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par Jean-François Jagielski

Novembre 1953

Novembre 53 : Les Vietnamiens connaissent les grands traits du plan Navarre grâce aux indications fournies par les services de renseignements chinois : le choix de Dien Bien Phu pour y installer une base aéroterrestre et les intentions de l’opération Atlante. Selon eux, « il faut détruire le plan Navarre ». Pour ce faire, ils savent qu’ils doivent multiplier les attaques dans toutes les parties de l’Indochine : en Haute-Région (prendre Laï Chau pour isoler Dien Bien Phu), intervenir au Moyen et Sud-Laos, au nord-est de Cambodge et au sud du Vietnam, mais aussi dans la région de Tay Nguyen (Centre-Vietnam). Le but de ces multiples attaques est de disperser les forces françaises pour mieux les affaiblir (Goscha, 2003, p. 52).

A la veille de la campagne d’automne, l’armée de l’air en Indochine dispose  de 3 groupes de transport (environ 70 Dakota et 6 C-119). L’aviation de chasse et de bombardement dispose d’une centaine d’appareils qui peuvent être renforcés par une quarantaine d’avions de l’aéronavale. Par rapport à la situation antérieure, il y a donc une amélioration (Cadeau, 2019, p. 459).


2 novembre 53 : L’état-major français est mis au courant d’une action du VM sur Laï Chau et ses maquis profrançais. La division 316 et des éléments d’une autre division qui se trouvaient au sud de Hoa Binh (sud-ouest d’Hanoï) font mouvement vers le pays thaï pour y arriver entre le 7 et le 11 novembre, sans que l’on sache côté français si l’effort va se porter sur le Delta ou la Haute-Région et le Laos. Or Giap a choisi la deuxième solution (voir 19 novembre).

Navarre prescrit à Cogny (commandant les T.F.I.N.) d’occuper la vallée de Dien Bien Phu par une opération aéroterrestre à lancer le 1er décembre voire entre le 15 et 29 novembre pour précéder, si possible, l’arrivée de la division 316. Il n’a pas vraiment la paternité de cette idée qui vient de Cogny (voir 26 juin) et reprend à son compte le plan de Salan qui voulait, avant son départ, reconquérir tout ou partie du pays thaï. Un projet dont les deux hommes ont forcément discuté lors de la passation de pouvoir. La cuvette, dotée d’une piste d’atterrissage depuis l’occupation japonaise et point de départ pour une invasion du Laos, devient la clé de défense du Haut-Laos où les Français implantent donc une nouvelle base aéroterrestre (Gras, 1979, pp. 520-521).

Le vice-président Nixon rencontre Bao Dai à Dalat le 2. Il lui demande de s’impliquer plus dans les affaires militaires et d’assumer son rôle de chef de guerre. L’ex-empereur, à son habitude, esquive. Il rappelle à Nixon que la Constitution française de 1946, en instaurant l’Union française, est incompatible avec l’idée de pleine souveraineté du Vietnam. Ce cadre doit donc être modifié. Bao Daï remercie son interlocuteur pour l’aide américaine récente (385 millions de dollars) qui vont lui permettre de renforcer son armée.


3 novembre 53 : Le colonel Berteil (sous-chef d’état-major aux opérations, ancien commandant de la base de Na San après le départ du général Gilles) se rend de Saigon à Hanoi. Il remet à Cogny la directive prescrivant d’occuper Dien Bien Phu entre le 20 et le 25. Cogny organise une réunion avec son état-major en vue de la réalisation de ce projet qui ne suscite aucun enthousiasme parmi ses membres (Rocolle, 1968, pp. 176-177).

Le colonel Bastiani (état-major de Cogny, chef d’état-major des F.T.N.V.) rencontre le colonel Berteil et lui exprime ses réserves quant au projet de base aéroterrestre sur Dien Bien Phu : « Or, dans ce pays, on ne barre pas une direction. C’est une notion européenne sans valeur ici. Le Viet passe partout. On s’en rend bien compte dans le Delta. » (cité in Rocolle, 1968, p. 178, note 70)  Les 2 hommes se reverront le 11.

Le colonel Berteil se rend de Saigon à Hanoi. Il remet à Cogny la directive prescrivant d’occuper Dien Bien Phu entre le 20 et le 25. Cogny organise une réunion avec son état-major en vue de la réalisation de ce projet qui ne suscite aucun enthousiasme parmi ses membres (Rocolle, 1968, pp. 176-177).

Le colonel Bastiani (état-major de Cogny, chef d’état-major des F.T.N.V.) rencontre le colonel Berteil (état-major de Navarre, sous-chef d’état-major aux opérations) et lui exprime ses réserves quant au projet de base sur Dien Bien Phu : « Or, dans ce pays, on ne barre pas une direction. C’est une notion européenne sans valeur ici. Le Viet passe partout. On s’en rend bien compte dans le Delta. » (cité in Rocolle, 1968, p. 178, note 70) Les 2 hommes se reverront le 11.

Le colonel Berteil se rend de Saigon à Hanoi. Il remet à Cogny la directive de Navarre prescrivant d’occuper Dien Bien Phu entre le 20 et le 25. Cogny organise une réunion avec son état-major en vue de la réalisation de ce projet qui ne suscite aucun enthousiasme parmi ses membres (Rocolle, 1968, pp. 176-177).


4 novembre 53 : Les membres de l’état-major de Cogny rédigent un rapport dans lequel ils exposent leurs inquiétudes quant à la défense du Delta si l’on doit créer une base aéroterrestre à Dien Bien Phu. L’hypothèse d’une attaque du VM sur le seul Delta n’est toujours pas écartée. L’opération Mouette n’est d’ailleurs toujours pas terminée (Rocolle, 1968, p. 178).

