Printemps 65 : Le premier ministre britannique travailliste Harold Wilson écrit à LBJ au sujet des craintes que lui inspire Rolling Thunder. Il y voit une contradiction entre la volonté officielle de négociation et l’intensification des bombardements. Même les alliés traditionnels des U.S.A. comme le Grande-Bretagne ou le Canada remettent en cause cette escalade hésitante dans le conflit mais pourtant bien réelle (Portes, 2008, p 153).
Mars 65 : Divergences dans le commandement militaire pour l’envoi de troupes au Vietnam. Westmoreland et l’ambassadeur Taylor sont en désaccord. Le C.I.N.P.A.C. et l’état-major interarmes poussent quant à eux à une plus large implication dans le conflit (Halberstam, 1974, p. 521).
Lors d'une visite au Sud-Vietnam, Carl Rowan et le général Harold K. Johnson, respectivement directeur de l'Agence d'information des États-Unis (U.S.I.A) et chef d'état-major de l'armée, observent les nombreuses difficultés et l’inefficacité des opérations psychologiques ("PSYOPs") du fait d’un manque évident de coordination. Ils en informent LBJ et lui recommandent d'intégrer toutes les informations étrangères et les activités PSYOPs en un seul bureau. Le président approuvera bientôt cette recommandation, combinant le Service d'information des États-Unis (U.S.I.S.), le Commandement d'assistance militaire au Vietnam (M.A.C.V.) et l'Agence des États-Unis pour le développement international (U.S.A.I.D.) (voir 14 mai).
Huynh Tan Vat, l’un des vice-présidents du F.N.L., reçoit Georges Chaffard pour une interview à paraître partiellement dans L’Express du 26 avril : « Nous continuerons la lutte aussi longtemps qu’il le faudra, non pour instaurer le communisme [voir juillet 1963], mais pour édifier un régime conforme aux aspirations du plus grand nombre de nos compagnons, c'est-à-dire un régime neutre et démocratique. »
A la question sur les moyens de chasser les Américains, il répond : « Notre lutte n’est pas seulement militaire, elle est politique. C’est en conjuguant ces deux formes de lutte que nous vaincrons. » Il évoque « le jour où les habitants des villes seront en état d’insurrection générale et où les fantoches s’écrouleront », une idée qui n’est pas sans rappeler cette future illusion du F.N.L. lors de la bataille du Têt de janvier-février 1968.
Selon lui, « la conscience politique des gens a fait des progrès énormes » depuis 1954. L’espoir de victoire repose donc avant tout sur l’idéologie et il réitère le fait que « nos objectifs sont invariablement les mêmes depuis quatre ans : indépendance, paix, démocratie, neutralité. » La réunification des deux Vietnam sera longue, il faut attendre des « conditions favorables ». Le credo du F.N.L., quel que soit l’interlocuteur pris à témoin, n’a guère évolué depuis juillet 1963 (Chaffard, 1969, pp. 424-427). Mais les affirmations d’Huynh Tan Vat gomment complètement le fait que, depuis décembre 1961, le F.N.L. a été progressivement noyauté par le Parti populaire révolutionnaire (P.P.R.), émanation directe du Lao Dong n-v qui s’impose de plus en plus au Sud et est toujours en extension territoriale.
Côté n-v, c’est le général Nguyen Van Vinh qui devient le responsable opérationnel des infiltrations de renforts au Sud et préside à l’échelon gouvernemental un comité spécialisé sur cette question (Chaffard, 1969, p. 433 et 434, note 1).
Selon les mémoires de LBJ, les Américains estiment les forces communistes à 37 000 réguliers et 100 000 autres hommes répartis en troupes régionales et guérilléros locaux. Ils évaluent cette augmentation à 33 % de plus par rapport à 1964. Si on ajoute les groupements populaires (défense statique, logistique, transports), on estime à 570 000 hommes les forces n-v en présence. Au mieux, les troupes gouvernementales s-v peuvent aligner 133 bataillons contre 72 ennemis, ce qui est peu dans des combats de guérilla où le rapport doit être de 10 à 1 en faveur des forces défensives (Johnson, 1972, p. 175).
