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par Jean-François Jagielski

Mars 1968

Mars 68 : Sondage analysant l’évolution de l’opinion publique américaine concernant le conflit au Vietnam : pour 41 %, contre 49 %, sans opinion 10 % (Nouilhat in collectif, 1992, p. 60). L’image de LBJ s’effrite : de 40 % d’avis positifs à l’automne 1967, elle décroit à      26 % dans les premières semaines de mars (Portes, 2008, p. 199).


Début mars 68 : La situation des Américains et des S-V s’améliore progressivement après le Têt. Selon des rapports du renseignement, le siège autour de Khe San semble se relâcher. LBJ se réjouit quant à lui des « vagues indications d’un éventuel désir de négocier des dirigeants nord-vietnamiens. » (Johnson, 1972, p. 478).


2 – 3 mars 68 : Des spécialistes de la Défense, du département d’État et du conseil des Chefs d’état-major travaillent de longues heures sur le rapport du groupe Clifford du 28 février (Johnson, 1972, p. 478).


3 mars 68 : Reprise de la ville de Hué tenue depuis le 31 janvier par des unités communistes. La ville est détruite aux trois-quarts et les N-V, en difficulté à la fin de l’opération, n’ont pas été accueillis comme ils s’y attendaient en libérateurs. Les Américains et les S-V constatent l’existence de prises d’otages et de purges sanglantes accomplies durant l’occupation de la ville. Un charnier d’environ 3 000 fidèles au régime, fonctionnaires s-v ou collaborateurs des Américains, est retrouvé.

A la fin de l’offensive du Têt, Hanoi déplore 36 000 morts sur un effectif de 195 000 hommes engagés. Nombre de cadres expérimentés ont disparu et l’espoir de soulèvement de la population des villes s-v attaquées ne s’est pas produit. L’armée s-v s’est battue avec acharnement. Militairement et politiquement, l’offensive du Têt s’avère être un échec.

Johnson reçoit un rapport encourageant de Westmoreland qui s’est rendu dans le delta du Mékong et y a rencontré le commandant s-v du IVe Corps. De la défensive, on repasse progressivement à des projets d’offensive et ce, dans toutes les régions du Sud (Johnson, 1972, p. 478).


4 mars 68 : A l’issue de la réunion du 28 février, LBJ avait chargé Rostow (conseiller à la Sécurité nationale) de produire « des recommandations répondant aux questions que nous a soumises le général Wheeler ». Il s’agit en fait d’un questionnaire précis qui doit être rendu ce jour même et a été soumis au préalable pour réponses au « groupe Clifford ». Il porte entre autres sur les conséquences militaires et financières que les fortes demandes en effectifs de Wheeler et Westmoreland induiraient (Johnson, 1972, pp. 474-475).

Une réunion a lieu à la Maison Blanche à 17 h 30. Participent Clifford (nouveau secrétaire à la Défense), McN (son prédécesseur), Humphrey (vice-président), Rusk (département d’État), Rostow (conseiller à la Sécurité nationale), Nitze et Katzenbach (sous-secrétaires à la Défense), Wheeler (commandant des chefs d’états-majors) et quelques autres conseillers.

LBJ fait état des bonnes nouvelles du dernier rapport de Westmoreland (voir 3 mars). Depuis le 31 janvier, les forces américaines ont reçu un renfort de 5 000 hommes. Les forces populaires s-v se sont reprises et ont retrouvé 85 % de leur puissance d’avant le Têt. Les forces régionales en ont quant à elles récupéré 75 %. Westmoreland a fait savoir que 118 bataillons de l’armée régulière s-v sont prêts à combattre contre 97 la semaine précédente (Johnson, 1972, p. 478). Clifford, les préconisations de son rapport et les discussions du moment vont toutefois tempérer ce rare moment d’enthousiasme présidentiel.

Avant la remise de ce rapport, Clifford a eu une conversation privée avec LBJ. Sans rejeter formellement les demandes de renforts, il lui a confié : « Si nous acceptons la demande de 206 000 hommes et que les choses continuent à suivre le même cours, il est probable qu’en mars il [Westmoreland] voudra encore 200 000 ou 300 000 hommes, sans perspective d’une issue […] On dirait que nous sommes devant un puits sans fond. Nous envoyons plus d’hommes, ils en font autant. Nous augmentons encore, ils en font de même […] Je vois de plus en plus de combats avec de plus en plus de pertes américaines et pas d’issue en vue. » (cité in Portes, 2008, p 201).

Warnke (sous-secrétaire à la Défense) et Phil G. Goulding (sous-secrétaire à la Défense pour les affaires publiques, adjoint de Clifford nouvellement nommé) ont été chargés de rédiger un mémorandum aux recommandations modestes, tout en demeurant toujours sur la même et très classique voie du renforcement en troupes : 22 000 soldats en renfort (comprennant 60 % de combattants) ; suspension de la décision de déployer 185 000 hommes ; rappel sous les drapeaux de 362 000 réservistes.

Le rapport préconise également d’insister auprès des S-V pour qu’ils renforcent encore leur efficacité, mettent au point de « nouvelles directives politiques et stratégiques » dans le cadre des futures opérations et ne prennent « aucune nouvelle initiative de paix au Vietnam ». Le « groupe Clifford » est donc bien incapable de modifier l’orientation actuelle de la politique américaine qui est et demeure sur la voie de l’inflation des effectifs. LBJ soumettra ces propositions à Westmoreland (voir 8 mars) (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 623). Les avis du groupe demeurent partagés quant à l’efficacité des bombardements. Certains préconisent l’« extension substantielle des objectifs » et la pose de mines devant Haïphong. D’autres proposent seulement « une accélération temporaire des opérations de printemps », sans augmenter le nombre d’objectifs.

