Novembre 64 : Lors d’un repas à Saigon chez Westmoreland, l’ambassadeur Taylor s’en prend aux « jeunes Turcs » en dénonçant « l’utilisation de l’armée à des fins politiques. » Sont particulièrement visés les généraux Khanh et Nguyen Cao Ky. Selon Tran Van Don, présent, « Il [Taylor] manifesta une certaine condescendance pour nous faire comprendre clairement que tous ces coups d’État et ces changements politiques faisaient perdre patience aux États-Unis. J’eus l’impression d’écouter un maître d’école sermonnant une classe indisciplinée. » (Tran Van Don, 1985, p. 211)
Au Cambodge, Sihanouk a de plus en plus de difficulté à jouer la carte du neutralisme d’inspiration gaullienne (voir 20 mars). Il refuse l’aide américaine écrivant dans le Neak Cheat Niyum (Le Nationaliste) : « Aux neutralistes que nous étions, les Américains ne donnaient des armes que pour tuer des communistes qui ne nous menaçaient pas. » (cité in Francini 2, 1988, p. 276).
Amorce d’un net réchauffement dans les relations entre le N-V et l’U.R.S.S. suite au départ de Khrouchtchev (voir 15 octobre). Selon Marangé, « si d’importants désaccords avec Moscou subsistaient au sein du P.T.V. [parti des travailleurs vietnamiens, le Lao Dong], l’heure n’était plus à la querelle mais au rassemblement des forces. » (Marangé, 2012, p. 322).
Sondage analysant l’évolution de l’opinion publique américaine envers le conflit au Vietnam : pour 47 %, contre 30 %, sans opinion 23% (Nouilhat in collectif, 1992, p. 60).
1er novembre 64 : Un an jour pour jour après la chute de Diem et à la veille des élections présidentielles américaines, attaque vietcong sur la base aérienne de Bien Hoa à 27 km nord de Saigon pour contrer les raids au Laos et éviter un bombardement du N-V. Attaque au mortier et un raid de commandos. 4 Américains, 2 Sud-Vietnamiens sont tués et 77 personnes sont blessées dont 30 Américains. 6 appareils sont détruits et 20 autres endommagés (Prados, 2011, p. 196).
Cette attaque entraîne la constitution de plans pour une réaction américaine ciblée avec intervention des B-52 basés sur l’île de Guam. Un débat contradictoire à lieu entre les militaires et l’ambassadeur Taylor qui réclament une attaque sur le Nord. McN et Rusk n’y sont pas favorables. Les choses resteront donc à l’état de projet, notamment la question du bombardement du N-V (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 347-348). L’affaire révèle que les troupes s-v défendent mal les équipements de leurs alliés quand elles ne pactisent pas avec l’ennemi, ce qui va entraîner un nouvel apport de troupes américaines pour protéger les bases aériennes.
3 novembre 64 : Lyndon Johnson se succédant à lui-même est réélu président des États-Unis. Il a obtenu 43 millions de voix contre 27 millions pour le Républicain Goldwater, soit 61 % des suffrages exprimés, le plus fort pourcentage jamais obtenu par un président des États-Unis. Il possède une confortable majorité au Congrès : 37 sièges de plus à la Chambre des Représentants et 68 au Sénat (Halberstam, 1974, p. 482 ; Portes, 2007, p. 174).
4 novembre 64 : Formation d’un nouveau cabinet au S-V. Tran Van Huong forme un cabinet civil qui se maintiendra jusqu’au 27 janvier 1965. Il devient premier ministre à la place de Khanh. Ce dernier devient commandant en chef des forces armées. Phan Khac Suu devient chef de l’État à la place de Minh qui s’exile en Thaïlande. Khanh a visiblement beaucoup de mal à accepter ce cabinet civil édifié sous la pression des Américains (voir 19 décembre) (Tran Van Don, 1985, p. 207-208).
5 novembre 64 : Note de William Bundy (sous-secrétaire à la Défense) évoquant un « point de vue international » visant à créer une coalition contre le N-V. Il faut consulter la Grande-Bretagne, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, « peut-être la Thaïlande » avant « de prendre une décision. » Une participation de la Grande-Bretagne ne pourra probablement être que « symbolique ». l’O.T.A.S.E. devra être consultée « au moment de l’action ». L’O.T.A.N. devra être tenue au courant (« la France [neutraliste] mérite sans doute [un] traitement V.I.P. »). « Sur le plan mondial, nous devrions choisir des chefs d’États raisonnablement amis pour un traitement spécial destiné à gagner leur sympathie et leur soutien. » (Bodard, 1971, doss. Pentagone, p. 220).
