Mars 54 : Côté vietminh, 51 000 hommes sont concentrés autour de Dien Bien Phu (28 bataillons d’infanterie, 3 régiments d’artillerie, 4 bataillons de D.C.A. légère (12,7), 1 bataillon de D.C.A. moyenne de 37 mm, un régiment de génie). Au cours de la bataille, la D.C.A. vietminh sera renforcée de 4 bataillons armés de canons russes modernes de 37 mm (64 pièces). Giap a engagé ses meilleures troupes : soit 28 bataillons d’infanterie (7 appartenant à la division 316, 3 à la division 304, 9 à la divisions 308 et 9 également à la 312 ; la division lourde, la 351, est au complet).
Côté français, 12 bataillons d’infanterie (en sous-effectifs), 2 groupes d’artillerie de 105, 1 batterie de 155, 3 batteries de 185, 2 compagnies de mortiers et 10 chars, ainsi que des troupes vietnamiennes (au total, entre 11 à 12 000 hommes). Le ravitaillement du camp dépend désormais entièrement du pont aérien.
De Gaulle déclare : « L’Affaire d’Indochine est virtuellement terminée. Il reste à trouver un procédé dans la forme […] Il est entendu que la France ne gardera pas l’Indochine […] (cité in Bodin, 1996, p. 255)
Le rapporteur de le Commissions des Finances à l’Assemblée nationale, André Pineau, estime à 78,25 % la part de l’aide américaine dans le financement du conflit pour le budget 1954 (Ruscio, 1992, p. 130).
Début mars 54 : A ce moment précis, le commandement français est certain de l’existence d’un projet de puissante offensive du VM. Selon Navarre, des documents vm saisis affirment qu’il s’agit de « faire pression sur la Conférence de Genève » (Navarre, 1956, p. 182, note 1).
Bien que la situation soit plus que compromise à Dien Bien Phu, le gouvernement français continue à autoriser l’envoi de renforts sur le camp retranché.
1er mars 54 : De Castries observe un resserrement du VM autour du camp retranché : une sortie vers l’ouest trouve le contact avec l’ennemi immédiatement en bordure du camp, ce qui n’était pas le cas une semaine avant car une patrouille avait pu s’aventurer à 10 km au-delà du camp retranché (Pouget, 2024, pp. 250-251).
Navarre adresse un télégramme à Marc Jacquet (secrétaire d’État aux États associés) : « La campagne est arrivée à un nouveau tournant. Stop. Au Haut Laos, en effet, la division 308 qui, depuis une semaine, avait replié ses éléments envoyés au contact de Muon Saï et de Luang Prabang et s’était regroupé au nord de la Nam Bac, remonte décidément vers le Nord en direction générale de Dien Bien Phu. Stop. Elle semble devoir, vers le 5 mars, reprendre sa place dans le dispositif d’investissement du camp retranché. Stopali […] Cette action est possible à partir du 10 mars et peut consister soit en une attaque de force, soit en une tentative d’étouffement par l’artillerie et la D.C.A. […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 272, note 43).
A partir de cette date, début de l’intervention de la Civil Air Transport de l’ancien général américain francophile Claire Chennault (ancien commandant de la 14e US Air Force, voir mars 1945) reconverti dans le mercenariat. Il fournit 12 équipages confirmés (surnommés depuis 1945 les tigres volants) qui effectueront 500 missions de bombardement en Haute Région. Un équipage sera abattu et leurs C-119 seront touchés 41 fois par le D.C.A. (Rocolle, 1968, p. 301, note 130).
Le prince Buu Loc, chef du gouvernement vietnamien nommé par Bao Daï, se rend en France pour négocier la nouvelle « indépendance » du Vietnam, au sein de l’Union française. Mais Bao Daï et son gouvernement la rejettent en l’état, du fait du cadre contraignant de l’Union française. D’où une nième situation d’impasse (voir 25 avril) (De Folin, 1993, pp. 292-293).
1er - 9 mars 54 : Grand débat sur l’Indochine à l’Assemblée nationale française. Alors que la situation est de plus en plus désespérée autour du camp retranché, le gouvernement se montre cette fois disposé à la négociation. Le 5 mars, Laniel affirme devant l’Assemblée sa volonté « de régler le conflit par voie de négociation », tout en poursuivant l’envoi de renforts sur Dien Bien Phu et en réclamant l’aide américaine car, si négociation il y a, les Français n’entendent la mener eux aussi qu’en position de force.
2 mars 54 : Le « Comité spécial » américain pour l’Indochine créé par Eisenhower (voir 8 janvier) se réunit et en arrive au fait que « les États-Unis pourraient envisager une action collective directe [la formation d’une coalition] dans le Sud-Est asiatique en vue de maintenir leurs intérêts vitaux. » Ce projet prend le nom d’« opération Vautour » (De Folin, 1993, p. 247). Il consisterait en une intervention de bombardiers lourds B-29 basés aux Philippines qui opéreraient de nuit pour briser l’encerclement de Dien Bien Phu (Ély, 1964, pp. 82-83).
Le général parachutiste Gilles qui avait participé à la conquête puis commandé jusqu’au 7 décembre 1953 le camp retranché de Dien Bien Phu est rapatrié en France. L’homme est âgé et malade. Il avait participé jusqu’alors en compagnie de Navarre à plusieurs visites de la base aéroterrestre (Rocolle, 1968, p. 235, note 106).
3 mars 54 : Nouvel indice de resserrement du VM autour du camp retranché (voir 1er mars), une compagnie du 7e R.T.A. tombe dans une embuscade à 400 m au nord-est de Gabrielle (Pouget, 2024, p. 251).
Dans le cadre d'un contrat signé avec les autorités américaines, la Civil Air Transport (C.A.T., désormais propriété de la C.I.A.) fournit 24 pilotes pour opérer aux côtés des Français à bord de 12 C-119 (Packets) qui sont entretenus et pilotés secrètement par le personnel de l'US Air Force. Navarre précise que ces pilotes appartiennent à l’escadre des « Tigres volants » (16 avions) du général Chenault et qu’un contrat privé avait été passé avec ce dernier (Navarre, 1956, p. 230). Ces pilotes américains procéderont au transport de troupes mais également à des actions de bombardement.
4 mars 54 : Quatrième et dernière inspection de Navarre à Dien Bien Phu depuis la Noël 1953. Il est accompagné de Cogny. Selon le premier, « […] j’avais interrogé plusieurs commandants d’unités et constaté chez eux une confiance absolue. » Le colonel De Castries, commandant de la base, déclare quant à lui : « Ce sera dur mais nous tiendrons si vous avez en réserve deux ou trois bataillons de renfort à m’envoyer. » Quant à Cogny, il déclare au commandant en chef : « Nous sommes venus ici pour contraindre le Viet à se battre. Il ne faut rien faire pour les détourner d’attaquer. » (cité in Navarre, 1956, pp. 240-241 ; Navarre, 1979, pp. 337-338). Cogny profite de la visite de Navarre pour lui demander des renforts sur le Delta qu’il estime plus menacé qu’au printemps 1953. Navarre ignore cette demande qui ne fait pas partie de ses priorités du moment (Rocolle, 1968, p. 332). Le commandant en chef propose au contraire d’envoyer 3 bataillons supplémentaires à Dien Bien Phu. Cogny estime que les moyens aériens actuels ne permettent pas de les transporter. Quant à De Castries, il ne les souhaite pas, faute de place. Face à cet optimisme, Navarre renonce donc pour l’instant à renforcer le camp retranché (Rocolle, 1968, p. 342).
Les reconnaissances envoyées les 4 et 5 mars montrent que le VM occupe des points sur lesquels il ne s’est pas encore installé au nord du camp retranché. Les accrochages aux abords immédiats sont de plus en plus fréquents depuis le début du mois (Rocolle, 1968, p. 272 ; Pouget, 2024, p. 251).
Nuit du 4 au 5 mars 54 : Des commandos vm s’introduisent dans l’aéroport de Gia Lam à Hanoi et détruisent une dizaine d’avions (5 Dakota et 5 appareils civils de transport assurant le pont aérien) et un dépôt de carburant (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 142 ; Rocolle, 1968, pp. 344-345).
5 mars 54 : Intervention de Laniel à l’Assemblée nationale. Pour que la France accepte un cessez-le-feu, le VM doit évacuer le Laos, une bonne partie de l’Annam et accorder l’existence de zones démilitarisées qui doivent être créées autour du Delta. Des exigences dénoncées par Mendès France qui accuse le chef du gouvernement de vouloir impliquer encore plus les U.S.A. dans le conflit et de dénoncer : « La conférence de Genève ce n’est pas la route qui conduit à un arrangement en Indochine. C’est une habile diplomatie pour travestir une politique qui conduit à la continuation de la guerre. » Pour autant, un vote de confiance est accordé au chef du gouvernement (Rocolle, 1968, pp. 39-40).
Deux sénateurs américains de passage à Paris évoquent avec Pleven un recours à des bombes atomiques tactiques. Pleven leur répond que l’on manque d’objectifs tactiques convenables au Vietnam pour ce genre d’action. Si le recours à l’arme atomique a bien été évoqué tant par les Américains que les Français, ce projet, irréalisable dans le contexte vietnamien, n’est jamais resté qu’à l’état de discussions stériles (voir 7 avril) (De Folin, 1993, pp. 259-260). Navarre confirmera dans ses mémoires que « l’emploi de la bombe atomique n’a jamais été envisagé. » (Navarre, 1956, p. 244, note 2)
Nuit du 6 au 7 mars 54 : Le VM attaque cette fois l’aérodrome de Cat Bi proche d’Haïphong et détruit une dizaine d’avions : 4 bombardiers B-26 et 5 Criquets d’observation (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 142 ; Rocolle, 1968, p. 345).
