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par Jean-François Jagielski

Novembre 1946

Novembre 46 : Troubles à Haiphong, conséquence du bombardement de la ville sur ordre du commandant en chef et haut-commissaire par intérim, le général Valluy , « pour donner une bonne leçon au Vietminh ». Celui-ci n’exclut pas de « transformer une éventuelle riposte en coup d’État » pour se débarrasser d’HCM et de son gouvernement. Leclerc déplore de France l’état d’esprit de son remplaçant.


1er novembre 46 : La délégation du général Nyo (commandant des forces françaises en Cochinchine et Sud-Annam ;  président des commissions mixtes d’état-major prévues par le modus vivendi) arrive à Hanoi pour participer à la commission militaire prévue par le modus (voir 15 septembre) et entend notamment régler la question des accords d’états-majors entre Français et Vietnamiens en Cochinchine. Un bref climat de détente entretenu par HCM semble s’installer avec envoi de télégrammes chaleureux à Félix Gouin, Léon Blum et Georges Bidault. Poursuite des nombreuses mondanités qui ont eu lieu jusque-là en présence de représentants du VM, mais qui dissimulent mal un climat plus que tendu qui signifie que l’on s’entretuera dès que possible (De Folin, 1993, pp. 165-166). Toutefois, le VM bloque le processus de négociation en ergotant sur des aspects procéduriers comme la reconnaissance du Comité de Nam Bo par les Français, un point que le général Nyo n’est pas habilité à traiter. Le VM cherche là encore à gagner de temps dans le Sud comme au Nord.

Les purges au sein du gouvernement vietnamien ne sont même pas dissimulées dans la presse. Le journal Cu’u Quoc (Le Salut national) du jour évoque ouvertement la vague d’arrestations en cours : « Le 29 octobre, nos services de la Sûreté ont arrêté, au cours d’une opération de police, plus de trois cents personnes. Après criblage, la majorité est restée en prison en attendant d’être transférée dans des camps de concentration. » (cité in Fall, 1960, p. 51)


3 novembre 46 : Après sa brève démission du 28 octobre, HCM met en place un gouvernement de combat intitulé Lien Viet : HCM en est le président, le chef du gouvernement et pour l’instant le ministre des Affaires étrangères ; Giap en est le ministre de la Défense et le second personnage du régime. À l’exception de Chu Ba Phuong du V.N.Q.D.D., tous les ministres sont du VM ou proche de lui. Bao Daï, absent car résidant à Hong Kong, demeure un « conseiller suprême » plus que théorique. Un projet de constitution vietnamienne voit le jour (voir 8 novembre). Dans les faits, malgré l’existence d’une assemblée nationale, c’est un comité central restreint d’inspiration soviétique qui détient les rênes du pouvoir et en assure la rédaction.

HCM accueille à Hanoi la première commission d’état-major chargée d’étudier la procédure d’application du modus vivendi. Elle piétinera car, selon Valluy, les VM « veulent simplement consolider leur position dans le Sud en améliorant leur appareil clandestin et leur propagande. Le temps travaille pour eux. » (Valluy 3, 1967, pp. 361-362)


5 novembre 46 : Face aux réelles difficultés du moment liées au conflit, HCM produit une note intitulée : « Les travaux urgents de l’heure ». Il évoque la puissance de l’armée française et les problèmes du moment : « Si nous luttons avec résolution pour franchir cette étape de guerre éclair, si nous nous efforçons de passer cet hiver rude, ensuite nous verrons le printemps. » Il précise par ailleurs : « Notre résistance doit être menée parallèlement à l’édification du pays. » Quitte à lâcher, selon Giap, momentanément les villes car « toute la campagne reste dans nos mains. » La tactique de la guérilla et d’un conflit long sont plus que jamais à l’ordre du jour (voir 22 décembre) (Giap 1, 2003, p. 78).

Lettre de D’Argenlieu à De Gaulle au sujet du modus vivendi : « La première partie du modus vivendi élaborée par nos délégués et pleine d’excellentes choses est intégralement viciée par le texte concernant la Cochinchine [article 9]. Nous nous employons à en réduire les conséquences fâcheuses, ce n’est pas facile. » (cité in Turpin, 2005, p. 278)


6 novembre 46 : D’Argenlieu adresse au gouvernement français un mémorandum. Il constate qu’HCM « est absolument maître de la situation » malgré l’existence d’une opposition nationaliste et catholique qui est complètement muselée par « la répression policière d’une Sûreté très nombreuse et bien en main ». (Devillers, 1988, p. 238)

Dans un autre mémorandum adressé cette fois au gouvernement vietnamien, l’amiral dénonce des actes de terrorisme perpétrés malgré le modus vivendi, avec liste des méfaits : meurtres, enlèvements, pillages. Sa patience semble à bout (Valluy 3, 1967, p. 357).

D’Argenlieu s’en prend, en s’adressant à HCM, au Comité exécutif du Nam Bo et à son caractère illégal jugé par lui comme étant illégal jusqu’à la tenue du référendum. HCM lui répondra le 9 par une fin de non-recevoir. S’ensuit une querelle procédurière sur le statut de la Cochinchine pour lequel les deux hommes divergent plus que jamais (D’Argenlieu, 1985, pp. 337-338).

Le Conseil de Cochinchine se réunit à huis clos et interpelle le gouvernement Thinh dont son dirigeant se sent de plus en plus démuni (voir 10 novembre). Certains « séparatistes » cochinchinois se sentent abandonnés par les Français qui se tournent de plus en plus vers une future « solution Bao Daï » (Devillers, 1988, p. 237).


7 novembre 46 : Tenue en séance plénière de la première « commission d’application pour l’article 9 du modus vivendi », plus communément dénommée « commission d’armistice ». Elle a lieu à Hanoi sous protection policière dans les murs de la Chambre de commerce. Un programme de travail est établi mais il demeurera sous la forme d’un simple document (Fonde, 1971, p. 279).


