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par Jean-François Jagielski

Novembre 1963

Début novembre 63 : La C.I.A. est informée que Nhu a établi un projet de contrecoup d’État visant à annihiler celui des généraux. Il a fait appel à ses fidèles ou du moins ceux qu’il juge tels : le colonel Tung des Forces spéciales et le général Ton That Dinh (qui a rejoint la conjuration, voir 30 octobre) dont les troupes doivent être massées autour de Saigon. Cette action devrait impressionner les Américains (Halberstam, 1966, pp. 270-271 ; Truong Vinh Le, 1989, p. 98). Dinh, un familier des Ngo, sera reçu ultérieurement par Nhu pour être mis au courant de ce projet. Il est prêt à accepter mais demande le poste de ministre de l’Intérieur. Nhu le lui refuse et se brouille avec le général qui bascule alors définitivement du côté des putschistes (Truong Vinh Le, 1989, p. 98)

En novembre 1963, 57% des personnes interrogées par un sondage Harris aux U.S.A. approuvent la gestion de l’administration Kennedy.


1er novembre 63 : Coup d’État contre Diem et Nhu. L’amiral Felt (commandant des forces navales dans le Pacifique) qui  est venu quelques jours à Saïgon doit repartir à midi. Vers      10 h 00 du matin, Lodge l’accompagne chez Diem. On évoque à demi-mot les rumeurs de coup d’État : Diem se garde bien d’évoquer le projet de contre coup d’État de Nhu ; Lodge et Felt n’évoquent pas ce qui se trame et dont, semble-t-il, ils ignorent l’échéance à court terme (Halberstam, 1966, p. 280).

Après le départ de Felt, Diem demande à Lodge de rester pour une brève discussion. L’ambassadeur câblera ensuite à Washington : « Quand je me suis levé pour prendre congé, il [Diem] m’a dit : « Je vous prie de dire au président Kennedy que je suis un allié franc et loyal, que je préfère être franc et régler les questions maintenant plutôt que d’en discuter après que nous aurons tout perdu […] Dites au président Kennedy que je prends toutes ses suggestions avec le plus grand sérieux et que je souhaite les mettre à exécution, mais que c’est une question de choix du moment. » Et Lodge de commenter : « J’ai le sentiment que c’est un nouveau pas dans le dialogue que [Diem] avait ouvert lors de notre entretien à Dalat dimanche [27 août]. Si les États-Unis veulent conclure un accord global, je pense que nous serions en position de le faire […] Il a déclaré en effet : « Dites-nous ce que vous voulez et nous le ferons. J’espère discuter de ce point avec Washington. » Le message de Diem est transmis par Lodge à l’administration mais arrive trop tard car dès 13 h 30 le putsch est déjà en cours d’exécution (MacNamara, 1996, pp. 91-92).

Vers midi a été programmé un repas qui doit regrouper l’ensemble des militaires de haut-rang, putschistes et rebelles, organisé par le général Tran Thien Khiem à l’État-major général. C’est Duong Van Minh qui annonce le déclenchement du coup d’État. Minh demande aux militaires présents de faire allégeance au nouveau régime qui se donne pour nom « Conseil militaire révolutionnaire ». Un seul refuse, le colonel Le Quang Trieu, chef des Forces spéciales de Nhu. Il est arrêté sur le champ et sera fusillé le soir même avec son frère (major) par le futur exécuteur de Diem et Nhu, garde du corps de Minh chargé des basses besognes, Nguyen Van Nhung (Tran Van Don, 1985, p. 171). A 13 h 30, Conein (C.I.A.) les rejoint avec la somme de 40 000 dollars pour motiver les plus récalcitrants.

Diem et Nhu ne réagissent pas immédiatement, croyant au déclenchement de leur contrecoup d’État préparé par Nhu qui avait été codé sous le nom de Bravo I. Or, en moins de 3 heures, le Q.G. de la police, la radio et l’aéroport tombent aux mains des insurgés.