Discours du vice-président américain Richard Nixon à Hanoï. Il se rend ensuite sur le front sud-ouest de Ninh Binh où se déroule depuis le 15 octobre l’opération Mouette (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 59).

Diem (voir 12 - 16 octobre) est reçu par Vincent Auriol. Il est donc considéré comme « une carte qu’il sera peut-être pertinent de jouer un jour », selon l’expression du chef de cabinet du président de la République qui le juge « loyal et intègre » et « le seul à pouvoir rivaliser avec Ho Chi Minh » (Journoud, 2011, p 55). Lors de l’entretien, Diem déclare à Auriol : « Pour arriver à la cessation des hostilités, il faut l’équilibre des forces au point de vue militaire ; il existe. Et il faut surtout une meilleure situation au point de vue politique. Il faudrait matérialiser l’indépendance, par un exécutif efficace, avec une politique de bien-être, de justice […] Il ne faut plus de dualité de pouvoir. Il faut un gouvernement vraiment responsable. » Auriol, de son côté, plaide pour le maintien du Vietnam dans l’Union française, seule raison de son engagement militaire aux côtés des Vietnamiens : « D’autre part, état d’esprit français : puisque le Vietnam ne veut pas appartenir à l’Union, pourquoi faire le sacrifice de nos soldats ? C’est logique. Mais le jour où la France s’en irait, soyez tranquille, elle serait remplacée. Si une collaboration doit être établie pendant tout le temps où vous avez besoin de nous, pour être ensuite rompue, il vaut mieux que nous le sachions immédiatement, ce ne serait pas franc, pas honnête d’obtenir de nous tous les sacrifices pour nous dire ensuite : sortez de la maison, elle est maintenant à nous. » (Auriol 7, 2003, p. 387)

L’unité chargée du repérage pour ouvrir la voie à la division 316 quitte la province de Thanh Hoa pour se rendre dans le Nord-Ouest (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 59).

Un vol de reconnaissance a lieu dans le ciel de Dien Bien Phu pour prendre des photos topographiques puis un Dakota lâche du napalm sur la cuvette afin de raser le riz et les broussailles. Le résultat n’est pas satisfaisant à cause d’un taux d’humidité ambiant trop important (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 60).


6 novembre 53 : Face à la levée de boucliers dans son état-major, Cogny envoie un télégramme à Navarre. Il fait valoir son argumentation sur laquelle il ne reviendra pas par la suite : s’il est important de sauver le pays thaï, il est encore plus important de sauver le Delta. Si l’on occupe Dien Bien Phu, le Tonkin devra recevoir de nouveaux renforts pour compenser les troupes qui vont partir pour le Haute Région (Rocolle, 1968, p. 179).

L’Assemblée nationale française rejette la demande de levée des immunités parlementaires contre les communistes par 302 voix contre 291, démarche initiée en octobre 1952 par la justice militaire (Navarre, 1956, pp. 113-114).


7 novembre 53 : Fin de l’opération Mouette. La pression se relâche : la division 320 n’est plus en état d’intervenir dans le Delta avant un ou deux mois. Ce revers oblige Giap à modifier sa stratégie (voir fin octobre) qui demeure toutefois offensive (faire tomber Laï Chau et se diriger vers le pays thaï). Mouette demeure une opération purement retardatrice, le général Gilles replie l’ensemble de ses troupes sur le Delta.

La France transfert au Cambodge les éléments de souveraineté qu'elle détenait encore, notamment en matière de défense.


8 novembre 53 : Après une grève du pouvoir entamée le 13 juin, retour de Sihanouk à Phnom Penh (voir 14 juin) avec reprise de ses fonctions (Gras, 1979, p. 509).


9 novembre 53 : Navarre s’entretient longuement dans l’après-midi avec le colonel De Crèvecœur (responsable de maquis défensifs au Laos). L’occupation de Dien Bien Phu permettrait au colonel de sortir de son attitude purement défensive. Navarre lui confie vouloir installer une base aéroterrestre à Muong Sai. La position n’est pas très bonne mais elle dispose d’une piste d’atterrissage et permettrait de lancer des bataillons légers vers Muong Khoua voire Dop Nao, à 2 jours de marche de Dien Bien Phu. Le commandant Vaudrey (que Navarre avait croisé à Na San lors de son incident d’avion) est un bon connaisseur de la région. Il pourra agir (Pouget, 2024, pp. 144-145).


11 novembre 53 : Suite à l’annonce de la création de la base de Dien Bien Phu, nouvelle réunion à l’état-major des F.T.N.V. en présence de Cogny et du colonel Berteil (sous-chef d’état-major aux opérations envoyé par Navarre). Sont présents les généraux Gilles (troupes aéroportées, futur responsable de l’opération Castor) et Deschaux (commandant le G.A.T.A.C.-Nord), les colonels Bastiani (chef d’état-major des F.T.N.V.), Denef et Multrier ainsi que le colonel Loustal (sous-chef d’état-major-opérations du général Deschaux). Le colonel Nicot (commandant le sous-groupement des moyens militaires de transport), de passage, est également présent.

On évoque surtout le rôle des aviateurs. Ceux-ci émettent des réserves. Le général Deschaux fait savoir que son souci principal est la sécurité de la piste qui doit être couverte par un système défensif devant permettre aux avions de décoller et atterrir sans la moindre gêne. Il estime que l’appui de l’aviation de chasse sera limité car les avions devront avoir recours à des réservoirs supplémentaires. Il attire également l’attention des participants sur les conditions météorologiques qui risquent d’être défavorables tantôt dans le Delta tantôt en Haute Région (Rocolle, 1968, pp. 180-181). Le colonel Nicot « expose objectivement les difficultés techniques qu’aurait à surmonter l’aviation de transport ». Selon Navarre, ce jour-là, il « ne les avait nullement déclarées insurmontables ». Toujours selon le même, le général Lauzin (commandant l’aviation en Indochine) et le général Dechaux (commandant l’aviation au Nord) n’ont pas jugé utile de rendre compte des remarques de Nicot au commandant en chef (Navarre, 1979, p. 330, note 1)


9 novembre 53 : Le Laos est reconnu comme pleinement indépendant par la France. Le pays vient  d’adhérer à l’Union française (voir 23 octobre).