8 novembre 46 : Vote par l’assemblée nationale de la première constitution de la R.D.V.N. (cf. descriptif et analyse du texte in Fall, 1960, pp. 51-54 et Fall, 1967, p. 158). Le texte a été préparé par une première commission restreinte en mars. Il viole d’entrée et les accords du 6 mars et ceux du modus vivendi : d’après cette première constitution, le Vietnam est devenu un État indépendant et le texte répudie toute allégeance à la Fédération et à l’Union française. L’article 23 donne au Parlement le droit d’approuver les traités signés par le gouvernement avec un pays étranger. L’article 2 proclame que le territoire du Vietnam est « un » alors que le sort de la Cochinchine doit toujours être réglé par référendum selon les accords du 6 mars. Le contenu du modus vivendi du 15 septembre est totalement ignoré par les travaux de l’assemblée. Seuls HCM et son gouvernement sont susceptibles de l’appliquer, selon leur bon vouloir (De Folin, 1993, pp. 168-169). La devise de la R.D.V.N. devient « Indépendance, liberté, bonheur » (Giap 1, 2003, p. 25).

Craignant une situation de blocus depuis le départ des Chinois le 18 septembre, le VM décrète l’état d’alerte dans la zone maritime autour d’Haïphong et se prépare donc à une épreuve de force (Devillers, 1988, p. 245).


9 novembre 46 : Promulgation du texte de la première constitution de la R.D.V.N. Adoption par 240 voix contre 2 sachant qu’une douzaine de membres de l’Assemblée nationale ont récemment disparu depuis l’ouverture de la session parlementaire… A la lecture de son texte, elle ressemble à un texte à l’ « occidental » et se garde bien d’utiliser de l’habituel jargon marxiste des autres États communistes. Selon Fall, « comme la Déclaration d’indépendance de la République Démocratique, elle semble surtout avoir été conçue pour susciter la sympathie du lecteur dans les pays anglo-saxons en général et aux États-Unis en particulier. » (Fall, 1960, p. 52) Mais derrière cette façade (égalité des droits de tous les citoyens, égalité hommes-femmes, liberté d’expression et de la presse, liberté religieuse et respect des minorités, suffrage universel, etc.) se dissimule le pouvoir presqu’exclusif et totalitaire d’une « Commission permanente du Parlement populaire » de 15 membres dont 6 appartiennent au P.C.I. et 2 au VM. De plus, l’ajournement sans cesse répété des élections du Parlement rendront caduque cette apparence démocratique : les premières élections régulières n’auront lieu que le 8 mai 1960 et se solderont par une victoire à 98 % du futur Lao Dong… (Fall, 1960, p. 54)

Faisant suite aux directives du 10 avril envoyées à différents chefs militaires, une lettre de Valluy (commandant en chef) en réponse à D’Argenlieu étudie les avantages et inconvénients du maintien ou non de l’occupation d’Hanoi. Les deux hypothèses sont envisagées. L’abandon aurait cependant « de graves inconvénients politiques et économiques. L’opération aura incontestablement l’allure d’un recul et même d’un prélude à un réembarquement. Elle sera coûteuse par perte de nos stocks. » (Bodinier, 1987, p. 314). Selon Valluy, les deux éventualités « peuvent être préparées dans le détail. Vous [D’Argenlieu] pourrez ainsi prendre votre décision non a priori, mais suivant les circonstances du moment. » (cité in Ruscio, 1992, p. 76)


10 novembre 46 : Le président de la République autonome de Cochinchine, le docteur Nguyen Van Thinh, se suicide. Son action mesurée s’est couronnée par un échec : l’administration coloniale ne lui a pas accordé l’autonomie souhaitée ; des clans, futurs promoteurs d’une « solution Bao Daï », ont voulu jouer la carte de l’unité sous la forme d’une restauration monarchique ; l’opposition nationaliste a reproché à son gouvernement de n’être qu’une caricature à la solde des Français (Chaffard, 1969, p. 30). Le général Nguyen Van Xuan, polytechnicien et pur produit de l’armée française, succède à Nguyen Van Tinh jusqu’au 7 décembre, date à laquelle il sera remplacé par le caodaïste Le Van Hoach (De Folin, 1993, p. 161). On crée un « Front d’Union nationale » hétérogène et démuni de troupes. Toutefois, il s’avère que ces troupes sont susceptibles d’être fournies par les sectes qui sont de plus en plus hostiles au VM et vont se tourner, après revirement complet, vers les Français. Leurs effectifs sont loin d’être négligeables : 500 000 caodaïstes dans la région de Tay Ninh, 250 000 Hoa Hao dans celle de Chaudoc et quelques milliers de Binh Xuyen, ennemis jurés de Nguyen Binh (Valluy 3, 1967, p. 359).

A Paris, suite à de nouvelles élections législatives une nouvelle Chambre est constituée : forte poussée des communistes (29 % des voix, 183 sièges), le M.R.P. obtient 167 sièges (26 % des voix) et la S.F.I.O. 105 (18% des voix). C’est au socialiste Léon Blum que l’on fera appel pour constituer un nouveau gouvernement qui ne sera investi que le 18 décembre. Ce sera avant tout un gouvernement de transition dans l’attente des élections présidentielles qui doivent avoir lieu début 1947. C’est ce fragile gouvernement qui va devoir faire face aux événements qui vont déclencher la guerre d’Indochine.