A 15 h 00, les putschistes (14 généraux et 10 colonels) se font connaître et lancent un message à la radio appelant Diem à démissionner. Les troupes fidèles au président, stationnées près de là, organisent la défense du palais présidentiel qui résiste sans combats avec le soutien de chars.

A 16 h 00, Diem téléphone à l’État-major général et invite, comme il l’avait fait en en 1960, les généraux récalcitrants à se rendre au palais pour négocier. Il tombe sur Don qui refuse toute amorce de négociation. Diem a alors son avant-dernière conversation téléphonique avec Lodge. Ce dernier prétend n’être au courant de presque rien mais l’informe que des sauf-conduits lui seront accordés ainsi qu’à son frère, s’il donne sa démission. Lodge l’assure alors pouvoir faire « quelque chose pour [sa] sécurité personnelle ». Les putschistes contactent Diem et lui demande de se rendre, lui et son frère. Tous deux refusent.

A 20 h 00, nouvel et dernier appel de Lodge qui dit propose au président et à sa famille de partir pour l’étranger. Diem, toujours aussi intransigeant, refuse de quitter ses fonctions. Jusqu’à 22 h 00 parviennent des appels des généraux Do Cao Tri (1ère Région) et Nguyen Khanh (2e Région) qui, toujours fidèles au régime, proposent d’envoyer des troupes pour sauver la situation à Saigon. Diem refuse, alors que Nhu souhaite quant à lui partir pour Pleiku. Le président le convainc de rester avec lui pour assurer sa sécurité.

Ce n’est qu’à 23 h 00 que Diem et Nhu prennent la fuite du palais présidentiel par une porte discrète. Ordre a été donné de ne pas le défendre pour éviter un bain de sang. Un véhicule vient les prendre et les emmène alors à Cholon.


2 novembre 63 : De là, vers 2 h 30, Diem reprend contact avec les putschistes et leur dit qu’il est prêt à passer le pouvoir à Truong Vinh Le, le président de l’Assemblée nationale. Or ce dernier a pris les devants et s’est réfugié hors de son domicile. Il est donc injoignable.

A  6 h 30, toujours aucune réponse des généraux à la proposition. Diem et Nhu se sont réfugiés dans l’église du révérend père Lan. Selon Don, les deux hommes tentent alors de trouver refuge chez le colonel Cao Van Vien (commandant une brigade de parachutistes restée fidèle) mais, jointe par téléphone, son épouse indique que le colonel a été arrêté et que son domicile est surveillé. Toujours selon le même, « ils se rendirent alors chez un homme d’affaires chinois de leurs amis. »

Là, à 7 h 00, Diem téléphone à l’état-major général pour indiquer qu’il est prêt à se démettre de ses fonctions mais qu’il souhaite partir avec les honneurs dus à son rang. Il indique cette fois sa position précise. Les deux frères seront arrêtés, emmenés et exécutés dans le véhicule blindé M 113 qui les transporte vers l’État-major général. Selon Tran Van Don, c’est le commandant Duong Hieu Gia qui tira le premier de la tourelle de l’engin blindé sur les deux hommes lors d’un arrêt au passage à niveau du boulevard Duong Hieu Nghia. Le capitaine Nguyen Van Nhung, « un spécialiste de l’assassinat », garde du corps de Minh dépêché à la dernière minute dans le convoi, les achève alors au pistolet mitrailleur et au couteau. La décision d’exécution ne viendrait pas de l’ensemble des conjurés mais des seuls généraux Minh et Hai Huu Xuan. Ce dernier, chef du convoi, aurait prononcé en français à l’arrivée du convoi l’expression « mission accomplie ». La  responsabilité dans l’exécution des Ngo demeurera par la suite un sujet de polémique entre les conjurés qui tenteront de se blanchir avec beaucoup de mauvaise foi (Sur le déroulé du coup d’État, les deux récits les plus précis sont parfois quelque peu divergents sur des points de détail. Côté insurgés, Tran Van Don, 1985, p. 141-173 ; côté diémiste, Truong Vinh Le, 1989, pp. 102-109).