Défilé à Phnom Penh de troupes franco-cambodgiennes en présence de Sihanouk et du général De Langlade, commandant des troupes françaises au Cambodge. Ce défilé marque le départ des troupes françaises et donc la fin du statut de protectorat. Le pays demeurera membre de l’Union française et ce, jusqu’au 19 décembre 1955 (Cambacérès, 2013, p. 93).


12 novembre 53 : Cogny remet au colonel Berteil (sous-chef d’état-major aux opérations envoyé par Navarre) une lettre qui doit être remise au commandant en chef portant sur la préparation de l’opération Castor. Il y précise : «  […] S’il n’y avait pas cette carte politique thaïe, avec le maniement des partisans en général, je n’aurais guère, en tant que général commandant les forces terrestres au Nord-Vietnam, à vous présenter  que des objections  à l’opération en cause. Les conditions stratégiques qui la font s’imposer à votre échelon n’intéressent pas, en effet, le territoire que vous m’avez confié. En prenant position comme je l’ai fait, j’ai donc essentiellement en vue le jeu politico-militaire que je crois pouvoir mener utilement dans cette région, et pour lequel je vous demande de bien vouloir me renouveler votre confiance. Le colonel Berteil vous dira sans doute qu’il a trouvé ici peu d’enthousiasme, tant à mon état-major que chez les paras et les aviateurs, pour cette opération. Je vous demande de ne voir là que l’expression d’opinions fondées sur des vues souvent partielles, et qui n’interfèrent en aucun cas sur la discipline intellectuelle de tous. » (cité in Rocolle, 1968, p. 183)

Laniel affirme devant le Conseil de la République (chambre haute du Parlement français équivalant au Sénat) que « si une solution honorable était en vue, dans le cadre local ou international, la France, comme les États-Unis en Corée, serait heureuse d’accueillir une solution diplomatique au conflit [indochinois]. » (voir 27 octobre) (cité in Gras, 1979, p. 539).


13 novembre 53 : Nouveau Conseil de Défense nationale deux mois après le premier (voir 24 juillet). Navarre ne sera mis au courant à Saigon de ses décisions que le 4 décembre, au moment même où il s’engage à Dien Bien Phu… Au sujet des renforts demandés, Navarre devra « ajuster ses plans aux moyens mis à sa disposition ». Contrairement au précédent Conseil, un écrit est cette fois produit. Il s’agit pas de remporter une victoire mais d’« amener l’adversaire à reconnaître qu’il [est] dans l’impossibilité de remporter une décision militaire ». Mais sans moyens nouveaux pour ce faire… On discute à nouveau d’une possibilité de négociation en vue d’un armistice (voir 27 octobre) et on décide d’envoyer l’amiral Cabanier à Saigon pour poser la question de cette opportunité à Navarre (voir 20 novembre) (Gras, 1979, p. 514 et p. 539).

Le général Ély (chef d’état-major des Forces armées) adresse à Navarre une lettre dans laquelle il lui fait comprendre que ses demandes de renforts en hommes et en cadres pour l’Indochine se font au détriment des « autres parties du monde et particulièrement en Europe. » Il lui confie : « Notre système militaire actuel nous oblige à faire de « l’épicerie » et vous savez que pour mettre sur pied et vous envoyer un seul bataillon, il nous faut en casser plusieurs. Ainsi non seulement nous aboutissons à une diminution de nos forces affectées à la défense de la métropole, mais nous provoquons une désorganisation extrêmement profonde et durable. » Selon Ély, c’est « l’impossibilité politique d’envoyer le contingent en Indochine qui nous amèn[e] à faire ces opérations « d’épicerie » […] » (Ély, 1964, pp. 36-38).

Répondant à une directive de Navarre en date du 9 sur la participation de l’armée de l’Air à l’opération Castor, la réponse du général Lauzin (commandant l’aviation en Indochine) laisse entendre que la mobilisation des moyens militaires va obliger à réquisitionner des avions civils pour satisfaire d’autres besoins. Aucune objection n’est faite dans ce courrier au futur bon fonctionnement du pont aérien (Rocolle, 1968, p. 187, note 103).


14 novembre 53 : Malgré les récentes objections de Cogny et son état-major, Navarre arrête sa décision par une directive adressée au commandant des F.T.V.N. et au général commandant les F.T.L. (forces terrestres du Laos) : Dien Bien Phu doit être réoccupé pour des raisons militaires et politiques (défendre le Laos). Les troupes du Laos doivent se porter vers le Nord-Est afin de pouvoir prendre liaison avec la future garnison de la base aéroterrestre. Le commandant en chef n’a reçu aucun aval de Paris mais peut s’appuyer sur l’accord signé entre le gouvernement français et laotien du 28 octobre par lequel la France s’engage à défendre cet État associé. Position défendue par le commissaire général Dejean et Marc Jacquet (Relations avec les États associés) (Cadeau, 2019, pp. 467-468).

Dans la même instruction, Navarre prescrit à Cogny le repli de la garnison de Laïchau sur Dien Bien Phu sous le nom d’opération Pollux. Le commandant des F.T.V.N. a toute latitude pour opérer ce repli quand bon lui semble (Rocolle, 1968, p. 225, note 70).