7 mars 54 : Navarre, moins optimiste qu’à ses débuts, pense à nouveau renforcer encore la garnison du camp retranché de 3 bataillons. De Castries, appuyé par Cogny, les refuse. Le premier déclare : « Ce sera dur, mais nous tiendrons. » Le second, qui niera plus tard cette affirmation : « Il ne faut pas inciter l’ennemi à renoncer à son attaque, que toute la garnison espère et dont on attend la victoire. » (cité in Laniel, 1957, pp. 42-43)
De retour d’Indochine où il avait été missionné, Pleven (ministre de la Défense) déclare : « Militairement, il est incontestable que l’adversaire n’a pu jusqu’ici atteindre ses objectifs essentiels. Dien Bien Phu n’a toujours pas été attaqué. Il peut encore l’être, mais notre commandant en chef, le général Navarre, dont l’esprit de décision et le sang-froid s’imposent à tous a pleine confiance que cette campagne d’hiver se terminera sans résultat positif pour l’adversaire, malgré les efforts qu’il aura déployés. » (cité in Chauvel, 1973, p. 43) Selon le commandement français, le VM commence à souffrir d’une crise d’effectifs.
8 mars 54 : Navarre produit une directive sur l’intérêt de multiplier et substituer dans le Delta les camps retranchés au système des postes (Rocolle, 1968, p. 339, note 236).
Le premier ministre Buu Loc poursuit à Paris un cycle de négociations pour obtenir l’indépendance du Vietnam mais, sous la pression des nationalistes, qui espèrent son échec, sa démission ainsi que celle de Bao Daï pour former une nouvelle Assemblée nationale constituante (Gras, 1979, p. 542).
8 – 11 mars 54 : 24 canons de 105 mm et des pièces de D.C.A. sont installés par le VM sur les pentes de la cuvette de Dien Bien Phu (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 142).
9 mars 54 : Une estimation de l’état-major d’Hanoi évalue les possibilités de l’artillerie vietminh à 5 à 6 jours de tir de « neutralisation générale » sur Dien Bien Phu. Elle néglige les approvisionnements en provenance de Chine et la capacité du VM à ravitailler ses pièces par le biais de pistes camouflées (Navarre, 1956, p. 218). La dotation en munition d’artillerie sera doublée en avril. A l’issue de la bataille, les estimations françaises parleront de plus de 200 000 obus tirés.
10 mars 54 : De Castries informe Cogny par télégramme de l’imminence d’une attaque : « […] Hypothèse à retenir me semble devoir être attaque Dien Bien Phu. VM poussant progressivement bases de départ au plus près contre sens de résistance […] » (Rocolle, 1968, p. 273).
Le gouvernement de la R.D.V.N. accepte officiellement de participer à la conférence de Genève (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 142).
Nuit du 10 au 11 mars 54 : A Dien Bien Phu, poursuite de la mise en place des canons de 105 mm dans leurs casemates. Les premiers tirs de réglage sur la piste d’atterrissage commencent au matin du 11. Un avion-cargo est détruit (Pouget, 2024, p. 251).
10 et 17 mars 54 : Le groupe de travail américain et le « Comité spécial » estiment que si une action est envisagée (opération Vautour), elle doit se faire dans un contexte multilatéral, en accord avec les alliés (dont les Britanniques qui sont plus que réticents après la guerre de Corée). Toutefois, ils n’excluent pas de leurs propos une action unilatérale à laquelle les Français vont longtemps se raccrocher.
11 mars 54 : En réponse au télégramme de De Castries de la veille, Cogny lui répond que « les probabilités d’action vers le 13 mars se confirment ». (Rocolle, 1968, p. 273)
En vue de Genève, sur une idée de Pleven, le gouvernement français décide, lors d’un Comité de défense nationale, de créer un bien tardif Comité de guerre restreint. Il est chargé de suivre les opérations sous l’autorité directe du président du Conseil (Laniel), des principaux ministres, secrétaires d’État et dirigeants militaires (Défense, Affaires étrangères, Affaires d’Indochine, États associés, chef d’état-major des Forces armées). Étape nécessaire que Navarre avait réclamé pour contrer l’habituelle et catastrophique dispersion décisionnelle mais qui arrive à un moment où les jeux sont faits, tant du point de vue militaire (Dien Bien Phu) que diplomatique (Gras, 1979, p. 543 ; Ély, 1964, p. 28 ; Navarre, 1979, p. 286). Selon Laniel, au cours de cette réunion, Pleven (ministre de la Défense) ne partage pas l’optimisme des chefs militaires rencontrés lors de sa précédente mission. Tout le monde désire l’attaque sur Dien Bien Phu, lui « ne la souhaite pas. » Selon lui, le camp retranché n’est déjà plus évacuable. Il a trouvé l’armée « usée » et une situation qui « reposait sur des conditions assez fragiles. » Il considère la future conférence de Genève comme « le moyen honorable de mettre fin » au conflit et d’éviter tout malentendu avec les Américains : une solution militaire ne pouvant être envisagée avant longtemps, il est souhaitable de trouver une solution diplomatique. Il est aussi nécessaire, selon Ély, d’informer les Américains « pour renseigner très exactement nos alliés sur les perspectives militaires réelles. »
Le comité décide d’envoyer le général Ély, chef d’état-major des Forces armées, à Washington (voir 20 - 26 mars) pour évoquer la question des aides et surtout connaître la réaction des Américains en cas d’intervention aérienne ou terrestre des Chinois (De Folin, 1993, p. 248 ; Ély, 1964, pp. 59-60 ; Laniel, 1957, pp. 79-81). Selon Navarre, lors de la visite de la commission Pleven en Indochine ni lui ni le commissaire général Dejean n’ont été clairement mis au courant du projet de la future conférence de Genève qui paraît pourtant être pour le gouvernement français l’unique porte de sortie honorable (Navarre, 1956, p. 182).
À Dien Bien Phu, le VM commence à harceler régulièrement la piste d’atterrissage par des tirs d’artillerie. Un avion Curtis-Commando affrété pour le ravitaillement est détruit. Il en sera de même le lendemain pour un Morane (Rocolle, 1968, p. 345). L’action en cours de l’artillerie vm sur la piste d’atterrissage est en train de contredire totalement ce qui avait été établi par les prévisions des états-majors qui avaient fait, du moins sur le papier, de cette piste un sanctuaire totalement inatteignable dans un rayon de 8 kilomètres.
HCM adresse une lettre aux troupes de Dien Bien Phu : « Votre mission est de la plus haute importance, difficile mais très glorieuse. Je vous souhaite de grandes victoires. » (citée in Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 142).
11 – 12 – 13 mars 54 : Le VM creuse des tranchées non loin des centres de résistance du nord du camp retranché ainsi qu’au sud (Isabelle). Les tirs de harcèlement interrompus depuis le 20 février reprennent. La D.C.A. se manifeste (Rocolle, 1968, p. 265 et p. 272).
12 mars 54 : Les Français sont informés des intentions du VM : l’attaque se portera à partir du 13 et visera les positions isolées, Béatrice (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 319-320), Gabrielle (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 319-320) et Isabelle (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 321-322). Selon Navarre, « […] l’ennemi comptait s’emparer de l’ensemble du camp retranché en cinq à sept jours. » (Navarre, 1956, p. 221) Giap est en fait en train de revoir ses plans et d’établir une tactique plus prudente (voir 25 janvier).
A cette date, depuis le 23 novembre 1953, la garnison de Dien Bien Phu compte 151 tués, 88 disparus et 798 blessés (Cadeau, 2019, p. 626, note 9).
A la veille de l’attaque de Béatrice, Cogny se rend pour la dernière fois à Dien Bien Phu (Rocolle, 1968, p. 273, note 47). Il assiste à une action locale d’une compagnie du 8e B.C.P. (parachutistes) sur un mamelon voisin de Béatrice où le VM creuse des tranchées d’approche pour installer ses canons sans recul et ses mortiers. Soutenue par l’aviation et l’artillerie du camp retranché, l’opération cette fois réussit. Lors d’une audition devant la commission d’enquête du 10 juin, Cogny déclarera : « Je me suis fait expliquer les contre-attaques, j’ai circulé sur le terrain, j’ai fait la contre-attaque avec Castries et le commandant responsable, avec Langlais et d’autres officiers […] J’ai suivi les cheminements sur le terrain pour voir les possibilités de débouché et les dangers de feu qui pouvaient se révéler […] Nous avions tout étudié en détail […] ». Mais lors d’une déposition en date du 10 octobre devant la commission d’enquête dirigée par Catroux, il reconnaitra avoir seulement demandé où se trouvaient les réserves… (cité in Rocolle, 1968, p. 297, note 113). Ce sera la dernière visite d’un haut-gradé à la base aéroterrestre. De Castries le rassure mais à peine l’avion de Cogny s’est-il envolé que l’artillerie lourde du VM s’abat sur l’aéroport. 2 Morane sont détruits. De Castries annonce à ses supérieurs que le VM attaquera le 13 à 17 h 00 (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 142).
13 mars 54 : A Dien Bien Phu, dès le matin, l’artillerie du VM concentre ses feux sur Béatrice. Le point d’appui est encerclé comme la veille. Vers midi, le 1er B.E.P. et les chars rouvrent la route. Ce premier bombardement intensif va se poursuivre toute la journée en s’accroissant. Dès 17 h 30, c’est un déluge de feu, une préparation avant l’assaut. A ce moment précis, les Français peuvent opposer 12 bataillons aux 28 bataillons du VM. (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 144). Le camp retranché compte alors 10 813 hommes. 4 277 seront parachutés en renfort jusqu’au 7 mai (Rocolle, 1968, p. 548). Les Français bénéficient d’un plus grand nombre de canons mais le VM dispose d’un arsenal important de mortiers et de canons sans recul (Rocolle, 1968, p. 343).
La dispersion des forces au moment de l’attaque de Dien Bien Phu (combinée avec l’opération Atlante au Centre Vietnam) entraîne un grave conflit entre Navarre et Cogny (commandant des forces terrestres du Tonkin) qui doit mener les combats sur deux fronts, sans que le commandant en chef soit capable de fixer véritablement une priorité au moment où les choses vont déjà mal au Tonkin. Car Navarre ne considère toujours pas l’opération du Nord-Ouest comme prioritaire malgré les moyens engagés. Le rôle de Cogny à Dien Bien Phu demeure somme toute mineur puisque c’est le commandant en chef qui y dirige les opérations avec un objectif stratégique : retenir les forces du VM devant Dien Bien Phu (Gras, 1979, p. 560).