6 novembre 64 : Mémorandum de MacNaughton (secrétaire adjoint à la Défense des États-Unis pour les affaires de sécurité internationale) à McN. Considérant que « la situation continue à se détériorer », des décisions doivent être prises rapidement. Elles doivent faire face aux désertions dans l’armée s-v, à l’importante perte de territoires sous contrôle, à l’entrée d’éléments « neutralistes » ou « de gauche » dans le gouvernement s-v, aux « concessions importantes » de ce même gouvernement face à la R.D.V, aux « conflits ethniques » et à ceux engendrés par l’attitude de l’A.R.V.N. détestée des populations locales. Il faut donc « faire passer le Sud-Vietnam derrière le rideau de fer. »
McNaughton préconise trois niveaux de réaction possible pour les U.S.A. : A) poursuivre la politique d’aide actuelle (interventions secrètes au Laos et raids contre le N-V) ; B) « porter le conflit au niveau supérieur » en poursuivant la politique actuelle avec des pressions militaires accrues ; C) exercer des « pressions et discussions » en intensifiant la lutte contre les zones d’infiltration. McNaughton considère donc que le projet de bombardement aérien des zones d’infiltrations et d’objectifs au N-V est, pour l’instant, « un substitut au renforcement du gouvernement du Sud-Vietnam. » Les forces aériennes s-v devront participer à ces opérations. Il préconise également la pose de mines dans les ports n-v et un blocus maritime. En somme, un pis-aller face à la situation plus que vacillante du S-V (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 356 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 220-226).
7 novembre 64 : Timide rapprochement sino-soviétique. Zhou Enlaï se rend à Moscou pour assister aux manifestations commémorant la révolution d’Octobre. Une maladresse du ministre de la Défense russe, le maréchal Malinosvki, s’adressant à l’invité chinois suffit cependant à provoquer une départ précipité de ce dernier et la rupture de la reprise des discussions entre frères ennemis (Marangé, 2012, p. 323).
8 novembre 64 : Dean Rusk envoie un câble à l’ambassadeur Taylor qui est à Saigon : il parle de « programme énergique » et d’action militaire contre Hanoï pour janvier, tout en ménageant la carte de la négociation (Halberstam, 1974, p. 482).
9 novembre 64 : Alexis Kossyguine qui vient d’accéder aux fonctions de président du Conseil des ministres reçoit le premier ministre Pham Van Dong à Moscou. Les entretiens sont cordiaux et augurent d’un retour à des relations plus apaisées entre le N-V et l’U.R.S.S. (Marangé, 2012, p. 323).
Dans un discours prononcé à l’occasion de la fête nationale au Cambodge, Sihanouk lance l’idée d’une « conférence des peuples indochinois ». Une conférence préparatoire visant à savoir qui y serait invité doit se tenir le 15 février 1965.
10 novembre 64 : Échange épistolaire entre Sihanouk et l’ambassadeur soviétique Kroutikov. Le prince craint que la situation n’empire et aboutisse à un conflit mondial du fait de l’implication des « grandes puissances » : « […] la guerre débordera sur notre territoire et notre neutralité, d’ailleurs contestée par une bonne partie du camp occidental, aura le sort de celle de la Belgique en 1940. Les innombrables agressions que nous avons subies à nos frontières depuis plus de cinq ans ne sont qu’un avant-goût de ce qui nous attend. » (cité in Sihanouk, 1979, p. 241)
12 novembre 64 : Le général Duong Van Minh qui a été nommé ambassadeur à l’étranger part pour Bangkok où il demeurera jusqu’en 1968, entrecoupé de brefs séjours en France (Toinet, 1998, p. 213). Cette nomination n’est qu’une manière de s’en débarrasser.
16 novembre 64 : Lettre de Rostow (directeur de la planification politique du département d’État) à McN : il y préconise l’envoi de forces terrestres américaines. Cette décision implique que le président fasse part « au peuple américain et aux autres peuples du monde quelle est exactement la nature des objectifs poursuivis par les États-Unis au Sud-Vietnam […] Il faut que les communistes aient l’impression d’avoir affaire à un LBJ décidé et sûr de lui. » (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 445-446 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 235-237).
21 novembre 64 : Réunion du C.N.S. durant laquelle sont développées 3 options : A) raids de représailles contre les voies d’infiltration venant du Laos B) Une « asphyxie totale et rapide » (McNaugton) par bombardements rapides et ininterrompus sur le N-V C) « asphyxie progressive » avec des raids croissants sur le Laos puis le N-V (axé sur les voies d’infiltration) (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 351-352).
