Novembre 45 : Le War Office britannique accepte de prendre en charge, moyennant finances, le ravitaillement en vivres et carburant de tout le C.E.F.E.O. jusqu’à ce que les Français puissent le faire seuls, ce qui ne sera accompli qu’en juin 1946 (Pedroncini, 1992, p. 99).
Des membres du comité vietminh du Sud (Tra Van Giau, Pham Ngoc Tach) remontés à Hanoi constatent la puissance de feu de l’armée française et estiment ne pouvoir y résister qu’en pratiquant la guérilla. Pour atteindre cette « résistance de longue durée », le Nord doit tenir et faire une concession qui agrée aux nationalistes prochinois et aux Américains, d’où la dissolution le 11 du P.C.I.
Début novembre 45 : Au Sud, le P.C.I. qui qualifie les trotskystes de « traitres intérieurs » ordonne et surtout poursuit leur élimination physique durant tout l’automne.
Même les Japonais sont mis à contribution pour rétablir l’ordre au Sud dans des combats les opposant au VM à Cantho, Chaudoc et Dalat (Pedroncini, 1992, p. 43).
Salan (nouveau commandant du Nord et des troupes de Chine, voir 29 octobre) estime à environ 5 000 hommes les effectifs dont il peut disposer au Tonkin. 4 500 sont prévus pour la garnison d’Hanoi (Cadeau, 2019, p. 151).
1er novembre 45 : D’Argenlieu fait paraître le premier numéro du Journal officiel de l’Indochine, reconnaissant un État indochinois avec un gouvernement fédéral, mais sans aucun Indochinois les représentant, contrairement à ce qu’avait prévu la déclaration des « accords préliminaires » du 24 mars. Une ordonnance fédérale fixe les modalités du pouvoir législatif et réglementaire que le haut-commissaire exerce, assisté d’un conseil de dix membres, en quelque sorte ses ministres, responsables devant lui seul. Leclerc est vice-président de cet organisme (Francini 1, 1988, pp. 250-251 ; D’Argenlieu, 1985, p. 79).
Le général Salan est nommé officiellement au poste de « Commandant des Troupes françaises de Chine et du Tonkin ». Il s’envole pour Hanoi. Sa mission est de préparer le retour des Français au Tonkin et de tout faire pour éviter une guerre entre la France et la Chine. Il rencontre pour la première fois Sainteny puis la communauté française d’Hanoi terrorisée. Selon Salan, il y a à cette époque 4 500 militaires français dans Hanoi mais ils manquent de munitions (Salan 1, 1970, pp. 198-200).
Discours de D’Argenlieu devant le monument aux morts de Saigon car il lui paraît important d’« établir un contact immédiat, direct, avec la population de Saigon » (D’Argenlieu, 1985, p. 77). L’amiral déclare ce jour « […] Nous ne venons pas, je l’affirme, conquérir, dominer, exploiter mais rétablir l’ordre dans la maison commune, au nom de la France nouvelle, forgée dans la résistance à toute dictature, plus que jamais éprise de progrès social, de franchises économiques, d’idéal démocratique et donc d’émancipation administrative et politique pour le membres intellectuellement et moralement évolués de l’Union française. » (cité in Turpin, 2005, p. 164) D’Argenlieu est conscient des limites d’une reconquête militaire pure. Elle lui paraît insuffisante. Il faut trouver des interlocuteurs locaux qui acceptent de collaborer au programme politique de la France et gagner les cœurs et les esprits de la population locale.
2 novembre 45 : Le dirigeant du D.M.H., Nguyen Hai Than, s’estimant floué par l’accord du 23 octobre, le dénonce. Avec l’arrivée à Hanoi des leaders du V.N.Q.D.D., les deux partis s’opposent au VM qu’ils jugent incapable de gouverner. Ils dénoncent le caractère communiste du VM et soulignent que la Chine ne peut tolérer une présence communiste sur sa frontière sud (voir 8 novembre) (Devillers, 1988, p. 108). C’est cette opposition des partis prochinois au VM qui décidera HCM à dissoudre, du moins en apparence, le P.C.I.
Reprise de Caï Rang (proche de Can Tho) que le VM essaie de reprendre le 11.
Arrivée des premiers éléments de la 9e D.I.C. Ils ne disposent pas pour l’instant de leur véhicules (Pedroncini, 1992, p. 393).