11 novembre 46 : Directive de D’Argenlieu adressée aux commissaires de la République et à Valluy (commandant en chef). Elle les met en garde contre l’action souterraine du VM : « Il nous faut prévoir l’hypothèse selon laquelle le Gouvernement français, après avoir épuisé toutes les ressources de la conciliation, se verrait contraint, pour répondre à une reprise des hostilités, de recourir à une action de force directe contre le Gouvernement d’Hanoi. » Le dispositif militaire au Tonkin est toutefois trop dispersé. Il faut procéder à un regroupement des forces autour des bases Haïphong-Baie d’Along et Hanoi, villes entre lesquelles les liaisons doivent être protégées et assurées. Les destinataires doivent avoir un réflexe de riposte et non de surprise. Ils doivent se préparer « à se mettre en mesure de répondre, éventuellement dès janvier 1947, à une reprise des hostilités par une action de force visant à neutraliser politiquement et moralement le gouvernement d’Hanoi et à faciliter ainsi la pacification du Sud. » (Gras, 1979, p. 141 ; Devillers, 1988, p. 240-241) Des deux côtés donc, on affute donc les armes.

HCM envoie à D’Argenlieu un message de « ferme protestation » à transmettre à Bidault (président du Conseil) contre « la création unilatérale au port d’Haïphong d’un bureau français de douane et de contrôle du commerce extérieur ». La lettre transitera d’abord par Saigon (via Valluy) qui ne la transmettra à Paris que le 26. Selon l’auteur du message, cette décision remet en cause les accords en cours et contredit ceux du 6 mars (« Un État libre ayant […] ses finances […] »). Ces mêmes accords disent que « le Vietnam form[e] avec les autres pays de la Fédération indochinoise une union douanière. » Mais sans toutefois devoir préciser avant janvier 1947 qui des Français ou des Vietnamiens a le droit de percevoir les taxes douanières (Chaffard, 1969, pp. 31-32) Or, c’est cette question non tranchée qui va mettre le feu aux poudres le 20 novembre à Haïphong.

Sainteny,  commissaire de la République au Tonkin qui était rentré en France après le désaveu gouvernemental des accords du 6 mars, donne suite à la demande de D’Argenlieu (voir 30 septembre) et accepte de reprendre des fonctions en Indochine au même poste. Il demeure cependant en France attendant la venue de D’Argenlieu pour obtenir des instructions avant son départ (voir 16 novembre) (Devillers, 1988, p. 258).


13 novembre 46 : Après avoir dû reporter son voyage depuis août – l’amiral avait reçu ordre du gouvernement des rester à Saigon pendant l’achèvement de la conférence de Fontainebleau - D’Argenlieu s’envole pour Paris, laissant l’intérim à Valluy (commandant en chef et haut-commissaire par intérim) avec des consignes très dures pour élaborer un dispositif militaire apte à neutraliser le gouvernement vietnamien et détruire plusieurs centres militaires au Tonkin (voir 11 novembre). Il espère par ce voyage obtenir la dénonciation du modus vivendi du 15 septembre ainsi qu’une modification radicale de la politique française en Indochine. Mais il n’obtiendra rien car un une crise ministérielle paralyse la métropole à la suite des élections du 10 novembre qui voient une forte poussée des communistes avec près de 30 % des voix et un net recul du M.R.P. qui se retrouve derrière eux. Cette crise gouvernementale se produit sans doute à l’un des plus mauvais moments pour le Vietnam, paralysant ainsi le processus décisionnel. Elle ne sera partiellement résolue que le 18 décembre avec l’investiture très temporaire du gouvernement Blum, à la veille même des événements qui vont ensanglanter Hanoi (De Folin, 1993, p. 171).

Face à la montée en puissance des violences émanant du VM, le général Valluy, haut-commissaire par intérim, observe que « l’application loyale du modus vivendi est en train de tourner à notre détriment avec une accélération croissante. » (De Folin, 1993, p. 160) Mais Paris est éloigné et occupé par d’autres priorités politiques. Les autorités locales au Vietnam se sentent seules et incomprises et ce, d’autant plus que, selon Valluy, « certains documents révélateurs [du VM] ont été saisis ; nous avons eu connaissance d’ordres secrets donnés et maintenus dans le sens d’annihiler toute présence française. » (Valluy 3, 1967, p. 361)


14 novembre 46 : Alors qu’elle siège, les rangs de l’Assemblée nationale vietnamienne se sont encore étiolés sous le coup des arrestations : sur un total théorique de 444, il ne reste que 242 députés dont 2 de l’opposition. Elle remet ses pouvoirs à une commission permanente de 15 membres, créée le 9 mars 1946, et composée uniquement de membres du VM. Une forme de dictature communiste s’installe avec suppression des libertés fondamentales : presse, liberté d’association, liberté du travail, droit à la propriété limité par un système de réquisition des personnes et de biens (De Folin, 1993, p. 169).


15 novembre 46 : D’Argenlieu arrive à Paris et y demeurera jusqu’au 23 décembre. On ne sait exactement quand il va être mis au courant de ce qui va devenir « l’affaire de Haïphong » (le 20 ou le 21 ?). On ne sait trop ce qu’il fait à ce moment précis (Ruscio, 1985, p. 138). Une chose est sûre, c’est qu’il sera absent d’Indochine au moment où les événements les plus importants vont y avoir lieu.

Au Cambodge, mise en place du gouvernement Youtevong.


16 novembre 46 : Valluy, qui assure l’intérim de D’Argenlieu, se plaint auprès de lui « des artifices de procédure, notamment sur la fixation des lieux des commissions. » Il a envoyé un émissaire, le commissaire à la Justice Ladreit de Lacharrière auprès d’HCM, pour hâter les choses (Devillers, 1988, p. 246).

