Novembre 69 : Henry Cabot Lodge démissionne de son poste d’ambassadeur aux entretiens de Paris pour manifester son mécontentement devant la lenteur des négociations. Nixon refuse de le faire remplacer. Les N-V craignant une reprise des bombardements, Kissinger y voit l’occasion de reprendre les négociations secrètes auxquelles Nixon ne croit guère avant d’avoir tout d’abord infligé aux N-V une sévère défaite militaire. Nixon demande à Kissinger d’être ferme dans le ton des discussions (Kissinger 1, 1979, pp. 433 et 455).
3 novembre 69 : Discours musclé de Nixon. Il est écouté par 50 millions d’Américains. Il vise la grande majorité silencieuse inquiète des bouleversements sociaux et politiques qui ont agité le pays depuis 10 ans. Chronologiquement, il se situe – et ce n’est sans doute pas un hasard – entre la manifestation du Moratoire du 15 octobre et celle prévue par la New Mobe du 13 au 15 novembre (voir 2 et 6 juillet).
Après avoir justifié l’intervention américaine au S-V pour défendre la liberté d’un peuple menacé par le communisme, Nixon s’oppose à l’idée d’un retrait unilatéral des forces américaines qui « permettrait inévitablement aux communistes de répéter les massacres qui avaient suivi leur prise de possession du Nord [...] Notre défaite et notre humiliation au Sud-Vietnam rendraient incontestablement téméraires les dirigeants de ces grandes puissances qui n’ont pas encore renoncé à leurs rêves de conquête du monde. Elles feraient jaillir l’étincelle de la violence partout où nos engagements contribuent au maintien de la paix, au Moyen-Orient, à Berlin, éventuellement même dans l’hémisphère occidental. » Il expose son plan de paix identique à celui de son discours du 14 mai : un retrait bilatéral sur un an de toutes les forces occupant le S-V, le tout supervisé par un contrôle international.
Mais ce discours est aussi une réponse musclée à l’Amérique profonde adressée à tous ceux qui sont indignés par les manifestations violentes, l’éclatement des valeurs traditionnelles, la musique rock et la présence des hippies au cœur de la société américaine. C’est donc un discours offensif qui demande à cette majorité silencieuse de ne plus l’être et de défendre ses convictions aux côtés du président. En conclusion, Nixon en appelle au peuple américain : « Ainsi, ce soir, je vous demande votre soutien, à vous la grande majorité silencieuse de mes compatriotes américains. » Il rappelle ses engagements de mettre fin à la guerre et ajoute : « Plus je serai soutenu par le peuple américain, plus tôt cette promesse pourra être tenue ; car plus nous serons divisés chez nous, moins l’ennemi acceptera de négocier à Paris. Soyons unis pour la paix. Soyons également unis contre la défaite. Comprenons bien que le Nord-Vietnam ne peut vaincre ni humilier les États-Unis. Seuls les Américains peuvent le faire. » (Nixon, 1985, pp. 124-125)
Il est entendu car 50 000 télégrammes de soutien arrivent à la Maison Blanche et des dizaines de milliers de personnes descendront dans la rue pour manifester leur soutien à la parole présidentielle (Portes, 2008, pp. 229-230). Les sondages prouvent également que ne sont pas inexistants ceux qui refusent un retrait humiliant du Vietnam et demeurent viscéralement anticommunistes. A l’issue de ce discours, la cote de popularité du président passe de 56 à 67 % (Wainstock, Miller, 2019, p. 256). Selon Nixon qui cite un sondage téléphonique Gallup réalisé juste après son discours, 77 % des auditeurs l’ont approuvé ce soir-là (Nixon, 1985, p. 125).