Selon McN, « quand le président Kennedy apprit la nouvelle, il blanchit littéralement. Jamais je ne l’avais vu aussi bouleversé. » (voir 4 novembre) (McNamara, 1996, p. 93) Pour dégager la responsabilité du gouvernement américain dans la préparation du putsch, Rusk (secrétaire d’État) fera différer la reconnaissance du nouveau régime dirigé par le général Minh (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 216).


3 novembre 63 : Minh et Tran Van Don (devenu ministre de la Défense) se rendent au palais Gia Long qui « avait subi de très gros dégâts ». Don donne l’ordre à un subordonné d’aller « y remettre de l’ordre, de rassembler les papiers officiels dans les bureaux de Diem, Nhu et Vo Hai, chef de cabinet de la présidence. » C’est Don qui récupère dans un premier temps les documents les plus sensibles (Tran Van Don, 1985, p. 157).


4 novembre 63 : Minh donne l’ordre à un de ses subordonnés, le capitaine Dang Van Hoa, de se faire remettre par Vu Van Hai, chef de cabinet de Diem, et Quach Tong Duc, directeur de cabinet de la présidence, tous les papiers et documents officiels (Tran Van Don, 1985, p. 157).

Lodge adresse un télégramme à Washington où il exprime sa satisfaction : le nouveau régime permettra d’écourter la guerre du fait de l’amélioration du moral dans l’armée s-v. Selon lui, Minh est « un homme plein de bonnes intentions » mais il émet des doutes sur la fiabilité de son caractère : sera-t-il pour autant assez fort pour dominer la situation ? (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 216-217)

A 16 h 00, Lodge rend une visite de courtoisie au général Minh. Y est évoqué le sort des enfants de Mme Nhu. Ils sont à Dalat chez le général Khanh. C’est finalement Conein (C.I.A.) qui les prend en charge. De son côté, Lodge se charge de les faire diriger vers Rome, le soir même à 21 h 00 (Tran Van Don, 1985, p. 158).

Le plus jeune des frères Ngo, Ngo Dinh Can s’est réfugié à Hué d’abord dans une institution religieuse catholique puis il demande asile au consulat américain. Lodge n’entend pas cautionner cette solution. Can réoccupe donc son domicile où vit sa mère. Mais une foule hostile encercle l’habitation. La junte militaire est obligée d’assurer temporairement sa protection. Le département d’État américain charge finalement Conein (C.I.A.) de le remettre au nouveau pouvoir à Saigon, à condition qu’il bénéficie d’un bon traitement et qu’il ne soit pas exécuté mais jugé lors d’un procès qui aura lieu en mai 1964 et aboutira quand même à son exécution (voir 9 mai 1964).

Dans un enregistrement déclassifié en 1998 et enregistré dans le Bureau Ovale, Kennedy exprime ses regrets et ses angoisses pour l’avenir du S-V suite à l’assassinat de Diem : « Notre responsabilité est lourde, en partie à cause de notre télégramme début août [en fait du 24], dans lequel nous suggérions ce coup d’État. Je pense que ce câble a été mal préparé et qu’il n’aurait jamais dû être envoyé un samedi […] J’ai été choqué par la mort de Ngo Dinh Diem. Je l’avais rencontré il y a des années avec le juge Douglas [membre de la Cour suprême qui a fait connaître Diem aux U.S.A.]. C’était un personnage extraordinaire. Bien qu’il soit devenu de plus en plus difficile ces derniers mois, il a toutefois réussi à maintenir l’unité du pays pendant dix ans. Les généraux parviendront-ils à rester unis et à établir un gouvernement stable ou bien l’opinion va-t-elle se retourner à Saigon ? » (cité in Journoud, 2011, p. 133)


5 novembre 63 : Mémorandum de McN à au vice-président Johnson : il importerait d’aider « le peuple et le gouvernement du Vietnam à gagner leur combat contre la conspiration communiste qui est menée et soutenue de l’extérieur. » Le calendrier de pacification joint à ce document prévoit le règlement des problèmes au S-V pour 1965.