Valluy donne de nouvelles « instructions complémentaires » à Sainteny avant son départ de Paris prévu pour le 22 (Devillers, 1988, p. 255). Ce dernier, après quelques hésitations, a finalement repris ses fonctions de commissaire de la République au Tonkin. Ses instructions ont été validées par le gouvernement. Du fait de la récente amélioration de la situation militaire côté français, Sainteny doit parvenir à « franchir un nouveau pas vers un accord définitif. » Selon les autorités gouvernementales françaises, il faut ménager HCM. Des instructions lui sont données par Valluy : « Une grande occasion vous est offerte de prendre sur le gouvernement vietnamien un ascendant considérable. » La mission du commissaire de la République étant « de renforcer la position des éléments modérés du Vietminh, donc de leur permettre de « sauver la face » et de « contenir les poussées extrémistes. » Selon Paris, HCM n’a pour l’instant aucun intérêt à reprendre le maquis et doit modérer les extrémistes comme Giap. Si on ne peut atteindre « une détente », on peut espérer du moins « une accalmie ». Il faut poursuivre dans les zones contrôlées les missions humanitaires pour gagner le cœur des populations. Il n’est pas exclu de montrer également le bâton en exigeant le repli des troupes du VM de Cochinchine, « pierre angulaire de l’édifice fédéral », et du Sud-Annam. De (maigres) concessions peuvent être accordées au niveau des douanes et du commerce extérieur. On prévoit également l’évacuation militaire de Bac Ninh et Phu Lang Tuong. « La tâche est lourde et délicate » mais il convient de parvenir à un « rétablissement de la France sous un visage nouveau et selon des modalités nouvelles, dans sa grandeur première. » (Devillers, 1988, pp. 263-266)


17 novembre 46 : Traité de Washington. Restitution par le Siam (Thaïlande) des territoires du Laos et du Cambodge annexés lors du traité de Tokyo de 1941 (voir 11 mars et 9 mai 1941). Les troupes franco-cambodgiennes les réoccuperont laborieusement à partir du 8 décembre (Gras, 1979, p. 132). Pour autant, cette restitution sera sans cesse contestée par la Thaïlande. Elle donnera lieu à des combats de résistance au moment de la restitution (voir 8 décembre) et demeurera ultérieurement un point de fixation très sensible avec les affaires de la région du temple de Preah Vihear qui demeurera occupée par les Thaïlandais jusqu’en 1962.


18 novembre 46 : L’émissaire de Valluy, Ladreit de Lacharrière, propose de réunir sans tarder les commissions mixtes. Il est entendu par HCM qui accepte. Mais les événements à venir rendront cette acceptation caduque (Devillers, 1988, p. 246).


19 novembre 46 : Valluy (haut-commissaire par intérim de D’Argenlieu) écrit au Cominindo pour l’alerter sur le marché de dupes qu’entretient le VM en dévoyant l’application du modus vivendi : « […] Les intentions du Vietnam peuvent donc se résumer ainsi : obtenir une règlement provisoire de la situation, consolidant l’état de trêve militaire, s’installer dans cette situation confortablement en faisant traîner au maximum les travaux de la commission tendant au règlement définitif, utiliser ce délai pour améliorer leur situation militaire en tournant les clauses de l’accord provisoire et surtout pour améliorer leur position politique par la réorganisation et l’extension de leur appareil politico-administratif clandestin et par une propagande occulte, et si possible ouverte [...] ». Le général prolonge cependant les négociations pour ne pas être responsable d’« une rupture ». Au Sud, le Comité administratif du Nam Bo se proclame « la seule autorité administrative régulière » et les actes terroristes se poursuivent comme avant le 30 octobre. Valluy en conclut que « l’application loyale du modus vivendi de notre seul côté est en train de tourner à notre détriment avec une accélération croissante. »  (Devillers, 1988, pp. 246-248)


20 - 21 novembre 46 : À Langson, lors de l’ouverture d’un charnier franco-vietnamien occasionné par les Japonais, les Vietnamiens barrent la route y conduisant à une Commission française des crimes de guerre. Le barrage est levé le 21. Le convoi français chargé de cercueils est pris à parti par des tirs d’armes automatiques et de grenades mais aussi par la population civile : on déplore 9 tués et 9 blessés. Les Français ripostent et se retranchent sur un rocher qui domine la ville d’où ils délogent leurs assaillants. Le VM déplorera une cinquantaine de pertes. La ville est reconquise par le lieutenant-colonel Sizaire, citadelle comprise. Dans les échanges que Giap a avec Morlière (commissaire de la République au Tonkin par intérim), le premier évoque des provocations françaises (Valluy 3, 1967, p. 372). Mais selon une déclaration ultérieure de Giap, il se révèle que le VM a « admis l’occupation de Langson parce Langson est un piège. » (cité in De Folin, 1993, p. 178)

L’« Affaire de Haiphong » est plus conséquente et surtout plus durable. Le port est défendu par les Français car c’est une base essentielle pour l’approvisionnement de tout le dispositif français au Nord. L’arraisonnement d’une jonque transportant du carburant en fraude par un L.C.A. et la mise en place d’un contrôle douanier mettent le feu aux poudres en bafouant la souveraineté du Vietnam (voir 11 novembre), avec échange de coups de feu entre Français et Vietnamiens. À la fin de la journée, les Français déplorent 24 tués (dont le commandant Carmoin, chef de la Mission française de liaison locale) et 68 blessés (De Folin, 1993, p 178). Selon Valluy, assurant au Tonkin l’intérim de D’Argenlieu qui gère quant à lui la crise de Saigon, ce sont les Vietnamiens qui ouvrent les hostilités par des tirs auxquels un L.C.A. français a répondu. À terre, une émeute se déclenche. Des militaires français sont pris à parti alors qu’ils fréquentaient un marché. On déplore deux blessés graves. Puis le mouvement de révolte tourne à l’émeute et s’étend autour du théâtre avec échange de coups de feu (voir plan d’Haïphong in Salan 2, p. 29). Le commissaire de la République au Tonkin par intérim, le général Morlière, informé de la situation par le colonel Dèbes (commandant la place d’Haïphong), fait preuve le soir d’esprit de conciliation avec les Vietnamiens, ce qui lui sera reproché par la suite par Valluy (voir 22 - 23 novembre). Morlière, incriminé par sa hiérarchie, produira un rapport de l’affaire pour assurer sa défense (cité in extenso in  Chaffard, 1969, pp. 36-57).