La principale piste d’atterrissage est systématiquement harcelée : 2 Dakota sont touchés. A partir de 14 h 30, la seconde piste proche d’Isabelle est également bombardée. Vers 15 h 00, la D.C.A. de 37 mm entre en action. A 15 h 30, un Bearcat est touché. Dans la soirée, le dépôt d’essence de la piste principale est atteint par un coup au but. Le pont aérien dont dépend l’avenir de la base aéroterrestre est en train d’être disloqué tant par les tirs d’artillerie sur les pistes que par ceux de la D.C.A. qui abat un chasseur Hélicat de l’aéronavale (Rocolle, 1968, p. 346). A 18 h 15, l’assaut de Béatrice est lancé.
Deuxième phase d’Atlante (voir 20 janvier) dénommée quant à elle Axelle et positionnée sur la R.C. 19 (Centre Vietnam, région d’An Khe). 7 G.M. y sont engagés (Gras, 1979, p. 559).
Nuit 13 - 14 mars 54 : Lancement de la première attaque vietminh sur l’un des points d’appui faible, extérieur et isolé du camp retranché de Dien Bien Phu : Béatrice au nord-est de la piste d’atterrissage (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 316-317). Ce point d’appui fortement organisé est tenu par une très bonne troupe, le 3e bataillon de la 13e demi-brigade de la Légion étrangère. Le chef de bataillon Pégot, son adjoint, l’officier de liaison de l’artillerie et le colonel Gaucher (commandant le secteur de défense centre dont dépend Béatrice) sont tous les quatre tués par 2 obus pénétrant de plein fouet dans leurs abris respectifs vers 18 h 30 et 19 h 50. De ce fait, il y a flottement au niveau du commandement et aucun appui d’artillerie n’est demandé dans l’immédiat.
C’est le commandant Langlais qui prend le commandement du secteur centre. Rétrospectivement, Navarre estime que la perte de Béatrice est également due à « un très petit effectif, son encadrement était trop faible [517 hommes] (un officier par compagnie) et son moral, usé par une trop longue attente, n’était certainement pas au plus haut. » (Navarre, 1979, pp. 341-342). Gabrielle (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 319-320) est également attaquée mais résiste pour l’instant. A 0 h 15, Béatrice, submergé, ne répond plus.
Les écoutes françaises avaient révélé cet objectif dès le 12. La piste d’aviation sera dès lors très rapidement prise sous le feu intense de l’artillerie vietminh (artillerie et mortiers), ce qui crée une totale surprise : 9 Bearcat n’ont pu être évacués à temps à cause d’un problème technique (eau dans l’essence…) ; seuls 3 d’entre eux décolleront le 14 en profitant de la brume matinale (Rocolle, 1968, pp. 308-309). Selon les prévisions de Cogny (commandant des forces terrestres du Tonkin), cette piste devait fournir 70 tonnes de matériel par jour de combat moyen et 96 tonnes en cas de combats intenses (Navarre, 1956, p. 214). Une bonne partie de l’artillerie française est d’entrée neutralisée et donc incapable d’effectuer des tirs de contre-batterie contre un ennemi qui a isolé, enterré et camouflé à l’est sa propre artillerie. Cette dernière est constituée de 20 pièces de 75 et de 105 et de mortiers lourds.
Béatrice, attaquée à 18 h 30, pourtant tenue par 450 légionnaires aguerris (mais en sous-effectifs), tombe à minuit. Cette perte entraîne la sidération dans le camp comme à l’état-major d’Hanoi. La mort rapide des officiers commandant le secteur (chef de bataillon Pégot et ses adjoints) par un coup au but a provoqué une désorganisation de sa défense et a interdit l’absence d’un soutien par l’artillerie non renseignée. Là où il aurait fallu ordonner une contre-attaque immédiate et la reprise de ce point d’appui essentiel, De Castries, mal informé, ne réagit pas. Le 5e B.P.V.N. (5e Bavouan) censé reprendre Béatrice ne sera largué que dans l’après-midi du 14 (Gras, 1979, pp. 546-547). Cogny, lors de ses dépositions devant la commission d’enquête du 16 juin et 10 octobre, reconnaitra que les bataillons de contre-attaque étaient enquistés dans le système de défense et que si des contre-attaques avaient été prévues sur le papier, aucun exercice réel n’avait été accompli (Rocolle, 1968, p. 295, note 107).
13 – 25 mars 54 : L’aviation abandonne totalement la bataille des communications contre les axes d’approvisionnement du VM. Ses opérations demeurent dispersées : durant le mois de mars, 454 d’entre elles ne concernent pas Dien Bien Phu mais sont centrées sur le Delta (Rocolle, 1968, p. 398).
Apparition des premières tranchées d’approche à l’est devant Éliane (Rocolle, 1968, p. 396).
13 mars – 7 mai 54 : Les pilotes américains du Civil Air Transport de l’ancien général d’aviation Claire Chennault (appartenant à la C.I.A., voir 3 mars) vont effectuer 682 missions de largage aérien auprès ses troupes françaises assiégées à l’aide d’avions dotés de cocardes tricolores. Un avion sera abattu le 6 mai 1954 et 2 pilotes sont tués. D’autres C-119 subiront des attaques de D.C.A. au cours desquelles un pilote américain sera grièvement blessé (Journoud, 2010, p. 137). Lorsque la D.C.A. vietnamienne deviendra trop efficace, ces avions renonceront à venir sur Dien Bien Phu ou opèreront des largages de haute altitude. Dans ses mémoires, Navarre rendra hommage à ces pilotes en précisant que cela « était parfaitement conforme à leur contrat dont, très courageusement, ils dépassèrent souvent les obligations. » (Navarre, 1956, p. 230, note 4)
14 mars 54 : Vers 0 h 45, Navarre est mis au courant du déclenchement de l’attaque sur Béatrice. Il a à Saigon une courte réunion avec le général Gambiez (son chef d’état-major), le général Bodet et le colonel Berteil. On décide de l’envoi de renforts sur Dien Bien Phu dès 5 h 00. Puis il part ensuite pour Hanoi en faisant escale à Seno (Rocolle, 1968, p. 363).
A 7 h 00, le lieutenant Turpin, blessé relâché par le VM, remet à De Castries une lettre émanant du commandant de la division 312 proposant une trêve sur Béatrice entre 8 h 00 et midi. Les Français acceptent sans l’aval du commandant en chef. De Castries, abattu par les événements de la nuit, en réfère à Cogny. Or il faut également en référer à Navarre qui est injoignable car en route de Seno pour Hanoi. C’est finalement le général Gambiez (chef d’état-major de Navarre) qui donne l’autorisation de Saigon. Selon Rocolle, 8 blessés sont ainsi récupérés (14 blessés et 3 morts selon Pouget, 2024, p. 446-447). A ce moment précis, aucune troupe du VM n’occupe Béatrice. La position ne sera investie que plus tard. De plus, Giap n’a déployé aucune troupe entre Béatrice et le reste du camp retranché pour arrêter une éventuelle contre-attaque (Rocolle, 1968, pp. 359-361).
Venant de Seno, Navarre arrive à Hanoi vers 16 h 10. Accueilli par Cogny, il apprend que Béatrice n’a toujours pas été reprise et qu’aucune contre-attaque n’a été exécutée. La raison invoquée est d’ordre météorologique. L’aviation n’a pu intervenir du fait du brouillard. Réponse qui ne satisfait pas le commandant en chef : il estime que l’artillerie du camp aurait dû répliquer et qu’une contre-attaque avec les réserves aurait dû être ordonnée. De plus, il apprend l’épisode de la trêve offerte par Giap pour récupérer les blessés a été acceptée par les Français. Pour lui, « l’acceptation de la trêve était plus grave encore. Il n’était pas dans les habitudes du Vietminh de faire des cadeaux de ce genre. Si Giap avait fait une telle proposition, c’est qu’il y avait intérêt – et cet intérêt était certainement de nous empêcher de déclencher sur Béatrice une contre-attaque qu’il redoutait. » (Navarre, 1979, pp. 342-343). Or, à ce moment, la reprise de Béatrice n’est plus envisageable car Gabrielle est à son tour directement menacée.
Cogny (commandant des forces terrestres du Tonkin) demande la mise à disposition de 3 des 5 bataillons de réserve d’Hanoi en vue d’une contre-attaque bien trop tardive pour reprendre Béatrice (Navarre, 1956, pp. 222-223). Le 5e B.P.V.N. (commandant Botella) est largué ce jour à 14 h 15. Le 6e B.P.C. (commandant Bigeard) ne le sera que le 16 mars du fait d’une mauvaise météo (Navarre, 1956, p. 223) et de l’utilisation intensive de la flotte aérienne pour approvisionner les stocks de munitions du camp (Rocolle, 1968, p. 379). Le 5e B.P.V.N. largué sur un terrain découvert est rapidement pris à parti. Il mettra beaucoup de temps pour atteindre Gabrielle. Il semble que le choix discutable de cette unité ait relevé de la seule volonté du lieutenant-colonel Langlais qui entend réserver le solide 8e B.P.C. (qui aurait pu intervenir plus rapidement) à la défense exclusive du secteur centre dont il est responsable depuis la mort du colonel Gaucher (Rocolle, 1968, p. 375).
Dès 17 h 00, le VM démarre la préparation d’artillerie sur Gabrielle au nord du camp retranché. Mais l’attaque sera reportée à la nuit car il y a un certain retard dans l’installation des canons de 75 mm et des mortiers de 120 mm (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 144).
Navarre qui a fait étape à Seno arrive à Hanoi vers 18 h 30.
Nuit du 14 au 15 mars 54 : Gabrielle (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 319-320) située au nord-est tombe à son tour dans la nuit du 14 au 15 vers 3 h 30. Le point d’appui est tenu par le 5e bataillon du 7e régiment de Tirailleurs algériens. L’attaque menée par la division 308 et le régiment 165 de la division 316 a été lancée vers 20 h 00. Elle est stoppée vers 22 h 00 par l’artillerie française. Mais, comme pour Béatrice, vers 4 h 30 le commandant De Mecquenem est blessé et son adjoint, le commandant Kah, est tué. Ce qui désorganise complètement la défense.