Le ministre des Affaires étrangères soviétique, Andrei Gromyko, envoie une note aux membres de la conférence de Genève de 1962 sur le Laos. Il proteste contre l’intervention américaine sur le territoire laotien. Sa note évoque une « grave préoccupation » devant « la situation alarmante créée au Laos par la nouvelle escalade de l’ingérence américaine dans les affaires intérieures de ce pays, en particulier la participation de ses forces armées à des actions militaires en territoire laotien. » Le gouvernement soviétique « condamne les activités américaines au Laos et souligne que toute la responsabilité de la dangereuse situation qui s’instaure retombe sur les forces qui sont en train d’ouvrir un nouveau front dans leur guerre d’agression contre les peuples d’Asie du Sud-Est. » (cité in Burchett, 1970, p. 100)
11 novembre 69 : Le journaliste américain et anti-guerre Seymour Hersh qui a révélé le massacre de My Laï (voir 16 mars 1968) rencontre celui qui sera désigné comme l’un des principaux responsables de l’affaire. Il cherchera ensuite dans les 5 mois à venir à rencontrer presque tous les soldats américains impliqués dans l’opération (Carval in collectif, 1992, p. 222).
12 novembre 69 : Sous l’impulsion du récent discours de Nixon, 300 membres de la chambre des Représentants (119 démocrates et 181 républicains) votent une motion de soutien à la politique présidentielle au Vietnam. 58 sénateurs (21 démocrates et 37 républicains) font de même (Nixon, 1985, p. 125).
13 novembre 69 : Selon Debouzy, organisée par Stewart Meacham, la « […] Marche contre la Mort du 13 novembre 1969 […] fut sans doute la plus spectaculaire. Elle commença au crépuscule du côté du pont d’Arlington. Toutes les heures, 1 200 marcheurs traversaient le pont, en file indienne, et se dirigeaient vers la Maison Blanche. Chacun d’entre eux portait une pancarte autour du cou sur laquelle figurait le nom d’un soldat mort au Vietnam ou d’un village détruit. En tête de la marche, des tambours battaient lentement la charge. Pendant 40 heures, sous la pluie, la grêle ou le soleil le défilé de la mort se poursuivit. 45 000 personnes y participèrent. Devant la Maison Blanche les manifestants s’arrêtaient pour dire ou crier le nom d’un mort. Quand ils passèrent devant les bâtiments du gouvernement, en route vers le Capitole, ils déposèrent leurs pancartes portant le nom des morts dans 12 cercueils ouverts alignés sur les marches du Congrès. Chaque fois retentissait un roulement de tambour. » (Debouzy, 2003, p. 30) Réussites d’un jour, les journées du Moratoire et de la New Mobe n’auront pour autant pas de lendemain, ce qui fait leur irrémédiable faiblesse. Et le gouvernement américain n’en est pas dupe (voir 15 novembre) (Portes, 2008, pp. 234-235).
La presse américaine rend compte du massacre de Son Ly (My Laï) (voir 16 mars 1968 et 11 novembre 1969). Un photographe de l’armée ayant pris des clichés (voir 20 novembre) l’a contrainte à ouvrir une enquête, ce qu’elle s’était bien gardée d’ébruiter jusqu’alors. Le cliché est publié par le journaliste anti-guerre Seymour Hersch et est diffusé à la veille de la marche du 15. Mais il faudra encore attendre quelques jours pour que les choses prennent une véritable ampleur (voir 24 novembre). Hersh consacrera d’ailleurs un ouvrage à l’affaire en 1970 (Portes, 2008, pp. 236-237).