D’Argenlieu adresse à HCM une note de protestation contre l’existence « d’un soi-disant « Comité exécutif provisoire du Nam Bo » » qui, à ses yeux, « est absolument incompatible avec les accords conclus ». Le gouvernement d’Hanoi réplique : « L’état de fait caractérisé par la coexistence en Cochinchine de troupes d’occupation françaises d’une part, des organismes administratifs et militaires vietnamiens d’autre part, a été consacré par l’accord du 6 mars 1945 et le Modus Vivendi du 14 septembre 1946, selon lesquels la situation « de facto » en Cochinchine doit demeurer inchangée jusqu’au référendum. » S’ensuit une querelle juridique où les Français arguent du fait que « la Cochinchine était terre française, et que son statut ne pourrait être changé que par décision du parlement français » en fonction des résultats du futur référendum. Seule la République autonome de Cochinchine voulue par D’Argenlieu est reconnue par les Français, comme « une première étape sur la voie de l’abrogation du statut colonial. » L’existence du Comité du Nam Bo n’a donc, à leurs yeux, rien de légal (Bodinier, 1987, pp. 318-320).

Valluy (intérim de D’Argenlieu) envoie, après celui du 19, un nouveau message au Cominindo qui doit se réunir le 23. Il dénonce des vexations diverses dont sont victimes les fonctionnaires français des commissions mixtes dans le domaine économique (Devillers, 1988, p. 248).

Au Cambodge, poursuite de la mise en place de la Fédération indochinoise avec la signature d’une convention militaire franco-khmère (Bodinier, 1987, pp. 321-322).


21 - 22 novembre 46 : Poursuite des combats par les milices locales Tu Ve à Haïphong. Selon Ngo Van Chieu, « […] les Tu Ve sont commandés par un responsable dont la famille a eu à souffrir des colonialistes, et lui-même garde une haineuse rancune contre les Français. » (Ngo Van Chieu, 1955, p. 102). On réunit une commission mixte qui a le plus grand mal à se rendre dans la ville du fait du bombardement de la gare (Fonde, 1971, pp. 285-286). En fin de journée, aucun accord n’est trouvé, les Vietnamiens refusant toujours la neutralisation de la zone des combats (secteur du théâtre) et la reprise en main des choses par les Français.

De son côté, Valluy court-circuite Morlière (commissaire de la République au Tonkin par intérim) jugé « capitulard », en s’adressant directement à son subordonné, le colonel Dèbes, le 22. Il lui écrit : « Le moment est venu de donner une dure leçon à ceux qui nous ont traitreusement attaqués. Par tous les moyens à votre disposition, vous devez vous rendre maître complètement d’Haïphong et amener le Gouvernement et l’Armée vietnamienne à résipiscence. » (cité in Devillers, 1988, p. 251). Les relations entre Dèbes (couvert par Valluy) et Morlière vont, suite à cette affaire, se transformer « en profonde détestation » du premier à l’égard du second. Car, toujours selon Valluy, Dèbes, qui a vécu des choses difficiles à Haïphong (violences, spoliations, meurtres), considère son supérieur hiérarchique direct, le général Morlière, comme un faible qui n’a pas su riposter immédiatement, avec l’ampleur voulue, aux attaques du VM (relations des événements de « l’affaire de Haïphong » : détaillée in Fonde, 1971, 1971, pp. 283-288 ; partiale in Valluy 3, 1967, pp. 365-372 ; plus mesurée chez Gras, 1979, pp. 142-149 ; rapport in extenso du colonel Dèbes en date du 10 décembre cité in Bodinier, 1987, pp. 343-363 ; point de vue du VM in Ngo Van Chieu, 1955, pp. 100-105).


22 novembre 46 : Valluy câble à Morlière : « […] Tous renseignements obtenus et les documents saisis établissent que l’affaire a été montée avec soin par les autorités vietnamiennes et la responsabilité de l’ouverture des hostilités et la responsabilité de l’ouverture des hostilités leur incombe sans aucun doute […] » Il signale les incidents de Langson (Devillers, 1988, p. 249). Pour Valluy, « le moment est venu de donner une leçon à tous ceux qui nous ont traitreusement attaqués. Par tous les moyens à votre disposition, vous devez vous rendre maître complètement de Haïphong et amener le gouvernement et l’armée vietnamienne à résipiscence. » (cité in Ruscio, 1985, p. 135)

Départ de Sainteny (commissaire de la République au Tonkin) de Paris pour Saigon. Il y arrivera le 26. Le commissaire de la République du Tonkin fait une partie du voyage en présence de Hoang Minh Giam (ancien délégué à la conférence de Fontainebleau qui était demeuré à Paris et ministre des Affaires étrangères) (Devillers, 1988, p. 258 et p. 262).


22 - 23 novembre 46 : À Haïphong, Valluy passe outre l’avis défavorable du général Morlière et, court-circuitant à nouveau ce dernier, fait donner l’artillerie de l’Armée de Terre, puis quelques heures plus tard, l’artillerie navale (Sainteny, 1970, p. 117-118). Ce bombardement aurait provoqué selon certaines sources (dont celles du VM et l’amiral Battet, commandant des forces navales en Extrême-Orient) jusqu’à 6 000 morts voire plus... Ces chiffres paraissent nettement exagérés et même fantaisistes. De Folin et Gras les ramènent raisonnablement à 300 (De Folin, 1993, p. 179 ; Gras, 1979, p. 148 note 1). Ngo Van Chieu les estime quant à lui  à… « 15 000 ou 20 000 » (Ngo Van Chieu, 1955, p. 105). Valluy, peu loquace sur l’aspect répressif de ses ordres, justifie l’usage du canon par la présence de barricades dont certaines ont été piégées et par la poursuite de combats de rue. Il se plaint par ailleurs de n’avoir que peu de retour de Paris (où se trouve D’Argenlieu) au vu de la gravité de la situation.