Au Laos, le récent « gouvernement du Laos libre » (Lao Issara) signe avec le VM un traité d’alliance et d’amitié prévoyant une coopération militaire pour s’opposer au retour de la France sur le territoire laotien. L’article 1 du texte autorise le Vietnam à y entretenir des troupes et comporte l’engagement de ne signer aucune paix séparée avant que l’indépendance totale des deux pays ne soit reconnue (Devillers, 2010, p. 328).
3 novembre 45 : Message de D’Argenlieu à Sihanouk, roi du Cambodge. Dans le cadre de la Fédération indochinoise, le royaume jouira d’ « une large autonomie intérieure » [et] constituera lui-même son propre gouvernement. » Mais la France se garde le droit de nommer un commissaire de la République assisté de conseillers. Ce commissaire gèrera les affaires fédérales « ainsi que les intérêts proprement français » et sera « le conseiller politique de Votre Majesté et de son gouvernement. » (D’Argenlieu, 1985, p. 84 ; Turpin, 2005, p. 158) Ces concessions, limitées, seront concrétisées par le modus vivendi du 7 janvier 1946.
Un mémorandum du général Ho Ying Chi, commandant en chef des troupes chinoises au Nord, remet en cause l’accord de principe produit par le ministère des Affaires étrangères chinois en date du 17 avril qui donnait son aval pour un retour des troupes françaises stationnées en Chine. Ce revirement est le fruit de l’opposition entre Tchang Kaï Check et son ministre des Affaires étrangères mais également la manifestation du désir de certains généraux chinois de ne pas lâcher la poule aux œufs d’or que représente pour eux l’occupation du N-V (Pedroncini, 1992, p. 167).
4 novembre 45 : Au Laos, un coup d’État du Lao Issara (procommuniste) destitue le roi et le prince Savang Vong (voir 10 octobre 1945). Le palais est pillé et les traités de protectorat avec la France sont dénoncés. Au départ des Chinois, les Français reprendront l’offensive contre le Lao Issara (procommuniste). Le prince Souphanouvong, blessé, se retirera à l’est du Laos, à la frontière du Tonkin. Le premier ministre Petsarath se réfugiera quant à lui en Thaïlande (De Folin, 1993, p. 130).
7 novembre 45 : Salan (nouveau commandant du Nord et des troupes de Chine) se rend à Kumning auprès des unités françaises basées en Chine (reliquat de la brigade Alessandri). Leur moral est bas car elles ont le sentiment d’y avoir été oubliées. Leclerc avait envoyé un ancien de la 2e D.B., le lieutenant-colonel Quilichini, pour les commander. Salan prescrit qu’un groupement de 4 bataillons soit prêt à partir le 1er janvier (mais ce départ sera différé par opposition des Chinois).
D’Argenlieu écrit à De Gaulle : « De vrai, le peuple annamite a été atteint par la propagande du Viet-Minh un peu plus que nous le pensions. Le slogan « Indépendance » avec ses séquelles trouvait écho dans une terre préparée, d’où l’extension rapide du mouvement. » Décrivant les espoirs suscités par le mouvement, l’amiral évoque les limites de ce qu’il nomme un « grisement » du peuple et estime : « Le temps travaille pour nous. » (Turpin, 2005, p. 168)
Massu (commandant la 2e D.B. débarquée à partir du 15 octobre) donne une interview à Saigon : « L’Indochine fait partie de l’Union française. Tout autre point de vue nous paraît inadmissible […] Des injustices ont été commises ; nous sommes venus pour les effacer […] » (citée in Turpin, 2005, p. 168, note 77)
8 novembre 1945 : Nguyen Hai Than, chef du Dong Minh Hoi, réclame la démission immédiate de son président le général Zhang Fakui (voir 10 octobre 42), la dissolution du gouvernement en place, la fin de « la dictature d’un seul parti » et la création d’un nouveau gouvernement. Cet ultimatum est soutenu par le général Lou Han, commandant en chef des troupes chinoises au N-V. Nguyen Hai Than aurait déclaré aux Chinois qu’il déclinait toute responsabilité en cas d’incident entre le Vietminh et les non-communistes prochinois, si l’ultimatum était repoussé par HCM. Trois jours plus tard, à la suite de réunions secrètes, le P.C.I. prendra de court ses adversaires en annonçant son autodissolution (voir 11 novembre). HCM conserve néanmoins le contrôle du Vietminh, paravent sous lequel le P.C.I. continue d'exister officieusement.
Occupation française par les troupes de Massu de Tay Ninh (nord-ouest de Saigon, frontière cambodgienne), capitale du caodaïsme pro-japonais qui se rend toutefois sans combat (Devillers, 2010, p. 72).