Selon Gras, pour la deuxième fois, De Castries ne réagit pas en ordonnant de reprendre immédiatement la position (Gras, 1979, p. 546). Selon Navarre, une contre-attaque est lancée à 5 h 30 avec des chars vers les pentes sud de Gabrielle mais n’aboutit pas à la reprise de la position (Navarre, 1956, p. 222). Une contre-attaque est lancée vers 5 h 30 mais là encore, selon Navarre, avec des effectifs insuffisants et des troupes (5e bataillon de parachutistes vietnamiens) fatiguées, larguées de la veille et ne connaissant pas le terrain. Ayant repris connaissance, le chef de bataillon De Mecquenem est fait prisonnier à 7 h 00. (Navarre, 1979, p. 344). Avec la chute successive de Béatrice et Gabrielle, le principal terrain d’aviation de la base n’est plus protégé des tirs d’artillerie du VM. Les choses empireront encore avec la perte d’Anne-Marie le 17.
Le commandant de l’artillerie du G.O.N.O., le lieutenant-colonel Piroth, réalise qu’il ne peut réaliser les tirs de contre-batterie nécessaires. Il répète à l’envie aux officiers qu’il croise que « c’est foutu » et « qu’il faut tout arrêter ». De Castries estime en termes assez durs : « Piroth, s’accusant d’ailleurs de tout, est devenu une loque. » Le lieutanat-colonel se suicide en se couchant sur une grenade (Cadeau, 2019, p. 627, note 22). Il sera temporairement remplacé par le lieutenant-colonel Allaire qui sera parachuté le 16.
Un obus de 105 mm endommage une unité sanitaire tuant 9 blessés. Une salle de radiographie adjacente est touchée par un autre obus (Rocolle, 1968, p. 305).
2 tentatives d’évacuation sanitaire par hélicoptère venu de Muong Saï échouent. Les appareils sont endommagés (Rocolle, 1968, p. 388).
15 mars 54 : A 5 h 30, De Castries ordonne une contre-attaque sur Gabrielle avec seulement 2 bataillons de parachutistes et 6 chars. Dès 8 h 00, cette tentative échoue (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 144). A 10 h 00, les parachutistes ne font que recueillir 4 officiers et 150 tirailleurs du 5e bataillon du 7e R.T.A. Le VM passe la journée autour de Gabrielle à enlever les blessés et les morts qui sont chiffrés à 2 000 (Pouget, 2024, p. 448). Selon le commandant De Mecquenem, les combats sur Gabrielle contre le 7e R.T.A. ont coûté cher au VM. Il évalue les pertes « à 1 500 tués et plusieurs milliers de blessés graves. » (Rocolle, 1968, pp. 393-394)
La perte du point d’appui Gabrielle (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, p. 319-320) au nord du camp rend la piste d’aviation presque totalement inutilisable (sauf de nuit). Désormais le ravitaillement en troupes et matériels ne se fera plus que par des parachutages de plus en plus aléatoires passant progressivement de 20 à 30 % de pertes dédiées à l’ennemi. Après la perte de Béatrice et Gabrielle, Navarre estime que « la couverture Nord et Nord-Est de notre dispositif a disparu, et [que] l’adversaire va pouvoir rapprocher son artillerie et sa D.C.A. Nos pertes sont lourdes, et nous avons dépensé une très importante partie de nos munitions. » (Navarre, 1956, p. 221) Il parle alors d’« une crise extrêmement grave. » (Navarre, 1956, p. 235). A 15 h 00, il envoie un message au gouvernement : « La situation est devenue très critique à Dien Bien Phu […] Il est certain que les attaques vont reprendre toutes les nuits prochaines […] D’accord avec le général Cogny, j’ai décidé de défendre Dien Bien Phu, en y engageant au besoin deux ou trois bataillons paras supplémentaires. La lutte sera sans aucun doute extrêmement dure, mais les pertes de l’ennemi sont certainement énormes et nous pouvons espérer qu’il sera usé avant nous. » En soirée, il envoie un nouveau message : « En fin de journée, le dispositif vietminh se resserre autour de l’ensemble constitué par les centre de résistance Claudine-Éliane-Dominique-Huguette et Anne-Marie. L’impression est que le Vietminh va tenter cette nuit-même peut-être un assaut général […] » (cité in Pouget, 2024, pp. 448-449)
Dans l’après-midi, les unités du VM se mettent en place au nord d’Anne-Marie et de Dominique 2. Ce dernier point d’appui est violemment bombardé à partir de 17 h 00.
Selon le commandant en chef, Cogny lui suggère « à demi-mots » au soir du 15 de relever De Castries. Navarre estime que les responsabilités sont partagées : le colonel De Langlais (responsable des réserves après la mort du lieutenant-colonel Gaucher) n’a su mener les contre-attaques nécessaires en temps voulu ; Cogny qui n’était pas « dans le bain » a failli par manque de préparation et en autorisant la trêve du 14 au matin voulue par Giap. Rétrospectivement, Navarre considère que « si la bataille de Dien Bien Phu avait pu être gagnée, ce fut dans les fatales journées des 14 et 15 mars que les chances disparurent. » (Navarre, 1979, pp. 344-345)
Giap salue la vaillance de ses troupes : « Ces victoires marquent la maturité manifeste de nos troupes et ouvre la voie à d’autres victoires. » Toutefois, il demeure prudent : « Nous devons étudier les enseignements de ces combats et éviter de tomber dans le subjectivisme en sous-estimant l’ennemi qui s’applique à renforcer Dien Bien Phu. Nous devons consolider et développer nos victoires et continuer à encercler l’ennemi à Dien Bien Phu afin de créer des conditions favorables à nos troupes [...] » (cité in Pouget, 2024, pp. 449-450) Il sera toutefois obligé de réitérer ces mesures de prudence le 17.
Selon Navarre, les nouvelles alarmantes du camp retranché n’entament ni l’optimisme coutumier (voir 13 février) ni l’aveuglement cocardier de Robert Guillain, correspondant du journal Le Monde, qui écrit de Hanoi : « En attaquant Dien Bien Phu, l’adversaire n’a-t-il pas commis une faute monumentale ? […] Le service de renseignement a fonctionné de manière excellente. L’adversaire a trahi ses projets par l’intensité et la hâte de ses préparatifs. Pour nos troupes, après trois mois d’attente, c’est la fin de l’inaction et le moral est magnifique. » (cité in Navarre, 1956, p. 241, note 1 ; non retrouvé dans les archives en ligne du journal à la date du 15 mars 1954)
Un projet nommé opération Condor (pensé dès décembre 1953) est dès lors remis à l’étude. Il prévoit d’envoyer des parachutistes dans la vallée de la Haute Nam Hou au Laos pour desserrer l’étreinte autour de Dien Bien Phu. La mobilisation de tous les avions sur le camp retranché en vue de son renforcement en troupes et le début catastrophique de la bataille feront avorter ce plan, tout comme toute tentative de sortie de la garnison du camp retranché qui est définitivement cernée. Une autre opération du même type prévue début mai, Albatros, avortera pour les mêmes raisons (Gras, 1979, pp. 558-559 ; Ély, 1964, pp. 94-95 ; Navarre, 1956, p. 246).
Arrivée à Hanoi à 21 h 15 du commissaire général Dejean qui repartira à Saigon le 18.
A partir de cette date, pour maintenir partout la pression, le VM continue à mèner des attaques de diversion sur la route coloniale entre Hanoï et Haïphong (Rocolle, 1968, pp. 331-332).
Seconde quinzaine de mars 54 : Le VM souffre temporairement d’une pénurie de munitions pour son artillerie (voir 21 mars) (Rocolle, 1968, pp. 325-326).
Nuit du 15 au 16 mars 54 : Un calme relatif règne. Le VM suspend ses attaques, sans doute par manque de munitions. Côté français, des signes de faiblesse apparaissent cependant au niveau du 3e bataillon de tirailleurs thaï sur Anne Marie située au nord de la piste d’atterrissage : la 12e compagnie compte nombre de désertions (Rocolle, 1968, p. 383).
16 mars 54 : Le 6e B.P.C. de Bigeard est parachuté, avec retard et de manière échelonnée du fait de la météo, au sud du camp retranché, au nord d’Isabelle. Ayant sauté avec une blessure, il boîte, se rend au centre de résistance et y demande une jeep pour rejoindre le P.C. de De Castries où l’ambiance est morose. Son premier contact avec le lieutenant-colonel Langlais est difficile, l’homme paraissant à cran (Bigeard, 1997, pp. 147-149).
Au lieu d’être envoyé immédiatement en contre-attaque, il est temporairement incorporé à la défense centrale du camp retranché (comme l’avait été le 8e B.P.C. sur ordre de Langlais, son responsable, voir 14 mars). Dans la crainte d’une attaque de la position centrale et ayant dépensé toutes ses réserves, De Castries et Langlais estiment devoir colmater le dispositif. De Castries ne dispose donc pas d’effectifs suffisants pour mener des contre-attaques puissantes en vue de reprendre conjointement Béatrice et Gabrielle. Cogny y renonce avec l’aval de Navarre (Navarre, 1979, p. 347). Bigeard et ses hommes rejoignent alors Éliane 4. Il y rencontre le commandant Botella (5e B.P.V.N.) qui a rejoint la position la veille et confie à l’arrivant : « Bruno, tu vas voir, c’est un beau bordel. Tu auras du mal à changer tout cela. » (cité in Bigeard, 1997, p. 149)
Un troisième bataillon avait été demandé par De Castries mais n’est pas été accordé par Cogny qui entend se constituer une réserve de 3 bataillons de parachutistes à Hanoi après avoir fait revenir du Laos 2 autres bataillons. Dans la réponse du 17, De Castries doit se contenter des 2 bataillons qui ont été récemment largués (Rocolle, 1968, p. 381, note 100).
Le député socialiste Christian Pineau, rapporteur à la commission des Finances de l’Assemblée nationale, évalue à 78,25 % la part américaine dans le financement global de la guerre (Ruscio, 1985, p. 210).