23 novembre 46 : Le Savorgnan de Brazza tire sur les casernes tenues par le VM. Poursuite des combats dans Haïphong jusque dans la nuit du 24 au 25, avec deux violentes contre-attaques vietnamiennes.

À Matignon, le comité interministériel d’Indochine se réunit ce jour même à 15 heures 56, heure de Paris, alors que tous sont en attente à Haïphong d’instructions (Sainteny, 1970, p. 118). La séance se tient sans avoir eu connaissance du contenu du télégramme de Valluy mentionné ci-dessous. Elle est dirigée par Georges Bidault (président du Conseil) en présence de Marius Moutet (F.O.M.), Edmont Michelet (Défense), Pierre Messmer (secrétaire général du Cominindo), Charles Tillon. D’Argenlieu y assiste et fait un tableau de la situation en demandant au comité : « Le gouvernement laissera-t-il prolonger une équivoque qui favorise en réalité les tenants résolus de notre éviction ? » Il propose la suspension du modus vivendi. Suivant le compte rendu de séance, le président du Conseil déclare alors : « […] nous devons faire connaître avec netteté à notre interlocuteur que : 1) La France est décidée à rester en Indochine. 2) qu’elle entend poursuivre la politique des accords. 3) Cette politique ne pourra toutefois être maintenue que si les manquements  aux engagements pris cessent et, s’il n’en est pas ainsi, la France défendra ses droits. » (cité in Ruscio, 1992, p. 82) Selon Messmer, Bidault ajoute : « La Cochinchine est une colonie française. Elle le restera jusqu’à la décision de l’Assemblée nationale. Le Haut-Commissaire a le devoir d’y faire respecter l’ordre par tous les moyens contre qui que ce soit. » (cité in Messmer, 1992, p. 178 ; Ruscio, 1985, p. 139) Moutet approuve ces propos de fermeté. D’Argenlieu considère quant à lui qu’il a désormais « pleine liberté  de manœuvrer du point de vue militaire ». Pour autant, il n’a pas obtenu la suspension du modus vivendi.

Plus que tardivement, Valluy informe Paris du télégramme qu’il a transmis le 22 à Morlière à 15 h 35, heure locale. Ce télégramme sera reçu à Paris à 17 h 25 mais ne sera diffusé que le 24. Le gouvernement est donc mis devant un fait accompli (Devillers, 1988, p. 254). Mais à Paris, on s’intéresse plus au sort de la Cochinchine qu’à ce qui est en train de se passer à Haïphong depuis une douzaine heures.

Messmer (secrétaire général du Cominindo) annonce la tenue d’une nouvelle séance le 29 « dans le but de mettre au point les décisions et instructions du Gouvernement. » (Devillers, 1988, p. 254). Elles ne sont donc toujours pas actées malgré l’urgence de la situation.

Les communistes français qui ont été mis dans l’ignorance de qui est véritablement à l’origine des événements de Haïphong n’écartent pas l’hypothèse d’une « provocation ». L’Humanité va même jusqu’à évoquer « une provocation d’éléments chinois antivietnamiens » (Ruscio, 1985, p. 156).


23 - 27 novembre 46 : Le nouveau gouvernement vietnamien procède à des arrestations massives d’opposants qui seront envoyés en camp de rééducation, y compris dans les rangs de l’assemblée nationale (voir 14 novembre). Deux journalistes de renom sont assassinés (Gras, 1979, p. 135).


24 novembre 46 : Fort de l’approbation de l’usage de la force exprimée la veille par Bidault lors du Cominindo, D’Argenlieu envoie à Valluy un télégramme : « J’approuve entièrement […] les instructions que vous avez données au général Morlière à la suite de l’agression de Haïphong. » (Devillers, 1988, p. 254). Valluy obtient alors la réponse qu’il attendait pour poursuivre ce qu’il a entrepris de sa propre initiative, sans même en référer aux autorités gouvernementales.


25 novembre 46 : Le Savorgnan de Brazza et le Dumont d’Urville (le même qui avait ramené HCM de France…) tirent à nouveau sur les casernes vietnamiennes. La situation se stabilise dans Haïphong et une partie de sa périphérie. Les Français déplorent 26 tués et 88 blessés. On déplore également plusieurs centaines de morts côté vietnamien (De Folin, 1993, p 179). Ces combats se poursuivront jusqu’au 30.

Leclerc rencontre De Gaulle à Colombey. L’incompréhension entre les deux hommes sur la question indochinoise est de plus en plus marquée. Leclerc confie après cet entretien : « Décidément, je ne comprends pas le général De Gaulle. Nous avons longuement parlé de l’Indochine : il n’est pas du tout d’accord avec les conditions dans lesquelles les accords du 6 mars et les protocoles militaires annexes ont été négociés et signés. Il estime en outre qu’on aurait jamais dû inviter Ho Chi Minh à Paris. Sans le nommer, il semble avoir épousé les thèses de l’Amiral. » (cité in Turpin, 2005, p. 304) Selon Turpin, il ne faut pas opposer « un Leclerc « libéral » » à un De Gaulle « conservateur » en matière coloniale. En effet, le « libéralisme » de l’ancien chef de la 2e D.B. ne valait que pour l’Indochine. Il s’expliquait avant tout par le résultat de plusieurs mois d’action sur place. A ses yeux, la force du nationalisme vietnamien nécessitait des moyens militaires français hors de proportion avec les possibilités du moment. » (Ibid.)