L’ambassadeur américain à Paris, Charles Bohlen, est reçu à l’Élysée. De Gaulle accepte le principe d’une rencontre informelle avec Kennedy en février 1964. Bolhen lui demande son avis sur la situation au Vietnam. De Gaulle lui répond avec sa franchise habituelle : « C’est vous qui avez poussé le président Diem et son équipe et nous n’avions pas eu à nous louer. Cela ne vous a pas réussi. Je ne crois pas que ce que vous entreprenez au Vietnam, par voie d’intervention directe dans ce pays, puisse réussir. Il est regrettable pour l’Amérique que le président Diem et M. Nhu aient été assassinés. Ceux qui les ont remplacés n’auront sans doute pas plus de succès. Notre propre expérience nous a appris que les hommes qui détiennent le pouvoir en vertu de l’ingérence étrangère sont voués à l’échec. Cela est encore plus certain lorsque le rôle qu’on leur assigne est de faire la guerre [...] Je crains que vous ne soyez enlisés dans une vaine entreprise dont il vous sera de plus en plus difficile de vous dégager ! » (cité in Journoud, 2011, p. 135)

Au Cambodge, Sihanouk exige que cessent les émissions des Khmers Sereï diffusées à partir du Sud-Vietnam et de la Thaïlande, toutes soutenues par la C.I.A.


6 novembre 63 : Nomination par le Conseil militaire révolutionnaire (C.M.R.) au poste de premier ministre de l’ancien vice-président de Nguyen Ngoc Tho. Ce sont les Américains qui ont voulu une gouvernance civile, même si Tho, du fait de ses responsabilités sous Diem, ne fait pas l’unanimité auprès des Bouddhistes. Elle n’est qu’une façade démocratique. Les ministères clés sont tous occupés par des militaires : le général Ton That Dinh prend l’Intérieur (que lui avait refusé Nhu, voir début novembre), le général Tran Tu Oai l’Information, le général Mai Huu Xuan devient directeur général de la Police (Truong Vinh Le, 1989, p. 117-119).

Les généraux putschistes pensent organiser assez rapidement des élections. Lodge les en dissuade car il est plus important dans l’immédiat de rallier le peuple dans la lutte contre le VC. Il faut parcourir le pays, haranguer les populations et surtout gagner les cœurs (Chaffard, 1969, p. 348). Or, selon Jean lacouture, les nouveaux maîtres du pouvoir « […] se sont enfermés à l’état-major et ne font connaître leurs idées que par la reproduction dans la presse saïgonnaise d’interviews accordées à des journaux de New York ou de Paris. » (Lacouture, 1965, p. 130)

Selon Truong Vinh Le, « après la disparition de Nho Dinh Diem, la liberté – une pleine liberté à l’occidentale – fut rendue à la population, dans un pays en guerre. » On détruit progressivement les réalisations de l’ancien régime (hameaux stratégiques) et l’ordre puritain passé pour promouvoir une société à l’Américaine. La réouverture des boîtes de nuit et autres lieu de plaisir fait jaser car on y voit beaucoup trop les généraux putschistes. Ce qui leur sera reproché par Khanh lors de leur arrestation lors du coup d’État du 31 janvier 1964. Le nouveau pouvoir renoue avec les sectes qui reprennent leurs anciennes habitudes (Truong Vinh Le, 1989, pp. 123-124).

La chute de Diem autorise la junte à libérer des bagnes tous les opposants au régime diémiste : les prisonniers politiques, les religieux, les étudiants (voir 11 novembre). D’anciens militaires opposés à Diem sont autorisés à faire leur retour d’exil : les généraux Nguyen Van Vy (ce qui sera reproché à Tran Van Don, voir 9 février 1964) et Duong Van Duc, le commandant Tran Dinh Lan, tous deux partis en France depuis l’échec du coup d’État du 1er juin 1955. Même le lieutenant Pham Phu Quoc qui avait participé à l’attaque du palais de l’Indépendance le 27 février 1962 est à nouveau libre (Tran Van Don, 1985, p. 176-177).