De Hanoi qu’il a rejoint la veille à 21 h 15, le commissaire général Dejean envoie à Marc Jacquet (États associés) un long télégramme. Il y analyse les conséquences diplomatiques d’un succès ou d’une défaite à Dien Bien Phu. C’est plutôt la deuxième hypothèse qui est retenue et Dejean donne au gouvernement les éléments de langage (« revers », « échec […] tout relatif ») à produire pour atténuer ce qui est en train de devenir de plus en plus probable au fil des jours : la reddition du camp retranché sera certes une défaite tactique mais une victoire stratégique puisque le Laos n’a pas été envahi par le VM et que ce dernier a subi des pertes considérables au cours des derniers combats (Rocolle, 1968, pp. 380-381). Il ajoute : « Nous savons de source sûre que l’intensification actuelle de la guerre – attaque de Dien Bien Phu et développement des opérations de grandes guérillas dans le nord et le sud Vietnam – a pour but d’agir sur la conférence de Genève. » (cité in Pouget, 2024, p. 452)
Navarre demande d’accélérer les études sur les possibilités de provoquer des pluies artificielles sur la R.P. 41 en utilisant des produits condensateurs. Un projet (assez nébuleux…) qui avait été validé par le commandant en chef avant le déclenchement de la bataille (Rocolle, 1968, p. 411, note 70).
Navarre, conscient du problème que posent les blessés à Dien Bien Phu (voir 24 mars) confronté aux différentes fins de non-recevoir du VM, reçoit le professeur Huard, président de la Croix Rouge internationale à Hanoi et doyen de la faculté de médecine. Connu pour ses idées généreuse et libérales, ce dernier est mal vu des ultras de la colonisation qui le soupçonnent d’entretenir des rapports avec ses anciens étudiants passés du côté du VM. Huard pense que Giap laissera partir les blessés s’il est sûr que les avions sanitaires ne transportent pas de ravitaillement pour le camp retranché. On convient de lancer sur les ondes un message en clair qui donnera cette assurance au VM. Les avions marqués d’une croix rouge atterriront à une heure convenue pour embarquer les blessés. Giap ne répondra jamais à ce message (Pouget, 2024, p. 316).
16 – 17 mars 54 : Nuit calme. Largage de 2 antennes médicales parachutistes. L’une est installée sur le rive est de la Nam Youm et l’autre sur Isabelle (Rocolle, 1968, p. 305).
17 mars 54 : Altercation entre le commandant Bigeard et le lieutenant-colonel Langlais (les 2 hommes ne s’apprécient guère depuis leur première rencontre en France, cf. Bigeard, 1997, p. 102). Ce dernier a convoqué le commandant de la 1ère compagnie de Bigeard à son P.C. pour l’envoyer « en reconnaissance ». Bigeard, furieux, se rend à son tour chez Langlais. et lui déclare : « Mon colonel, vous n’avez pas d’ordre à donner directement à mes unités. Je tiens à commander mon bataillon. Le général Cogny m’a prévenu qu’ici rien n’est fait sérieusement et j’ai bien l’intention que cela change. » Les deux hommes en viennent presqu’aux mains puis se réconcilient au moyen d’une boutade. Leurs relations seront par la suite cordiales et même amicales (Bigeard, 1997, p. 149).
Perte d’une partie d’Anne-Marie 1 et 2. 2 compagnies du 3e bataillon thaï, jugé comme un élément faible (Rocolle, 1968, pp. 330-331, note 209), contaminé par la propagande vm et démoralisé par la perte de Béatrice (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 319-320) puis de Gabrielle (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 319-320), abandonnent sous un faible bombardement en début d’après-midi une partie d’Anne-Marie 1 et 2 (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 315-316) située immédiatement au nord-ouest, aux abords même de la piste. Anne-Marie 3 et 4 (tenus par le 2e bataillon thaï devenu incertain) sont supprimées et rattachées au centre de résistance d’Huguette dont la mission est de couvrir seule la partie ouest du terrain d’aviation. Les tentatives de colmatage sur Anne-Marie 1 et 2 par le 5e B.P.V.N. et le 6e B.P.C. échouent. Avec la perte de Béatrice, la piste d’atterrissage du camp retranché est désormais sous le feu direct de l’artillerie et de la D.C.A. vm. Ni Navarre ni Cogny (commandant des forces terrestres du Tonkin) ne se rendront sur place pour opérer un redressement de situation alors que la piste est encore partiellement utilisable. De Castries et son état-major, qui multiplient depuis le début les erreurs et constatent des défaillances, se retrouvent seuls.
Le VM a atteint ses objectifs et peut commencer l’encerclement du centre du camp retranché par le nord au moyen d’un système de boyaux d’approche que l’aviation ne parvient pas à endiguer. Ses troupes devront cependant marquer une pause jusqu’au 30 au vu de leurs pertes et de l’état des stocks de munitions qui continuent à faire défaut (voir 21 mars). Les Français profitent de ce répit pour renforcer leurs positions.
Giap est obligé de calmer le jeu face aux impatients éblouis par les premières victoires. Il déclare ce jour à ses cadres réunis pour fixer de nouveaux et patients objectifs : « Certains signes montrent que des camarades n’ont pas bien encore assimilés les principes directeurs préconisés. D’aucuns voudraient lancer une offensive rapide, attaquer simultanément plusieurs positions, voudraient négliger les préparations et escamoter la troisième phase. D’autres s’attachent à ne pas renforcer et préserver nos forces afin de pouvoir combattre de façon ininterrompue, ce qui se voit à leur lenteur à reprendre en main les effectifs, à les réorganiser après chaque combat, au gaspillage des munitions, au peu d’importance qu’ils attachent au ramassage du butin de guerre. » Il entend resserrer l’étau autour du camp retranché et n’attaquer « qu’un seul point d’appui à la fois, et si les circonstances sont favorables deux ou trois, mais toujours avec la certitude d’une victoire certaine [...] » (cité in Rocolle, 1968, pp. 392-393)
Le premier avion C 47 marqué de la Croix Rouge doit renoncer à évacuer les blessés de Dien Bien Phu de jour du fait du bombardement de la piste d’atterrissage. Un second avion parvient cependant à atterrir. Seuls 32 blessés parviennent à être hissés à bord en toute hâte. Les différents messages lancés au VM pour pouvoir poser des avions sanitaires resteront sans réponse. D’autres tentatives ultérieures échoueront également (Lemaire, 2000, p. 59).
Suite à un accord passé la veille, restitution par le VM de 86 soldats français blessés du 7e R.T.A. à 600 mètres au nord d’Anne-Marie. Peut-être un moyen d’engorger les services sanitaires du camp retranché puisque les évacuations par avions sont proscrites (Rocolle, 1968, p. 388).
Cogny prévient Navarre du manque à prévoir de parachutes de grandes dimensions dont le stock sera épuisé le 20. La consommation journalière de petits parachutes sera par la suite en moyenne de 2 300 par jour grâce à un approvisionnement américain venu du Japon. A la fin de la bataille, il en aura été consommé 55 753 dont 820 de grande dimension (Rocolle, 1968, pp. 289-299).
Le colonel Nicot, responsable de l’aviation de transport, demande à ce que les avions de ravitaillement puissent demeurer à une altitude comprise entre 1 500 et 2 800 mètres pour être à l’abri des tirs de mitrailleuses lourdes et de D.C.A. (Rocolle, 1968, p. 299).
Nuit du 17 au 18 mars 54 : De Castries fait implanter de nouveaux points d’appui au nord et à l’est du noyau central du camp retranché. Par la suite, on corrige les défectuosités des ouvrages de campagne : création de tranchées pour relier les différents points d’appui, approfondissement et renforcement des ouvrages défensifs, minage. On fortifie le Mont Chauve (secteur de l’est, au sud d’Éliane) jusqu’alors inoccupé (Rocolle, 1968, pp. 399-400).
17 - 19 mars 54 : A Dien Bien Phu, 8 tentatives sont faites de jour par les Dakota sanitaires pour évacuer les blessés. Seulement 2 y parviendront. On tentera désormais d’évacuer les blessés uniquement de nuit. Selon une note du reporter photographe J. Péraud présent sur place et transmise à Hanoi : « […] Évacuation sanitaire du 17. Catastrophique sous tir V.M. Essai retenté le 18 à deux reprises, mais toujours sous tir V.M. bien que croix rouge apparente. Ambiance d’angoisse, de terreur même. Cris. Pleurs. Rush des blessés vers la porte. N’ai vu pareille chose depuis camps de concentration […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 387-388 ; Lemaire, 2000, p. 60).
18 mars 54 : Apparition des premières tranchées d’approche au sud-est, devant Éliane (Rocolle, 1968, p. 396). Une reconnaissance du 1er bataillon du 4e R.T.M. découvre et rebouche une tranchée d’approche à 1 kilomètre au sud d’Éliane 2.
Importants remaniements de certains points d’appui. Abandon d’Anne-Marie 1 et 2 situés trop au nord. Anne-Marie 3 et 4 passent sous le commandement du commandant Clémençon (1er bataillon du 2e R.E.I.) qui sont renommées Huguette 6 et 7. Un piton entre Dominique 1 et 2 est occupé par un élément du 5e B.P.V.N. et devient Dominique 6. Occupation d’un piton entre Éliane 1 et Dominique 2, il prend le nom de Dominique 5. Création d’un nouveau point d’appui en arrière d’Éliane 1 occupé par le 5e B.P.V.N. et prend le nom de d’Éliane 4 (Pouget, 2024, pp. 453-454).
Un obus de 105 touche une tente de triage tuant 15 blessés et un infirmier. On décide de faire renforcer les abris de l’antenne chirurgicale (Lemaire, 2000, p. 60).
Le commissaire général Dejean venu à Hanoi depuis le 15 au soir repart pour Saigon (Pouget, 2024, p 454).
Message à 14 h 30 de Navarre au gouvernement : « […] Je fais avertir le commandement vietminh que tous les jours les avions sanitaires marqués de croix rouges viendront chercher les blessés à une heure dont il sera averti. Un première tentative de ce genre aura lieu dimanche [21 mars]. » (cité in Pouget, 2024, p 454). Ce jour, un Dakota parvient à évacuer 23 blessés.
