Mars 64 : 4 mois après la mort de Kennedy, le nombre de ceux qui approuvent la politique gouvernementale est tombé à 43% (il était de 57 % avant la mort de Kennedy). Cette chute de popularité et de crédibilité est d’autant plus révélatrice que le nouveau président Johnson reçoit des scores très élevés dans nombre d’autres catégories du sondage : 80% pour « travailler pour la paix », 71% pour « garder l'économie saine », 65% pour « faire avancer l'économie », 65% pour « faire avancer le pays » (Hammond, 1990, p. 68).
1er mars 64 : Le U.S.M.A.C.V. devient l’U.S. Army Support Command, Vietnam. Il est toujours commandé par le général Harkins.
2 mars 64 : LBJ déclare « n’avoir pas approuvé de plans relatifs à l’extension éventuelle du conflit au Vietnam du Nord. » (cité in Chaffard, 1969, p. 353, note 2)
De son côté, le haut-commandement militaire américain adresse à McN un mémorandum qui affirme qu’il est de l’intérêt national des U.S.A. de ne pas perdre la guerre au S-V. Les militaires demandent toujours le bombardement des installations militaires et industrielles du N-V, le minage ses ports et la mise en place d’un blocus maritime. Ils préconisent même l’emploi de l’arme nucléaire en cas d’intervention de la Chine, n’assurant pas pour autant que ce recours puisse sauver le S-V (Wainstock, Miller, 2019, p. 195).
4 mars 64 : Le ministre des Affaires étrangère soviétique, Andreï Gromyko, remet à l’ambassadeur des États-Unis à Moscou une note diplomatique indiquant que « la coexistence pacifique [voir 5 août 1963] était ébranlée par l’engagement américain au Vietnam. » (Marangé, 2012, p. 316).
6 mars 64 : Khanh rend visite à Tran Van Dong revenu seul à Dalat dans l’ex-résidence de Diem (voir 21 février). Il lui avoue qu’« il n’a rien fait de répréhensible sur le plan politique. » Il faut qu’il s’arme de patience car une réunion à venir doit statuer de son cas (Tran Van Don, 1985, p. 192).
Le Département d'État américain remet en question le tracé des frontières khméro-vietnamiennes et khméro-thaïlandaises. Il soutient les revendications territoriales des deux voisins (pro-américains) du Cambodge, le S-V et la Thaïlande.
8 – 12 mars 64 : McN, le général Taylor, Mc Cone (directeur C.I.A.) et William Bundy (récent successeur d’Hilsman au poste d’adjoint du secrétaire d’État pour les Affaires d’Extrême-Orient) se rendent au S-V. McN ne cesse de tarir d’éloge pour Khanh. La manœuvre est contreproductive. A tel point que le dirigeant du F.N.L., Nguyen Huu Tho, déclarera : « Notre meilleur auxiliaire fut Mc Namara lui-même, quand il fit la tournée du pays, tenant Khanh par la main et s’exclamant : « Voici notre homme ! » Cela épargna beaucoup de travail à nos propagandistes. »
3 décisions sont prises au cours de cette visite : un financement d’un milliard de dollars pour renforcer l’armée s-v et atteindre ainsi les 500 000 hommes présents au S-V ; une augmentation du nombre de conseillers américains ; la mise à l’étude d’opérations aériennes contre le Nord (voir 26 mars) (Chaffard, 1969, p. 352)
11 mars 64 : Au Cambodge, des manifestations sont organisées par les autorités contre les ambassades américaine et britannique pour protester contre la remise en question par les États-Unis des frontières cambodgiennes et contre les incursions de troupes américaines et sud-vietnamiennes sur le territoire cambodgien (Tong, 1972, p. 94). Sihanouk suggère la tenue d’une nouvelle conférence de Genève pour garantir la neutralité du Cambodge.
Depuis le début de l’année, on déplore 255 violations terrestres du territoire cambodgien, 24 violations maritimes et 412 violations aériennes ayant causé 46 tués et 85 blessés. Il y a donc dégradation des relations khméro-sud-vietnamiennes. Des incursions s-v ont provoqué des massacres dans le village de Chantréa (province de Svay Rieng). Le Conseil de sécurité de l’O.N.U. est saisi par Sihanouk. Les négociations sur les questions frontalières sont de ce fait interrompues (Sihanouk, 1979, pp. 237-238).