8 annexes répondent tout ou partie aux questions posées par LBJ le 28 février (Johnson, 1972, p. 475). A leur lecture, LBJ observe dans ses mémoires : « […] je décelais, chez certains conseillers un sentiment de pessimisme plus profond que le mien. » Ainsi, « beaucoup de gens à Washington et notamment des fonctionnaires civils du Pentagone, ne partageaient pas ma confiance en Westmoreland et son état-major du Vietnam. » Les détracteurs remettent également en question « la détermination à se défendre du peuple sud-vietnamien. »

Un débat s’instaure. Clifford recommande des déploiements de troupes additionnelles limitées « par esprit de précaution et pour assurer la protection » des troupes sur place mais il estime qu’il faut réfléchir encore avant de prendre de nouvelles mesures. Ce qu’approuve LBJ. Il demande l’avis de Rusk. Celui-ci estime que « la clef de la situation résid[e] dans la capacité des Sud-Vietnamiens à assumer pleinement toutes leurs responsabilités et à « survivre à notre départ » ». Il n’est pas favorable à une augmentation des forces américaines parce qu’« une telle action pourrait rendre les Vietnamiens trop dépendants de nous. » Il faut simplement mieux les équiper.

LBJ est contrarié par la préconisation « totalement négative envers des négociations éventuelles » dans lesquelles, lui, fondait jusqu’alors certains espoirs. McN et Rusk sont pessimistes. Nitze (sous-secrétaire à la Défense) et Katzenbach (sous-secrétaire d’État) ainsi que Rostow (secrétaire d’État à la Sécurité nationale) estiment que la perspective de négociations ne sera possible que lorsque le pire de l’offensive sera passé, « en mai ou juin au plus tard ».

Rusk reprend alors la parole et préconise d’arrêter une grande partie des bombardements « pendant la saison des pluies sans courir de trop grands risques militaires. » Il faut adopter côté américain la stratégie chère aux N-V : « se battre et négocier ». LBJ lui demande de poursuivre sa réflexion sur ce sujet (voir 5 mars). LBJ s’adresse alors à Wheeler et le charge de dire à Westmoreland « d’oublier ses 100 000 hommes » et de se contenter des 22 000 préconisés ici (Johnson, 1972, pp. 480-482).


5 mars 68 : Mémorandum de Warnke (sous-secrétaire  à la Défense) à Clifford sur la liste des cibles visées par l’opération Rolling Thunder et les formalités de leur application (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 627-628).

Nouvelle réunion à la Maison Blanche. Poursuite des discussions de le veille avec Rusk, Clifford, Taylor, Helms, Rostow et deux conseillers présidentiels, George Christian (attaché de presse à la présidence) et Tom Johnson. LBJ aborde un des points les plus litigieux  de sa politique actuelle, celle des mesures progressives. Il demande : « ne valait-il pas mieux adopter une attitude ferme et décidée au début de la crise ? » Il essuie une réponse assez cinglante de Rusk : si Kennedy et son successeur avaient recommandé l’envoi de 100 000 hommes au début de la crise, « on aurait pu sauver certaines choses. » LBJ rappelle que c’est le reproche que lui adresse le candidat Nixon, à savoir de ne pas s’être plus engagé dans le conflit et s’être trop longtemps contenté de demi-mesures (voir 5 février).

Suite aux échanges de la veille, LBJ interroge à nouveau Rusk sur la question des bombardements. Ce dernier propose d’ajouter un paragraphe au futur discours présidentiel : les bombardements sur le N-V devront se limiter à ce qui est en rapport direct avec l’actuel champ de bataille tout en précisant : « C’est Hanoi qui doit déterminer si la mesure que je prends peut être un pas en avant dans la voie de la paix. »

Rusk lit alors un mémorandum qu’il a préparé sur le sujet : à l’approche de la saison des pluies, l’arrêt partiel des bombardements ne constitue pas « un sacrifice militaire majeur ». Tout dépendra de l’attitude des N-V à Khe Sanh ou s’ils attaquent d’autres grandes villes. L’attitude d’Hanoi est déterminante et il ne faut surtout pas faire d’annonces publiques sur ce sujet comme par le passé.

Puis on revient sur la question de changement de stratégie évoquée la veille. Clifford aborde la question de renforcer en équipement l’armée s-v (hélicoptères, fusils M-16, entre autres). Il obtient un feu vert présidentiel. Rusk donne copie de son mémorandum à Clifford qui doit le transmettre à Wheeler (président des chefs d’état-major) (Johnson, 1972, pp. 482-483).


6 mars 68 : Rusk charge l’un de ses assistants d’envoyer un câble à Bunker pour lui expliquer sa position sur la réduction des bombardements et lui demander son opinion sur cette question précise. Finalement LBJ le convainc de différer cet envoi afin de ne pas ébruiter son contenu. Le président ne l’annoncera que lors de son prochain discours qui sera prononcé le 31 mars (Johnson, 1972, p. 483).


7 mars 68 : Une source diplomatique indique qu’Hanoi et le F.N.L. n’ont pas écarté toute voie vers la négociation. Ils tolèreraient les bombardements sur Khe Sanh et la zone de la D.M.Z. si ceux-ci sont stoppés nets sur les régions plus septentrionales (Johnson, 1972, pp. 483-484).


8 mars 68 : Dans sa réponse au mémorandum de Warnke et Goulding (voir 4 mars), Westmoreland accepte finalement les 22 000 hommes de renfort mais continue à en demander 206 000 pour l’année 1968. Il ne remet en question les choix présidentiels, pas plus d’ailleurs qu’il ne parle de démission s’il n’obtient pas ce qu’il veut (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 623).

LBJ réunit à nouveaux ses proches conseillers. Clifford, en accord avec les militaires, a évoqué le passage des renforts de 22 000 à 33 000 hommes. LBJ, sans rejeter cette éventualité, demande à ce que cette proposition soit étudiée. Un conseiller évoque à nouveau la proposition initiale des 205 000 hommes. LBJ la rejette catégoriquement (Johnson, 1972, pp. 484-485).

Un haut dirigeant du F.N.L. fait savoir que le mouvement renonce à une éventuelle participation à un gouvernement de coalition au Sud. C’est une conséquence logique face à la déception qu’a connu le mouvement en constatant que la population s-v n’avait pas adhéré aux événements lors de l’offensive du Têt (Johnson, 1972, p. 484).