Arrivée de Sainteny à Saigon. Sur instruction de Valluy (intérim de D’Argenlieu), il ne rejoint pas Hanoi pour, selon le haut-commissaire par intérim, ne pas être plongé « dans le règlement des incidents » en cours. Décision sur laquelle reviendra Valluy le 30 (Devillers, 1988, p. 258 et 262).


25 novembre – 2 décembre 46 : Témoignage chrétien publie le premier récit complet et documenté des événements récents à Haïphong (Ruscio, 1985, p. 138).


26 novembre 46 : Valluy, renseigné par le colonel Herkel, commandant d’armes à Hanoi, est informé de l’inquiétude de la population française et des menaces de violence qu’elle profère à l’égard des Vietnamiens. Il estime que le port d’Haïphong et sa région sont sur le point de tomber dans les mains du VM (Valluy 4, 1967, p. 515).

A Hanoi, certains ministères vietnamiens évacuent leurs locaux, une partie de leur personnel et leurs archives. Des préparatifs de défense sont visibles dans la ville en plein jour et une partie de la population civile est mise à l’abri. Les lieux des garnisons françaises sont progressivement isolés par des coupures de route. Des quartiers sont cernés par des barricades ou des fossés antichars (Fall, 1960, p. 61).

L’Humanité publie une déclaration d’HCM : « Je regrette les incidents créés par un certain nombre de Français manquant de compréhension à l’égard des Vietnamiens et qui vont manifestement à l’encontre de la volonté générale du peuple français. » (cité in Ruscio, 1985, p. 157)


27 novembre 46 : Échange de « télégrammes aigre-doux » entre Valluy et D’Argenlieu (toujours à Paris) sur la situation à Haïphong. Le second ayant tendance à minimiser la gravité des choses et reprocher à Valluy de communiquer en direct avec Paris, sans passer par lui. Valluy a décidé d’envoyer dans la capitale française le colonel Le Pulloch, chef de cabinet militaire du haut-commissaire, pour qu’il informe directement l’amiral de la gravité de la situation. Le haut-commissaire par intérim estime à ce moment précis que « nous traversons, en effet, une crise majeure. » (voir 20, 21, 26 novembre) (Valluy 4, 1967, p. 514) Face à la détermination de l’armée vietnamienne, il demande l’envoi de renforts (Devillers, 1988, p. 254).

HCM envoie un télégramme quelque peu cynique à Bidault au vu de la situation en cours : « Monsieur le Président et cher ami, les questions entre nos deux pays sont des questions de famille que l’on peut résoudre sans verser le sang […] L’emploi de la force ne servira à rien […] Je vous demande de donner des instructions pour faire cesser immédiatement les hostilités afin de ne pas mettre en danger l’amitié entre nos deux peuples. » (cité in De Folin, 1993, p 179-180)

L’Humanité publie et commente favorablement un nouvel appel d’HCM adressé cette fois à Valluy : « Je fais appel au général Valluy et à tous les officiers français au Vietnam pour arrêter sur le champ toute effusion de sang entre Français et Vietnamiens. Je fais appel à tous mes compatriotes pour qu’ils conservent tout leur calme et aux formations d’autodéfense pour qu’elles se tiennent prêtes à défendre la souveraineté nationale, ainsi que les Vietnamiens et résidents étrangers. » (cité in Ruscio, 1985, p. 157) Le journal énumère les violations de l’accord franco-vietnamien depuis le 6 mars, insistant sur les initiatives françaises ayant provoqué ces violations.

Giap demande à rencontrer Valluy. Ce dernier lui indique que, pour ce faire, les troupes du VM doivent quitter Haïphong et sa banlieue et abandonner à l’armée française les routes qui mènent vers ses différentes garnisons. Giap propose de constituer une commission mixte mais, la situation s’améliorant côté français, il se heurte à un refus qui prend l’allure d’un ultimatum. A Hanoi, le gouvernement vietnamien prend peur, des ministres déménagent ou se replient sur Hadong dès la nuit venue (Gras, 1979, p. 149).


28 novembre 46 : Démission du gouvernement Bidault suite aux résultats des élections du 10 novembre qui ont révélé une poussée des communistes. Alors que les événements à Haïphong sont graves, une période de vacance du pouvoir s’installe à Paris. Le gouvernement de transition mené par Léon Blum ne sera en effet nommé que le 16 décembre.

Un message intercepté par le 2e Bureau émanant de Nguyen Binh et adressé à Giap le conseille sur les sabotages et actes terroristes à accomplir à Haïphong et potentiellement Hanoi pour pouvoir tenir dans le temps. C’est ce message qui indique clairement aux Français l’imminence de l’ordre général d’insurrection dans la capitale du Tonkin (Bodinier, 1987, pp. 332-333).

En vue de la réunion du Cominindo du 29, le contre-amiral Barjot (chef d’état-major adjoint à la Défense nationale) produit une note détaillée sur les événements en cours. Il estime que la priorité des efforts à accomplir n’est pas tant au Tonkin où la situation demeure risquée qu’en Cochinchine (Devillers, 1988, p. 255). Il ne sera pas entendu (voir 8 décembre).

