Mars 69 : La situation au Cambodge se détériore du fait d’une présence n-v massive. Pas moins de 4 divisions y opèrent. C’est alors que l’administration américaine envisage sérieusement de bombarder les bases nord-vietnamiennes qui s’y trouvent. Des bombardements intensifs commencent alors.
Du fait de l’arrêt des bombardements américains, toutes les unités chinoises de défense antiaérienne ont quitté le N-V. En 4 ans, les troupes chinoises auraient affronté l’ennemi 2 153 fois, abattu 1 707 avions, endommagé 1 608 appareils et fait prisonniers 42 aviateurs. Alors que le pays est toujours plongé en pleine « révolution culturelle », l’aide chinoise baisse temporairement de 20 % en 1969 par rapport à 1968 mais reprendra de manière intensive à partir 1971-1972 (Marangé, 2012, p. 336).
Des patrouilles soviétiques et chinoises s’affrontent sur une île inhabitée de la rivière Oussouri à la frontière des deux pays. Des combats plus nourris ont lieu en territoire russe. La Chine est donc tentée de se rapprocher des U.S.A. pour conjurer la menace soviétique.
2 mars 69 : Au Cambodge, depuis la récente réconciliation avec les U.S.A., Sihanouk critique pour la première fois publiquement les implantations vietcong dans les régions frontalières avec le S-V.
4 mars 69 : Nixon menace pour la première fois d’intensifier la guerre dans une déclaration publique : « Je crois pour le moment que l’Union soviétique partage l’inquiétude de nombreuses nations […] en ce qui concerne l’extension de la guerre au Vietnam […] Ils reconnaissent que si cette guerre se prolongeait trop, les risques d’escalade augmenteraient. » (cité in Shawcross, 1979, p. 88)
6 mars 69 : De France, Sihanouk dénonce à nouveau au cours d’une conférence de presse « le grand danger dans l’immédiat et à terme » que font courir « les infiltrations communistes vietnamiennes ». Il montre sur carte d’état-major les zones « où les Vietnamiens se trouvent nombreux, occupent même fortement certaines zones. » Il précise que dans certaines d’entre elles « le passage est interdit, et l’on doit s’arrêter parce que les Vietminh sont là en nombre » (cité in Tong, 1972, p. 134).
8 mars 69 : Au Cambodge, à l’instigation de Lon Lol, des incidents éclatent entre la population khmère et les troupes d’occupation n-v. Sihanouk est alors en France (Férier, 1993, pp. 133-134).
11 mars 69 : Des hélicoptères américano-sud-vietnamiens se livrent à des attaques au Cambodge dans le village de Skatum (province de Kompong Cham) occasionnant 4 tués et 10 blessés (Sihanouk, 1979, pp. 247-248).
15 mars 69 : Approbation par Nixon du plan du secrétaire d’État Laird de « vietnamisation » du conflit. Toutefois, ce programme ne sera rendu public qu’en juillet.
17 mars 69 : Le général Wheeler (chef d’état-major interarmes) donne l’ordre de procéder dans le plus grand secret aux opérations Menu et Breakfast qui ont été approuvées par Nixon. Elles doivent démarrer par un bombardement de B-52 venus de l’île de Guam.
Les pilotes ne connaîtront leurs objectifs qu’en cours de vol. Le président a donné pour consigne de ne se cantonner que sur 12 cibles dans la zone s-v et non sur la frontière cambodgienne. Toutefois, l’opération est maquillée pour la presse grâce à un vague communiqué falsifié qui prévoit de préciser qu’aucun bombardement ne doit avoir lieu sur un Cambodge censé être neutre.
Il ne l’est pourtant plus du fait d’opérations secrètes des forces spéciales américaines effectuées sous le code « Daniel Boone » (incursions allant jusqu’à 30 km en territoire cambodgien ayant entre autres pour objectif de poser des mines antipersonnel) (Shawcross, 1979, pp. 16-17 ; Biernan, 1998, p. 28).
18 mars 69 : Nixon donne l’ordre de bombarder avec des B-52 les bases du F.N.L. au Cambodge situées à 5 km à l’intérieur du pays. C’est l’opération Menu visant la « base 354 » implantée dans la plantation de Mimot établie dans le secteur de l’Hameçon. Les opérations, Menu et Breakfast, ne sont révélées ni au Congrès ni à l’opinion publique américaine.
La campagne, quoi qu’en dise a posteriori Nixon en poursuivant ses mensonges dans ses mémoires (Nixon, 1985, p. 120-121), n’est connue que du président, de deux membres du C.N.S., d’une poignée de fonctionnaires du département d’État et d’un petit nombre de membres du Pentagone. Dans les faits, elle contredit totalement la politique de désengagement du conflit prônée par Nixon et son administration depuis leur arrivée aux affaires. Nixon la qualifie cependant toujours a posteriori de « grande réussite » car « nous reçûmes des rapports nous apprenant que nos bombes avaient déclenché de multiples explosions secondaires, ce qui signifiait qu’elles avaient frappé des dépôts de munitions et de carburants. » (Nixon, 1985, p. 119) C’est le début de l’intensification des bombardements américains par B-52 sur le Cambodge qui donneront lieu au total à 3 600 raids (Biernan, 1998, p. 28).