9 mars 68 : Une analyse des services de renseignements américains montre que les effectifs n-v engagés autour de Khe Sanh ont diminué, il sont passés de 14 000 à une fourchette variant entre 6 à 8 000 hommes (Johnson, 1972, p. 488). Les troupes n-v ont en fait subi depuis le début de l’opération (21 janvier) d’intenses bombardements au napalm qui ont rendu la place intenable.


10 mars 68 : La demande de 206 000 hommes de Westmoreland fuite dans les colonnes du New York Times. LBJ est furieux (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 623). L’article évoque « un débat interne et le désaccord chez les hauts fonctionnaires de l’administration Johnson ». LBJ soupçonne que cette fuite émane des « échelons inférieurs du gouvernement, et surtout dans le milieu des fonctionnaires civils du Pentagone ». Selon lui, ils ne comprennent ni sa pensée ni la récente décision de modération des renforts prise avec ses proches conseillers (Johnson, 1972, p. 485).

Rusk vient dîner à la Maison Blanche pour évoquer avec le président son audition du lendemain par la commission des Affaires étrangères du Sénat. On décide de ce qui devra être discuté et de ce qui ne le sera pas « pour des questions de sécurité » (la question des limitations des bombardements au Nord). Les sénateurs doivent cependant être mis au courant d’au moins une partie des changements de stratégie décidés récemment (Johnson, 1972, p. 485).

Contact d’Harriman avec un diplomate du bloc de l’Est sur la proposition de Rusk de limiter les bombardements. Nouvelle initiative sans suite (Johnson, 1972, p. 484).


11 mars 68 : Rusk est auditionné une première fois et durant 6 heures 30 par la commission des affaires étrangères du Sénat. Les débats sont retransmis par la télévision. Les membres de la commission exigent un examen de l’administration pour les affaires vietnamiennes par le Congrès ; une partie du Sénat demande l’arrêt des bombardements (Francini 2, 1988, p. 343).

Les spécialistes du Pentagone et du conseil des chefs d’état-major ont rendu leurs conclusions sur l’aide humaine et matérielle qu’ils peuvent apporter à Westmoreland en cas de nouvelle attaque des communistes. Une force de 14 000 hommes pourra être complétée par une autre de 30 000 hommes, toutes armes confondues. LBJ discute toujours de ces chiffres avec ses conseillers mais ne prend aucune décision (Johnson, 1972, p. 488-489).

Bunker préconise l’envoi de 7 bataillons américains « pour parer à toute éventualité ». Par contre, il exprime des réserves pour envoyer plus de troupes. L’accroissement des forces américaines doit être limité à « ce que nous considérons comme essentiel pour maintenir l’offensive et pour éliminer certains avantages géographiques tenus par l’ennemi, sans trop intensifier la guerre et sans l’américaniser outre mesure. » Il entend jouer avant tout la carte s-v. Thieu annonce en effet mobiliser un effectif de 100 à 125 000 combattants dans les 6 mois à venir. Ils vont donc avoir besoin de nombreux équipements en armement et en transports. Priorité doit leur être donné, serait-ce au détriment de la dotation de l’armée américaine. LBJ et Clifford approuvent cette « vietnamisation » du conflit (Johnson, 1972, p. 489).


12 mars 68 : Rusk est à nouveau auditionné de 9 heures 30 à 14 heures par le Sénat. Il rappelle les déclarations publiques présidentielles : les effectifs doivent atteindre 525 000 hommes et personne au sein de l’administration « n’est arrivé à des décisions ou conclusions nouvelles ».

On demande au secrétaire d’État si le président l’a saisi d’une information particulière que le Sénat ne connaitrait pas. Il répond : « Toute la situation est examinée de A à Z […] Nous sommes en train d’examiner tous les faits, problèmes et possibilités, mais je ne peux faire de suppositions sur des décisions qui n’ont pas été prises ou des conclusions auxquelles nous ne sommes pas parvenus. »

Interrogé sur la limitation des bombardements en-deçà du 17e parallèle, il affirme que « cette proposition est examinée en détail » mais qu’Hanoi fait la sourde oreille à toute proposition américaine. Il ajoute : « Cela ne signifie pas qu’à l’avenir nous n’envisagerons pas l’examen de cette proposition et toutes les autres qu’on nous présentera ou que nous élaborerons nous-mêmes. » (cité in Johnson, 1972, pp. 486-487)

LBJ et ses conseillers suivent à distance les débats au Sénat au cours d’un déjeuner. LBJ confie dans ses mémoires : « Rusk avait la situation bien en main mais je savais que cela ne lui plaisait pas. » Le président estime que les questionneurs voient ici l’occasion de jouer les colombes de la paix. On continue à réfléchir au contenu du discours présidentiel qui sera tenu le 31. Il faut, selon le président, continuer « à évaluer notre stratégie » (Johnson, 1972, p. 489).

« Nouvelle proposition intéressante pour une initiative de paix » faite par un diplomate d’un pays neutre à Rostow (secrétaire d’État à la Défense nationale). Il est question d’une conférence où seraient invités les U.S.A., le N-V, le S-V et le F.N.L. et les membres de la C.I.C. Participerait qui le désire, après réduction un jour avant de la rencontre de l’activité militaire. Rostow en informe Rusk (voir 18 mars) (Johnson, 1972, pp. 487-488).

Suite à une entrevue entre Couve de Murville et De Quirielle durant laquelle le ministre des Affaires étrangères remercie le délégué général du gouvernement français au N-V pour son « action positive », les N-V diffusent un communiqué qui rend hommage à de Gaulle et au gouvernement français « qui ont toujours condamné la guerre injuste et odieuse entreprise par les États-Unis, demandé la cessation inconditionnelle des bombardements contre le Nord-Vietnam et le retrait des troupes américaines pour laisser le peuple vietnamien régler lui-même ses propres affaires sans ingérence étrangère. » (De Quirielle, 1992, p. 199)


15 mars 68 : LBJ décide qu’en plus du renfort de 10 500 hommes envoyés en février, il enverra 30 000 hommes supplémentaires. C’est plus que ce que proposaient Warnke et Goulding (secrétaires adjoints à la Défense) et le groupe Clifford (voir 8 mars) (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 623).