Première rencontre entre Messmer et D’Argenlieu au palais Norodom. Après un accueil chaleureux entre gaullistes, le ton de l’entretien se refroidit rapidement : « Il [D’Argenlieu] m’interrompt pour me dire sur un ton de commandement, quelle est sa politique : elle se résume à l’application pure et simple de la déclaration du 24 mars dont je viens de lui expliquer pourquoi elle me paraît dépassée. » Juste après cet entretien, Messmer est reçu par Leclerc. Il le renseigne sur l’état d’esprit qui règne dans les campagnes tonkinoises suite à sa captivité. Il lui fait part du fait que « la déclaration du 24 mars n’est pas une bonne base de négociation. » Leclerc lui répond « tranquillement » : « On en trouvera une autre. » Puis Messmer rencontre Paul Mus (conseiller politique de Leclerc) qui, plus réaliste, lui explique que « les villageois attendent désormais un autre pouvoir. » (Messmer, 1992, pp. 167-168 ; Pedroncini, 1992, pp. 325-327, Messmer indique les dates des « 9 ou 10 novembre 1945 » pour cet entretien, sa chronologie semblant assez approximative, suite au périple particulièrement éprouvant qui l’a affecté).
9 novembre 45 : Rapport réaliste de la plume de Pierre Messmer. Il avait été nommé commissaire de la République au Tonkin mais n’a jamais pu exercer cette fonction du fait de son immédiate capture par le VM lors de son parachutage (voir 25 août). Il sort d’une longue détention dans le delta tonkinois. Il écrit dans ce rapport : « En deux mois de captivité, j’ai vu plusieurs milliers d’Annamites, sans rencontrer une seule fois un geste de sympathie ou de pitié. Partout de la haine [...] La situation est telle qu’un accord qui ne permettrait pas de sauver la face serait considéré comme une trahison. « Sauver la face », c’est nous faire prononcer le mot indépendance […] Les instituteurs, les secrétaires, les étudiants, les comptables qui constituent la masse subalterne mais agissante du Viet-Minh, ne veulent entendre parler d’aucun compromis. Ces hommes presque toujours sincères et honnêtes, parfois courageux ne capituleront pas. Ils se feront tuer ou se réfugieront dans la vie clandestine. » (cité in Isoart, 1982, p. 70)
10 novembre 45 : Deux dirigeants du VM venant du Sud, Tran Van Giau et Pham Ngoc Tach, arrivent à Hanoi. Fort de leur expérience au Sud face à la reconquête française, ils estiment que la guérilla est le seul moyen de lutter pour l’instant contre les forces françaises (Devillers, 1988, p. 108).
Au Laos, le Lao Issara oblige le roi Sisavang Vong à abdiquer (Devillers, 2010, p. 328).
Bao Daï voit sa nomination officiellement entérinée par le gouvernement d’HCM avec le titre de « conseiller suprême » du VM, sous le simple nom de « citoyen Vĩnh Thụy ».
Constitution d’une modeste flotte aérienne française : à cette date, elle comporte 4 hydravions Catalina et un groupe de transport de 12 Dakotas issus de l’armée américaine venant de Chine ou du Pacifique (Cadeau, 2019, p. 153).
10 - 11 novembre 45 : Par décision du comité central, le P.C.I. se dissout lui-même « pour, selon une déclaration, éviter à l’intérieur et à l’étranger, tout malentendu qui pourrait gêner la libération de notre pays » (De Folin, 1993, p. 120). En fait, c’est une concession d’HCM aux virulents et très anticommunistes partis prochinois (voir 23 octobre et 2 novembre). Staline n’a pas été informé de cette décision, un des prémices du credo de l’indépendance de la diplomatie du VM à l’égard des « pays frères » (Marangé, 2012, p. 161). La résolution recommande simplement aux « adeptes du communisme » de se regrouper dans une « Association indochinoise des Études marxistes ».