Le roi du Laos, Vivanong Vong, débarque à Saigon de retour de France où il est allé négocier les accords bipartites du 23 juillet. L’adhésion du Laos à l’Union française a été signée à Paris le 22 octobre. Le Laos est le premier (et sera d’ailleurs le seul) État associé indépendant adhérant à l’Union française. Le texte définit en son article 2 l’Union française « comme une Communauté où tous les associés mettent en commun leurs moyens pour garantir la défense de l’ensemble de l’Union ». De plus, la France et le Laos ont signé un accord militaire le 28 octobre. Navarre, qui n’a jamais obtenu d’instructions claires de son gouvernement à l’égard de la défense du Laos, considère donc que l’adhésion de ce pays à l’Union française engage la responsabilité militaire de la France et qu’il se doit de le défendre.


15 novembre 53 : Arrivée à Saigon de Marc Jacquet (secrétaire d’État chargé des relations avec les États associés). Un déjeuner est organisé au palais Norodom, résidence du commissaire général Dejean. A 17 h 00, Jacquet demande à être reçu par Navarre. Il est mécontent de ses conditions d’hébergement dans un pavillon annexe du palais Norodom et demande à Navarre de l’accueillir dans de meilleures conditions… Les choses se calment. Le soir Jacquet et Navarre se revoient. On évoque « les différentes positions des membres du gouvernement vis-à-vis du problème indochinois ». Selon Jacquet, l’« imbécile » de Laniel ne tiendra pas et le prochain président du Conseil sera Mendès France qui reprendra Jacquet dans son équipe. Navarre peut donc compter sur lui (Pouget, 2024, pp. 146-149).

Constitution du G.M. 100 (3 498 hommes), une unité d’élite, bien dotée, bien entraînée, composée en partie de vétérans français de la guerre de Corée (Fall, 2020, pp. 222-223).


16 novembre 53 : Réunion à laquelle participent Jacquet, Navarre et Dejean. On évoque la situation au Laos. Navarre informe les participants de son intention d’occuper Dien Bien Phu et leur demande d’exprimer leur avis. Dejean estime que « le contraire est impensable ». Jacquet exprime, au contraire, avec « euphémisme », le fait qu’il est partisan d’une négociation avec le VM. Ce qui est la position de Mendès France dont il vise les grâces (voir 15 novembre). Selon Pouget, « il ne croyait pas que la France puisse être « relevée » par le Viet Nam de Bao Daï ni le corps expéditionnaire par l’armée vietnamienne. » Toutefois, il estime qu’il ne faut pas laisser « prendre Luang Prabang, occuper la vallée du Mékong et border la frontière de Thaïlande » car « ce sera l’effondrement de l’opinion publique en France et pour nous la guerre est perdue avec l’Union française. » (Pouget, 2024, pp. 149-150)


17 novembre 53 : Navarre vient à Hanoï mettre au point les modalités de Castor (opération aéroportée sur Dien Bien Phu). Sont présents les généraux Cogny (commandant des forces terrestres du Tonkin), Masson (son adjoint), Gilles (troupes aéroportées), Deschaux (aviation, G.A.T.A.C.-Nord), les colonels Berteil (sous-chef d’état-major aux opérations) et Revol (état-major de Navarre, directeur de cabinet). Navarre et Cogny  sont en principe d’accord pour occuper Dien Bien Phu. Dechaux et Gilles sont plus réticents pour des raisons techniques et tactiques : la cuvette de Dien Bien Phu est occupée par un bataillon vm, le 910e chargé d’instruire les troupes régionales, et d’autres bataillons du régiment 148 situés à un ou deux jours de marche peuvent intervenir. Des bataillons de la division 316 sont en route vers la Haute Région mais ne pourront être sur place avant le 23 novembre.

Malgré les fortes réserves du général Masson, Navarre tranche et fixe l’opération au 20, si la météo le permet. Gilles acquiesce au final. Quant à Cogny, selon Navarre, il n’émet qu’une « réponse ambiguë » et « ne conclut pas ». (Gras, 1979, p. 522 ; Navarre, 1979, pp. 321-322 ; Pouget, 2024, pp. 151-153). Cette réserve latente à l’égard de Castor, Cogny se gardera bien de la manifestera publiquement, multipliant de novembre 1953 à février 1954 à qui veut l’entendre et notamment à la presse française ou anglo-saxonne, les déclarations de confiance en faveur du camp retranché de Dien Bien Phu (cf. le catalogue de ses déclarations in Navarre, 1979, pp. 336-337, note 1). Jamais lors de ses déclarations écrites devant la commission d’enquête après la défaite de Dien Bien Phu (voir 17 novembre 1955), Cogny ne dira ouvertement qu’il était opposé à Castor : «  […] Dien Bien Phu était une chose possible […] à condition de pouvoir faire des actions extérieures. » (cité in Rocolle, 1968, p. 186, note 100).

Après cette décision, Gilles et le lieutenant-colonel Ducorneau s’enferment dans une villa pour préparer dans le plus grand secret l’opération. Ils ont 48 heures devant eux. De leurs choix, rien ne filtrera avant la dernière minute. Les commandants de la première vague (Bigeard et Bréchignac) sont mis au fait le plus tardivement possible (Pouget, 2024, p. 153-154).


17 - 21 novembre 53 : Mission de l’amiral Cabanier (secrétaire  général adjoint à la Défense) à Saigon (voir 13 et 20 novembre) envoyé sur la suggestion de son ministre. Il sera reçu par Navarre le 20 à Saigon (voir cette date). Selon Laniel, l’amiral demande à Navarre s’il n’estimait pas le moment venu, au vu de l’amélioration de la situation militaire, « de rechercher activement une négociation pour un « cessez-le-feu ». » Selon Laniel, Navarre répond négativement estimant que la situation sera probablement meilleure au printemps (Laniel, 1957, p. 41).


