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par Jean-François Jagielski

Mars 1955

Mars 55 : Démission du gouvernement s-v de 6 ministres appartenant aux sectes désormais combattues par le régime (Toinet, 1998, p. 209).

Apparition d’un « Front unifié des Forces nationalistes » très hétérogène (Hoa-Hao, Caodaïstes, Binh Xuyen, éléments baodaïstes, neutralistes tendance Tran Van Huu, cryptocommunistes tendance Huynh Tan Vat). Teintés superficiellement de motivations démocratiques, leurs leitmotivs sont à peu près identiques de ceux du « Comité Saigon-Cholon  de Défense de la Paix et des Accords de Genève » : refus de la dictature, respect des libertés et des accords de Genève. Ils envisagent de se rallier autour de l’ancien président du Conseil Tran Van Huu, symbole de neutralité et de respect des accords de Genève. Mais celui-ci sera évincé et même menacé par le régime en place (Chaffard, 1969, pp. 188-189).


1er mars 55 : Sainteny adresse une lettre à Gaston Palewski, ministre délégué à la président du Conseil du gouvernement Edgar Faure, lui indiquant que « la population du Nord-Vietnam se révèle beaucoup plus réfractaire au communisme que prévu. Notre présence lui donne encore quelques raisons d’espérer et secrètement elle souhaite que nous nous maintenions. » Sans doute s’agit-il d’une infime minorité de gens qui ont gardé des contacts avec la délégation française qu’il dirige mais en aucun cas de l’immense majorité de la population n-v. Plein de confiance, il estime également que les relations nouées par sa délégation et « les nouveaux maîtres du Tonkin » sont « inespérées » après 9 ans de conflit. Selon lui, la présence française permet au N-V d’échapper à son intégration totale dans le bloc sino-soviétique (Cadeau, 2019, p. 541 et p. 543). Il devra vite déchanter et quittera le Vietnam en 1957 confronté aux dures réalités d’un régime communiste pur et dur qui cherchera à se débarrasser des derniers Français pour se tourner définitivement vers la l’U.R.S.S. et la Chine.


2 mars 55 : Au Cambodge, Sihanouk abdique en faveur de son père Norodom Suramarit pour se lancer dans la lutte politique (Ponchaud, 2005, p. 174). Cette décision, annoncée à 6 heures du matin sur Radio Phnom Penh, sonne comme un coup de tonnerre tant dans le pays qu’à l’étranger. De par la constitution de 1947, le pouvoir du roi n’est que limité. Sihanouk qui vient de diriger le pays depuis le coup de force du 16 juin 1952 ne peut s’en satisfaire. Il annonce la formation d’un vaste rassemblement de masse, le Sangkum Reastr Niyum (Communauté socialiste populaire) qui conteste l’exploitation du peuple par une minorité de privilégiés (Cambacérès, 2013, p. 106 ; Tong, 1972, pp. 75-76 ; Sihanouk, 1979, p. 234).


5 mars 55 : Bay Vien, leader des Binh Xuyen, et les chefs des sectes hoa hao et caodaïste se réunissent à Cholon et décident de mettre en commun leurs armées privées pour combattre Diem. Ils créent un Front uni des Forces nationalistes qui envoie une délégation auprès de Bao Daï à Cannes. Elle lui demande de destituer Diem et de rentrer au Vietnam pour diriger le gouvernement (voir 20 mars) (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 56).

Au Cambodge, couronnement du Roi Suramarit après l’abdication volontaire de Sihanouk.

Dans le cadre de la commission d’enquête sur Dien Bien Phu, et revenant sur les événements de l’automne 1950 (défaite de la R.C. 4), le général Alessandri demande au général Koenig (ministre de la Défense) à être entendu. Il essuie un second refus (Cadeau, 2019, p. 609, note 39).