Aux yeux d’HCM, l’union de toutes les forces nationalistes doit être, du moins pour l’instant, une priorité. Elle vise à rassurer les Chinois et leurs antennes vietnamiennes, le D.M.H. et le V.N.Q.D.D. mais aussi les Occidentaux (Américains et, dans une moindre mesure, Français) en leur montrant que son mouvement est avant tout purement nationaliste. Il rend publique une déclaration dans laquelle il est dit que « l’heure est précisément une occasion exceptionnelle pour le Vietnam de reconquérir son indépendance intégrale ». Selon lui, « une Union nationale conçue sans distinction de classe est un facteur indispensable » et il précise que « les communistes en tant que militants d’avant-garde de la race sont toujours susceptibles des plus grands sacrifices pour la libération nationale, disposés à placer les intérêts de la nation au-dessus de ceux de la classe. » Ultérieurement, HCM expliquera que le parti a eu recours à cette stratégie de l’autodissolution « pour se maintenir, militer et se développer » mais aussi « pour exercer une direction plus discrète et plus efficace » (Ruscio, 1992, pp. 45-46).
En fait le parti ne cesse d’exister se plaçant sous la couverture d’associations aux appellations nouvelles, les doan (groupes) ou les hoi (associations dont une « Association pour l’étude du marxisme). Cette pseudo-dissolution n’empêchera pas la tenue de multiples congrès du P.C.I. jusqu’à sa ré-officialisation, le 3 mars 1951. Il est composé, de façon plus ou moins nette, de deux courants principaux. Le premier est pragmatique, capable de s’adapter aux circonstances, incarné par HCM et ses proches (dont Giap). Le second est beaucoup plus intransigeant voire dogmatique, influencé par l’exemple de Mao Zetoung. Ce second courant est inspiré par Dang Xuan Thu et ses disciples : Hoag Quoc Viet, Ho Tung Mau, Tran Huy Lieu (propagandistes pétris de violence agressive). HCM, ayant acquis le statut d’« Oncle », est cependant le dirigeant du parti et c’est lui qui compose tant avec les Chinois du Guomindang qu’avec les Français. Il compte sur les élections prévues le 23 décembre (qui seront reportées au 6 janvier 1946) pour asseoir l’autorité du Vietminh par rapport aux autres courants nationalistes concurrents prochinois (Francini 1, 1988, pp. 269-271).
12 novembre 45 : Manifestation sur la place du théâtre à Hanoï organisée par les partisans prochinois, le V.N.Q.D.D. et le D.M.H., contre le VM. Elle réunit une foule considérable et des rumeurs courent affirmant que les Chinois vont intervenir en faveur de leurs protégés nationalistes. Un profond désordre règne dans la ville (De Folin, 1993, p. 120). Salan (commandant du Nord et des troupes de Chine) estime que le nombre de civils français qu’il y faut protéger s’élève à 13 100 personnes à Hanoi : 3500 hommes, 4 600 femmes et 5 000 enfants (Salan 1, 1970, p. 202).
A Hanoi, le VM adresse son premier mémorandum aux Français et y définit ses exigences : reconnaissance de l’indépendance totale et immédiate en échange de concessions économiques, l’occupant devant faire cesser immédiatement les hostilités en Cochinchine et stopper l’envoi de troupes et d’armements. Pignon (conseiller de Sainteny) juge ces demandes inacceptables mais les transmet à D’Argenlieu qui veut poursuivre les discussions (Pedroncini, 1992, p. 393 ; Devillers, 1988, p. 109 ; Turpin, 2005, p. 186)
A Paris, le P.C.F. et d’autres mouvements partisans d’une négociation organisent une campagne de soutien (voir 26 novembre – 5 décembre) à la Salle Wagram lors d’un meeting pour « l’amitié des peuples de France et d’Indochine » sous la présidence d’Andrée Violis. A l’origine, parmi les organisateurs de cette réunion, devait se trouver la S.F.I.O. Au dernier moment, Marius Moutet se désiste. Jean Cristofol, membre du comité central du P.C.F., déclare lors de ce meeting : « Après avoir défini le programme du Vietminh, notre parti doit mettre tout en œuvre pour qu’il soit réalisé […] » D’après le compte-rendu de L’Humanité du 14, il réclame « l’arrêt immédiat des opérations militaires et l’ouverture de négociations avec le gouvernement que les peuples indochinois se sont librement donné » (cité in Ruscio, 1985, p. 94).
13 novembre 45 : De Gaulle est élu président du gouvernement provisoire par l’Assemblée constituante.
D’Argenlieu met en place un « Comité militaire pour l’Indochine » qu’il préside sur place. Leclerc devient son vice-président. Le comité est chargé d’étudier les problèmes d’ordre militaire et d’émettre un avis sur le plan d’action militaire et sur l’engagement coordonné des forces terrestres, aériennes et navales (Bodinier, 1987, p. 42).