19 mars 54 : Apparition des premières tranchées d’approche au sud-est d’Éliane et au nord-est de Dominique. Les Français les comble (Rocolle, 1968, p. 396 ; Pouget, 2024, p. 455). Parachutage de Pierre Schoendorffer, cinéaste aux armées (Pouget, 2024, p. 455).
Suite à la rencontre du 16 entre Navarre et le professeur Huard (voir 16 mars) et bien que n’ayant jamais reçu un feu vert du VM, les Français font une tentative d’évacuation des blessés du camp retranché. A 14 h 00, 3 Dakotas se présentent à la verticale et ne reçoivent aucun tir de D.C.A. Un premier avion se pose et se dirige vers les ambulances. Il est alors pris sous le feu des tirs d’artillerie. Le pilote redécolle aussitôt, porte ouverte, n’ayant pu embarquer que 2 blessés. 4 hélicoptères venus de Muong Saï en embarquent une douzaine sans être visés. Les évacuations par avions n’auront désormais plus lieu que nuitamment (Pouget, 2024, pp. 316-317).
A la veille d’une supposée offensive du VM, Cogny envoie un message d’encouragement au camp retranché. Ce dernier est mal accueilli. Navarre écrit à De Castries : « A la veille (ou l’avant-veille) peut-être de la grande nuit, je tiens à vous dire toute mon affectueuse confiance. Je vous connais assez pour être sûr que tout ce qui pouvait être fait l’a été et que vous gagnerez. » (cité in Pouget, 2024, pp. 455-456)
Le général Ély, mandaté par le Conseil de guerre restreint du 11, arrive aux États-Unis. Il est reçu dans la soirée à Washington par l’amiral Radford pour un dîner où il rencontre le vice-président Nixon, Allan Dulles (directeur de la C.I.A.) et le général Ridgeway (chef d’état-major de l’armée de terre). Dans la nuit, Radford donne des ordres pour faire envoyer le matériel de parachutage réclamé par Navarre. Il est disposé à intervenir en Indochine et ne croit pas à une intervention chinoise (Rocolle, 1968, p. 413 ; Pouget, 2024, p. 456).
19 - 26 mars 54 : Le général Ély (chef d’état-major des forces armées) arrive à Washington alors que la situation à Dien Bien Phu empire de jour en jour (voir 13, 14 et 17 mars). Il a rencontré avant son départ Laniel (président du Conseil) et Pleven (Défense) qui entendent faire preuve de « fermeté devant les événements. » Son intention première est d’informer les Américains qu’une « solution militaire du conflit en Indochine était possible dans des délais raisonnables, de leur montrer que la nécessité d’une solution politique s’appuyant sur une situation militaire favorable nécessitait le développement accéléré de l’armée vietnamienne […] » Mais la position d’Ély évoluera au cours de sa visite du fait de la dégradation prononcée de la situation militaire à Dien Bien Phu. Il confie dans ses mémoires : « […] une solution militaire du conflit indochinois ne paraissait pas possible dans les conditions et à un prix raisonnable et […] il convenait de trouver une solution politique. » Dulles, peu favorable à cette solution depuis la conférence de Berlin (voir 25 janvier - 18 février) qui annonce celle de Genève, botte en touche (Ély, 1964, p. 65).
Ély rencontre tous les jours l’amiral Radford (chef d’état-major) et occasionnellement Eisenhower, Nixon (vice-président), Foster Dulles (secrétaire d’État), Wilson (secrétaire d’État à la Défense), le général Ridgeway (chef d’état-major de l’armée de terre). Leurs points de vue sont divergents, tant sur l’association des Américains aux décisions stratégiques françaises que sur la question de l’entraînement des troupes vietnamiennes. Le 25, date de leur dernière rencontre, seul Radford demeure favorable à une intervention américaine et fait espérer à Ély un appui aérien massif (prémices de l’opération Vautour). Il est soutenu en cela par le vice-président Nixon. Mais ces propos ne demeureront que des paroles et ne figureront pas, même à l’état de projet, dans le procès-verbal écrit de la rencontre rédigé le lendemain (voir 26 mars). La discussion entre Ély et Radford prend parfois un ton franc. Le Français reproche à l’administration américaine d’être « paperassière, lourde, inquisitrice » et estime que les Américains sont devenus « envahissants ». De son côté, l’Américain reproche aux Français leurs « lenteurs », leurs « réticences » et leur « indécision » (Ély, 1964, pp. 73-74). Des désaccords sont également évoqués au sujet de la formation de l’armée s-v : les Français sont opposés à toute intervention américaine qui remettrait en cause l’autorité de Navarre et empièterait sur leurs prérogatives en Indochine. Mais Ély s’illusionne et mesure mal le double obstacle que constituent le Congrès et Eisenhower, quoiqu’en dise Radford qui s’illusionne également sur ce point. Le Quai d’Orsay s’aveugle tout autant. Bidault (Affaires étrangères) ne veut toujours pas d’une internationalisation du conflit mais sans le dire clairement à Ély (De Folin, 1993, p. 248-249 ; Ély, 1964, p. 59-78).
Nuit du 19 au 20 mars 54 : 5 Dakotas parviennent à se poser et à embarquer 132 blessés durant le jour et la nuit (Pouget, 2024, p. 456).
Survol de Dien Bien Phu par le lieutenant-colonel Feuvrier du 3e bureau de l’état-major à Saigon. Il est accompagné du général Gambiez, chef d’état-major de Navarre. Leur Dakota P.C. est touché par la D.C.A. (Pouget, 2024, p. 457).
20 mars 54 : Alors que la veille la route était encore dégagée, des unités du VM donnent l’ordre aux populations civiles des villages de la cuvette entre le centre du camp et Isabelle d’évacuer leurs habitations en vue d’isoler le centre de résistance du sud (voir 22 mars) (Rocolle, 1968, p. 401).
En pleine bataille de Dien Bien Phu, les socialistes refusent de voter les crédits de guerre alors qu’ils s’étaient simplement abstenus le 9 avril 1952 (Ruscio, 1992, p. 111).
Le général Blanc (chef d’état-major de l’Armée de Terre) qui avait pourtant été très critique lors de la réunion du 10 février sur les chances du camp retranché écrit à Navarre : « […] Nous suivons ici, avec l’intérêt que vous pensez, les dramatiques événements de Dien Bien Phu. Je suis personnellement convaincu que la bataille se soldera par un succès défensif incontestable […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 339, note 235)
20 – 28 mars 54 : 18 avions cherchent à se poser sur la piste dont la surface a été réduite par les tirs d’artillerie. 13 réussissent. Le dernier est celui dans lequel se trouve Geneviève De Galard. Il ne peut repartir à cause d’une panne et sera détruit le 28 (Rocolle, 1968, p. 389).
21 mars 54 : Poursuite des travaux d’approche vers les Éliane, Dominique et Huguette. Le 6e B.P.C. est durement accroché à 500 m à l’est de Dominique 6.
15 évacuations sanitaires par hélicoptère. Jusqu’à cette date 165 blessés ont été évacués. Il en reste 105 à l’hôpital du camp retranché (Pouget, 2024, p. 457).
Navarre s’entretient à Hanoi avec le colonel Voinot qui doit prendre en charge l’artillerie à Dien Bien Phu. Il est le successeur désigné du lieutenant-colonel Piroth qui a mis fin à ses jours (voir nuit du 14 au 15 mars) (Pouget, 2024, p. 458).
Dans une lettre adressée au maréchal Juin, Navarre fait état d’informations obtenues par son 2e bureau : « Les Chinois leur ont livré une très grande quantité [d’obus] il y a quelques jours à la frontière : de quoi doubler ou presque les approvisionnements. » (cité in Rocolle, 1968, p. 393, note 5) Il précise à son interlocuteur : « Toujours est-il que l’attaque générale est possible toutes les nuits. Mais il n’est pas impossible non plus que le V.M. la retarde indéfiniment et que la lutte se transforme en une sorte de guerre de siège. » (cité in Rocolle, 1968, p. 408, note 58)
A Washington, Foster Dulles reçoit Ély et lui précise « que l’intervention américaine ne pourrait se situer que dans l’hypothèse d’une action aérienne chinoise en Indochine ». L’apparition dans le ciel d’avions inconnus peut entraîner une riposte américaine. Le 7e Flotte américaine se rapproche des côtes indochinoises (Pouget, 2024, p. 458).
Nuit du 21 au 22 mars 54 : Le VM opère la liaison entre les tranchées de l’est et de l’ouest entre le centre du camp retranché et Isabelle au niveau du village de Ban Kho Laï (Pouget, 2024, p. 320).
Repli des éléments français qui tenaient Dominique 6 (Pouget, 2024, p. 458). Le point d’appui sera cependant réoccupé le 24 par un élément du 5e B.P.V.N.
22 mars 54 : Une reconnaissance du 1er bataillon du 5e B.P.V.N. constate que les hauteurs d’Anne-Marie 1 et 2 sont tenues par le VM. De là, il peut tirer à vue directe sur Huguette 7 (Pouget, 2024, p. 459).
La liaison entre le centre du camp retranché et son point d’appui sud devient de plus en plus problématique (voir 20 mars). Le 1er B.E.P. avec l’appui de chars et de l’artillerie anéantit deux compagnies vietminh qui bloquaient la route par 2 tranchées entre le centre du camp et Isabelle au niveau du village de Ban Kho Laï. Après un violent combat qui a lieu jusque vers 16 h 00, les 2 unités vm sont anéanties (175 tués et seulement 9 prisonniers). Côté français, on déplore 15 tués et 72 blessés (dont le fils du général Gambiez) (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 321-322 ; Rocolle, 1968, pp. 401-402 ; Pouget, 2024, p. 459). Mais début avril le point d’appui Isabelle sera isolé et devra mener les combats de manière autonome.
A Saigon, le général Gambiez rencontre Navarre et lui demande de ne pas évacuer son fils qui vient d’être blessé dans l’attaque visant à débloquer Isabelle. Navarre refuse et télégraphie à De Castries : « Le sous-lieutenant Gambiez sera évacué à son tour. » (voir 23 mars) (Pouget, 2024, pp. 459-460).