15 novembre 69 : Selon Marianne Debouzy, à Washington, « […] le 15 novembre, la foule des manifestants, essentiellement des jeunes blancs des classes moyennes, parmi lesquels on voyait des soldats en uniforme, défila le long de Pennsylvania Avenue en s’inspirant de la symbolique de la manifestation précédente. La foule qui avançait lentement chantait « Donnez une chance à la paix ». Des pancartes disaient : « Hitler aussi avait une majorité silencieuse. » (Debouzy, 2003, p. 30)
Comme lors du Moratorium Day du 15 octobre, on note également la présence de syndicalistes dans les rangs de la manifestation (Debouzy in collectif, 1992, p. 34) Un journaliste du journal Le Monde observe dans son compte rendu : « Si la manifestation a drainé un nombre considérable de jeunes, elle n’a pas « mordu » en revanche sur la population adulte : 8 manifestants sur 10 étaient en effet des étudiants ou des élèves du secondaire. Les Noirs n’étaient guère représentés, malgré la présence de la jeunesse qui forme les rangs des opposants à la guerre et qui constitue une véritable société à l’intérieur des États-Unis. » (Le Monde du 18 novembre 1969)
Analyse « à chaud » et méprisante du sens des manifestations pacifiques estudiantines (notamment celle du Moratoire) dans une réponse faite par Kissinger à un conseiller de Nixon, Pat Moynihan. Le conseiller à la sécurité nationale y voit « un groupe hétéroclite », « des enfants gâtés « victimes » de notre société de consommation », qu’il faut craindre car ayant « une influence considérable » sur les votes et pour lesquels « le Vietnam n’est qu’un symptôme ». (Kissinger 1, 1979, pp. 314-315)
16 – 17 novembre 69 : Le poste cambodgien de Dak Dam situé dans la province de Mondolkiri est attaqué à plusieurs reprises par l’aviation américaine. 56 officiers et hommes de troupes sont tués ou portés disparus (Sihanouk, 1979, p. 251).
20 novembre 69 : Le Plain Dealer de Cleveland publie à son tour les photographies de Ron Haeberle sur le massacre de My Laï (Burns Siger, 1992, p. 110).
Contrairement aux affirmations officielles, le département de la Défense américain est contraint de reconnaître avoir perdu au Laos 160 Américains « portés disparus [...] dont deux avaient été probablement faits prisonniers. » (Burchett, 1970, p. 107)
24 novembre 69 : Une interview de Paul Meadlo (un autre soldat présent à My Laï) par le journaliste de C.B.S. Mike Wallace confirme les premières allégations de Seymour Hersh publiées dans la presse le 13 novembre et témoigne du massacre de femmes et d’enfants dans la localité le 16 mars 1968 (Carval in collectif, 1992, pp. 222-223).
25 novembre 69 : Le gouvernement et la Haute Assemblée s-v demandent la communication des documents américains concernant le massacre de My Laï. Un comité s-v issu de la Haute Assemblée y travaille du 1er au 4 décembre puis du 10 au 12 décembre. Le rapport final sera présenté à l’assemblée plénière du Sénat réuni à huis clos le 7 janvier 1970. Mais, au bout du compte, le gouvernement cherche à étouffer l’affaire ou, du moins, à en atténuer la gravité, pour ne pas ameuter son opinion publique et nuire ainsi aux relations américano-vietnamiennes. Les rapports officiels et la presse s-v sont en fait truffés de contre-vérités sur la véritable portée des événements (Tran Van Don, 1985, p. 231 et pp. 234-235).
Première réaction publique d’un membre de l’administration Nixon après la révélation de l’affaire de My Laï. Le secrétaire d’État à la Défense Melvin Laird qui se dit « schocked and sick ». (Carval in collectif, 1972, p. 224)
26 novembre 69 : Westmoreland confie au général William Peers le soin de conduire une enquête militaire dans l’affaire de My Laï. La commission Peers part du principe que le massacre a pu exister et se charge de procéder de façon non partisane aux investigations (Huret, 2008, p. 131).
Fin novembre 69 : Un sondage Harris et Gallup pour le Chicago Tribune (non daté mais postérieur aux manifestations) dit que 55 % des Américains se considèrent comme des « Colombes » et 31 % comme des « Faucons » ; 50 % estiment que cette guerre est moralement critiquable et près de 80 % sont lassés par le conflit. Pour autant, 50 % critiquent le Moratoire et 75 % la récente marche sur Washington ; 60 % estiment que les manifestations retardent les chances de paix et apportent un soutien à Hanoi (Portes, 2008, p. 236).