14 novembre 45 : D’Argenlieu proclame l’élection de De Gaulle en Indochine (D’Argenlieu, 1985, p. 82). Il précise qu’il n’a de comptes à rendre qu’au nouveau président : « A chacun son travail ! Le mien est une mission officielle qui dépend de la présidence du Gouvernement. Nul compte à rendre aux partis politiques […] » (D’Argenlieu, 1985, p. 83).
15 novembre 45 : Arrivée des premiers éléments de la 9e D.I.C. de Valluy. Le C.E.F.O. avoisine alors les 30 000 hommes pour tout le Vietnam.
Mi-novembre 45 : D’Argenlieu estimant que les rapports entre la France et le Cambodge doivent évoluer met en place une commission d’étude franco-khmère chargée de réfléchir à l’avenir des relations entre les 2 pays. Ses travaux aboutiront au modus vivendi du 7 janvier 1946 (Cadeau, 2019, pp. 158-159).
17 novembre 45 : Occupation française de Ban Me Thuot et de Dalat, au nord-ouest de Nha Trang. Cette dernière ville sera occupée le 19.
Au Nord, les tensions entre le VM et les nationalistes s’intensifient. Les nationalistes prochinois menacent d’employer la force de leur protecteur pour chasser le VM du pouvoir. On entre dans une période très confuse où, malgré les menaces, le VM décide de maintenir les élections prévues pour le 23 décembre et de poursuivre une lutte clandestine basée sur la guérilla et la politique de la terre brûlée (Devillers, 1988, pp. 109-110).
Démonétisation des billets de 500 piastres par les autorités de Saigon (Pedroncini, 1992, p. 393). Cette mesure visant à assainir la situation monétaire de l’Indochine (inflation durant l’occupation japonaise) affecte les Chinois du Nord comme ceux du Sud, principaux détenteurs de ces billets. La mesure déclenche une crise violente au moment même où Français et Chinois étaient parvenus à un accord sur les frais d’entretien de l’armée chinoise. Les Chinois refusent cette mesure et exigent l’échange des billets de 500 piastres en plus petites coupures. Ce que refuse la banque d’Indochine. D’où une violente campagne antifrançaise menée conjointement par les Chinois, les nationalistes et le VM dans le Nord (Devillers, 1988, p. 110).
Leclerc est inquiet de la situation politique en métropole. Il note dans son journal de marche : « Le général De Gaulle renonce à former le gouvernement. Qu’est-ce que cela nous réserve ? » (cité in Turpin, 2005, p. 184, note 72)
18 novembre 45 : Second accord entre le VM et les nationalistes prochinois, le D.M.H. et le V.N.D.D.D., en vue de la formation d’un gouvernement d’Union nationale. Au vu des habituels atermoiements du VM sur cette question, les partis prochinois le menacent d’un coup de force (voir 23 octobre et 23 décembre). Cet accord fragile sera toutefois rompu le 8 décembre.
D’Argenlieu envoie à De Gaulle un rapport sur la situation générale et l’évolution politique du Vietnam. Il est résolument optimiste. Au Sud, « sur le plan intérieur le progrès est réel. » Les zones contrôlées en Cochinchine s’étendent et la liaison est rétablie avec le Cambodge. « Au Tonkin, la situation s’améliore lentement. A Hanoi, Nam Dinh, Haïphong, Hongay, la sécurité des Français est mieux assurée. » Salan (commandant du Nord et des troupes de Chine) a pu constater que la situation des militaires à la citadelle d’Hanoi était reprise en main. L’accord ne se fait pas entre les partis nationalistes prochinois et le G.R.A. HCM ne parvient pas à apaiser les relations entre modérés et extrémistes. Des contacts sont donc repris avec les Français. Selon D’Argenlieu : « La leçon de Cochinchine commence à porter ses fruits. » D’Argenlieu réclame une autonomie politique que ne doit pas entraver le « Pouvoir central » sans échanges préalables et ce, pour réaliser le programme de la déclaration du 24 mars. Il faut faire confiance à « son représentant » qui saura rendre des comptes en temps voulu (D’Argenlieu, 1985, pp. 431-432).
