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par Jean-François Jagielski

Novembre 1965

Novembre 65 : Sondage analysant l’évolution de l’opinion publique américaine sur le conflit au Vietnam : pour 64 %, contre 21 %, sans opinion 15 % (Nouilhat in collectif, 1992, p. 60).

Westmoreland, pour passer à la phase II de son plan, demande à l’amiral Sharp (commandant le C.I.N.P.A.C.) un renfort de 154 000 hommes de plus. Il justifie sa demande par un « taux d’accroissement des troupes du Vietcong et de l’Armée du Peuple du Nord Vietnam [qui] est le double de celui des forces des États-Unis prévues pour la Phase II. » Selon lui, on se bat actuellement à 2,5 contre 1 (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 497).

Les premières études montrent le peu d’efficacité de Rolling Thunder : l’économie rurale n-v n’est peu que affectée. L’un des analystes du dossier du Pentagone la juge comme « une colossale erreur de jugement ». Le Vietnam n’est pas un théâtre identique à celui l’Europe durant la Seconde Guerre mondiale. De plus, ni l’armée n-v ni le Vietcong ne combattent comme des forces conventionnelles classiques. Leur ravitaillement demeure modeste et donc peu propice à des frappes aériennes véritablement efficaces (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 500).

2 novembre 65 : Pour protester contre la guerre, un Quaker de Baltimore de 32 ans, Norman Morrison, s'immole par le feu devant le Pentagone, près du bureau de McN. Ce geste glace le secrétaire à la Défense qui refusera de l’évoquer « même avec [sa] famille. » (Prados, 2015, p. 274). Selon l’épouse de Morrison, il s’était immolé « pour exprimer sa peine pour toute les vies perdues et pour toute la souffrance humaine que causait la guerre du Vietnam. » (cité in Wainstock, Miller, 2019, p. 216). Selon Portes, son acte passe assez inaperçu aux États-Unis, tout comme celui de son prédécesseur, Alice Hertz (Portes, 2008, p. 151). Le journaliste du New York Times, Harrison Salisbury, qui obtiendra en décembre 1966 une autorisation gouvernementale pour se rendre au N-V appuyée par sa veuve, observera lors de son séjour à Hanoi « combien la mémoire de Morrison [y] était vénérée. » (Salisbury, 1967, p. 18)

5 novembre 65 : Le sénateur Robert Kennedy défend « le droit de critiquer et le droit d'être en désaccord » avec la politique américaine au Vietnam. Mais il déclare en même temps que donner son sang contre Nord-Vietnam est « dans la plus vieille tradition de ce pays ».

De Gaulle s’entretient avec l’ambassadeur américain à Paris Charles Bohlen. Il lui confie : « La sagesse eût consisté à ne pas se mêler des affaires du Vietnam […] Je crains que vous ne soyez enlisés dans une entreprise dont il vous sera de plus en plus difficile de vous dégager. » (cité in Portes, 2007, p 237)


6 novembre 65 : A Paris, le journal Le Monde diffuse un appel du « Collectif intersyndical universitaire d'action pour la paix au Vietnam » : « Depuis le printemps de cette année un courant de protestation se développe dans les milieux universitaires américains qui retient toute notre attention et appelle notre sympathie. Nous avons donc pris contact avec les groupes et les personnalités ayant exprimé leur opposition et leur avons fait connaître notre

soutien. » (cité in Jalabert, 1997, p. 70 ; non retrouvé dans les archives en ligne du journal à ce jour)


7 novembre 65 : McN rédige une note à l’intention de LBJ. Il se félicite de l’apport de troupes américaines qui ont empêché une « grave défaite militaire ». Il demeure cependant convaincu que les 160 000 hommes sur place et 50 000 à venir ne suffiront pas. Il préconise une pause dans les bombardements pour laisser aux N-V une opportunité diplomatique. Si l’essai n’était pas concluant, au moins cette pause tempèrerait les critiques venues des États-Unis et de l’étranger. LBJ demeure sceptique à la lecture de cette note, les autres pauses dans les bombardements ayant échoué. Hanoi ne peut y voir qu’une position de faiblesse.