La France reçoit ce jour-même une lettre circulaire du nouveau gouvernement s-v en vue du maintien des relations diplomatiques que les généraux s-v entendent améliorer. Les Français n’y répondront que le 16 novembre et ce, malgré les pressions négatives d’Étienne Manac’h (directeur de l’Asie-Océanie) et de certains hauts-fonctionnaires du Quai d’Orsay.

Le porte-parole du nouveau gouvernement déclare que « la seule issue au Vietnam était l’unité, la liberté et la neutralité. » (cité in Journoud, 2011, p. 136). Une manière de dire que la France poursuit avec la junte « des relations diplomatiques courantes sans mettre en œuvre un processus juridique de reconnaissance […] » Ce qui n’est pas pour déplaire aux Américains. Les généraux putschistes, pourtant tous pour la plupart francophiles (Duong Van Minh, Tran Van Minh, Le Van Kim), ont beau tenter d’obtenir par le biais de leur ambassadeur à Paris une reconnaissance officielle, celle-ci ne viendra pas (Journoud, 2011, p. 136).


8 novembre 63 : La radio clandestine du F.N.L. diffuse un programme basé autour de 6 points : abolition de la dictature diémiste ; application d’un régime démocratique ; cessation de l’agression américaine ; réalisation d’une politique économique indépendante pour élever le niveau de vie de la population ; cessation des ratissages et massacres ; mise en place de négociations entre les groupements politiques du S-V pour arriver à un cessez-le-feu et à solutionner les grands problèmes (Lacouture, 1965, p. 171). Ce dernier point qui propose une ouverture vers le nouveau gouvernement restera lettre morte, faute de réponse de la junte (Chaffard, 1969, p. 347).


9 novembre 63 : Au Cambodge, Sihanouk annonce des réformes économiques (nationalisation des banques et du commerce extérieur) et renonce à l'aide américaine au nom du neutralisme qui lui est cher.


10 novembre 63 : Au Cambodge, Sihanouk annonce dans une communication à la nation qu’il a pris « la décision de renoncer à l’aide des États-Unis ». Il estime que cette aide « n’était destinée qu’à servir machiavéliquement la politique et la stratégie anticommuniste des États-Unis, la politique et la stratégie où la paix, l’avenir et le sort même du peuple khmer ne rentrent absolument pas en ligne compte. » Il annonce par ailleurs qu’il fait don à l’État de la plus grande partie de son patrimoine immobilier (Sihanouk, 1979, p. 236).


11 novembre 63 : Nouveau signe de libéralisation du régime après la chute des Ngo, on accueille sur les quais de Saigon une quarantaine de prisonniers politiques libérés du bagne de Poulo Condore (Lacouture, 1965, p. 110).


12 novembre 63 : Kennedy reçoit le sénateur démocrate Morse, opposé à la politique étrangère du président et qui l’a fait savoir. Ce dernier lui confie : « Wayne, je veux que vous sachiez que je comprends parfaitement vos critiques à l’égard de ma politique sur le Vietnam. Mais je veux vous rassurer. J’étudie sérieusement le dossier et je peux vous dire que nos positions ne sont pas si éloignées. Quand j’aurai terminé, j’aurai besoin de votre avis sur le contenu de ma décision. » D’où une impression de vouloir agir rapidement alors que, jusque-là, Kennedy a fait savoir que le plan de retrait complet des Américains ne pourra être mis en place qu’après les élections présidentielles de 1964. Il semble que les mauvaises nouvelles en provenance du Vietnam puissent expliquer cette nouvelle précipitation (Pericone, 2014, p. 119).

Au Cambodge, Norodom Naradipo, fils ainé de Sihanouk et de la princesse Sisowath Monikessa, est officiellement désigné comme successeur de Sihanouk à la tête du Sangkum en cas de décès subit de son père (Sihanouk, 1979, p. 237).


14 novembre 63 : Dans une conférence de presse, Kennedy réaffirme les buts de la présence américaine au Vietnam : « intensifier la lutte » et « ramener les Américains au pays ». La victoire finale sur le communisme n’est plus mentionnée comme elle l’avait été dans sa conférence de presse du 12 septembre (Pericone, 2014, p. 119).