19 novembre 53 : A la veille de l’opération Castor, Navarre quitte Hanoi pour Saigon (Rocolle, 1968, p. 215).


19 - 23 novembre 53 : Conférence des cadres de l’A.P.V.N. à Dong Dau (près de Thaï Nguyen) pour définir le plan de campagne à venir : le Nord-Ouest (Laos) constitue la zone principale et le Delta doit être désormais considéré comme un front secondaire (mais Giap y maintiendra des troupes capables de partir au Laos, pour troubler les Français sur ses véritables intentions). Des opérations de diversion seront également lancées à partir du Sud-Laos et dans la région de Kontum (Centre-Vietnam, nord de Pleiku). Pour le VM, toute l’Indochine doit être considérée comme un théâtre d’opérations potentielles. Ce qui complique sérieusement la tâche des Français en les plongeant dans un doute permanent (Gras, 1979, p. 520). Au cours de cette conférence, Giap déclare au sujet du Nord-Ouest où les populations thaïes ne sont pas toujours favorables au VM : « Les régions que nous libérons [en Haute Région] sont importantes du point de vue stratégique, et doivent être consolidées pour devenir des bases stables. En consolidant la région libérée de Laïchau, nous mettons en échec le complot de l’ennemi qui cherche à semer la division entre différentes nationalités, lui enlevons une base pour recruter des pirates qui troublent la sécurité de nos arrières […] (cité in Rocolle, 1968, p. 157 ; voir également pp. 198-199).


20 novembre 53 : Les généraux Gilles (commandant les troupes aéroportées), Deschaux (commandant le groupement aérien tactique Nord, G.A.T.C.-Nord) et Bodet (commandant en chef adjoint des forces interarmées de Navarre) partent de Hanoi à 5 h 00 à bord d’un Dakota puis survolent la plaine de Dien Bien Phu pour décider si les conditions atmosphériques sont favorables au déclenchement de l’opération Castor. Le feu vert est donné à 7 h 20 de Hanoi pour lancer l’opération. A 8 h 45, 33 Dakota décollent de l’aéroport de Bach Mai alors que 32 autres avions attendent l’ordre de s’envoler de Gia Lam (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, pp. 60-61). Navarre informe le gouvernement du déclenchement de l’opération (Laniel, 1957, pp. 36-37).

Démarrée entre 10 h 35 et 10 h 45, il s’agit de la plus grosse opération aéroportée de la guerre d’Indochine réalisée au moyen de 67 Dakota, soit la presque totalité de la flotte (voir octobre). Un groupement de parachutistes composé de 6 bataillons dont le 6e B.P.C. du commandant Bigeard (largué au nord-ouest de Dien Bien Phu) et le 2e bataillon du 1er R.P.C. du commandant Bréchignac (largué au sud de Dien Bien Phu et à l’ouest de la Nam Youn) en première vague. Ils appartiennent au groupe aéroporté 1 (G.A.P. 1). Au total, en 2 jours,         2 650 hommes seront parachutés, appuyés par un groupe de 75 sans recul. Les troupes de la première vague s’emparent assez facilement de la zone (15 tués et une cinquantaine de blessés côté français, 115 morts et 4 blessés côté vietnamien), bénéficiant d’appui aérien. Selon Gras, l’opération n’est considérée, dans un premier temps que comme « une opération secondaire de couverture stratégique et à caractère politique local. » (Gras, 1979, p. 523) A 16 h 00, le village de Dien Bien Phu est conquis par les parachutistes de la première vague.

Le choix de cet emplacement avait longuement été discuté, y compris sous le commandement de Salan. Le colonel Bastiani, chef d’état-major des forces terrestres du Nord-Vietnam, et une grande partie de l’état-major de Cogny ne croyaient pas que l’emplacement retenu puisse barrer la route du Laos (voir 3 novembre). De leur côté, les aviateurs avaient également mis en garde : les conditions météorologiques dans le Delta et en Haute-Région ainsi que la limite de carburant pour les chasseurs qui ne pouvaient demeurer plus de 10 minutes sur zone rendraient l’appui aérien incertain voire même très aléatoire. Même Cogny (commandant des forces terrestres du Tonkin), initiateur du projet le 26 juin, était devenu plus réticent mais demeurait plus qu’ambigu mêlant silence lors de la réunion du 16 et déclarations publiques en faveur de l’occupation de Dien Bien Phu, du moins à ses débuts (Gras, 1979, p. 521).

Le jour même de l’opération, Navarre, revenu de la veille de Hanoi, apprend à Saïgon par le biais d’un courrier que lui remet l’amiral Cabanier qu’il n’aura pas les renforts demandés (voir 13 novembre) (texte de la lettre in Rocolle, 1968, pp. 56-57). Il doit faire au mieux avec les moyens dont il dispose. L’amiral a été mandaté par Laniel qui veut en savoir plus avant le débat parlementaire du 26 portant sur le projet de Communauté européenne de défense (C.E.D.) qui risque de menacer la vie de son cabinet. A la question de l’amiral sur l’opportunité d’entamer des négociations d’armistice avec le VM évoquée en Conseil de défense le 13, Navarre qui croit encore en sa chance lui répond qu’il faut attendre les résultats de la campagne d’hiver (Gras, 1979, p. 523 ; Rocolle, 1968, pp. 216-217).

Le commandement de l’opération est confié à Cogny et au général Déchaux (commandant le G.A.T.A.C.-Nord). Toutefois, le commandant en chef a pu observer chez Cogny une « attitude hésitante » et craint qu’il ne « flanche au dernier moment ». Navarre qui se rendra par la suite à plusieurs reprises à Dien Bien Phu délègue donc ses pouvoirs à un adjoint, le général d’aviation Bodet, qui demeurera en résidence permanente à Hanoi aux côtés de Cogny. Selon Navarre, au cours des événements à venir « […] aucune divergence de vue n’a notamment existé […] » (Navarre, 1956, p. 203 ; Navarre, 1979, pp. 331-322).

