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par Jean-François Jagielski

Mars 1971

Mars 71 : Alexander Haig (conseiller militaire de Kissinger), mandaté par son supérieur pour se rendre au Vietnam, constate que Thieu et ses généraux refusent de poursuivre les combats et se contentent de battre en retraite « de manière ordonnée et tactiquement saine ».

En fait, il s’agit d’une véritable déroute durant laquelle les hélicoptères américains tentent de récupérer au mieux les fuyards de l’armée s-v qui s’accrochent aux patins des engins. La « vietnamisation » s’avère être un échec patent, dû à l’incompétence du commandement s-v dont la plupart des généraux ont été cooptés par Thieu parce qu’ils lui étaient fidèles et que ce dernier vivait toujours (comme ses prédecesseurs) dans la crainte d’un coup d’État militaire émanant d’eux (Karnow, 1983, pp. 387-389). Thieu souffre en fait des mêmes tares militaires que Diem en son temps.

Daniel Ellsberg commence à transmettre les Pentagon Papers aux journalistes du New York Times (Karnow, 1983, pp. 390-391 ; Nixon, 1978, pp. 368-374).

Un sondage révèle que 50 % des Américains font confiance à Nixon mais seuls 34 % soutiennent la guerre et 51 % pensent que le conflit est « une mauvaise chose d’un point de vue moral. » La proportion des soutiens s’étiole encore plus sensiblement dans l’électorat des 18-20 ans. Les vétérans commencent à se joindre aux manifestants et John Kerry, leur porte-parole, déclare qu’ils sont « déterminés à détruire jusqu’au dernier vestige cette guerre barbare » (Karnow, 1983, p. 390).

Au Cambodge, la résistance khmère rouge contrôle désormais les quatre cinquièmes du territoire.


1er mars 71 : Un câble de Kissinger à Bunker pose des questions sur les raisons de l’échec militaire en cours. Réponse dilatoire et mensongère de l’ambassadeur : « Le général Abrams et moi-même estimons en toute confiance que si nous maintenons le cap, les campagnes du Laos et du Cambodge produiront les effets initialement escomptés sur les activités de l’ennemi au Vietnam du Sud, et sur le retrait de nos troupes. » (cité in Kissinger 2, 1979, p. 1 061).

L’opération Phoenix étend ses prérogatives à l’emprisonnement et l'assignation sélective d'agents du Vietcong, de suspects ou de présumés sympathisants (Burn Siger, 1992, p. 125).


3 mars 71 : Faisant écho au Washinton Post (voir 26 février), le Wall Street Journal, jusque-là modéré, critique à son tour la position ambiguë de l’administration Nixon : on veut rapatrier les troupes américaines tout en assurant vouloir l’existence d’un gouvernement non-communiste au S-V. Il y a là contradiction (Kissinger 2, 1979, p. 1 065).


4 mars 71 : La campagne anti-guerre se poursuit dans la presse. Le Milwaukee Journal publie : « Les Sud-Vietnamiens s’en remettront à nous tant que nous serons là. Ils possèdent l’une des plus grande armée du monde. S’ils ne peuvent s’en sortir tous seuls, il est désormais trop tard. Les États-Unis ne peuvent supporter plus longtemps d’être en proie aux frustrations et aux bouleversements intérieurs qui nous vaut cette guerre sanglante, tragique et immorale. » (cité in Kissinger 2, 1979, pp. 1 065-1 066).


3 - 6 mars 71 : Les S-V s’approchent timidement de Tchepone « mais, selon Kissinger, nous en vînmes à soupçonner rapidement qu’ils ne voulaient Tchepone que pour pouvoir se retirer aussitôt du Laos sans perdre la face. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 061)


8 mars 71 : Abrams fait savoir que les S-V, ayant enfin occupé Tchepone abandonnée, considèrent la mission accomplie et sont pressés de battre en retraite (Kissinger 2, 1979, p.     1 061). Ils semblent alors avoir oublié le but initial de l’opération : contrôler et couper une fois pour toutes la piste HCM…


9 mars 71 : Bunker  (ambassadeur à Saigon) et Abrams (commandant le M.A.C.V.) rencontrent à nouveau Thieu. Ce dernier prétend que ses troupes assurent une simple relève tout en se repliant. Or les Américains n’ont jamais entendu parler ni de troupes fraîches ni de renforts…Thieu estimant le quota de pertes atteint est en fait en train de retirer ses troupes de l’opération. Kissinger veut à nouveau envoyer Haig sur place (Kissinger 2, 1979, p. 1 062).