1er – 9 mars 65 : Première « conférence des peuples indochinois » à Phnom Penh. Sihanouk, qui en est l’initiateur, préconise d’accroître la solidarité entre ces peuples, de ramener la paix au S-V et au Laos et d’éviter « au moins pour un certain temps » l’installation aux frontières du Cambodge de régimes de stricte obédience communiste (Tong, 1965, p. 131). Cependant les représentants des partis communistes ou proches (N-V, Laos, G.R.P.) dominent la conférence par rapport aux véritables neutralistes. 4 jours avant la fin de la conférence, Huynh Tan Phat, président du F.N.L., explique à Sihanouk les raisons de son refus de négocier : « Nous ne voulons pas une situation confuse comme celle qui s’est produite au Laos à la suite de la solution négociée issue des Accords de Genève de 1962 ; c’est une solution bâtarde. » (cité in Tong, 1972, pp. 132-133)
2 mars 65 : Après un intervalle assez long d’hésitation, l'US Air Force s'engage dans l'opération Rolling Thunder 1. 100 bombardiers américains partis de Da Nang attaquent des objectifs militaires situés au Nord-Vietnam (dépôt de munitions à Xombang) et s’en prennent au moyen d’hélicoptères pilotés par des S-V à la base navale de Quangkhe.
L’opération durera 8 ans mais le départ est laborieux (longs intervalles entre les raids ; dans un premier temps, ils ne frappent pas au-delà du 19e parallèle). Les Dossiers du Pentagone observent que cette décision renforce plutôt la détermination et la cohésion des N-V, c’est-à-dire entraîne l’exact opposé de ce qu’espéraient les Américains (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 414).
5 mars 65 : Le chef d’état-major de l’armée américaine, le général Harold Keith Johnson, se rallie aux côtés de ceux qui veulent un renforcement des effectifs. Il en discute avec Taylor (son prédécesseur) et Westmoreland. Leurs estimations au niveau des futurs besoins sont très divergentes. Westmoreland convainc Johnson de l’envoi d’une division mais sait déjà qu’il en faudra plus (voir 17 mars) (Halberstam, 1974, p. 521).
8 mars 65 : Première importante arrivée de troupes terrestres : 2 bataillons de Marines totalisant 3 500 hommes débarquent à Da Nang pour défendre le périmètre de sécurité de la base aérienne. C’est donc une puissante implication des forces terrestres nécessitée par le recours aux opérations aériennes. Toutefois, assez rapidement, ces hommes participeront à des engagements autres que la simple protection des bases (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 437). Selon Porte, « ils sont accueillis en triomphateurs par les officiels vietnamiens et des jeunes filles en costume traditionnel leur passent des fleurs autour du cou. » (Portes, 2007, p. 206). Ce que ne manqueront pas de montrer des images filmées de propagande.
Les forces américaines au Vietnam totalisent alors 27 000 hommes au Vietnam.
9 mars 65 : Au vu des piètres résultats de Flamming Dart 1 et 2 (voir 7 et 11 février), LBJ autorise l'emploi du napalm, du phosphore et des bombes à fragmentation lors des bombardements sur le Nord-Vietnam. Ils seront utilisés dès les bombardements des 14 et 15 mars (Francini 2, 1988, p. 291).
10 mars 65 : A l’université bouddhique, une délégation du F.N.L. réitère après la récente assemblée de Phnom Penh (Union des Peuples indochinois, voir 14 février – 9 mars) son refus de toute nouvelle conférence internationale tant que les Américains n’auront pas évacué l’Indochine. Mais 2 jours plus tard, Huynh Tan Phat, vice-président et secrétaire général du mouvement, précise à un journaliste qu’il est opposé à « une conférence à neuf ou à quatorze » mais qu’il ne le serait pas si le F.N.L. était présent ainsi que « toutes les parties vietnamiennes » véritablement concernées (Chaffard, 1969, pp. 413-414).