Le commandant en chef reçoit le contre-amiral Cabanier (sous-secrétaire général adjoint à la Défense) missionné par Laniel (voir 17 - 23 novembre). Ce dernier sort de sa serviette une copie de la décision du Comité de Défense nationale du 13 novembre. La réponse sur sa demande de renforts est négative : « Le Comité décide de s’en tenir aux termes de la note du 11 septembre 1953. » (voir cette date) Décision que Navarre avait rejetée. Selon Pouget, Cabanier laisse entendre à Navarre que cette décision gouvernementale peut être modifiée par la suite. Après lui avoir passé un peu de baume « pour les succès obtenus », le Comité demande au commandant en chef « d’ajuster en conséquence ses plans aux moyens mis à sa disposition pour amener l’ennemi à reconnaître qu’il est dans l’impossibilité de remporter une décision militaire. » Comme Jacquet peu de temps avant, le contre-amiral indique à son interlocuteur combien le gouvernement est divisé sur la question des négociations. Pour certains, on doit se contenter des succès récents de l’opération  Mouette (voir 7 novembre) et de la récente occupation de Dien Bien Phu. Cabanier demande l’avis de Navarre. Celui-ci est pessimiste et lui répond : « Nous avons mangé le hors d’œuvre, demain nous attaquons le plat de résistance. » Le VM va déclencher de multiples opérations : dans le Delta, au Laos et des actions secondaires au niveau des Lien-Khu 4 et 5. Le succès de l’opération Mouette a permis de retarder ces actions mais le potentiel offensif du VM n’est pas entamé. Pour négocier, il faut être en position de force. Et on ne pourra l’être qu’au printemps prochain, ce qui suppose l’arrivée  de renforts (Pouget, 2024, pp. 158-161 ; note du Comité citée in extenso in Rocolle, 1968, p. 57).

Au soir, le commandement vietnamien apprend le parachutage des Français. Giap présidait une conférence en cours de cadres sur le plan hiver-printemps 1953-1954 à Dong Thau (près de Thai Nguyen). Dans la nuit, la Commission générale du comité militaire se réunit. Elle  décide que la concentration de troupes françaises sur Dien Bien Phu change la donne. La division 316, mise en mouvement le 4, marchera sur Lai Chau tandis que la division 308 encerclera l’ennemi à Dien Bien Phu. La division 304 reçoit l’ordre de quitter Thanh Hoa pour se diriger vers Dien Bien Phu (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 59 et p. 67).

L’Institut français d’opinion publique (I.F.O.P.) publie un sondage pour le journal Le Monde touchant à la guerre d’Indochine :

35 % des sondés estiment qu’il est souhaitable de traiter avec le VM.

15 % pensent qu’il faut abandonner l’Indochine et rapatrier les troupes.

6 % pensent qu’il faut faire appel à l’O.N.U. ou aux U.S.A.

5 % estiment qu’il faudrait une action plus énergique ou se décider à l’abandon.

2 % fournissent d’autres réponses.

23 % ne fournissent aucune réponse (cité in Rocolle, 1968, p. 20 ; sondage non retrouvé dans les archives du Monde en ligne à la date du 20 novembre 1953).


21 novembre 53 : Largage sur Dien Bien Phu de 3 bataillons d’un autre groupement aéroporté (2e B.P.C., 1er B.E.P. et 5e B.P.V.N. appartenant au groupement aéroporté 2, G.A.P. 2, commandé par le colonel Langlais). Le général Gilles, malgré son âge et son état de santé, en est.

Les correspondants de presse à Hanoi font état par des câbles de l’installation d’un camp retranché durable à Dien Bien Phu comparable à celui de Na San pour soutenir les maquis de la Haute Région. Ces câbles seront publiés dans la presse métropolitaine à partir des 22 et 23 novembre (voir ces dates). L’opération est largement couverte par la presse car Cogny, à son habitude, communique. Giap sera informé par ce canal dès le 24. Les indiscrétions de la presse révèlent également que les Français sont au courant du départ de la division 316, ce qui incitera le VM à modifier ses codes de transmission. La communication de ces informations par Cogny et son entourage agacent Navarre (Rocolle, 1968, pp. 204-206).

Dans une déclaration à la presse, Cogny indique que si les moyens aériens l’avaient permis, il aurait transporté d’un bloc l’ensemble de la garnison de Na San à Dien Bien Phu. Ce qui aurait évité le sacrifice des unités d’arrière-garde thaïes qui n’ont pu être embarquées dans les avions et qui ont dû rejoindre Dien Bien Phu par leurs propres moyens, non sans être durement accrochées par le VM (Rocolle, 1968, p. 161).

Après sa rencontre de la veille avec Navarre, départ du contre-amiral Cabanier pour la France (Pouget, 2024, p. 161).

Navarre se rend au Cambodge pour assister à la fête des eaux. Contrairement à Cogny, il ne communique pas avec la presse sur l’opération en cours (Pouget, 2024, p. 158).

Certains membres de l’état-major du VM partent pour le Nord-Ouest afin de préparer le P.C. du front (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 59).


21 – 22 novembre 53 : Poursuite du parachutage de 3 bataillons sur Dien Bien Phu et d’un groupe d’artillerie (Navarre, 1979, p. 322).


22 novembre 53 : Liaison est prise avec la base de Laichau dont la garnison doit rejoindre sous peu Dien Bien Phu (voir 8 décembre) (Navarre, 1956, p. 201). A Dien Bien Phu sont présents 4 560 combattants. Les premiers parachutistes seront par la suite progressivement retirés et remplacés par des formations d’infanterie. Contrairement à ce qui s’était passé à Na San, elles auront tout de suite pour mission de « rayonner » (voir 8 décembre) mais les choses se compliqueront sérieusement dès l’arrivée massive des divisions du VM (Cadeau, 2019, pp. 469-471).