Les S-V, avec la connivence des Américains, continuent à mettre en cause le tracé des frontières du Cambodge tant au nord qu’au sud. Les villages frontaliers cambodgiens sont attaqués, subissent des incursions particulièrement violentes ou sont bombardés par l’aviation américano-sud-vietnamienne. Une manifestation se déclenche à Phnom Penh contre les États-Unis et le Royaume-Uni. L’ambassade américaine est saccagée, les services d’information (et de propagande) de l’U.S.I.S. sont attaqués ainsi que la bibliothèque du British Council (Cambacérès, 2013, pp. 136-137).
12 mars 64 : Tran Van Don est autorisé à retourner à son domicile saïgonnais, mais est toujours maintenu en résidence surveillée. Son beau-frère, le général Kim le rejoint le lendemain (Tran Van Don, 1985, p. 194).
15 mars 64 : Le M.A.C.V. (devenu l’U.S. Army Support Command, Vietnam depuis le 1er mars) est réorganisé en absorbant le M.A.A.G. Vietnam en son sein, parce que le déploiement des unités de combat est devenu trop important pour le contrôle d’un simple groupe consultatif. Un groupe consultatif naval a été créé, et le général commandant la 2e division aérienne est devenu le commandant de la composante aérienne du M.A.C.V. En peu de temps, les effectifs américains au Vietnam sont passés d'environ 16 000 hommes (dont 10 716 soldats) à environ 23 300 (dont 16 000 soldats) en 1964.
Mi-mars 64 : Pendant que McN et Taylor sont au Vietnam, le département d’État prépare une grande étude sur les bombardements au Conseil de Prévision politique présidé par Robert Johnson (adjoint de Rostow) qui accomplit le travail sans grande conviction alors que son supérieur lui y croit et coiffe l’opération. Au final, l’étude montrera que les bombardements impacteront peu l’économie du N-V et qu’elles n’infléchiront pas sa volonté de son peuple. Ce rapport a très peu d’impact car il arrive au mauvais moment, c’est-à-dire trop tôt par rapport à l’engagement des forces aériennes américaines (Halberstam, 1974, pp. 389-391).
15 mars 64 : Dans une interview, LBJ réaffirme qu’il fait sienne la théorie des dominos défendue par ses prédécesseurs : « Je pense que ce serait une chose très dangereuse, et je partage le point de vue du président Kennedy. Je pense que toute l'Asie du Sud-Est serait impliquée et que cela concernerait des centaines de millions de personnes, on ne peut pas l'ignorer, on doit faire tout ce qu'on peut. Nous devons être responsables, nous devons rester là, les aider, et c'est ce que nous allons faire. » (Pentagon’s Papers, part. V A, vol II D, p. D 4)
16 mars 64 : De retour du Vietnam (voir 18 - 20 décembre 1963), la mission McN-Taylor constate une nouvelle dégradation de la situation au S-V : 40 % de la population est désormais contrôlée ou soumise à l’influence du VM. Le moral est catastrophique : apathie et indifférence de la population. L’autorité de Khanh est jugée incertaine. Les moyens de la lutte clandestine sont insuffisants, notamment contre les infiltrations venant du Laos et Cambodge (Francini 2, 1988, p. 274).
McN, son rédacteur, constate dans ce long mémorandum intitulé « Sud-Vietnam » adressé à Johnson que « la situation empire incontestablement depuis septembre » (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 307-312). Il préconise au cours d’un C.N.S. la mise en place de 2 programmes : des actions de l’armée s-v contre les routes d’infiltration de la piste HCM mais aussi des raids de représailles sur le N-V par l’aviation s-v ; des mouillages de mines par avions (avec l’aide éventuelle des U.S.A.). L’engagement aérien sur le N-V (objectifs militaires et industriels) serait mené par des pilotes s-v et américains tous munis d’avions portant des cocardes s-v. Il viserait des objectifs militaires et industriels (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 273 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 188-195).
Au Cambodge, du fait de l'attitude américaine hostile, Sihanouk, lors d'une conférence de presse consacrée au problème des frontières, renonce définitivement au projet de conférence quadripartite initié le 19 février.
17 mars 64 : Johnson approuve les mesures du 16 prises par McN lors d’un C.N.S. sous le nom de code « 37-64 », validé par le comité des chefs d’état-major et élaboré à Honolulu par l’amiral Henry Felt (commandant en chef des forces du Pacifique, le C.I.N.P.A.C.). On prévoit des raids aériens de représailles dans les 72 heures suivant les ordres du président et un plan d’offensive à mettre en place dans les 30 jours à venir.
