavaliers et fantassins du groupement Massu se heurtent rapidement aux obstacles dressés par le VM. La progression est sans cesse ralentie par des coupures de ponts ou de routes. Le VM a mobilisé pour accomplir ces destructions la population civile au moyen de réquisitions. Il faut 3 jours pour parcourir les 70 km qui séparent Saigon de Mytho. Les Français découvrent qu’ils sont ici strictement tributaires des axes de communication autour desquels, du fait de la végétation et de la présence de l’eau, le VM tend des embuscades meurtrières (Cadeau, 2019, p. 155).
24 - 25 octobre 45 : Les troupes britanniques atteignent Bien Hoa et Thu Dau Mot, zone dans laquelle ils vont pouvoir désarmer les 60 à 70 000 Japonais qui se trouvent au sud du 16e parallèle (Gras, 1979, pp. 53-54).
25 octobre 45 : Poursuite du dégagement de la zone sud de Saigon (opération Moussac) au moyen de raids rapides opérés par des troupes purement françaises. Prise de Mytho (60 km de Saigon) par le groupement du lieutenant-colonel Massu et le commando Ponchardier qui opère par voie fluviale (Gras, 1979, pp. 58-59). Une conférence des dirigeants vietminh sudistes se tenait à Mytho en présence de Hoang Quoc (représentant HCM et du Comité central), Le Duan et des membres de récemment libérés de Poulo Condore qui échappent de justesse aux Français (Francini 1, 1988, p. 246).
Rencontre Salan-Gracey en présence de Leclerc. Gracey déclare à Salan, qui va être nommé le 1er novembre commandant des troupes françaises de Chine et du Tonkin, « vous arrivez à point, mais vous aurez des ennuis avec les Chinois dans le Nord. » (Salan 1, 1970, p. 185).
D’Argenlieu met en garde Leclerc et lui demande d’« éviter de compromettre l’avenir par des effusions de sang entre français et Annamites. » Ce qui lui avait conseillé Sainteny dans son rapport du 3 (Pedroncini, 1992, p. 157).
D’Argenlieu annonce son arrivée à Leclerc pour le 31 par une lettre remise directement à Paul Mus à Chandernagor. Il lui confirme l’envoi de renforts. Il précise : « Par contre, je vous redis et avec une entière conviction qu’il ne me paraît pas opportun de parler de « reconquête ». Le mot n’est rien – c’est la chose qui importe. Ce serait à mon avis une grave erreur politique – sur le plan intérieur et extérieur – de laisser s’accréditer cette idée ou ce rêve. » Il s’efforce de modérer l’habituelle fougue du général qu’il sait grande : « Sachons modérer nos légitimes ardeurs pour éviter de compromettre le lendemain par des effusions de sang entre Français et Annamites, sans nécessité absolue. » (cité in Bodinier, 1987, p. 199)
26 octobre 45 : Sainteny récupère Messmer et son compagnon Marmont qui ont été finalement libérés par les Chinois qui les détenaient jusqu’alors (Messmer, 1992, p. 166).
D’Argenlieu écrit à De Gaulle. Il évoque le comportement de Leclerc. Il déplore d’entrée : « Faut-il ajouter que j’ai dû écarter les objections tenaces du général Leclerc à ma venue. Cette persévérance à vouloir rester seul est à la fin fatigante. Mais elle s’accompagne de sa part de mille initiatives hors de propos et, rien que pour mettre de l’ordre dans le commandement, il est devenu nécessaire que je sois là-bas […] Leclerc est déjà tout acquis au rêve d’une « reconquête ». C’est plus fort que lui. J’estime que ce rêve est à écarter. Nous ne sommes pas venus ici pour planter de nouveaux lauriers à la faveur de durs combats contre l’ennemi. Nous avons à rétablir l’ordre et la fermeté au sein de populations amies, partiellement détournées de nous par la double complicité des Japonais et des nationalistes extrémistes [...] » (D’Argenlieu, 1985, pp. 73-74) Il entend par sa future présence en Indochine modérer le bouillant général devenu trop indépendant à son goût (voir 25 octobre).
27 octobre 45 : Réponse de De Gaulle au courrier de Leclerc du 13 octobre 1945 : « Mon cher ami, j’ai reçu votre lettre, apportée par le colonel Fay, et tiens à vous dire que votre conception est la bonne […] Nous n’avons rien à conclure avec les « locaux », tant que nous n’aurons pas la force. Jusque-là, nous pouvons, avec prudence et selon l’opportunité, prendre certains contacts, mais c’est tout. » (cité in Turpin, 2005, p. 163 et Ruscio, 1985, p. 97, note 3) De Gaulle est donc favorable à un retour en force en Indochine et surtout n’est prêt à négocier, comme Leclerc, qu’en position de force. D’Argenlieu, plus modéré, est alors plus ou moins en phase avec son subordonné.