Avis partagé par Rusk et McGeorge Bundy : les N-V rusent en faisant miroiter des négociations sérieuses qui ne viendront pas. L’ambassadeur Lodge, Westmoreland, l’amiral Sharp (commandant des forces du Pacifique) et les chefs d’état-major pensent comme eux  (Johnson, 1972, pp. 287-288). Des dissensions apparaissent entre McN, LBJ et une bonne partie de ses conseillers. Il y a de plus en plus de failles au sein de l’administration entre les « faucons » et ceux qui sont en train de devenir « colombes » par la force des choses (McN, Ball, Clifford et même McGeorges Bundy sur la question des bombardements).


9 novembre 65 : Mémorandum de l’ambassadeur-adjoint U. Alexis Johnson à Saigon adressé à Rusk. L’arrêt des bombardements ne peut être conditionné que par l’attitude d’Hanoi et n’est donc pas d’actualité (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 516-517).

Au Cambodge, Sihanouk réaffirme le principe de neutralité du pays devant des hautes personnalités et des membres du corps diplomatique : « Le secret de notre réussite est que nous ne sommes ni « pro-monde libre » comme le souhaiteraient les Khmers serei, ou communistes, comme le voudrait le Pracheachon (Parti du Peuple), valet du Vietminh, ni même des neutralistes  pratiquant un prosélytisme hâbleur et bluffeur. Notre réussite réside dans le fait très simple que nous sommes des Khmers, rien que des Khmers […] » (cité in Sihanouk, 1979, p. 242).


10 novembre 65 : Un mémorandum des chefs d’état-major affirme que le manque de résultats de la campagne aérienne est lié aux restrictions que se sont imposés les États-Unis jusqu’ici puisque la région Hanoi-Haiphong et la zone de la frontière chinoise ont été jusqu’ici épargnées. Ils en appellent à un changement de perspectives et notamment en bombardant les installations pétrolières de stockage à Haiphong sachant que le N-V ne posséde pas de raffineries. Les produits pétroliers raffinés proviennent de la Mer Noire en U.R.S.S. et sont ensuite répartis dans le pays vers 13 points de stockage dont seulement 4 ont été bombardés à ce jour.

C’est une illusion de plus que de croire que le bombardement de ces centres vont bloquer le ravitaillement. Ce que faisait remarquer la C.I.A. dès novembre : « Il est peu probable que cette perte paralyserait les opérations militaires communistes dans le Sud, bien que cela les embarrasserait. Nous ne pensons pas que les attaques en elles-mêmes amèneraient un changement majeur dans la ligne de conduite des communistes, que ce soit dans le sens des négociations ou dans celui d’une extension de la guerre. » (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 506-507)


14 - 19 novembre 65 : Bataille de la vallée de Ia Drang (ouest de Plei Me, près de la frontière cambodgienne). 3 régiments n-v (33e, 66e et 320e régiments) et un bataillon (H15), soit environ 1 700 hommes attaquent le premier et le second bataillons du 7e de cavalerie et le second bataillon du 5e de cavalerie (troupes héliportées, environ 450 hommes issus de la 1st Cav) au milieu d’herbes à éléphant. Il s’agit typiquement d’une hasardeuse opération search and destroy durant laquelle les troupes aéroportées américaines partent à la recherche de l’ennemi, sans trop savoir ce qu’ils vont trouver devant eux.

Les N-V y déplorent 1 800 morts, les Américains 234 soldats tués et 242 blessés, de quoi faussement conforter la théorie du body count. C’est l’utilisation massive de l’aviation américaine qui sauve la mise car les GI’s se battent ici en net sous-effectif. McN en dresse rétrospectivement le bilan suivant : « Les soldats américains, comme on s’y attendait, s’étaient battus avec courage et efficacité. Mais c’étaient les Nord-Vietnamiens qui avaient choisi le lieu, le moment et la durée de la bataille. Ce ne serait que trop souvent le cas tout au long de la guerre. » McN estime à 9 le nombre de régiments n-v qui se sont infiltrés au Sud (McNamara, 1996, pp. 217-218 ; description détaillée de cette bataille in Sheenhan, 1990, pp. 677-687, qui couvre une partie des combats dans un hélicoptère et sur le terrain).