12 mars 55 : Le général Cogny dépose un second rapport beaucoup plus polémique que le premier, factuel, qui datait du 15 mai 1954. Celui-ci est intitulé « Désaccord sur Dien Bien Phu ». Cet envoi est antérieur à la création de la commission d’enquête (voir 31 mars) (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, p. 242-243). Navarre contrera, en 1956, dans L’Agonie de l’Indochine, l’existence de ce « désaccord » entre lui et son subordonné en évoquant les multiples déclarations de Cogny dans la presse à l’époque des événements (Navarre, 1956, pp. 198-199, note 2).


16 mars 55 : Au Cambodge, après avoir abdiqué et remis son père sur le trône, Sihanouk annonce la création d’un grand parti dont il prend la tête, le Sangkum Reastr Niyum (« Communauté socialiste populaire »). Ses statuts seront déposés le 19 avril (Cambacérès, 2013, p. 107).


20 mars 55 : Le Front uni des Forces nationalistes (sectes), sans attendre la réponse de Bao Daï (voir 5 mars), envoie à Diem un ultimatum qui lui donne 5 jours pour réorganiser son gouvernement en incluant en son sein plus de « forces populaires » émanant des sectes. Jusque-là, 8 membres des factions caodaïstes et hoa hao en faisaient partie. Pour faire pression, leurs troupes, dont les Hoa Hao sous le commandement de Ba Cut, marchent sur Saigon et préparent un blocus économique de la ville. Les Binh Xuyen, déjà en place et y effectuant les opérations de police pour le régime, prennent position dans la capitale et sa banlieue (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 57).


21 mars 55 : Les sectes bombardent le palais présidentiel à Saigon (De Folin, 1993, p. 298).

Bien qu’ayant passé la main aux Américains, un Comité de défense français approuve le maintien de 75 000 hommes au S-V. Le nouveau président du Conseil, Edgard Faure, confie à Ély : « J’ai cédé sur les effectifs, mais c’est bien pour vous personnellement que je l’ai fait. » (Ély, 1964, pp. 282-283)


22 mars 55 : Au Cambodge, après avoir abdiqué le 2, Sihanouk crée officiellement le  Sangkum Reastr Niyum. Ce parti donne un pouvoir politique (et répressif…) au roi nouvellement démissionnaire. Il perdurera jusqu’au 18 mars 1970, date de destitution de Sihanouk par Lon Lol. Les partis de droite s'y rallient. Sim Var, un des fondateurs du parti démocrate, en devient le secrétaire général. Le parti démocrate et le Pracheachon (communiste) refusent de se fondre dans ce nouveau parti. Ils vont être les victimes d'intimidations et de violences en tous genres.


27 mars 55 : Retour d’Ély à Saigon après un séjour à Paris. L’inquiétude est palpable chez les Français comme chez les Américains (Collins). Ély se voit contraint de dénouer la crise entre Diem et les sectes. Ces dernières ont adressé un ultimatum à Diem le sommant de constituer un gouvernement d’union nationale dans un délai de 5 jours. Ajoutant de la confusion à la confusion, Diem crée un « Comité révolutionnaire » noyauté, selon Ély, par le VM qui appelle à la grève et à l’agitation en faveur de la paix. On est au bord de la guerre civile que Français et Américains doivent éviter mais qui, selon Ély, « doit être réglée par les Vietnamiens eux-mêmes ». (Ély, 1964, pp. 303-305)


28 mars 55 : Ély a une entrevue avec Diem. Il demande la médiation de Bao Daï. Mais Diem demeure obtus, ne voulant aucunement traiter avec les sectes  (Ély, 1964, p. 300).


29 mars 55 : Diem ordonne l’attaque à 13 h 30 par ses parachutistes des locaux de la Sûreté nationale (rue Catelinat, en plein secteur français) tenus par les Binh Xuyen. Ély envoie Jacquot pour l’en dissuader. Les Français sont prêts à s’interposer. Le chef d’état-major vietnamien (Nguyen Van Hinh) signifie qu’il ne fera rien sans ordres d’Ély. Diem renonce « de mauvaise grâce » à son opération. Ély revoit Diem dans l’après-midi. Ce dernier veut renvoyer le chef de la Sûreté, Sang, un Binh Xuyen nommé par Bao Daï (Ély, 1964, pp. 305-306).


