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par Jean-François Jagielski

Mars 1962

Mars 62 : Inauguration du premier « hameau stratégique » à Ben Tuong qui marque le démarrage du programme Sunrise (« Soleil levant » ou « Binh-Minh » en vietnamien). Il est situé si loin de la première ville qu’un paysan doit envisager une dépense exorbitante  pour s’y rendre et s’y installer.

Sur l’efficacité des hameaux, les avis sont partagés. Rignac estime qu’ils ont permis d’endiguer la poussée du Vietcong au S-V ; Colby est quant à lui plus mesuré ; le Dossier du Pentagone les critique sévèrement (Rignac, 2018, pp. 201-208 ; Colby, 1992, pp. 104-110 ; Les Dossiers du Pentagone, 1971, p. 139). Burchett estime de son côté que « l’implantation des « hameaux stratégiques » pose également un problème aux organisateurs du F.N.L. et inaugure un calvaire supplémentaire pour la population […] Mais [leur] point faible - qui devait se révéler fatale – était qu’[ils dressaient] contre Saigon jusqu’aux éléments les plus passifs et les plus résignés de la population. » (Burchett, 1965, pp. 93-94).

Le pouvoir diémiste déclenche la première d’une longue série d’opérations militaires nommées Goéland qui engage l’effectif d’une division. Selon Le Van Chien, membre du bureau exécutif du F.N.L. pour la zone  du district de Dong Xuan (au nord de Nha Trang), « ils se vantaient  de pouvoir liquider le « Viet-Cong » en l’espace d’un mois. Ils réussirent à remplir à nouveau quelques-uns des « hameaux stratégiques » mais ceux-ci furent une fois de plus démantelés par leurs hôtes dès que les soldats eurent tourné les talons… » (Burchett, 1965, p. 96).

Enhardi par quelques succès militaires et l’optimisme du gouvernement américain, Diem décide de se débarrasser de deux journalistes travaillant pour la presse américaine : François Sully (Newsweek) et Homer Bigart (New York Times). Nolting intervient à contrecœur en leur faveur, arguant du fait que l’éviction de représentants de publications aussi importantes nuirait au maintien du soutien de l’opinion publique américaine tout comme à celui du Congrès. Diem persiste.

Au Laos, après lui avoir coupé les fonds de la C.I.A. (voir février), Averell Harriman (chef de la délégation américaine aux négociations de Genève) informe le général Phoumi Nosavan que l’armée américaine ne le soutiendra plus et que, si le pays ne devenait pas neutre, il deviendrait communiste. Nosavan s’entêtera jusqu’en avril, moment où la Thaïlande qui l’avait toujours jusque-là soutenu lui conseille d’accepter une participation au gouvernement neutraliste de Souvanna Phouma  (Schlesinger, 1966, p. 466).

Au lendemain de l’adoption par les U.S.A. de nouvelles mesures pour enrayer la pénétration communiste au S-V et au Laos, une délégation soviétique de premier ordre se rend en R.D.V.N. Après ce voyage, les Soviétiques dénonceront publiquement les activités américaines au S-V (voir 17 mars) (Marangé, 2012, pp. 300-301).


10 mars 62 : Les U.S.A. reconnaissent officiellement que des pilotes américains ont participé à des opérations de guerre au Vietnam. McN déclare dans une conférence de presse : « Les personnels américains sont autorisés à tirer pour se défendre et l’aviation peut faire des interventions tactiques. » (cité in Pericone, 2014, p. 63)


11 mars 62 : Le magazine Time révèle que les U.S.A. ont pris la décision « de tenir le Sud-Vietnam à tout prix ».

Madame Nhu (belle sœur de Diem) s’en prend à la presse occidentale qui, à ses yeux, ne comprend rien au projet personnaliste du gouvernement du S-V : « Notre union ne sera jamais faite d’une collection désordonnée d’individus qui tirent chacun de leur côté dans un seul but : leur intérêt personnel. Notre union, tirant sa force de l’unité et de la discipline, poursuivra, neutralisera et extirpera toutes les brebis galeuses de la société, ennemies de ce régime personnaliste qui s’engage à apporter des solutions aux problèmes d’un pays sous-développé et à assurer l’indépendance, la liberté et le bonheur de tous. » (cité in Fall, 1967, p. 285)


17 mars 62 : Face à l’engagement de plus en plus insistant des U.S.A. au S-V, les Soviétiques qualifient le conflit de « guerre non déclarée contre les forces patriotiques du Sud-Vietnam combattant pour [le respect] des droits humains élémentaires et l’indépendance de leur pays. » (cité in Marangé, 2012, p. 301).


18 mars 62 : McNamara reconnaît à nouveau (voir 10 mars) devant la presse américaine que l’entraînement des S-V se fait dans des conditions de combat et qu’il y avait des coups de feu tirés contre le personnel américain qui peut riposter pour se défendre.


22 mars 62 : Mise en place conjointe par les Américains et les S-V du plan Sunrise (Soleil levant) qui marque le début des « hameaux stratégiques ». Elle est dirigée par l’A.R.V.N. mais entièrement financée par les Américains. C’est le Bureau des Affaires rurales de Rufus Phillips, une antenne de l’United States Opération Mission (U.S.O.M.) dépendant de la nouvelle U.S.A.I.D. créée par Kennedy en novembre 1961, qui prend les choses en main.

Des opérations militaires sont lancées en vue de se débarrasser du VC au nord de Saigon. Dans le district de Ben Cat (province de Binh Duong choisie par Nhu car considérée comme le berceau de l’insurrection), 70 familles acceptent spontanément de déménager vers un hameau stratégique mais 140 autres, selon le Time du 6 avril 1962, « durent être convaincues à la pointe des baïonnettes ». Le transfert se fait dans une région où les sols sont à peine défrichés, sans qu’aucun logement ne soit prévu.

Les hameaux originels qui ont été abandonnés par l’armée s-v et sont détruits par ses soins selon le plan dénommé « Terre brûlée ». Même les nouveaux hameaux ne satisfont ni les populations déplacées ni les nouveaux résidents pour de multiples raisons : destructions d’habitations à la périphérie des fortifications (sans solutions de relogement hormis de rebâtir ailleurs, à ses frais), obligation d’abandonner la terre des ancêtres (et de ses morts), corruption des nouveaux chefs de villages qui revendent à des prix exorbitants des matériaux ou des fils barbelés. Pour ceux qui ont conservé leurs habitations dans ces « hameaux », nécessité de cohabiter dans des villages surpeuplés, avec des voisins qu’on oblige à s’installer sur les propres terres des anciens occupants (Sheehan, 1990, p. 374 ; Fall, 1967, p. 431).

Ces installations menées manu militari ne sont, dans l’optique du pouvoir diémiste, ne sont qu’« une expression de nos idées personnalistes. » (Fall, 1967, p. 285) Thompson, le spécialiste britannique des « hameaux », critiquera lui-même l’opération « lancée […] dans l’une des zones les moins peuplées et les mieux contrôlée par le Vietminh. Elle nécessitait donc le déplacement de la totalité des habitants à l’écart de leurs rizières, ce qui donna l’impression que tous les hameaux seraient ainsi. » (cité in Tenenbaum, 2010, p. 132)


23 mars 62 : Dans l’affaire des journalistes américains expulsables (voir ci-dessus), Diem accorde un sursis à Bigart et à Sully jusqu’à l’expiration de leur visa. Toutefois, le président s’arrange pour leur couper les vivres, en limitant leurs sources et en leur interdisant d’aller sur le terrain.

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