18 – 25 novembre 65 : A Paris, création du « collectif intersyndical universitaire pour la paix au Vietnam » (voir 6 novembre). Il organise la « Semaine universitaire contre la guerre du Vietnam ». Selon Jalabert, « il s'agit donc, dans un premier temps, de se montrer solidaire des manifestants enseignants et étudiants américains hostiles à l'engagement de leur pays au Vietnam. Mais il s'agit aussi d'élargir le débat, et « cette semaine doit se révéler essentiellement comme une semaine d'informations et de discussions, parmi les universitaires et les étudiants, mais aussi entre ceux-ci et le grand public ».

Les universitaires se donnent aussi une mission, pédagogique, qui consiste à diffuser le débat sur le Vietnam au sein même des enceintes universitaires, puis à l'extérieur. L'U.N.E.F. et le S.N.E.Sup organisent notamment dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne une conférence d'information sur la guerre présidée par l'historien et spécialiste de l'Asie du Sud-Est Jean Chesneaux. » (Jalabert, 1997, p. 70)

19 novembre 65 : Tous les moyens d’attaque du VC contre les bases aériennes américaines sont bons : lorsqu’il n’a pas de mortiers, le Vietcong tire des flèches enflammées sur les troupes américaines qui gardent la base aérienne de Qui Nhon.

22 novembre 65 : Le président du H.A.S.C. (House Armed Service Committee, Commission des forces armées de la Chambre des Représentants), L. Mendel Rivers, réclame le bombardement de Haïphong et de Hanoï, déclarant que « c'est une folie de laisser intacts le port d'Haiphong et les objectifs militaires d'Hanoï alors que les munitions utilisées contre nos troupes affluent dans le port ».

Au Sud, 2 navires à propulsion nucléaire américains, un porte-avions et une frégate lance-missiles rejoignent la 7ème Flotte et prennent position face au delta du Mékong.


23 novembre 65 : Westmoreland demande par câble à Washington l’envoi de 200 000 soldats de plus pour 1966. Effectif prévu fin 1966 : 410 000 hommes au lieu des 275 000 prévus initialement. Avec possibilité d’en avoir 200 000 de plus pour 1967. McN constate rétrospectivement  dans ses mémoires : « L’effort américain avait des pieds d’argile : l’instabilité politique s’était accrue ; la pacification enlisée ; le nombre de désertions dans l’armée sud-vietnamienne était monté en flèche. » (McNamara, 1996, p. 218)


24 novembre 65 : Anatoli Dobrynine (ambassadeur d’U.R.S.S. à Washington) fait savoir que son pays est prêt à faire pression sur les N-V en échange d’un arrêt des bombardements durant une période de 2 à 3 semaines (McNamara, 1996, p. 220).


25 novembre 65 : A Pékin, le chef d'état-major des Forces armées républicaines du Kampuchéa (F.A.R.K.), le général Lon Nol, signe avec son homologue chinois un traité militaire secret khméro-chinois par lequel le Cambodge s'engage à accueillir et à protéger les combattants communistes vietnamiens dans les régions frontalières et permettre le passage de matériel en provenance de Chine destiné aux combattants vietnamiens. Ce traité, s’il est dévoilé, fait naturellement perdre juridiquement sa neutralité au Cambodge. Accord secret entre Sihanouk et les communistes vietnamiens : en échange du transit des armes par son territoire, l'armée cambodgienne peut retenir 10 % de l'aide militaire au Vietcong qui transite par le port de Sihanoukville.


27 novembre 65 : Le Pentagone demande que l'effectif de 120 000 hommes soit porté à

400 000 l'année suivante. Westmoreland demande une rallonge de 41 500 soldats américains suite aux infiltrations n-v, ce qui devrait amener le nombre d’hommes à 375 000 (Sheenhan, 1990, p. 687).