Réunion à la Maison Blanche sur les questions de mobilisation des troupes et leur déploiement futur dans le monde entier. On réduit la voilure : de 260 000 réservistes, on est passé à 98 000 en deux étapes : 50 000 réservistes dans un premier temps suivis de 48 000. 30 000 d’entre eux sont prévus pour le Vietnam. Se pose de plus en plus un problème financier car le poids du budget militaire génère aux États-Unis de l’inflation et une augmentation des impôts. Clifford prévoit un surcoût de 2 milliards de dollars en 1968 et 5 milliards en 1969. Ce qui va obliger LBJ à en référer au secrétaire du Trésor, aux leaders et aux membres des commissions du Capitole (Johnson, 1972, p. 489).

L’ambassadeur américain à l’O.N.U., Arthur Goldberg, fait parvenir à Rusk un mémorandum détaillé sur le Vietnam. Il sera adressé le lendemain au bureau de la Conjoncture de la Maison Blanche qui le transmettra à LBJ alors dans son ranch du Texas. Goldberg connaît le changement de stratégie opéré au sein de l’administration depuis peu au sujet du Vietnam. Il préconise un arrêt total des bombardements pendant un temps limité, uniquement sur le N-V. Ils sont devenus très impopulaires et leur arrêt permettrait de « déterminer si Hanoi négocierait en bonne foi ». LBJ ne partage pas cet avis qui serait un renoncement dangereux pour les troupes américaines et la manifestation d’un signe de faiblesse. Il évoque la question avec Rusk. Ils conviennent de consulter Bunker sur la question (Johnson, 1972, pp. 491-492).


16 mars 68 : Massacre de Son My (My Laï). Il est le fait de la compagnie C qui appartient au 1er bataillon du 20e régiment d'infanterie de la 11e brigade de la 23e division d'infanterie (dite « Americal »).

Malgré l’ampleur du nombre de victimes civiles, l’armée américaine coule une chape de bêton dès le lendemain sur l’affaire. Seuls les témoignages de certains militaires présents mais n’ayant pas participé au massacre – « la rumeur de Pinkville », du nom dont la localité était mentionnée sur les cartes d’état-major - vont faire émerger cette affaire bien embarrassante pour l’armée américaine, mais plus d’un an après les événements, le 2 avril 1969, et surtout vers la fin de la même année durant laquelle les choses vont se bousculer.

Les deux commissions d’enquête établies en 1969 (l’une, militaire, est dirigée par le général Peers et l’autre, diligentée par la chambre des Représentants, dirigée par F. Edward Hebert) ne parviendront jamais à établir le bilan exact du nombre des victimes civiles qui est estimé entre 357 et 504. Les travaux universitaires ultérieurs s’approcheront d’un nombre de 500 victimes civiles dont nombre de femmes, d’enfants et même de nourrissons (Huret, 2008, p. 138, note 40). On dénombre par ailleurs une vingtaine de viols commis ce jour-là.

Robert Kennedy, bête noire de LBJ, annonce sa candidature à l’investiture démocrate.


Nuit du 16 au 17 mars 68 : A Paris des charges de plastic explosent devant la Chase Manhattan Bank et l’agence TWA sans faire de victimes (Journoud, 2016, p. 71).


17 mars 68 : Le New York Times annonce que le président approuve l’envoi au Vietnam de 35 à 50 000 hommes de plus au cours des 6 prochains mois (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 624).

Chester Bowles, ambassadeur des États-Unis à New-Dehli, envoie à son tour une nouvelle proposition d’initiative de paix initiée cette fois par l’Inde (membre de la C.I.C.). Elle préconise un arrêt total des bombardements sur le N-V après en avoir averti au préalable des gouvernements ou institution jugés importants : l’Inde, la Grande-Bretagne, le Japon, l’U.R.S.S., les Nations Unies. Ces derniers devaient s’engager à coopérer avec les U.S.A. et d’autres pays sur un programme de développement de l’Asie du Sud-Est dès l’obtention d’un règlement acceptable entre les parties (Johnson, 1972, p. 492).


18 mars 68 : A la chambre des Représentants, 139 membres (98 républicains, 41 démocrates) appuient une résolution demandant un examen immédiat par le Congrès de la politique américaine dans le Sud-Est asiatique (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 624).

Suite de l’initiative de paix lancée le 12 par un diplomate d’un pays neutre. Il rencontre Rusk. On discute des avantages et des inconvénients de la proposition. Rusk transmet l’information à LBJ qui le charge d’aller en parler à Bunker (voir 23 mars) (Johnson, 1972, p. 488).

Chester Bowles, ambassadeur américain à New Dehli, envoie à Dean Rusk un télégramme précisant que le rétablissement des relations avec le Cambodge serait d’une grande utilité, « à la fois pour nous permettre de mieux comprendre ce qui se passe dans ce pays, et pour redresser l’état de nos relations avec tout le Sud-Est asiatique, qui ne cessent de se détériorer. »

Cette initiative visant à se rapprocher de Sihanouk est vivement critiquée par les ambassades américaines de Bangkok et Saigon, notamment par Robert Komer, ambassadeur intérimaire, qui envoie un rapport très aigre à son supérieur, l’ambassadeur Bunker : « Nous voulons inquiéter Sihanouk, plutôt que de lui donner des raisons de croire que nous sommes avec lui. Ceci peut venir par la suite, si des travaux préliminaires d’assouplissement donnent un résultat. D’ici là, pourquoi ne pas prendre le contre-pied de Bowles d’une manière active, en lui opposant un maximum d’objections ? » Il sera suivi par Bunker mais Rusk décide néanmoins de poursuivre des discussions préparatoires avec Sihanouk en lui fournissant des renseignements qui décrivent en détail les violations n-v de la neutralité du Cambodge (opération Vésuve). Mais les Cambodgiens ne prendront peu de mesures contre leurs envahisseurs, faute de moyens (Shawcross, 1979, p. 67).