La « base 353 », Q.G. des forces du F.N.L. et du futur G.R.P., située plus au sud (carte du secteur et des installations in Truong Nhu Tang, 1985, p. 186), est visée sous le nom de code d’opération Breakfast. Selon Nixon, « mon instinct immédiat fut de riposter. Kissinger et moi reconnûmes tous deux que, si nous nous laissions manipuler dès le début par les communistes, jamais nous ne pourrions négocier avec eux sur un plan d’égalité, et encore moins de force. » (Nixon, 1978, pp. 272-273) Il ajoute, « ce fut le premier tournant dans la conduite de la guerre au Vietnam. Un maximum de précautions avaient été prises pour garder le bombardement secret, pour plusieurs raisons. Nous savions que le prince Sihanouk, chef du gouvernement cambodgien, s’opposait fortement à la présence d’une armée nord-vietnamienne sur son territoire [...] Nous prévoyions aussi que tant que le bombardement resterait secret, les Nord-Vietnamiens pourraient difficilement protester puisque, officiellement, ils niaient la présence de soldats au Cambodge. » (Nixon, 1978, p. 274). Il omet de préciser que le caractère secret de l’opération est surtout guidé par sa peur d’une réaction de l’opinion publique américaine face à une extension de la guerre qui contredirait ses promesses électorales.
Selon Kissinger, le but de cette campagne de bombardements est aussi de forcer la main à l’U.R.S.S. en vue d’un règlement rapide de la guerre du Vietnam. Cyrus Vance (ancien négociateur américain en second à la conférence de Paris) rencontre Kissinger pour accomplir cette délicate mission. Elle a deux volets : les pourparlers S.A.L.T. et le règlement de la question vietnamienne (par le biais d’une entrevue secrète avec un important délégué n-v) pour régler les questions politiques (Kissinger 1, 1979, p. 278).
Pendant les 14 mois qui suivent ces premiers engagements, les B-52 vont effectuer 3 630 raids sur le Cambodge ou dans les régions bordant la frontière cambodgienne. Sihanouk ne réagit pas car les régions bombardées sont occupées contre son gré par les N-V. 539 129 tonnes de bombes seront déversées sur le pays jusqu’en août 1973, touchant, quoi qu’en disent les Américains, non seulement des cibles militaires mais également très largement les populations civiles.
Dans un article du New York Times paru le 3 mai 1979 et intitulé « It did happen here », le journaliste Anthony Lewis révèlera par la suite que les bombardements au Cambodge furent accomplis la plupart du temps à l’aveuglette : « Alors que les pilotes étaient censés éviter les centres de population, ils se servaient de cartes anciennes qui, à cause de leur échelle, n’indiquaient pas de nombreux villages. » (cité in Wainstock, Miller, 2019, p. 259 ; Showcross, 1979, p. 23)
19 mars 69 : Selon Coppolani, « le 19 mars 1970, le Président [Nixon] demandait à Kissinger d’ordonner à Richard Helms, le chef de la C.I.A., la mise en place d’un programme d’aide aux éléments pro-américains au Cambodge. Nixon ordonna aussi que la C.I.A. soit rapidement déployée dans le pays, preuve que sa présence y était auparavant quasiment inexistante. » (Coppolani, 2018, p. 68)
22 mars 69 : Cabot Lodge (chef de la délégation américaine à Paris) parvient à obtenir des N-V l’engagement d’engager des pourparlers secrets avec les Américains. Mais les choses vont traîner en longueur.
25 mars 69 : Au Cambodge, le poste de Roméas Hek (province de Svay Rieng) est pris d'assaut par une soixantaine de communistes cambodgiens encadrés par des Vietnamiens. 3 soldats sont tués et 3 autres blessés (Sihanouk, 1979, p. 248).
26 mars 69 : Le New York Times révèle par le biais d’un article du journaliste William Beecher (voir 9 mai) que le haut commandement américain a demandé à la Maison Blanche le bombardement des sanctuaires au Cambodge (Kissinger 1, 1979, p. 262 ; Shawcross, 1979, p. 29 ; Journoud, 2012, p. 77, note 41). Le porte-parole de la Maison Blanche dément immédiatement. Peu de réactions nationales au U.S.A. et internationales à cette annonce (voir 27 avril).
28 mars 69 : Sihanouk jusque-là plutôt favorable aux communistes n-v, dénonce à nouveau officiellement la présence au Cambodge de 40 000 combattants vietcong ou n-v dans le pays. Il avait jusqu’alors adopté officiellement une position neutraliste, celle qu’avait prônée De Gaulle lors du discours de Phnom Penh du 1er septembre 1966.
Ce revirement laisse les Américains perplexes : ils doivent respecter la soi-disant neutralité d’un territoire qu’ils savent pourtant occupé en grande partie par les communistes et dont les ports servent à ravitailler la piste HCM (Férier, 1993, p. 133).
29 mars 69 : Au Cambodge, Sihanouk présente à la presse une carte détaillée des implantations nord-vietnamiennes et vietcong. Il déclare : « Il y a des infiltrations à nos frontières, et de plus en plus. Des communistes étrangers s’infiltrent, en effet, de plus en plus chez nous. C’est un fait. Il y aurait une double conspiration : d’un côté, les Américains qui voulaient notre mort et, de l’autre, les communistes qui visent le même but. Il est temps que l’opinion mondiale le sache. » (Sihanouk, 1979, p. 248)