Selon Debouzy, « le 27 novembre 1965, toujours dans la capitale, à l’appel de S.A.N.E. [Commettee for a Sane Nuclear Policy], 30 000 personnes défilèrent contre la guerre. » (Debouzy, 2003, p. 29)

Selon Jalabert, à Paris, dans le Quartier latin « le collectif [intersyndical universitaire pour la paix au Vietnam] obtient le soutien de différentes organisations politiques et syndicales étudiantes (E.S.U., U.E.C., J.U.C., Étudiants protestants, E.J.F.) et enseignantes (la section universitaire du P.S.U., la section de la Sorbonne du P.C.F. et les Comités universitaires de paix issus du Mouvement de la paix). Des personnalités n'appartenant pas au monde universitaire appellent aussi à manifester : Simone de Beauvoir, Jean-Louis Bory, Armand Gatti, Alain Resnais, Jean-Paul Sartre, Vercors... L'objet de cette manifestation, selon l'U.N.E.F. et le S.N.E.Sup, est de réclamer « l'arrêt des bombardements de la R.D.V.N. et le retrait des troupes américaines du Vietnam, la reconnaissance du F.N.L. comme seul représentant du peuple sud-vietnamien et le retrait des bases américaines de France ». La première mobilisation d'ampleur en France contre la guerre américaine du Vietnam se déroule au sein de l'Université. » (Jalabert, 1997, pp. 70-71)


28 novembre 65 : Le New York Times annonce, suite au compte rendu de visite de McN au Vietnam, la demande d’un renfort des troupes américaines de l’ordre de 200 000 hommes. Il y a à cette époque environ 184 000 hommes au Vietnam (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 497).

27 - 28 novembre 65 : Le Vietcong inflige de lourdes pertes à l'état-major d'un régiment de l’A.R.V.N. lors d'une attaque d'une plantation d'hévéas Michelin proche du Triangle de Fer (frontière cambodgienne, dans la région de Tay Ninh).

30 novembre 65 : De retour du Vietnam, mémorandum de McN à LBJ contrastant avec l’optimisme de celui du 20 juillet : « Le « gouvernement des généraux » survit, certes, mais n’est pas soutenu par la population. La pacification stagne, l’insécurité est permanente sur l’ensemble du territoire du Sud-Vietnam : le président Ky estime que son gouvernement contrôle  25 % de la population […] » McN émet des doutes sur les récentes demandes d’effectifs de Westmoreland ainsi que sur l'issue de la guerre. Il écrit qu’« on peut s’attendre à ce que nos pertes s’élèvent probablement à 1 000 par mois [en 1966] et il y a des chances pour que, au début de 1967, sans avoir emporté une décision, nous ayons affaire à un niveau encore plus élevé. » Le gouvernement doit donc négocier une « situation de compromis, maintenir un envoi de renforts « à un niveau minimal », tout en accordant un supplément d’effectifs qui devront atteindre 400 000 hommes vers la fin 1966 et 200 000 de plus en 1967.

Il préconise un plan en 3 étapes : une guerre aérienne modulable sur le N-V ; une campagne de relations publiques et diplomatiques (reprise mémorandum de juillet) ; la préparation du public américain et de l’opinion mondiale à une intensification de la guerre, tout en laissant une porte ouverte en direction des N-V. Il conclut : « Il faut avoir présent à l’esprit que le renforcement de nos troupes tel que je le conseille ne nous garantit pas le succès. » (Sheenhan, 1990, pp. 687-688 ; Le dossier du Pentagone, 1971, p. 497 et pp. 518-520 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 255-258).

Le secrétaire aux Affaires étrangères britannique Michael Steward se rend à Moscou pour convaincre les leaders soviétiques de remettre en selle une nouvelle conférence de Genève sur la question indochinoise. Son homologue soviétique, Andreï Gromyko, lui oppose alors une fin de non-recevoir, déclarant que les pourparlers sur la paix ne peuvent commencer sans le retrait préalable de la totalité des troupes américaines présentes au Sud-Vietnam et l'arrêt des bombardements du Nord-Vietnam.

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