15 novembre 63 : Le secrétaire à la Défense américaine McNamara, pensant que l'engagement américain pourra se terminer dès 1965, retire 1 000 conseillers militaires sur les 15 000 présents.


16 novembre 63 : Kennedy autorise le commandement militaire de Saigon à rendre publique fin décembre la décision de retrait de 1 000 hommes qui avait été rendue secrète depuis la directive National Security Action Memorandum 263  (NSAM-263) du 11 octobre. Cette décision jugée trop optimiste sera critiquée par la C.I.A. lors de la future conférence d’Honolulu (voir 20 et 21 novembre). Pour autant, Bundy (conseiller à la Sécurité nationale) ne la retirera pas (Pericone, 2014, p. 120).


17 novembre 63 : Un communiqué du Comité central du F.N.L. réagit à la chute de Diem. Il réclame la suppression des vestiges du régime diémiste (organisations anticommunistes et hameaux stratégiques), l’instauration des libertés démocratiques, l’élimination de l’influence américaine, le lancement de réformes sociales et économiques, l’arrêt des hostilités, un accord de tous les partis en vue de la tenue d’élections libres. L’exigence de réunification du pays est réaffirmée. Elle doit être volontaire, égalitaire et sans annexion (Francini 2, 1988, p. 270).


18 novembre 63 : Lodge déclare que toute idée de neutralisation du S-V lui paraît « absolument fantastique ». Une opinion largement partagée et par Kennedy et par la presse américaine (Chaffard, 1969, p. 338).


19 novembre 63 : Au Cambodge, Sihanouk décline définitivement toute aide militaire ou économique en provenance des U.S.A. (Journoud, 2011, p. 143).


20 novembre 63 : Conférence d’Honolulu. Elle entend définir la stratégie et soumettre à Kennedy le plan de Krulak visant à instaurer une guerre clandestine de grande envergure dans le N-V. Sont présents les principaux membres de l’administration (McN, Rusk, Taylor, McCone), Lodge et les principaux chefs militaires dans le Pacifique et au Vietnam.

On dresse d’abord un bilan des opérations de contre-insurrection. Colby (ex-directeur de la C.I.A.) avait déjà essayé de mettre en place une guérilla interne avec des informateurs vietnamiens formés par la C.I.A. mais celle-ci a échoué. L’Opération 34-A (démarrée milieu 1962) s’avère être un échec. Les raids n’ont pas intimidé les dirigeants d’Hanoï et n’ont pas réduit pas la violence des attaques dans le Sud. Les objectifs industriels que Krulak voulaient détruire ne l’ont pas été. Cette tâche était bien trop supérieure aux capacités des équipes de saboteurs s-v. Le seul résultat obtenu a été de faciliter l’élargissement du conflit. En effet, ce sont les raids de l’Opération 34-A  qui provoqueront l’incident du Golfe du Tonkin en août 1964 par le biais des patrouilles De Soto (Sheehan, 1990, p. 446 et pp. 451-452).

La situation se dégrade dans le delta du Mékong : pas ou peu de hameaux stratégiques ont été développés hormis ceux existant sur le papier ; le delta est désormais presque qu’entièrement contrôlé par le Vietcong. Les positions irréalistes du M.A.C.V. et de Harkins sont enfin critquées. On accepte  d’évoquer le côté négatif des rapports présentés ici, en prétendant cependant que tout allait mieux avant le coup d’État contre Diem (Halberstam, 1974, pp. 335-336).


21 novembre 63 : Lodge est à Honolulu avant de se rendre à Washington mais ne pourra jamais faire sur place son rapport négatif sur la situation au S-V du fait de l’assassinat de Kennedy (Halberstam, 1974, p. 336).