Nuit du 29 au 30 mars 55 : Les troupes d’assaut des Binh Xuyen attaquent simultanément le siège de l’état-major de l’armée s-v et celui de la nouvelle police de Saigon reprise en main par Diem. Des tirs de mortiers visent le palais Norodom, siège du gouvernement. La capitale connaitra plusieurs semaines de combats indécis entre parachutistes et Binh Xuyen. Ély se rend à une heure du matin chez Diem et lui propose, mais sans vraiment l’approuver, l’instauration de l’état de siège à Saigon (voir 28 avril) (Rignac, 2018, p. 126 ; Ély, 1964, p. 306).


30 mars 55 : Nouvelles interventions franco-américaines pour calmer la situation. Diem accepte que le général Gambiez soit nommé comme médiateur à Saigon. Collins appuie l’intervention du Corps expéditionnaire français comme force-tampon, sans toutefois demander la proclamation de l’état de siège (Ély, 1964, p. 307).


31 mars 55 : Ély envoie le soir un rapport au gouvernement français. Il préconise d’aider Diem en l’incitant à élargir son gouvernement. Collins va dans le même sens auprès de son propre gouvernement (mais ne sera pas entendu, voir 5 avril). Une trêve de 3 jours est obtenue. Il faut faire intervenir Bao Daï (toujours à Cannes…) pour obtenir une prolongation de cette trêve à 15 jours (Ély, 1964, pp. 307-308).

Création (tardive…) par décret du ministre de la Défense nationale de la « Commission d’enquête militaire sur la bataille de Dien Bien Phu ». Elle est dirigée par le général Catroux (Bodinier, 1994, p. 70) que Navarre connaît pour avoir servi sous ses ordres au Maroc et avec lequel il entretient des relations « devenues très amicales » au lendemain de la Libération. Selon Navarre, ayant évoqué à son retour avec lui l’affaire de Dien Bien Phu, « il [lui] avait témoigné beaucoup de compréhension. »  (Navarre, 1979, pp. 405-406). La commission doit « émettre un avis sur la conduite des opérations ayant abouti à la bataille de Dien Bien Phu, sur la préparation et la conduite de cette bataille, ainsi que sur les responsabilités aux divers échelons en  Indochine ».

Dans sa conception, elle ne satisfait pas Navarre : « Il existait de vastes « zones interdites ». La commission n’était notamment pas habilitée à examiner l’aspect politique de la guerre, inséparable pourtant de l’aspect militaire. » (Navarre, 1979, pp. 406). Son président est assisté de 3 membres de chaque arme (les généraux d’armée Magnan et Valin) et d’un civil, le gouverneur général Lebeau. Le général Magnan avait déjà participé à une autre commission, celle qui s’était tenue après le désastre de Cao Bang. Navarre estime qu’une commission aussi restreinte, dont les membres n’ont jamais été confrontés au commandement devant un ennemi, ne pourra fournir « un travail sérieux ». Il envisage alors de quitter l’armée et de refuser de comparaître. Koenig (Défense) l’en dissuade.

Les travaux de la commission, prévus initialement sur une durée de 3 mois, s’étendront en fait de mai à décembre, interrogeant une vingtaine de témoins civils et militaires. Selon Cadeau, la mise en place de cette commission permet « d’éviter la constitution d’un conseil d’enquête, organisme à caractère disciplinaire, institué uniquement pour fautes graves. Celui-ci pourrait donner lieu à une défense des accusés qui ne manquerait pas de provoquer une certaine publicité et un écho dans l’opinion publique, ce dont ne veut précisément pas le pouvoir politique. » (Cadeau, 2020, p. 68 ; Cadeau, Cochet, Porte, 2021, p. 242 ; Navarre, 1956, p. III ; Navarre, 1979, pp. 406-414).

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