La piste d’atterrissage de Dien Bien Phu, après un début de réparation, est en partie opérationnelle pour les avions de reconnaissance. Un premier avion de reconnaissance y atterrit à 10 h 30 (Rocolle, 1968, p. 201).


22 - 23 novembre 53 : Giap a désormais confirmation par des articles de presse française que l’armée installe à Dien Bien Phu un camp retranché comparable à celui de Na San. Ces informations ont été malencontreusement données par Cogny (commandant des forces terrestres du Tonkin) et des officiers de presse. L’ampleur du pont aérien mis en place à partir du 26 novembre ne fera que conforter ces informations (Gras, 1979, p. 525).

Pour autant, Giap hésite au vu des réactions au Comité central comme dans son propre état-major. Craignant un renforcement des franco-vietnamiens à longue échéance, il se décide pourtant à agir en concentrant les divisions 308, 312, 316 et 351 vers la zone réoccupée par les Français. Il écrira par la suite : « De toute façon, quels que soient les changements qui surviendront dans le camp ennemi, le parachutage de ses forces à Dien Bien Phu, pour l’essentiel, crée une situation qui nous est favorable. » (cité in Ruscio, 1992, p. 194)

Les reconnaissances françaises envoyées du 22 au 24 novembre trouvent le vide et peuvent prendre contact avec les partisans thaï venus de Laïchau (Rocolle, 1968, p. 201).


23 novembre 53 : Le général Gilles commande à Dien Bien Phu 6 bataillons de parachutistes (5 100 hommes), 2 batteries de 75 sans recul (du 35e régiment d’artillerie légère parachutiste), une compagnie de mortiers lourds. On amorce la fortification du camp retranché. Le 1er B.E.P. creuse des emplacements de combat de qualité sur Anne-Marie au nord-est de Dien Bien Phu. Le 1er B.P.C. et le 5e B.P.V.N. occupent les hauteurs à l’est, sur Éliane et Dominique. Les avions cargos civils et militaires continuent à larguer sans discontinuer du matériel en attendant la mise en fonction de la piste d’atterrissage (Pouget, 2024, p. 157).

Au Cambodge, mise en place du gouvernement Chan Nak qui demeurera jusqu’au 6 avril 1954 (Jennar, 1995, p. 147).


24 novembre 53 : Mise en service du terrain d’aviation de Dien Bien Phu aménagé sous les ordres du général Gilles, commandant des troupes aéroportées (Navarre, 1956, p. 201).

Les divisions d’élite 308, 312 et 351 (division lourde équipée de camions) qui stationnaient dans la région de Phu To et Thaï Nguyen reçoivent l’ordre de faire mouvement vers Dien Bien Phu. Elles ont alors, pour les 2 premières, à parcourir 5 à 600 km à pied de nuit (Pouget, 2024, p. 162).

Laniel (président du Conseil) déclare : « Nous sommes prêts à étudier les propositions de l’ennemi pour un cessez-le-feu sans exiger sa capitulation inconditionnelle. » Cette déclaration va dans le sens de la politique défendue par le radical Pierre Mendès France et la gauche, tous favorables à une négociation directe avec le VM. Voire même celle de Georges Bidault et du M.R.P., plus modérée, mais qui préconisent aussi « un règlement général en Asie » incluant la Chine, un pays qui peut influer sur le VM (Devillers, 2010, p. 332).


25 novembre 53 : La piste de Dien Bien Phu est désormais opérationnelle, un premier Dakota peut y atterrir un peu avant midi. 4 500 hommes (5 100 selon Rocolle, 1968, p. 202) poursuivent la construction du camp retranché qui doit être, selon les directives, « aussi économique que possible » (Gras, 1979, p. 522). 145 tonnes de fils barbelés et 5 à 6 unités de feu (un nombre de munitions par pièces d’artillerie) sont dès lors disponibles. La piste d’aviation (qui existait depuis la présence des Japonais) sera encore agrandie par la suite et remise en état par des éléments du génie.

Le bulletin 350 sur la « situation militaire en Indochine » issu de l’état-major de Navarre indique : « La portée politique, économique et militaire est telle que, maniée avec succès, elle priverait pratiquement l’ennemi des avantages acquis par lui au cours de la campagne 1952-1953. Il est donc à prévoir qu’il réagira avec force. » (cité in Pouget, 2024, p. 158)


26 novembre 53 : La vocation du camp retranché n’est toujours pas clairement définie : forteresse barrant la route du Laos ou base de départ pour des opérations en pays thaï ? Cogny (commandant des forces terrestres du Tonkin) annonce son intention de « mener contre l’ennemi une bataille défensive dans le triangle Dien Bien Phu, Laï Chau, Tuan Giao, en s’appuyant sur Dien Bien Phu, réduit de la défense. » (Gras, 1979, p. 522 ; Rocolle, 1968, p. 224).