On préconise aussi ce que McN nomme une « pression militaire ouverte graduée » avec des bombardements qui doivent répondre aux attaques des N-V sous forme de loi du Talion. McN insiste pour que les U.S.A. prennent des mesures visant à d’abord renforcer le gouvernement de Saigon avant d’en venir à ce type d’escalade aérienne. LBJ précise dans ses mémoires accepter les propositions de MCN mais refuser pour l’instant « d’aller plus loin. » (Johnson, 1972, p. 90).
Note de McGeorge Bundy (conseiller à la Sécurité nationale) adressée à Johnson, Dean Rusk, McN et au président interarmes des chefs d’état-major : « Il y avait et il y a de bonnes raisons aux limites imposées par notre politique actuelle. Les Sud-Vietnamiens doivent gagner leur propre guerre. » (McNamara, 1996, p. 266). Un vœu pieu qui aura la vie longue…
18 mars 64 : Le Conseil national de Sécurité se réunit. LBJ et McN sont présents. Le président donne carte blanche aux militaires pour lancer les bombardements secrets si nécessaire (Halberstam, 1974, p. 387).
20 mars 64 : Télégramme de Johnson à l’ambassadeur Lodge dans lequel il se déclare décidé à « abattre l’idée de neutralité partout où elle relèvera sa vilaine tête, et à ce propos, je crois qu’il n’y a rien de plus important que d’arrêter les propos neutralistes où nous le pouvons et par tous les moyens à notre disposition ». LBJ pense que Lodge devrait se rendre à Paris et rencontrer De Gaulle pour ce faire (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 274 et pp. 313-314). Au sujet des bombardements secrets, l’ambassadeur demeure quant à lui attaché à la politique de la carotte et du bâton (aide alimentaire au N-V versus bombardements massifs) avant toute mise en place d’action de destruction de masse.
Attitude paradoxale de Johnson à la veille de l’incident du Golfe du Tonkin : il pousse son administration à préparer énergiquement l’escalade, tout en hésitant sans cesse à mettre en œuvre ces plans dans le domaine de l’action militaire (voir 27 janvier).
24 mars 64 : Entretien privé entre LBJ et le sénateur de Géorgie Richard Russell évoquant les doutes actuels du président : « LBJ : Que pensez-vous de ce truc du Vietnam ? J’aimerais que vous m’en parliez ? RR : C’est la pire pagaille que j’aie jamais vue et je ne suis pas du genre à me vanter. Je n’ai pas toujours eu raison dans ma vie, mais j’ai toujours su que nous serions dans le merdier si nous y allions. Et je ne vois pas comment nous pourrons nous en sortir sans mener une guerre avec les Chinois, tous dans ces rizières et dans la jungle… Je ne sais vraiment pas quoi faire. LBJ : Depuis six mois, je pense exactement la même chose [...] La grande question est de savoir si ce n’est pas trop dangereux de laisser les choses se détériorer, comme cela se passe tous les jours. RR : Je ne pense pas que nous le puissions, Monsieur le Président. LBJ : Alors, nous devons y aller. RR : Nous devons y aller, ou en partir. LBJ : C’est tout le problème… » (cité in Portes, 2007, p. 193)
26 mars 64 : McN évoque pour la première fois la possibilité de représailles aériennes secrètes contre le Nord. C’est ce que réclament certains militaires américains et généraux s-v (dont Nguyen Cao Ky qui a reçu le commandement de l’armée de l’air). LBJ s’y oppose toujours pour l’instant (voir 2 mars) (Chaffard, 1969, p. 353).
Au Cambodge, début des incursions américano-s-v en vue de détruire certains sanctuaires du VM. L'aviation et des blindés sud-vietnamiens, commandés par un officier américain, détruisent complètement le village de Chant Rea (province de Svay Rieng), faisant usage du napalm et de mitrailleuses lourdes. Il y a de nombreux morts et blessés. L'opération est supervisée par le commandement américain.
27 mars 64 : HCM provoque une conférence politique du Lao Dong. Il considère que plus « les bellicistes américains » intensifient la guerre, plus ils s’enlisent. Il replace le conflit vietnamien à l’échelle mondiale, dans le contexte des guerres de libération en cours (Francini 2, 1988, p. 299).