Rusk (secrétaire d’État) annonce qu’un premier contingents de 300 conseillers quittera le S-V le 3 décembre (Chaffard, 1969, p. 345). Cette décision, comme celle de l’annonce faite fin décembre du retrait de 1 000 conseillers américains est critiquée par la C.I.A. du fait de son optimisme. Bundy (conseiller à la Sécurité nationale) prépare la future directive National Security Action Memorandum 273 (NSAM-273) qui doit être soumise à Kennedy. Elle prévoit le retrait des 1 000 conseillers et l’intensification des actions contre le N-V. Mais celles-ci doivent être menées par les S-V sans qu’un mot soit écrit sur le rôle à venir des Américains dans ce genre d’opération (Pericone, 2014, p. 120).

A Washinton, Forrestal (conseiller pour l’Asie) est reçu par Kennedy avant son départ pour le Cambodge. Le président veut le revoir à son retour pour discuter « de ce que nous allons faire au Sud-Vietnam […] » Il précise : « Je veux entamer une étude complète sur la manière dont nous nous sommes engagés dans ce pays, sur ce que nous y faisons et même si nous devons toujours y être. » Les circonstances à venir lui interdiront d’avoir réponse à ces questions (Pericone, 2014, p. 121).


22 novembre 63 : Le président Kennedy est assassiné à Dallas. Lyndon Johnson prend immédiatement sa succession en prêtant serment à Dallas dans l’avion qui doit le ramener à Washington avec le corps de Kennedy.

Johnson était opposé au coup d’État contre Diem (McNamara, 1996, p. 107 ; Halberstam, 1974, p. 330). Selon Halberstam, Kennedy l’avait peu mis au courant de la situation au Vietnam par simple négligence (Halberstam, 1974, p. 330). A la mort de Kennedy, selon Halbrestam, « sur le Vietnam, son dossier n’est pas clair. » Kennedy n’a jamais clairement établi en public de doutes sur la nécessité d’être présent au Vietnam. Il savait cependant que les programmes de contre-insurrection ne fonctionnaient pas (Halberstam, 1974, p. 336).

LBJ est favorable à la politique de containment contre la Chine et l’U.R.S.S. Selon McN, il reprend « une équipe de sécurité nationale qui, même si elle demeurait intacte, était profondément divisée sur le Vietnam. » (McNamara, 1996, p. 108) A Saigon, la situation est la même car « des querelles, de graves dissensions, voire une hostilité déclarée opposaient les civils de l’ambassade et les officiers américains. » (McNamara, 1996, p. 109). LBJ, tout en reprenant quasiment la même équipe, saura au fur et à mesure la modifier en la resserrant au maximum mais en cultivant aussi progressivement un goût du secret et de la dissimulation (Halberstam, 1947, pp. 464-465).


24 novembre 63 : LBJ et une partie de son équipe rencontrent l’ambassadeur de Saigon, Henry Cabot Lodge, présent à Washington depuis quelques jours pour participer à des rencontres initialement voulues par Kennedy. Sont présents McN (Défense), Rusk (secrétaire d’État), Ball (sous-secrétaire d’État), McGeorge Bundy (conseiller à la Sécurité nationale) et McCone (directeur de la C.I.A.). Selon LBJ, « Lodge était optimiste. » Il a confiance dans le nouveau gouvernement issu du coup d’État pour mener la guerre.

McCone l’est beaucoup moins : l’activité du Vietcong s’est renforcée après le coup d’État, les auteurs de putsch ont bien du mal à mettre en place un gouvernement d’où les civils sont totalement absents. LBJ est lui-même inquiet. Il critique l’élimination de Diem à laquelle il était lui-même opposé et sait que certains membres du Congrès préconisent un retrait du Vietnam. Le nouveau président reproche à Lodge « trop de dissensions internes » à Saigon et entend que l’ambassadeur et lui seul reste maître à bord. L’équipe américaine à l’ambassade devra être revue et corrigée. Des changements sont prévus à plus ou moins brève échéance : un nouveau chef de la C.I.A. locale, un nouveau directeur de l’U.S.I.A. et même un nouveau commandant en chef à la tête du M.A.C.V.