4 organismes ne sont pas convaincus par l’efficacité de ces raids pour briser la volonté d’Hanoi, et ce, quelle que soit la formule adoptée : le comité des chefs d’état-major, la C.I.A., le bureau de renseignement et de recherche du département d’État et le service de renseignement de la Défense au Pentagone. Ils le font savoir par le biais de leurs rapports respectifs où ils évoquent les risques modérés de conflit avec la Chine ou l’inconvénient des pressions internationales. Ils mettent en doute l’efficacité des frappes visant l’économie n-v, essentiellement agricole, très décentralisée. Mais ces analyses demeureront lettre morte face aux convictions du président et surtout de ses principaux conseillers : Rusk (secrétaire d’État), Rostow (président de la commission des plans politiques du département d’État), McNaugthon (sous-secrétaire à la Défense), les deux frères Bundy (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 357-358).
Nouvelle proclamation de la loi martiale dans le nord du S-V suite à des manifestations bouddhistes (Toinet, 1998, p. 213).
23 novembre 64 : Mémorandum de Rostow (directeur de la planification politique du département d’État) à Rusk en faveur de l’engagement de troupes terrestres et des frappes aériennes (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 447-450).
24 novembre 64 : Une commission du C.N.S. se réunit. Sont présents Rusk, McN, Mc Cone (directeur de la C.I.A.), McGeorges Bundy (conseiller pour les affaires de Sécurité nationale), William Bundy (sous-secrétaire à la Défense), George Ball (sous-secrétaire d’État), le général Wheeler (président des chefs d'état-major interarmées).
Le compte-rendu rédigé par William Bundy laisse apparaître que pour la première fois Ball est en désaccord avec l’administration. Il est favorable à l’option A alors que les autres préfèrent la C (voir 21 novembre). En cas d’écroulement du S-V, il est plutôt favorable à une solution diplomatique avec la Grande-Bretagne voire l’U.R.S.S. afin de mettre en place une conférence visant à trouver un règlement politique plutôt que militaire.
Des dissensions apparaissent entre les participants : Rusk déclare que s’il est favorable au bombardement du N-V, il n’est pas d’accord avec McNaugthon et William Bundy lorsqu’ils affirment que même si les bombardements échouent, les U.S.A. en ressortiront grandis, simplement pour avoir essayé. Ball le rejoint. L’indécision règne plus que jamais au sein de l’administration… (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 352).
25 novembre 64 : La Chine encourage ouvertement l’ouverture de conversations entre les U.S.A. et le Cambodge. Le conseiller politique de l’ambassade de la R.P.C. à Paris déclare : « Si la tension peut être atténuée par des contacts et des négociations directes entre les États-Unis et le Cambodge, nous y sommes favorables. La neutralité cambodgienne joue un rôle utile et elle peut influencer la situation au Laos et au Vietnam. » (cité in Journoud, 2011, p. 184)
26 novembre 64 : Le gouvernement de Khanh décrète la loi martiale suite à la tenue de manifestations bouddhistes à Saigon. La police et la sûreté s-v sont désormais contrôlées par l’armée (Prados, 2011, pp. 220-221).
27 novembre 64 : Taylor (ambassadeur) arrive à Washington pour se joindre aux entretiens. Il est favorable aux raids aériens contre le Nord mais à condition que la situation politique s’améliore au S-V, même si sur ce point, il ne se fait guère d’illusions. McN est quant à lui favorable à l’option C discutée lors du C.N.S. du 21 novembre (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 354).
L’ambassadeur Taylor produit un rapport intitulé « La situation au Vietnam ». Il est aussi pessimiste que celui de McNaugton (sous-secrétaire à la Défense) en date du 6 novembre quant aux causes de la fragilité de la situation au S-V. La durabilité du gouvernement Huong, un civil installé par les Américains sous la coupe de Khanh et des généraux, demeure précaire. Les luttes entre les factions politiques à Saigon n’ont pas cessé et l’exaspération des populations civiles (notamment en ville) est à son comble. Il préconise « d’intervenir militairement contre le Nord-Vietnam », selon les scénarii préconisés par le C.N.S. du 21. Il est donc urgent d’agir (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 226-230).
28 novembre 64 : Au moment où les conseillers s’apprêtent à recommander à LBJ de bombarder le N-V, celui-ci temporise lors d’une interview, accusant les journalistes d’alarmisme (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 354-355). Il a vu Taylor et leur déclare qu’il n’annoncera pas « des nouvelles dramatiques, si ce n’est dans [leur] propre imagination. » Il omet simplement de leur dire que ses conseillers travaillent depuis des semaines sur le futur projet de Rolling Thunder et que l’un d’eux, Walt Rostow (directeur de la planification politique du département d’État), parle même d’engagement de forces terrestres…