18 mars 71 : Les dirigeants de l’A.R.V.N. engagés au Laos décident un mouvement de repli face à la résistance n-v. On déplore des mouvements de paniques des soldats s-v (Nixon, 1978, p. 361). Kissinger envoie un câble menaçant à l’ambassadeur Bunker. Il vise le président du S-V : « Thieu comprend, je l’espère, que la confiance du Président n’est pas un atout dont se permet de disposer à la légère ; peut-être est-ce aujourd’hui sa dernière chance d’obtenir un soutien massif de la part des États-Unis. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 062).

Au Cambodge, le gouvernement républicain publie un « Livre Blanc » sur l'agression du Vietcong et du Nord-Vietnam.


19 mars 71 : Arrivée de Haig (conseiller militaire de Kissinger) au Vietnam. Le constat est affligeant concernant l’offensive Lam Son 719 toujours en cours : on en est à envisager un retrait des troupes s-v « en bon ordre et de façon sensée […] sous le couvert d’une immense concentration de bombardements américains. » Kissinger déplore les images de paniques filmées qui montrent des soldats s-v accrochés au train d’atterrissage des hélicoptères.

Au Cambodge, les opérations sont toutes aussi catastrophiques autour de la ville de Suol. Et Kissinger de conclure dans ses mémoires : « La campagne de la saison sèche de 1971 fut pour nous une douche froide. » C’est aussi la dernière grande opération où ont été impliquées les troupes américaines, cette fois-ci en simple soutien (Kissinger 2, 1979, pp. 1 062-1 063).

La responsabilité américaine dans l’échec de vietnamisation du conflit est cependant indéniable : les plans d’attaque, bâclés, ont été concoctés en grande partie par l’état-major américain et avalisés par l’administration Nixon qui, par ailleurs, a donné priorité depuis des mois au retrait de ses troupes et opéré un sévère repli budgétaire au Vietnam. De plus, les Américains ont dû limiter les sorties d’avions au cours de l’opération, là encore pour des raisons purement budgétaires.

Au Cambodge, première mention sur les antennes de la radio du P.C.K. de l'existence de l'Angkar.


25 mars 71 : Nixon rencontre un groupe de représentants du National Student Congress pour tenter une médiation (Prados, 2011, p. 39). La rencontre tourne rapidement au dialogue de sourds.


29 mars 71 : Jugement de l’affaire du lieutenant William Calley. Il est condamné dans l’affaire de My Laï (Son Ly en vietnamien) qui a eu lieu le 16 mars 1968 à 160 km au nord de Saigon.

Calley est le seul condamné parmi les 26 officiers et soldats inculpés pour ce massacre ou pour l'avoir couvert par la suite. Son supérieur hiérarchique direct, le capitaine Medina, sera acquitté le 31 septembre.

Accusé de meurtre avec préméditation de 102 personnes, Calley est reconnu coupable du meurtre de 44 civils et condamné à la prison à vie (Carval in collectif, 1992, p. 228). Le principal argument de défense de Calley, à savoir d’avoir reçu l’ordre d’exécution de son supérieur hiérarchique direct, le capitaine Médina, est rejeté.

Mais moins de deux jours après sa condamnation, Nixon demandera sa libération de prison et son cantonnement en résidence surveillée en attendant l'appel du jugement (voir 1er avril). Les autorités militaires réduiront sa peine à vingt ans puis, sur intervention du secrétaire à la Défense (Laird), à dix ans.

Son procès donne naissance à un débat public alimenté par la presse. Pour une minorité de protestataires et de religieux, My Laï représente « l’aboutissement logique d’une guerre criminelle. » Mais pour les officiels et la majorité de la presse, ce massacre aberrant est dû à la seule personnalité de Calley et demeure, somme toute, une pratique de guerre que l’autre camp a fait sienne depuis longtemps. Calley est donc présenté plus comme un bouc-émissaire que comme un bourreau. Il faudra cependant encore plusieurs mois pour que l’opinion publique américaine évolue et reconnaisse que des actes inqualifiables ont pu être commis ce jour-là par les boys (Portes, 2008, pp. 248-249).


31 mars 71 : Thieu se rend à Dong Ha, près de la D.M.Z., au terminal oriental de la R.C. 9, pour donner une conférence de presse. La ville demeure à portée des canons n-v situés au nord de la ligne. Il déclare que l’opération Lam Son 719 a été un succès et annonce 9 000 N-V hors-combat, 110 chars détruits, 800 tonnes de munitions prises ou détruites sur place. Du côté des alliés, les pertes s-v ont été de 3 000 tués et 7 000 blessés. Les Américains ont perdu 94 hélicoptères, 66 pilotes sont morts et 28 ont disparu (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 296).

Le Washington Daily News poursuit la campagne de presse e cours contre la poursuite du conflit. Il publie un calendrier d’une douzaine de manifestations et campagnes contre la guerre (Kissinger 2, 1979, p. 1 537, note 9).

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