Un projet d’instructions produit en vue de la même réunion appelle à « la formation d’un nouveau Gouvernement cochinchinois » (suite au suicide du Dr Nguyen Van Thinh, voir 10 novembre) composé de personnalités nationalistes modérées. On évoque même dans ce document des négociations entre Saigon et Hanoi, avec la mise en place d’un gouvernement cochinchinois qui « rendrait inutile le recours au référendum ». Texte nébuleux qui, une fois de plus, fait fi de la détermination actuelle d’Hanoi et, au passage, contredit les accords du 6 mars et du modus vivendi. Ce dernier devant toutefois être maintenu car « le Gouvernement est convaincu que [sa] mise en œuvre […], menée loyalement et vigoureusement, doit permettre de sortir du trouble et de la désorganisation qui affectent présentement l’Indochine. » (Devillers, 1988, pp. 255-256) L’emploi des mots « trouble » et « désorganisation » montrant à quel point Paris paraît toujours aussi déconnecté des réalités du moment…


29 novembre 46 : Nouvelle réunion, après celle du 23, du comité interministériel d’Indochine au lendemain de la démission du cabinet Bidault. Sont présents Bidault, D’Argenlieu, Robert Schuman, Alexandre Varenne, Pierre Messmer, Edmond Michelet, l’amiral Barjot (chef d’état-major adjoint à la Défense nationale), Marius Moutet. Le communiste Charles Tilon, invité, s’est excusé (sur l’interprétation de cette absence, voir Ruscio, 1985, pp. 156-157). Le Comité est toujours aussi indécis que divisé. Certains sont pour la fermeté à l’égard du VM (Bidault, Michelet) ; d’autres sont pour plus de souplesse et en appelle à la négociation (Moutet, Messmer). Bidault exprime ses craintes de voir le Vietnam faire tache d’huile dans les autres colonies et notamment au Maroc et en Tunisie. Le comité déclare : « Il faut faire connaître que la France ne quittera pas l’Indochine, et qu’elle défendra sa présence par tous les moyens. » Après avoir affirmé une « politique de fermeté », le comité renouvelle sa confiance à D’Argenlieu qui a dû cependant essuyer les critiques de l’amiral Barjot. Ce dernier lui reproche de ne pas appliquer les directives gouvernementales au sujet du modus vivendi qui prescrivaient de se concentrer sur la Cochinchine et le Sud-Annam et non sur le Tonkin. Des ordres sont adressés à Morlière (commandant du Tonkin) qui est chargé de transmettre à Giap les décisions suivantes : interdiction de stationnement de toute formation du VM à Haïphong, contrôle de tous les véhicules du VM dans la ville, contrôle de toutes les routes reliant les garnisons françaises entre elles (Ruscio, 1992, p. 83). Pour autant, Bidault, même s’il réitère ses précédentes consignes de fermeté, estime que « le problème ne peut être réglé par le recours à la force seule. » Tout en préconisant d’envoyer des renforts, même si, à ses yeux, l’Indochine ne doit pas devenir pour la France « un tonneau des Danaïdes, car une opération de force […] excède ses possibilités. » (Devillers, 1988, pp. 257-258 ; Turpin, 2005, pp. 300-301) Dans l’attente de la venue d’un nouveau gouvernement, aucun accord n’est trouvé sur la teneur des instructions à donner au haut-commissaire par intérim (Valluy). Paris demeure le royaume des tergiversations et des demi-mesures… Le Cominindo décide d’envoyer un bataillon de parachutistes stationné en Afrique du Nord en renfort en Indochine. Mais Leclerc, désormais inspecteur général pour l’Afrique, s’y opposera, « estimant dangereux, dans les conditions présentes, de dégarnir l’Afrique du Nord » (voir 3 décembre) (Turpin, 2005, p. 304).

Après le suicide du docteur Nguyen Van Thinh (voir 10 novembre), élection de Le Van Hoach (caodaïste) au poste de président de la République autonome de Cochinchine (Année politique 1946, p. 288).


​30 novembre 46 : La commission permanente du parlement vietnamien demande à l’assemblée nationale française l’envoi d’une commission d’enquête sur l’affaire d’Haïphong (Gras, 1979, p. 149).

Le général Nyo (dirigeant la commission militaire mixte prévue par le modus vivendi) rend compte à Valluy des difficultés à mettre en place les pourparlers de la structure en vue de l’application de l’article 9 du modus vivendi. Il constate que « les événements du Tonkin n’ont pas été sans peser sur leur déroulement » et dénonce, côté vietnamien, « une certaine tendance à l’atermoiement par des discussions interminables sur les différents points de nos propositions. » Les questions du désarmement et du retrait des troupes vietnamiennes n’ont toujours pas été abordées. Celle du statut de la Cochinchine demeure un point de blocage et l’on s’efforce d’éluder « le terrain politique et administratif » (Bodinier, 1987, pp. 334-336).

Un second message émanant du 2e Bureau (voir 28 novembre) indique : « La situation devient très grave, les hostilités vont s’étendre en tous lieux. Prenez des précautions. » (Bodinier, 1987, pp. 336-337)

Valluy revient sur sa décision du 23 et décide d’envoyer en urgence Sainteny de Saigon à Hanoi, estimant, au vu de ses relations privilégiées avec HCM et de l’amélioration de la situation militaire, qu’« il s’avère en effet que lui seul est en mesure de poursuivre l’exploitation politique de la situation. » Valluy informe D’Argenlieu de cette décision (Devillers, 1988, p. 258 et 262).

Morlière (commandant des troupes françaises en Indochine du Nord et commissaire de la République par intérim) estime (à tort) que le gouvernement vietnamien n’envisage pas une « action agressive » mais « essaie de faire traîner en longueur » (Devillers, 1988, p. 262).

Dans un télégramme, D’Argenlieu couvre Valluy auprès du Cominindo : « Responsabilités incidents Haïphong et Langson incombent entièrement Vietnamiens. Préméditation nettement établie par documents saisis dans PC vietnamiens et attitude vietnamienne au cours des événements. » (cité in Turpin, 2005, p. 295) Cette version des événements ne fait toutefois pas l’unanimité au sein du comité (voir 14 décembre).

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