19 mars 68 : LBJ rassemble ses proches conseillers pour le traditionnel déjeuner-réunion du mardi. On poursuit les discussions en cours sur le Vietnam : effectifs, mobilisation des réservistes, déploiement des troupes, problèmes budgétaires afférents à ces questions. Les études fournies par le Pentagone sur ce dernier point ne satisfont pas le président. Elles devront être revues par le secrétaire au Trésor. LBJ interroge ses conseillers sur les deux dernières propositions de négociations : celle de Goldberg (voir 15 mars) et celle de Bowles (voir 17 mars). Rusk et Clifford rejettent la proposition de Goldberg (arrêt total des bombardements sur le N-V de la « formule San Antonio »). Clifford propose de réunir le conseil des Sages, ce qu’accepte LBJ (voir 25 – 26 mars). LBJ demande à ce que ses conseillers travaillent sur son projet de discours pour une première mouture à rendre à la date du 21 (Johnson, 1972, pp. 492-493).

Le soir, LBJ reçoit des représentants du Capitole. Il dément les chiffres qui courent : rappel de 400 000 hommes dont 200 000 pour le Vietnam. Il préconise la mobilisation de 100 000 réservistes, ce qui va augmenter le déficit de 8 à 10 milliards sur une ou deux années. Le président souligne l’urgence d’adopter la loi sur l’impôt et est conscient que celle-ci ne serait pas votée si une réduction des dépenses n’était pas envisagée comme elle l’est en ce moment. Il se dit prêt à accepter toute réduction raisonnable venant du Congrès (Johnson, 1972, p. 494).


20 mars 68 : LBJ a un entretien avec Arthur L. Goldberg, représentant les États-Unis à l’O.N.U., qui lui a adressé un mémorandum dans lequel il lui demandait de stopper les bombardements (voir 15 et 19 mars). Le président est furieux (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 625). Pour autant, il est toujours question d’une suspension des bombardements au sein du cabinet (voir ci-dessous).

LBJ reçoit la première mouture de son futur discours (voir 31 octobre). Elle intègre la remarque de Rusk du 5 dans laquelle il préconisait de limiter les bombardements au niveau du 20e parallèle (Johnson, 1972, p. 494).

LBJ a une discussion téléphonique avec Clifford (Défense). On évoque la rédaction du discours dans lequel doit figurer une initiative de paix. Il évoque avec lui la suspension des bombardements sur le Nord et suggère qu’ils pourraient affecter la zone de la D.M.Z. ou ailleurs en fonction de l’attitude des N-V. Il évoque avec son interlocuteur (qui doit en parler avec Rusk) une offre : « Personnellement, je pense que nous devrions mettre l’accent sur la paix et sur la stabilité […] Nous sommes prêts à tenir une conférence de Genève […] Nous sommes prêts à nous attabler pour discuter et retirer nos troupes de là aussitôt que les violences s’apaiseront. » Il lui faut un plan Clifford visant à la recherche d’un règlement (Johnson, 1972, p. 494-495). Johnson continue à louvoyer, comme il le fait depuis très longtemps, entre la carotte et le bâton.

Suite à la question du président (voir 15 mars), l’ambassadeur Bunker estime qu’un arrêt des bombardements serait très mal vu des S-V après l’épisode du Têt. Il faut donc les consulter. Il ne croit pas pour autant que cette décision modifie la position des N-V : « […] cela signifierait également abandonner notre atout sans rien obtenir en retour. » (Johnson, 1972, pp. 495-496)

Nouvelle réunion des conseillers à 17 h 30 au sujet du discours du 31. Sont présents Humphrey (vice-président), Rusk (secrétaire d’État), Clifford (Défense), McGeorge Bundy (Sécurité nationale), Fortas (conseiller présidentiel) et Goldberg (ambassadeur à l’O.N.U.). LBJ désire « une déclaration pondérée et bien équilibrée, qui ferait état de notre décision de vouloir parer aux besoins militaires imprévus et qui contiendrait « une offre de paix raisonnable. » »

Mais, une fois encore, dès que la discussion s’engage, les avis divergent. Rusk estime important de faire une offre sur la portée des bombardements car « nous n’avons aucune proposition à offrir. » Clifford estime que 3 points doivent être abordés : le sens de l’action militaire actuel, le rôle des S-V et quelques remarques sur la paix. Il emploie le mot de « désescalade », avec, comme premier pas la limitation des bombardements en-deçà du 20e parallèle « si Hanoi acceptait de retirer ses forces de la zone démilitarisée. » Bundy et Rusk estiment que les U.S.A. doivent prendre leurs propres mesures sans spécifier de conditions mais en précisant : « C’est à Hanoi de décider si ce sera ou non la paix. »

Goldberg est pour un arrêt complet des bombardements au Nord. Fortas n’y est pas favorable. Pour lui, il faut souligner et justifier la présence américaine, insister sur le rôle prépondérant des S-V. Clifford estime que « l’emploi de la force n’assurerait pas le succès final » et qu’il faut trouver une solution de paix à présenter maintenant et à affiner par la suite. Il ne pense pas que les propositions américaines aient la moindre chance d’être entendues à Hanoi. Bundy rejoint Goldberg mais estime, comme Clifford, qu’Hanoi demeurera sourde. Face à l’habituel flot de propositions divergentes, LBJ demeure perplexe : « […] toute initiative serait mal interprétée, tant à Hanoi que chez nous. » Mais il sait au moins devoir se ranger à l’avis de Rusk, à savoir stopper les bombardements au-delà du 20e parallèle (Johnson, 1972, pp. 496-498).

La vitrine du siège parisien de l’agence de l’American Express est démolie. Le directeur recueille sur place un tract d’une organisation de déserteurs américains. D’après les enquêteurs dont le magazine L’Express rapporte les propos, ces attentats sont le                       « prolongement logique des réseaux d’aide aux G.I. déserteurs  et des manifestations proches de l’action commando ». Ces actes seraient dus à des membres des Jeunesses communistes révolutionnaires et du Comité d’action des lycéens. Dans ses mémoires, le préfet de police de Paris, Maurice Grimaud, témoigne de la porosité entre la contestation de la guerre du Vietnam et de certains mouvements « gauchistes » passant à l’action (Journoud, 2016, p. 71 ; Grimaud, 1977, pp. 73-74).