12 mars 65 : Pékin appelle à un retrait des forces américaines au S-V, seule condition préalable à un règlement du conflit au Vietnam. Ce que Zhou Enlaï avait déjà fait savoir à Phnom Penh lors du rassemblement de l’Union des Peuples indochinois (voir 14 février – 9 mars) (Francini 2, 1988, p. 298).
14 - 15 mars 65 : Intensifiant son action, les États-Unis bombardent des objectifs militaires sur l'île du Tigre au large du Nord-Vietnam, ainsi qu’un dépôt de munitions près de Phuqui, à 160 km au sud-ouest d’Hanoï. Ces bombardements ont lieu cette fois au-delà du 19e parallèle, avec une première utilisation du napalm au N-V (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 424).
17 mars 65 : Westmoreland demande le débarquement de 2 nouveaux bataillons de Marines, cette fois, dans la région d’Hué (Johnson, 1972, p. 176).
Manifestation à Washington de 20 à 25 000 personnes à l’appel du Students for a democratic Society (S.D.S., née en 1960 et qui comprend 4 300 membres cotisants en 1965). Le New York Times du 15 mars lui a consacré un article et l’a qualifié de « groupe principal de la nouvelle gauche ». Sa philosophie anti-autoritaire et ses carences de direction en font un foyer d’idées, un lieu de débats mais lui interdiront de devenir le chef d’orchestre des actions contre la guerre (Granjon in collectif, 1992, p. 46).
20 mars 65 : Les chefs d’état-major américains demandent l’envoi de 2 à 3 divisions de renfort (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 430).
21 mars 65 : L’amiral Sharp (C.I.N.P.A.C.) propose une « journée anti-radar » pour mettre hors d’usage le système anti-aérien du N-V et un projet de « harcèlement et de destruction de la R.D.V. » au sud du 20e parallèle visant à couper les lignes de communication n-v (programme « LOC ») (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 424).
23 mars 65 : La Grande-Bretagne, toujours aussi ambigüe, apporte son soutien à la politique vietnamienne de Johnson.
24 mars 65 : Une note du sous-secrétaire à la Défense McNaughton témoigne du fait qu’en 1965, les U.S.A., leur président et ses collaborateurs ont « une perception plus profonde du fait que États-Unis sont devenus maintenant la nation la plus puissante de l’univers. » (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 284) En d’autres termes, ils souffrent d’un complexe de supériorité qui les incite à cultiver une confiance aveugle dans les performances de leur technologie militaire. Cet état d’esprit, comme le rappellera la publication des dossiers du Pentagone, « révèle aussi à la base une grande confiance à l’égard de ceux qui prennent les décisions au sommet, attitude qui repose sur la certitude que si la nation la plus puissante décidait d’utiliser ses immenses moyens, l’adversaire chancellerait. » (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 285)
Selon un mémorandum de McNaughton (secrétaire-adjoint à la Défense) adressé à McN, l’engagement des U.S.A. au S-V est dû à :
« Objectifs américains - 70 pour cent : éviter une défaite humiliante pour les États-Unis (et pour notre réputation en tant que garant).
20 pour cent : préserver le territoire sud-vietnamien (et aussi le territoire voisin) d’une emprise chinoise.
10 pour cent : permettre à la population sud-vietnamienne une existence meilleure et plus libre. » (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 284-285 et p. 460)
Ce même mémorandum soulève la question de la nécessité d’un puissant engagement américain : celui-ci est jugé nécessaire. Pourtant Westmoreland juge que les attaques aériennes ne seront relativement inefficaces qu’à partir de juin. Il estime aussi que les troupes s-v seraient incapables de tenir sans aide américaine. Il réclame un renfort de 2 divisions, ce qui porterait à 70 000 hommes l’effectif des troupes américaines au Vietnam. Il propose l’ajout de 2 bataillons de Marines aux 2 qui défendent déjà la base aérienne de Da Nang (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 426-427).