Arrivée à Haïphong de 20 tonnes de parachutes américains et matériels divers qui faisaient cruellement défaut jusqu’alors (Pouget, 2024, p. 460).
Dans le sud-ouest du Delta, le VM poursuit ses attaques de diversion et de harcèlement qui obsèdent Cogny et l’incitent à redemander sans cesse des renforts à Navarre (voir 29 mars). Une embuscade détruit 31 véhicules militaires et 10 camions civils (Rocolle, 1968, p. 409).
Nuit du 22 au 23 mars 54 : Un Dakota se pose sous le feu de l’artillerie et parvient à évacuer 21 blessés (Pouget, 2024, p. 459).
23 mars 54 : Les C-119 américains de Chennault effectuent leurs premiers bombardements au napalm (Pouget, 2024, p. 460).
De Castries envoie à Cogny un rapport rédigé de la veille. Il manifeste ses craintes face à l’encerclement en cours : « Il ne faut pas exclure l’hypothèse où il [le VM] se contenterait de nous asphyxier complètement sans mener une attaque générale. » Il évoque ensuite la situation des blessés (leur multiplication) et ses pertes journalières : « Mes moyens et mes possibilités sont à peu de choses près les mêmes qu’au 18 mars, après achèvement de la première phase de la bataille, mais je crains qu’ils ne s’amenuisent, sans qu’en contrepartie la détermination de l’adversaire soit elle-même entamée […] A moins d’un fait nouveau, dont je ne puis préciser ni la nature, ni la forme, j’estime que cette situation ne peut aller qu’en se détériorant […] » (cité in Rocolle, 1968, pp. 400-401).
Le dernier hélicoptère qui évacuait les blessés est détruit sur Isabelle en voulant trop s’approcher de l’antenne chirurgicale alors que des zones d’atterrissage avaient été prévues ailleurs. L’appareil est pris par des tirs d’artillerie. Était à bord le fils du général Gambiez qui finira ses jours carbonisé dans l’appareil (Navarre, 1956, p. 224 ; Lemaire, 2000, p. 60 ; Rocolle, 1968, pp. 389-390 ; Pouget, 2024, p. 461). Cette destruction marque la fin des évacuations diurnes par hélicoptères qui avaient réussi jusqu’alors à emporter une centaine de blessés.
A Hanoi, le colonel Sauvagnac (commandant l’état-major des troupes aéroportées) se penche à nouveau sur un projet qui s’apparente à celui de l’opération Xénophon en vue d’une intervention aéroportée risquée et hasardeuse visant à libérer le camp retranché par le sud (voir 31 décembre 1953). La situation ne nécessitant pas pour l’instant ce type d’intervention, cette étude sera revue et corrigée le 29 (Rocolle, 1968, p. 410).
A Saigon, arrivée de Paris du colonel Buffin. Navarre demande au gouvernement l’autorisation d’adresser à Giap une demande concernant l’évacuation des blessés « conformément aux lois de la guerre généralement admises ». Il propose de faire contrôler ces évacuations « par un délégué de la Croix-Rouge internationale agréé par les deux parties. » (Pouget, 2024, p. 461)
Le secrétaire d’État Dulles transmet un mémorandum à Eisenhower, faisant suite à une rencontre avec Ély lors de son voyage aux U.S.A., Il y écrit : « […] J’ai toutefois jugé opportun de rappeler à nos amis français que si les États-Unis déléguaient leur pavillon et leurs propres forces armées – dans la guerre d’Indochine, alors le prestige des États-Unis serait engagé à un point où il nous faudrait obtenir la victoire. Nous ne pouvions pas nous permettre de mettre en jeu le prestige des États-Unis et de subir une défaite qui aurait des répercussions mondiales […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 445, note 163)
24 mars 54 : L’élément de protection de la piste d’atterrissage (1er bataillon du 2e R.E.I.) au nord est accroché. A l’ouest, le commandant d’Huguette 6 découvre une tranchée vm à 50 m de ses barbelés. Il lui faut effectuer une sortie pour combler ce boyau d’approche. Apparition également des premières tranchées d’approche devant Huguette 7 (Rocolle, 1968, p. 396). Les Français peinent à contrer cet encerclement progressif du camp par l’est et l’ouest malgré des opérations locales décevantes menées les 24, 25 et 27 mars pour tenter de détruire les boyaux d’approche. D’autre part, les tirs d’artillerie et l’intervention de l’aviation s’avèrent être assez inefficaces pour contrer leur progression qui, elle, s’accomplit chaque nuit.
Un Dakota parvient à se poser mais il est pris à partie par l’artillerie. Le pilote et le mécanicien sont blessés. Un seul blessé est emporté. Le 5e B.P.V.N. remet en place un élément sur Dominique 6. Le 6e B.P.C. est accroché pour rejoindre Isabelle. Un char est détruit. Bombardement massif au napalm des positions supposées d’artillerie par les C-119 du général Chennault (Pouget, 2024, p. 462).
Cogny envoie à De Castries une directive où se trouvent énumérées les motifs d’espérer une issue favorable à la bataille et lui prescrit des procédés tactiques pour résister à l’ennemi (Rocolle, 1968, p. 408).
De Castries informe Navarre par une longue lettre. Il constate que les tranchées d’approche du VM ont peu progressé à l’est et au nord-est mais qu’il n’en est pas de même à l’ouest. Les prisonniers et les habitants des villages évoquent une attaque générale pour la fin du mois. Il précise : « De notre côté : mes unités sont d’inégale valeur, c’est le défaut de mon groupement formé de bric-à-brac. » Il constate une certaine remontée du moral tout en constatant : « Mais – j’en arrive au gros point noir – il va redégringoler rapidement s’il n’est pas trouvé rapidement un procédé d’évacuation des blessés. Chaque jour nous coûte une dizaine de tués et une quarantaine de blessés. » Il évoque le remplacement de Keller (chef d’état-major du G.O.N.O.) : « Keller avait flotté mais s’était bien repris. Il n’a pas démérité, je le précise, l’épreuve était sévère. » Il sera remplacé par le lieutenant-colonel Ducruix (Pouget, 2024, pp. 462-463). Au final, le lieutenant-colonel Keller parvient à monter à bord d’un avion pour rejoindre Hanoi.
Nuit du 24 au 25 mars 54 : Assez grande activité du VM durant la nuit : « Toutes nos sonnettes au nord et au nord-est ont été touchées. » A 2 h 00, sabotage à l’explosif du centre de la piste d’atterrissage qui est réparée par le Génie. A l’aube, un Dakota parvient à se poser et enlever 21 blessés (Pouget, 2024, p. 464).
25 mars 54 : A Dien Bien Phu, arrivée d’Hanoi du capitaine Bizard qui rejoint le 5e B.P.V.N. sur Éliane 4. « Il trouve le colonel Langlais nerveux, le commandant Botella furieux contre Hanoi. Il estime que la position est défendable et que la partie n’est pas perdue. Le moral est plutôt bon. » (Pouget, 2024, p. 464).
A Hanoi, arrivée à 15 h 30 de Navarre qui dîne chez le gouverneur du N-V avec Bao Daï (Pouget, 2024, p. 465).
A Paris, Protestation du gouvernement français dans un message adressé à la Croix-Rouge contre les attaques touchant les avions et hélicoptères sanitaires (Pouget, 2024, p. 465).
L’Humanité dénonce un asservissement national français face aux Américains : « Que la France soit affaiblie, épuisée, sans défense devant les ambitions de l’impérialisme américain et aux pieds même de son allié numéro un en Europe, l’impérialisme allemand renaissant, voilà un objectif – et ceux qui ne pensent pas comme nous peuvent dire au moins une conséquence – guerre d’Indochine […] La France gêne. Parce que son peuple n’est pas mûr […] pour accepter la guerre antisoviétique, le réarmement revanchard allemand, la soumission nationale. Et la guerre d’Indochine est aussi un des moyens de se débarrasser de la France. » (cité in Ruscio, 1985, pp. 359-360)
Au cours d’un C.N.S., le secrétaire d’État Dulles déclare : « Nous assistons à l’effondrement ou à la dissolution de la France comme grande puissance dans la majorité des parties du monde, en particulier dans les régions colonisées. » Dulles se demande : « Comment combler ce vide ? » Et d’y répondre : « On doit s’atteler à cette tâche. La décision à ce sujet est l’une des plus importante que les États-Unis aient jamais prises depuis longtemps [...] Nous devons élaborer une politique proprement américaine si la France s’effondre. Nous pourrions perdre l’Europe, l’Asie et l’Afrique tout d’un coup si nous ne faisions pas attention. » Et d’observer que « la grande question [qui] se pose [est] de savoir qui doit remplir le vide laissé par l’écroulement de la puissance française. Les communistes ou les États-Unis ? » (cité in David, 2007, p. 11)
Nuit du 25 au 26 mars 54 : « Vive activité du Vietminh au cours de la nuit. Les sonnettes du 5e B.P.V.N. sur Dominique 6 et du 1/2 R.T.M. sur le Mont Chauve, ont dû se replier. Ces positions sont réoccupées au matin. Un Dakota réussit à se poser et à enlever 6 blessés. » (Pouget, 2024, p. 465).
26 mars 54 : A Dien Bien Phu, dès 6 h 00, Bigeard, qui a pris la tête des 6e et 8e B.P.C. (commandants Bigeard et Tourret) et du 1er bataillon du 2e régiment de la Légion étrangère (commandant Guiraud, en réserve), attaque à l’ouest les positions où le VM a installé sa D.C.A. (secteur Ban Pan, Bong Ong Pet) avec environ 2 000 hommes. Ces postions sont défendues par des éléments de la division 308 et des unités chargées de défendre les canons et mitrailleuses antiaériens. L’opération, montée la veille et la nuit en toute hâte, dispose de gros moyens : puissant appui de l’artillerie, chars (venant à la rescousse d’Isabelle) et aviation à partir de 9 h 00. Les violents combats se poursuivront jusqu’à 15 h 00, heure à laquelle les Français décrochent. Pour une fois, l’opération réussit : 5 canons de 20 mm et 12 mitrailleuses lourdes de 12,7 mm sont détruits. Les pertes françaises sont de 25 tués et 70 blessés. Celles du VM sont de 350 tués et une cinquantaine de blessés (Rocolle, 1968, pp. 402-404 ; Bigeard, 1997, pp. 154-159). Cette opération qui remonte le moral de la base aéroterrestre.