21 mars 68 : Au cours d’une réunion avec ses conseillers, LBJ déclare : « En tout cas, une chose est claire : je vous dis que je n’arrêterai pas les bombardements. Maintenant, est-ce qu’il y a quelqu’un qui ne comprenne pas cela ? » (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 625).

Thieu prononce un discours. Il annonce de bons chiffres avec 135 000 hommes de plus « dans [une] première phase ». Il appelle des hommes de plus en plus jeunes, dès l’âge 18 ans. Après le Têt, 22 000 jeunes s-v se sont portés volontaires. De quoi donner du baume au cœur des Américains, si ces chiffres sont justes… Ces derniers ont fourni 10 000 armes et forment 70 000 civils. Thieu prononce les mots que les Américains veulent entendre. Il appelle à « de plus grands efforts » car « il s’agit de notre pays » et que « l’existence de notre nation est en jeu ». Selon LBJ, ces bonnes nouvelles ne sont pas relayées par la « presse américaine ni ailleurs » (Johnson, 1972, pp. 498-499). Les Américains sont encore sous le coup du Têt et les journalistes ont depuis longtemps appris à ne plus prendre pour argent comptant les déclarations s-v.


22 mars 68 : LBJ convoque Westmoreland et lui annonce qu’il est nommé chef d’état-major de l’armée. Cette promotion est surtout une forme de limogeage de son poste au Vietnam (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 625). Son successeur, le général Abrams, prendra ses fonctions le 10 juin.

Les prévisions de renforts américains se précisent : rappel de 62 000 réservistes dont 13 500 destinés au Vietnam, en plus des 10 500 qui ont été envoyés en urgence au moment du Têt. Ces révisions à la baisse sont motivées par les contraintes budgétaires (augmentation des impôts non votée), le rôle grandissant de l’armée s-v, la baisse du moral de l’opinion américaine et l’essoufflement des communistes après le Têt (Johnson, 1972, p. 504).


23 mars 68 : Bunker répond à l’information de Rusk concernant l’initiative de paix lancée le 12 et prolongée le 18 par un diplomate d’un pays neutre. Il y voit un « grand intérêt » mais craint à juste titre que la participation du F.N.L. à une quelconque conférence soit refusée par les S-V.  Cette initiative de paix en reste, une fois de plus, au point mort (Johnson, 1972, p. 488).

L’équipe présidentielle continue à travailler sur le discours présidentiel du 31. McPherson (conseiller présidentiel, chargé de rédaction) envoie un mémorandum à Johnson. Il propose l’annonce de l’arrêt des bombardements au nord du 20e parallèle et l’envoi de représentants américains à Genève et Rangoon. LBJ évoque cette note au téléphone avec Rusk. Copie est adressée au secrétaire d’État pour consultation (voir 25 mars) (Johnson, 1972, pp. 504-505).


24 mars 68 : Wheeler (président des chefs d’état-major) qui a été envoyé par LBJ rencontre Westmoreland aux Philippines. Ce dernier est sur le départ (voir 22 mars). Il se contente des 13 500 hommes mais demande plus de civils pour poursuivre la pacification. Le commandant du M.A.C.V. est, à son habitude, optimiste. Son adjoint, Creighton Abrams, revient à Washington avec Wheeler (Johnson, 1972, pp. 500-501).


25 mars 68 (le 26 selon les mémoires de Johnson) : LBJ fait venir à Washington l’adjoint de Westmoreland, le général Creighton W. Abrams. C’est sans doute à cette occasion qu’il lui propose le poste de Westmoreland à la tête du M.A.C.V. au Vietnam (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 625). Abrams remet au président un rapport complet sur la situation. Westmoreland prépare une prochaine offensive à l’échéance de moins d’une semaine pour dégager la base de Khe Sanh (Johnson, 1972, p. 501).

Clark Clifford (Défense) confie à LBJ que la guerre du Vietnam est en fait un « véritable fiasco » (Burns Siger, 1992, p. 71).

Rusk répond après avoir relu le mémorandum de McPherson du 23 au sujet du discours présidentiel. Il valide la question des bombardements mais retoque l’idée d’envoyer des émissaires à Genève et Rangoon. Il préfère avoir recours aux 2 présidents de la conférence de Genève (Grande Bretagne et U.R.S.S.) et peut-être aux 3 membres de la C.I.C. (Inde, Canada, Pologne) pour « être prêts à s’entretenir avec toutes les parties intéressées sur les possibilités d’un règlement pacifique ». Les Américains ne doivent rien demander et ne doivent poser aucune condition. Ils n’ont qu’à stopper les bombardements dans l’attente d’une réaction d’Hanoi. 2 conditions pourraient être demandées plus tard dans le cadre de négociations : le retrait des forces n-v du nord du S-V et la restauration de la D.M.Z. L’ambassadeur Bunker et les S-V doivent être informés de cette proposition (Johnson, 1972, p. 505).


25 - 26 mars 68 : Nouvelle réunion du comité des Sages au département d’État. Sont présents : Dean Acheson (secrétaire d’État sous Truman), G. Ball (ancien sous-secrétaire d’État), McGeorge Bundy (ancien secrétaire à la Défense nationale), D. Dillon (ambassadeur en France sous Eisenhower), C. Vance (délégué au secrétaire d’État à la Défense sous McNamara, nouvellement nommé au comité), A. Dean (conseiller en politique étrangère, délégué aux Nations Unies, négociateur lors de la guerre de Corée), J.J. McCloy (conseiller présidentiel), O. Bradley (général), M. Ridgway (général, nouvellement nommé au comité) et M. Taylor (ancien ambassadeur à Saigon, conseiller présidentiel), R. Murphy (ambassadeur sous Truman et Eisenhower), H.C. Lodge (ancien ambassadeur à Saigon), A. Fortas (juge adjoint à la Cour suprême, conseiller présidentiel) et A. Goldberg (représentant américain à l’O.N.U.). Les généraux Abrams et Wheeler, de retour du Vietnam, ont été invités par le président le 26.