McNaughton revient dans ce mémorandum sur une idée qui lui est chère (voir 3 septembre 1964) : « […] il est essentiel que les États-Unis émergent de cette crise comme un « bon docteur », quelqu’un qui a tenu ses promesses et pris des risques, qui s’est montré dur et a porté des coups sévères à l’ennemi en subissant lui-même de lourdes pertes. » (Bodard, 1971, doss. Pentagone, p. 244). Pour autant, ses convictions sur la réussite de l’avenir du conflit sont en train de vaciller (voir 2 avril).
Premier teach-in (séminaire de réflexion et de débats) réunissant 3 000 étudiants et professeurs sur le campus de l’université du Michigan pour débattre de l’engagement américain au Vietnam (Portes, 2008, p 145). Selon Prados, « ces teach-in se propagèrent comme un feu de brousse » dans de nombreuses universités américaines (Wiscontin, Bekerley, New-York, Chicago, Columbia, Havard, Boston, en autres) (Prados, 2015, p. 227). Pour l'université du Michigan, le sénateur Wayne Morse qui s’était opposé au vote de la résolution du Tonkin adresse une lettre à John Donoughue, l'organisateur du teach-in protest de cet établissement, dans laquelle il écrit : « Il est urgent que le peuple américain insiste pour que son pays revienne au respect de la loi avant que nous créions un holocauste en Asie. »
25 mars 65 : Dans un discours, LBJ déclare : « Pour un règlement du conflit au Vietnam, je suis prêt à aller n’importe où, n’importe quand et rencontrer n’importe qui s’il y a une possibilité de progrès pour une paix dans l’honneur. » (cité in Nguyen Phu Duc, 1996, p. 157). Suite à cette déclaration, il interviendra à longue échéance auprès de l’O.N.U., auprès des pays non alignés, de la Grande Bretagne et de l’U.R.S.S. pour faire venir Hanoi à la table des négociations, tout en renforçant les bombardements et l’arrivée de troupes américaines.
26 mars 65 : Westmoreland dans un rapport sollicite l’équivalent de deux divisions et la 173e Brigade aéroportée dans le secteur Bien Hoa-Vingtau « pour assurer la sécurité d’installations américaines absolument essentielles ». Ces demandes seront temporairement refusées par le C.N.S. des 1er et 2 avril (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 431).
29 mars 65 : Une voiture piégée explose en plein cœur de Saigon juste devant l’ambassade américaine. Elle provoque 21 morts et plusieurs dizaines de blessés (Férier, 1993, p. 94). L’adjoint de l’ambassadeur de Taylor, absent car parti pour Washington, Alexis Johnson, est blessé. Le VC renoue en plein cœur de Saigon avec ses pratiques terroristes de la période de l’occupation française qui visent à déstabiliser l’adversaire en le touchant à l’improviste au cœur même de la capitale s-v. LBJ réagit peu car il est en train de préparer un discours d’ouverture politique (voir 7 avril). Les services de renseignement américains ont d’autre part révélé que cette action n’avait pas été commanditée par Hanoi mais par une initiative isolée du seul VC (Lacouture, 1965, p. 259 ; Le dossier du Pentagone, 1971, p. 428 ; Johnson, 1972, p. 176). Des raids de répression par aviation sont cette fois écartés par Johnson
Les Chinois reviennent en arrière sur leur refus d’autoriser aux Soviétiques l’utilisation de leur espace aérien pour l’acheminement du matériel militaire vers le N-V. Mais cette question demeurera toujours problématique, Mao soupçonnant les Russes et les Américains de vouloir attaquer la Chine et par le Nord et par le Sud (Marangé, 2012, p. 326).
31 mars 65 : Bien que prêt à autoriser la poursuite de l'offensive, Johnson dément avoir connaissance « d'une stratégie [américaine] de grande envergure » au Vietnam.