Si l’on en croit ses mémoires, LBJ fait alors preuve de clairvoyance et surtout d’une forme de réalisme : « Je déclarais à mes conseillers que je pensais que nous avions passé trop de temps et dépensé trop d’énergie à essayer de façonner les autres pays à notre image [...] Nous ne devions pas avoir une attitude trop critique si ces pays ne devenaient pas, en une semaine, des démocraties du XXe siècle, modernes et florissantes. »

On revient sur le bilan de la conférence d’Honolulu (voir 20 novembre) à laquelle ont participé la plupart des participants du jour. LBJ juge son évaluation « modérément encourageante ». Son entourage est plus optimiste : on estime toujours, comme sous Kennedy, pouvoir retirer la majorité des conseillers militaires avant fin 1965. « La plupart de mes conseillers croyaient qu’en deux ans les Sud-Vietnamiens seraient capables de prendre en charge l’entraînement, l’intendance et les opérations de soutien dont nos forces avaient la responsabilité. » (Johnson, 1972, pp. 62-64). Belle illusion…


25 novembre 63 : Trois jours après son investiture, Johnson déclare devant le Congrès américain : « Nous ferons honneur à nos engagements, du Sud-Vietnam à Berlin-Ouest. » (Johnson, 1972, p. 62).

Au Cambodge, condamnation à mort d'un Khmer Serei, Preap In, neveu de In Tam, gouverneur de la province de Takeo, qui lui avait octroyé un laissez-passer avec l'accord du premier ministre.


25 novembre – 25 décembre 63 : Selon les chiffres du F.N.L., 180 attaques des troupes gouvernementales s-v comportant des effectifs de 3 à 7 bataillons échouent. Les contre-attaques reprennent une vingtaine de points d’appui et 82 hameaux stratégiques sont abandonnés ou démantelés. Leurs occupants regagnent leurs anciens villages qui sont alors parfois transformés en villages de « résistance » (Burchett, 1965, p. 294).


26 novembre 63 : Lors d’un C.N.S., LBJ approuve les décisions de guerre de subversion prises lors de la conférence d’Honolulu contre le N-V et le Laos. On produit le National Security Action Memorandum 273 (NSAM-273) préparé par Bundy (conseiller à la Sécurité nationale) dès la conférence d’Honolulu  (voir 21 novembre) qui assure une poursuite de la politique américaine à l’égard du Vietnam telle que l’avait pensée Kennedy. LBJ s’engage à poursuivre l’aide économique et militaire « contre la conspiration communiste dirigée et aidée de l’extérieur ». L’aide économique et politique doit particulièrement atteindre la région du delta du Mékong qui demeure la plus touchée par l’influence du Vietcong. En continuité avec les décisions du C.N.S. du 2 octobre, 1 000 soldats américains devront avoir quitté le pays pour la fin 1963 (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 217 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 175-177 ; Johnson, 1972, p. 65).

Dans ses mémoires, Johnson confie demeurer cependant inquiet et pas toujours en phase avec l’optimisme de certains : l’assassinat de Diem « avait créé pour les Vietnamiens plus de problèmes qu’il n’en avait résolu ». Rusk et McN sont conscients que le futur retrait des conseillers américains repose sur l’hypothèse d’une stabilisation du régime politique au S-V qui ne se manifeste toujours pas pour l’instant (Johnson, 1972, pp. 65-66).


Fin novembre 63 : Selon Nguyen Huu Tho (président du F.N.L.), « les forces armées de Libération et la population ont détruit 1 662 hameaux stratégiques, balayé des centaines de postes – 401 furent anéantis ou évacué par l’ennemi en Cochinchine, parmi lesquels quelques-uns d’une très grande importance dans les provinces de My Tho, Long An, Ben Tre et Camau. Durant la même période, nos compatriotes et nos troupes ont tué 5 495 soldats et officiers dont 31 Américains et en ont capturé 990 dont 4 Américains. Nous nous sommes emparés de 2 272 armes de tout type, dont 16 mortiers, 47 mitrailleuses, 32 avions et hélicoptères ont été abattus et 30 endommagés. En outre, 6 358 soldats et officiers ont déserté. » (cité in Burchett, 1965, p. 294)

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