28 octobre 45 : Prise par les Français de Go Cong (sud de Saigon).
Arrivée du matériel lourd de la 2e D.B. embarqué à bord du Béarn.
Pignon (conseiller de Sainteny) adresse un rapport à D’Argenlieu qui est, pour l’instant, toujours à Chandernagor. Le VM « ne doit pas être traité à la légère. Il est le fait d’une minorité, certes, mais sa naissance, ses manifestations du début, lui ont acquis l’adhésion sentimentale des classes pauvres, à la campagne autant que dans les centres […] » Il dresse un tableau très sombre de la situation au Tonkin : désorganisation complète des voies de communication, inondation qui a submergé des milliers d’hectares de rizières, disette, services publics en plein marasme, fonctionnaires non payés, graves dissensions au sein du G.R.A. entre le VM et le D.M.H. Seules les classes aisées soutiennent discrètement les Français mais, sans exprimer ce soutien, car la terreur règne partout. Les Chinois dévalisent le pays. Le G.R.A. n’entend pas traiter avec les Français. Leur mot d’ordre du moment est particulièrement tranchant : « Qu’importe que deux millions de nos compatriotes meurent de faim cet hiver pourvu que triomphe la cause de l’indépendance. » (Devillers, 1988, pp. 105-108).
29 octobre 45 : Prise par les Français de Vinh Long (sud-ouest de Saigon).
Leclerc confie à Salan (futur commandant du Nord et des troupes de Chine) la préparation du retour des troupes françaises au Tonkin. Sont concernées celles qui viendraient du Yunnan et celles qui arriveraient de Cochinchine après un débarquement. Il a pour mission d’éviter tout conflit avec les Chinois (voir 1er novembre). Il rejoindra Hanoi le 1er novembre (Gras, 1979, p. 85).
30 octobre 45 : Prise par les Français de Can Tho (à l’entrée de la presqu’île de Camau).
Leclerc transmet à Salan un premier plan de débarquement pour le Tonkin (voir 10 décembre) (Ruscio, 1985, p. 97).
Au Laos, la fusion de deux mouvements, celui du prince Souphannouvong (pro-vietminh) et celui du vice-roi Petsarah (nationaliste réclamant l’indépendance contre la volonté du roi) donne naissance au Lao Issara, avec la bénédiction des Chinois. Une convention militaire est signée avec le VM (Gras, 1979, pp. 83-84).
31 octobre 45 : D’Argenlieu prend ses fonctions à Saigon. Leclerc avait envoyé Paul Mus (son conseiller politique) à Chandernagor afin de l’y retenir, avant la fin des opérations de pacification en Cochinchine et au Cambodge (voir 22 octobre). Celui-ci n’a pas obtempéré (voir 16 octobre). Les relations entre les deux hommes demeurent et demeureront toujours très délicates, Leclerc supportant difficilement d’être le simple subordonné de l’amiral. Francini évoque « une antinomie fondamentale de tempérament » même si « […] Leclerc et D’Argenlieu partagent la même idée de la France tutélaire et protectrice, seule capable de guider des peuples, jugés encore incapables d’exercer leurs propres responsabilités, vers les lendemains prometteurs de progrès économiques et d’indépendance. » (Francini 1, 1988, pp. 248-249) Ce qui est peut-être l’essentiel.
D’Argenlieu va procéder assez rapidement à une épuration à la Française, brutale, humiliante affectant l’armée, l’administration voire certains colons. Ce faisant, il crée des tensions dans la société indochinoise qu’il connaît mal.
Fin octobre 45 : Début des négociations entre HCM, Sainteny et Pignon dans le plus grand secret, sans procès-verbaux. Les Américains sont pourtant mis au courant, probablement par le VM. D’Argenlieu est informé de leur contenu et s’instaure en arbitre. Paris est tenu à l’écart ou se tient volontairement à l’écart de ces négociations (voir 10 octobre 1945). Elles vont, selon Sainteny, durer « sept mois entrecoupés de toutes les alternatives possibles d’espoir et de découragement. » (De Folin, 1993, p. 136).
Au Sud, les effectifs des troupes britanniques s’élèvent désormais à 22 190 hommes. Ceux des Français à seulement 4 475 (Pedroncini, 1992, p. 393).
Au Cambodge, après un échange de lettres évoquant une situation complexe, une délégation menée par le prince Monireth, nouveau chef du gouvernement, est reçue par D’Argenlieu. Celui-ci décide de faire étudier un statut provisoire de transition qui est confié au nouveau commissaire de la République, le général Alessandri. Ce statut aboutira au modus vivendi du 7 janvier 1946.