La plupart sont des « faucons », à l’exception de Ball, Goldberg et Clifford. Le climat est inhabituellement tendu. Les « Sages » déconseillent au président toute nouvelle augmentation d’effectifs au Vietnam et recommandent à l'administration de rechercher une paix négociée. LBJ est fortement perturbé par ces conclusions. Le secrétaire à la Défense, Clark Clifford, estime comme son prédécesseur (McN) qu’il est urgent de se retirer d’un bourbier sans « issue en vue » (voir 4 mars).

Le 25, Phillip De Dupuy (adjoint de Clifford) et Georges Carver (analyste à la C.I.A.) dressent un tableau sombre de la situation : il faudrait encore 5 à 10 ans pour pacifier le pays et chasser les N-V du Sud. On discute. Une minorité (Taylor, Fortas, Murphy) veut renforcer les bombardements. Vance, Acheson, McGeorge Bundy, Dillon, Goldberg, Ball et Ridgway veulent au contraire ouvrir une nouvelle voie. Les autres se situent entre les deux. Les voix des uns et des autres sont donc, une fois de plus, totalement divergentes. La tactique de Westmoreland est remise en cause, que ce soit le search and destroy et plus encore le body count qui semble être désormais à tous une aberration. Johnson  constate qu’un changement de politique et de commandant à la tête du M.A.C.V. s’impose car le président a été « fortement ébranlé » par le récent revirement du groupe des Sages (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 625-626). Selon Portes, « les Sages recommandent une nouvelle stratégie pour maintenir un Sud-Vietnam relativement solide : les moyens militaires ne sont pas accrus et la cohésion sociale américaine doit être maintenue. » LBJ y voit à juste titre un désaveu de sa politique, qui plus est, dans son propre camp (Portes, 2008, p 202).

Le 26, après un bref entretien avec le président, ont été invités les généraux Wheeler (chef d’état-major) et Abrams (adjoint de Westmoreland, futur commandant en chef). Ils arrivent tous deux des Philippines où ils ont échangé avec Westmoreland (voir 24 mars). Abrams est porteur d’un rapport complet sur la situation au Vietnam et informe le président du projet d’offensive que prépare Westmoreland dans moins d’une semaine pour reprendre Khe Sanh (Johnson, 1972, p. 501)

LBJ leur a déclaré à tous deux en apparté : « Nous ne voulons ni discours patriotique ni lamentations : présentez-leur les faits, tels qu’ils sont, sans fioritures, tels que vous les voyez. » Le tableau présenté est plus optimiste que celui de la veille. Selon les intervenants, seule la presse demeure pessimiste, faisant ainsi le jeu du VM. Abrams évoque « un vif retournement [et] estime que l’armée s-v peut prendre la relève une fois qu’elle aura augmenté ses effectifs. » Ce qui est en cours. Wheeler affirme que les armées américaines et s-v sont passées de la défensive à l’offensive en se ressaisissant rapidement. On évoque la résistance de Khe Sanh et l’échec militaire subi par les troupes communistes lors de la bataille du Têt, grâce notamment à la bonne tenue des unités s-v lorsqu’elles ont été rappelées, notamment au moment de la reprise de Hué.

Après le déjeuner, on se retrouve dans le cabinet présidentiel en comité restreint. Bundy déclare ne plus croire aux augmentations d’effectifs. Acheson ne voit pas de solution militaire au Vietnam. Ball ne croit plus en l’efficacité des bombardements. Selon les mémoires de Johnson, sur 11 conseillers, 6 préconisent le désengagement d’une guerre sans fin et sans espoir, 4 s’y opposent et un demeure sans avis. LBJ est cette  encore ébranlé par les recommandations de ce groupe de proches en qui il a confiance et qu’il considère comme « des hommes intelligents et expérimentés ». Par leur attitude, ils reflètent selon le président la fracture que l’offensive du Têt a provoquée dans l’opinion publique américaine (Wainstock, Miller, 2019, pp. 240-241 ; Johnson, 1972, pp. 501-504).


27 mars 68 : LBJ a un long entretien avec le sénateur Mike Mansfield (leader de la majorité démocrate) à la Maison Blanche. Ils évoquent ensemble certains passages du futur discours du président. LBJ informe son interlocuteur de son intention de suspendre les bombardements au-delà du 20e parallèle (Johnson, 1972, p. 505).


28 mars 68 : Clifford (Défense), Rostow (Sécurité nationale), William Putman Bundy (secrétaire d’État adjoint aux affaires d’Extrême Orient) et McPherson (conseiller chargé de rédaction du discours) se réunissent dans le bureau de Rusk pour finaliser le discours présidentiel du 31. LBJ ne participe pas à cette réunion. Clifford évoque la conversation téléphonique qu’il a eue avec le président le 20. Ce dernier avait demandé à ce que lui et Rusk ajoutent une offre de paix dans la mouture finale. Or, en omettant ce point, la version actuelle ne satisfait pas Clifford. Elle n’évoque pas de désescalade, ne mentionne pas l’éventualité de négociations. En l’état, le discours n’offre aucun espoir ni de victoire ni de règlement négocié. Rusk partage cet avis et propose de recentrer le texte sur sa proposition d’arrêt des bombardements au niveau du 20e parallèle. Il propose une nouvelle réécriture du texte. A l’issue de la réunion, Rostow est chargé d’en avertir la Maison Blanche et de demander un rendez-vous avec le président.

La version du nouveau texte est présentée à 18 h 30. Elle mentionne donc la limitation des bombardements et précise : « La réaction militaire du Nord-Vietnam à cette modification apportée au programme de nos bombardements décidera de notre disposition à la limiter et déterminera si nous avons raison de penser que l’adversaire ne mettrait pas à profit un arrêt total des bombardements durant les négociations. » Cette version satisfait LBJ qui ne la valide pas de suite par peur d’une fuite. Rusk et LBJ se rendent alors vers le bureau ovale. Ils décident d’un commun accord d’informer l’ambassadeur Bunker qui va devoir convaincre non sans peine les S-V. Rusk a préparé un câble en ce sens. Il est approuvé par le président et envoyé à 20 h 20. Rusk se charge de prévenir également les alliés (voir nuit du 30 au 31 mars) (Johnson, 1972, pp. 506-507).