HCM accorde une rare interview au magazine suédois Expressen par le biais de son correspondant parisien, Svante Löfgren, qui a adressé des questions écrite à HCM faute d’avoir pu le rencontrer. Il y fait une ouverture vers les Français (voir 29 novembre). Après avoir affirmé que « le peuple vietnamien est prêt à mener la lutte patriotique jusqu’à la victoire », il ajoute : « Mais, si le gouvernement français, ayant profité de la leçon des années de guerre, souhaite un armistice et un règlement de la question indochinoise par des négociations, le gouvernement de la R.D.V. et son peuple sont prêts à discuter la proposition française. » (cité in Ruscio, 1992, p. 209)

Cette ouverture est entendue en France par certains : Paul Reynaud (vice-président du Conseil), Marc Jacquet (États associés) ou encore Albert Sarraut (qui avait déclaré dans L’Express du 5 au 12 juillet : « Je n’hésite pas à déclarer aujourd’hui, comme je le faisais en 1949 : si je retrouvais devant moi le Ho Chi Minh de 1946, je traiterais avec lui. » (cité in Rocole, 1968, p. 29, note 24)) L’offre d’HCM (qui fait cependant suite à la réunion du comité militaire du VM qui avait siégé du 19 au 23 novembre et durant lequel on avait arrêté le plan de campagne pour l’hiver 1953-1954…) n’est pas reprise par le Parlement français tout occupé, une partie de décembre, par l’élection présidentielle. Laniel n’évoquera à nouveau la question de l’Indochine que le 6 janvier 1954.

Une note de Navarre adressée à l’attention du général Ély (chef d’état-major général de la Défense nationale) et du général Blanc (chef d’état-major de l’Armée de Terre) portant sur le net déficit d’encadrement des troupes en Indochine ne recevra aucune réponse. Navarre constate d’après ses calculs que là où l’encadrement est de 1 officier pour 20 hommes en Europe où on ne se bat pas, il l’est de 1 pour 30 en Indochine où l’on se bat. Il en est de même pour les sous-officiers (Navarre, 1956, p. 105).

28 novembre 53 : A cette date, par un enchaînement de décisions des deux adversaires, Dien Bien Phu devient, selon Gras, « une épreuve de force décisive que Navarre voulait précisément éviter. »  Or, dès ce moment, le commandement français sait par son 2e Bureau que les divisions 308, 312 et 351 vont rejoindre la 316 en Haute-Région et ainsi menacer le Laos (Laniel, 1957, p.  38 ; Pouget, 2024, p. 163).

Malgré l’arrivée d’une antenne du S.R. vietminh, l’aménagement d’une importante base logistique à Tuan Giao (80 km au nord-est de Dien Bien Phu) et l’ordre donné au génie des forces du VM d’élargir la route entre les deux localités, le 2e Bureau de Navarre conclut que « rien ne permettait d’affirmer que les renforts seront envoyés au nord-ouest et quelle en serait l’importance. » Ce même 2e Bureau estime par ailleurs à tort que le VM ne peut pas entretenir en Haute-Région plus de deux divisions et 20 000 coolies, qu’il lui est impossible d’y amener des canons de calibre supérieur à 75 mm et des munitions pour plus de sept jours de combat. Ces données renforcent Navarre dans l’idée d’un combat court, où le camp retranché tiendrait le temps qu’il faudrait comme cela s’était produit à Na San (Gras, 1979, pp. 523-524). Or la division lourde 351 avec ses canons de 105 mm a reçu l’ordre de rejoindre Dien Bien Phu depuis le 24.


28 – 29 novembre 53 : Départ de la division 308 pour le Laos. Elle était jusque là cantonnée dans le nord du Delta. Pour l’instant les divisions 304, 312 et 351 n’ont pas fait mouvement (voir 22 et 24 décembre) (Rocolle, 1968, p. 208).


29 novembre 53 : Le journal suédois Expressen publie l’interview d’Ho Chi Minh qui est disposé à signer un armistice avec la France. Le président de la République Auriol engage le président du Conseil Laniel à donner suite et va jusqu’à lui-même rédiger une réponse. Mais Laniel se contente d’un communiqué qu’Auriol juge « sans allant et sans chaleur », indiquant que la France a déjà exprimé son point de vue et qu’il appartient au VM de faire connaître le sien mais par une voie officielle. Selon De Folin, le chef du gouvernement ne veut pas seulement négocier avec le VM mais dans un cadre beaucoup plus vaste impliquant l’Angleterre et les États-Unis mais aussi et surtout, l’U.R.S.S. et la Chine, dont les rôles respectifs pourraient être utiles (De Folin, 1993, p. 262 ; Auriol 7, pp. 424-426). Selon Navarre, Letourneau (États associés) déclare juger la nouvelle « d’importance mondiale ». Mais il sera recadré le jour-même par un communiqué de la présidence du Conseil qui fait savoir que cette opinion « ne saurait en aucune manière être considérée comme correspondant à la politique du Gouvernement » (Navarre, 1956, p. 112).

Alors que l’opération Castor entre dans son huitième jour, Navarre et Cogny arrivent pour la première fois à Dien Bien Phu. Pour eux c’est une belle victoire tactique : les soldats vm du régiment 148 qui occupaient les lieux ont été délogés et les troupes françaises ont pris le commandement de toute la vallée. Ils confient le commandement du camp retranché au colonel De Castries (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 59 et p. 61). Navarre, venu le décorer, demande à Gilles qui peut le remplacer après son départ. Gilles lui répond, dans l’ordre de ses préférences, De Castries ou Vanuxem (Pouget, 2024, p. 135).

Le reste du bataillon 910 qui s’était fait étriller par le 6e B.P.C. de Bigeard le 20, se regroupe sur la piste Pavie (Pouget, 2024, p. 161).


30 novembre 53 : Le général Gilles (commandant provisoire du camp retranché de Dien Bien Phu) reçoit de Cogny une instruction lui enjoignant de « garantir au minimum la libre disposition du terrain d’aviation de Dien Bien Phu ». Il doit tenir l’ennemi éloigné de la piste d’atterrissage « avec ses armes lourdes, en maintenant notre liberté d’action dans un rayon de 8 kilomètres autour de la piste. Étant donné la configuration du terrain et la direction de la menace principale, l’effort défensif devra être orienté vers l’est et le nord-est […] » (Rocolle, 1968, p. 274, note 48).

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