19 - 20 novembre 45 (nuit du) : Débarquement à l’aide des croiseurs Richelieu et Triomphant d’un bataillon à Nha Trang pour y secourir la colonie française et un bataillon du 6e R.I.C., bloqués tous deux par la pression du Vietminh. La ville ne sera réoccupée que longtemps après. Selon Raymond, « les Français vinrent à bout de leurs adversaires après une bataille de quelques jours : les positions du Vietminh autour de la ville n'avaient rien d'improvisé, elles reprenaient méthodiquement celles que les Japonais avaient construites dans l'hypothèse d'un débarquement des Alliés, avec blockhaus et armes lourdes. Les combats dans le delta durèrent jusqu'en décembre, et l'on plaça des soldats Français dans chaque village repris. » (Raymond, 2013, p. 63 ; Francini 1, 1988, pp. 246-247 ; Valluy 1, 1967, p. 27)
20 novembre 45 : Le chef nationaliste Nguyen Binh (Goscha, 2002, p. 29-57), ancien détenu de Poulo Condore, non communiste qui ne rejoindra le parti qu’en 1946, après avoir été intronisé par HCM et les principaux dirigeants du P.C.I. pour bâtir une armée de la R.D.V.N. en Cochinchine, réunit une quarantaine de chefs militaires à An Phu et constitue un « Rassemblement militaire pour le Nam Bo ». Il s’agit d’agglomérer sous son égide des forces paramilitaires venues du Laos, du Cambodge, de Thaïlande, du Nord et Sud-Vietnam, plusieurs milliers d’hommes encadrés connus sous le nom de « Marche vers le Sud ». Des secteurs géographiques (Chi doi) leur sont attribués en Cochinchine. Ils combattent les Français aux côtés des Hoa Hao, des Binh Xuyen, des caodaïstes et du Daï Viet (Goscha, 2002, pp. 36-37). D’Argenlieu mentionne dans ses mémoires la personnalité de Nguyen Binh peu après son arrivée en Cochinchine. Évoquant des « hameaux et villages épars », D’Argenlieu mentionne un climat d’insécurité permanente : « L’on y sent poindre vite le terrorisme. Cà et là l’on nous signale des enlèvements de notables. Ils deviennent autant d’otages pour juguler les familles, puis tarifier les communes. Tout propos, tout geste d’amitié ou sympathie à l’égard du fonctionnaire, militaire, résident français, fait du Cochinchinois un traître à la patrie. » (D’Argenlieu, 1985, p. 87)
21 novembre 45 : Second gouvernement De Gaulle (jusqu’au 28 janvier 1946) suite à sa réélection.
Gouvernement De Gaulle 2 : Armées : Edmond Michelet ; Affaires étrangères : Georges Bidault (M.R.P.) ; Colonies : Jacques Soustelle (Bodin, 2004, p 124).
22 novembre 45 : Moins d’un an avant la promulgation de la constitution de 1946 de la R.D.V.N. (voir 8 novembre 1946), un décret donne une description très détaillée des divers organismes administratifs locaux, de leurs rapports et fonctions. La durée des mandats est fixée à 2 ans. Les conditions d’éligibilité à ces assemblées locales sont libérales. Des élections locales ont lieu (Fall, 1960, p. 76).
23 novembre 45 : Une instruction du P.C.I. définit la guerre de libération nationale comme étant faite « à la fois de résistance et de construction étatique. » (voir 22 novembre) (Goscha, 2011, empl. 141)
25 novembre 45 : Début des longues opérations de nettoyage de Cholon et du sud de Saigon. Selon les mémoires du général Valluy, c’est « un cancer où pullulent, avec la complicité d’une population docile, des déserteurs nippons et de jeunes fanatiques. » L’opération durera jusque dans la deuxième quinzaine de décembre (Valluy 1, 1967, p. 25).
26 novembre – 5 décembre 45 : Dans la veine du meeting de la Salle Wagram (voir 12 novembre) se tient à Paris le Congrès constitutif de la Fédération démocratique internationale des Femmes. Une Vietnamienne, Madame Tuong The Hauh, intervient au nom de l’Union des Femmes indochinoises de Paris. Elle dénonce les crimes du colonialisme français (Ruscio, 1985, p. 95).
26 novembre 45 : Dans une lettre adressée à Hubert Beuve-Méry, directeur du journal Le Monde, Devillers se plaint de ne pouvoir exercer son métier de journaliste : « […] Ce qui est toutefois plus grave, c’est que nous avons l’impression ici qu’on cherche, de nombreux côtés, à éviter que ce qui se passe en Indochine soit connu du public français. La censure s’y exerce sur les câbles, les lettres et ce n’est pas seulement une censure militaire [...] » (Devillers, 2010, p. 50) Le processus de censure est mis œuvre tant par l’armée que par l’administration qui se remet progressivement en place.