29 mars 68 : L’ambassadeur Bunker envoie un rapport hebdomadaire optimiste concernant la situation au S-V : les S-V se mobilisent pour faire face à toute agression, les forces américaines et s-v ont repris l’initiative, la pacification progresse, les pertes de territoire sont limitées. La base de Khe Sanh est en voie d’être libérée. LBJ est donc confiant. Il note dans ses mémoires : « L’atmosphère avait beaucoup changé depuis ce moment, deux mois auparavant, où nous étions préoccupés et assaillis de doutes, où, l’ennemi semblait partout, attaquer tout. Le courant s’était inversé. » (Johnson, 1972, p. 507)

Le président a un entretien avec le sénateur démocrate Richard Russel, président de la commission des Forces armées. Il l’informe de la situation et de sa future annonce sur la limitation des bombardements au-delà du 20e parallèle. LBJ téléphone à Clifford (Défense) qui est chargé d’informer d’autres membres de cette commission (Johnson, 1972, p. 508).


30 mars 68 : Sur une suggestion de Katzenbach, une partie du discours présidentiel est encore modifiée. Là où le texte mentionnait arrêt des bombardements « au nord du 20e parallèle », le sous-secrétaire d’État estime que cette phrase n’évoquerait rien aux auditeurs. Il propose d’ajouter « sauf dans la région de la zone démilitarisée, où le renforcement  continu de l’ennemi est une menace directe à nos positions alliées d’avant-garde. » Cette nuance de dernière minute ne sera divulguée ni au Congrès, ni aux S-V, ni aux alliés mais figurera dans le discours du 31 (Johnson, 1972, p. 507, note).

L’ambassadeur Bunker informe LBJ qu’il a rencontré Thieu et Ky. Ils ne s’opposent pas au plan présidentiel. Ils ont prévu de tenir une conférence de presse pour manifester leur accord et motiver leur pays à la lutte.

Johnson demeure cependant très soucieux au sujet du moral des Américains. Car, depuis l’offensive du Têt, le pessimisme est de rigueur dans l’opinion publique : « L’ennemi avait échoué au Vietnam ; réussirait-il aux États-Unis ? Je ne le croyais pas, mais j’étais profondément inquiet. » Les Américains se posent de plus en plus de questions sur le sens de cet engagement humain et financier dans un pays lointain, accompli au détriment de leur propre territoire. Ils comprennent de moins en moins la finalité de la théorie des dominos. Or, pour le président, seuls les États-Unis ont eu le courage de s’engager là-bas car des intérêts vitaux y sont en jeu « car, selon lui, nous sommes une puissance du Pacifique et nous accordons un intérêt profond à la stabilité, à la paix, au progrès de cette partie vitale du monde. » (Johnson, 1972, pp. 508-509)


Nuit du 30 au 31 mars 68 : Le département d’État prévient les alliés (Australie, Nouvelle-Zélande, Thaïlande, Laos, Philippines, Corée du Sud) que le président américain va annoncer officiellement une réduction des bombardements prévue pour environ une période de 4 semaines (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 626 et pp. 638-639). Ce laps de temps correspond aux mauvaises conditions météorologiques saisonnières. « De sorte, nous ne faisons pas un bien grand cadeau », précise le message.


31 mars 68 : Dans un discours à la nation qui a été longuement travaillé et dont l’annonce principale a été laissée jusqu’au dernier moment incertaine, Johnson annonce qu’il ne briguera pas un nouveau mandat (extraits in Portes, 2008, p 204-205). Selon le vice-président Humphrey, le matin même du discours, ce dernier avait sous la main 2 versions différentes : l’une annonçait un retrait et l’autre pas (Wainstock, Miller, 2019, p. 242). Dans ses mémoires, LBJ n’en dit mot mais témoigne de cette indécision notoire, non sans cultiver, même a posteriori, une bonne dose de contradiction : « Dire que cette décision était irrévocable serait aller trop loin. Je n’ai jamais considéré une décision importante comme irrévocable tant qu’elle n’a pas été annoncée et expliquée. » C’est pourtant ce qu’il fait ce soir-là… LBJ affirme, toujours dans ses mémoires, avoir pourtant averti au préalable de cette décision Rusk, McN, Henry Fowler (secrétaire du Trésor), Wheeler et Westmoreland et même quelques parlementaires (voir 3 octobre et novembre 1967) (Johnson, 1972, p. 444 et pp. 513-527).

LBJ annonce dans son discours l’arrêt des bombardements au nord du 20e parallèle, sauf au nord de la D.M.Z., zone qui menace toujours les troupes américaines engagées sans ce secteur (voir 30 mars). Il a visiblement tiré les leçons de la « filière Pennsylvania » de septembre-octobre 1967 qui, en refusant de stopper les bombardements au N-V, avaient fait échouer les premières tentatives de négociations. Il annonce par ailleurs : « Nous ne lancerons plus d’attaques contre les zones de peuplement civil du Nord-Vietnam, ni contre les régions agricoles de ce pays. » Ces choix inattendus (voir 21 mars) doivent selon lui permettre l’ouverture de très hypothétiques négociations avec le N-V (voir 3 avril). Même si ni lui ni ses principaux conseillers ne sont vraiment convaincus d’une issue positive de la portée de cette déclaration chez les N-V.

La cote de popularité présidentielle s’est effondrée après le Têt passant de 48 % à l’automne 1967 à 26 % après l’offensive. Une majorité de 49 % des Américains (si l’on ôte ceux qui n’ont pas d’opinion) estiment que l’engagement dans le conflit a été une erreur.

LBJ désigne Averell Harriman au poste d’éventuel négociateur à des pourparlers de paix entre la R.D.V.N. et les U.S.A. (future conférence de Paris).

A la date précise du 31, 870 000 tonnes de bombes ont été larguées en 3 ans sur le Nord-Vietnam et 920 avions américains ont été abattus.


31 mars – 1er novembre 68 : Les Américains restreignent les bombardements au nord du 20e parallèle (Johnson, 1972, p. 693). Mais d’autres zones de combat ne sont pas épargnées.

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