Intervention du dernier avion pour l’évacuation des blessés sur la piste de Dien Bien Phu (Navarre, 1956, p. 224). La piste est désormais totalement impraticable dans le sens des départs.
A Hanoi, Les officiers sortant de l’École de cadres prêtent serment de fidélité à Bao Daï. Ce dernier quitte la ville à 14 h 30 (Pouget, 2024, p. 465).
Lettre de Navarre à Ély. Après avoir constaté la piètre tenue « des bataillons T.D.K.Q. [Trung Doan Kuin Quan] lorsqu’ils ne sont pas chez eux », il ajoute : « Il est certain que, si sceptique que j’ai été quand M. Pleven me demandait mon avis sur les possibilités des Vietnamiens de nous relever dans un délai rapide, je surévaluais encore ces possibilités. Ils sont incapables de faire quoi que ce soit avant plusieurs années […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 412, note 72). L’un des volets important du « plan Navarre » prend donc l’eau…
Navarre écrit à De Castries qui est étonné que, depuis le 23 mars, aucun hélicoptère sanitaire ne se soit posé : « Je comprends votre inquiétude […] Je vais tout faire […] Mais il ne faut pas se dissimuler que c’est très difficile […] Il n’est pas certain non plus que le haut-commandement VM, au quel j’ai demandé l’autorisation de m’adresser, accepte un accord sur les évacuations. Je sais que c’est très dur, mais c’est une chose qu’il faut regarder en face. Cela ne soit pas conduire ni éveiller dans leur esprit l’idée de rendre la place. Keller [ancien chef d’état-major du G.O.N.O. rentré à Hanoi] me dit que certains (des aumôniers notamment) envisagent cette chose. Il faut couper court à de telles pensées, au besoin en étant très dur. » (cité in Pouget, 2024, p. 466)
A 18 h 30, Jacquet télégraphie à Navarre : « Avec l’autorisation expresse du président du Conseil, je vous autorise à lancer ce message [à Giap au sujet de l’évacuation des blessés, voir 18 mars). » (Pouget, 2024, p. 466)
A Washington, un procès-verbal est signé entre Radford et Ély à l’issue de la venue de ce dernier aux U.S.A. Il ne révèle aucun engagement américain précis, n’évoquant même pas la situation à Dien Bien Phu. Tout se focalise pour les Américains sur une éventuelle intervention chinoise. S’ils n’interviennent pas directement, les Américains ne bougeront pas. La poursuite de malentendus entre les deux hommes continue (De Folin, 1993, p. 249). Déçu, Ély ne mentionnera d’ailleurs ce procès-verbal que d’une phrase laconique dans ses mémoires (Ély, 1964, p. 77). Retour d’Ély à Paris.
Nuit du 26 au 27 mars 54 : 2 Dakota parviennent à évacuer 29 blessés (Pouget, 2024, p. 467).
27 mars 54 : Un tout dernier avion se pose de jour sur la piste principale de Dien Bien Phu. Il ne repart pas et est détruit par les tirs de 105 (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 144). Un hélicoptère qui tente d’évacuer les blessés de Dien Bien Phu nuitamment s’écrase tuant ses 5 occupants. Désormais plus aucun blessé ne sortira du camp retranché (Lemaire, 2000, p. 60). Bidault (Affaires étrangères) informe le C.I.C.R. de cette situation et Navarre, avec l’autorisation de Laniel (voir 26 mars), lance un appel par radio à Giap demandant à ce que les hélicoptères et les avions sanitaires soient épargnés. Il propose qu’un contrôle puisse être effectué par une personnalité neutre admise par les 2 parties. Il n’obtiendra là encore aucune réponse (Rocolle, 1968, p. 450 ; Pouget, 2024, p. 317). En fait Giap est prêt à restituer sur place des blessés au camp retranché sachant que ceux-ci l’affaiblissent encore un peu plus mais il demeurera jusqu’au bout totalement intransigeant sur les évacuations.
Les généraux d’aviation Bodet et Lauzin accompagnent Navarre à la base aérienne de Cat Bi à Haïphong pour une inspection. Un violent échange se produit entre le lieutenant-colonel Brunet du G.A.T.A.C. Nord et le lieutenant de vaisseau Le Breton qui commande la flottille de Privateers de l’aéronavale : les équipages de la Marine ont volé en mars en moyenne entre 90 et 100 heures par mois là où les équipages de l’Armée de l’Air n’ont volé que 30 heures (Pouget, 2024, p 467). Les témoignages de combattants de Dien Bien Phu confirmeront le manque d’implication du G.A.T.A.C. Nord.
Ély, de retour des U.S.A., se rend à Matignon et y rencontre Bidault (Affaires étrangères) et quelques autres ministres. On discute de la potentielle opération Vautour qui constituerait une véritable intervention américaine dans le conflit indochinois. Tous conviennent que la menace d’intervention chinoise est faible. Celle des Américains l’est donc tout autant. On décide d’envoyer le colonel Brohon (adjoint d’Ély) en Indochine pour évoquer cette question avec Navarre (voir 4 avril) (Ély, 1964, p. 85). Selon les mémoires du président du Conseil (qui commet une erreur de chronologie en mentionnant cette rencontre le 4 avril), Ély lui confie : « Mon impression bien nette est que l’intervention des avions lourds américains peut être obtenue si le gouvernement français le lui demande pour un bombardement qui permettrait d’écraser, par un tir sur zone, le terrain formant l’anneau d’investissement de Dien Bien Phu, où se trouve actuellement concentrée la plus grande partie des forces du Vietminh en personnel et matériel. » (Laniel, 1957, pp. 83-84) Affirmation très optimiste qui sera d’ailleurs minimisée dans les mémoires du général (Ély, 1964, pp. 82-83).
Giap convoque ses cadres en vue de fixer les objectifs de la deuxième attaque du camp retranché : « […] Anéantir la totalité du secteur Est, occuper la totalité des hauteurs de l’Est, les transformer en positions d’attaque, d’où nous pourrons menacer le secteur de Muong Thanh [Claudine et Huguette, à l’ouest] » (cité in Rocolle, 1968, p. 399) Selon le commandant en chef des forces du VM, l’attaque de la partie Est du camp retranché doit être pensée « […] autrement que les attaques antérieures contre des positions fortifiées. Elle suppose le déclanchement d’une offensive simultanée contre tous les points d’appui de l’écran défensif de l’Est, d’une offensive indirecte contre la position centrale. L’artillerie doit être répartie sur plusieurs objectifs et ne peut être concentrée sur un seul comme dans le cas de Béatrice, où nos effectifs étaient aussi d’une supériorité écrasante par rapport à ceux de l’ennemi. D’autre part, Éliane 2 une fois conquis, le garder n’est pas aussi facile que pour des positions isolées, car les autres points d’appui du système défensif Est peuvent le pilonner pour anéantir l’assaillant et tenter de le reprendre […] »
Selon Giap, ce que les Français appelleront « la bataille des cinq collines » (comportant Dominique 1 et 2, Éliane 1, 2 et 4) doit donc être envisagée comme une bataille longue, difficile, nocturne mais aussi diurne (donc avec appui de l’aviation), assurément plus complexe à mettre en œuvre que les attaques rapides et nocturnes qui avaient permis la conquête des précédentes collines. 5 régiments doivent être engagés dans cette seconde offensive : la division 312 attaquera les 3 points d’appui de Dominique avec 2 régiments (141e et 209e) ; la division 316 prendra en charge Éliane 1 et 2 avec 2 régiments (98e et 174e) ; 1 régiment est prévu en renfort (le 102e de la 308e division) pour prendre Dominique 5 et Éliane 1. L’attaque est fixée au 30.
Côté français, Dominique est tenu au nord par le 3e bataillon du 3e R.T.A. et au sud, Éliane, par 1 bataillon du 4e R.T.M. Ces 2 bataillons peuvent être considérés comme peu fiables, incomplets en effectif et mal encadrés par des officiers qui ne connaissent pas la psychologie des tirailleurs. Les 2 bataillons de tirailleurs ont assisté aux pertes successives de Béatrice et Gabrielle. Le dispositif défensif (voir 30 mars) a été cependant remanié grâce aux renforts des 5e B.P.V.N. et 6e B.C.P. qui ont été placés près de la Nam Youn pour contre-attaquer si nécessaire (Rocolle, 1968, pp. 416-418).
Giap, conscient du nombre important de blessés occasionnés par les prises de Béatrice et Gabrielle, convoque le professeur Thon That Tung, directeur de l’école de médecine du VM, pour en faire son conseiller médical. Ce dernier arrive dans les 3 jours et se rend immédiatement dans les formations sanitaires proches du champ de bataille, installées à l’est du camp retranché où travaillent 6 médecins qui doivent gérer 700 blessés (Rocolle, 1968, p. 394).
28 mars 54 : A Dien Bien Phu, Bigeard (6e B.P.C.) et deux autres bataillons de parachutistes (8e Choc et 1er B.E.P.) détruisent des positions de D.C.A. à l’ouest du camp (secteur de Bang Ong Pet et Ban Nam Bo) situées en terrain plat. Les combats ont dû être menés au corps à corps. Plus de 400 soldats n-v périssent et 20 prisonniers sont faits. Les pertes françaises s’élèvent à 20 tués et 85 blessés (Pouget, 2024, p. 468) Une relative et éphémère confiance renaît à nouveau côté français. Elle ne sera que de courte durée.
Débarquement à Dien Bien Phu de Geneviève De Galard au moyen d’un avion sanitaire qui, en partie endommagé, ne pourra repartir (Lemaire, 2000, p. 67, note 30). Selon Pouget, « à 5 h 45, le commandant Blanchet pose son Dakota sur la piste. En virant au sol, il s’empêtre dans les barbelés et l’appareil est immobilisé. L’I.P.S.A. de service s’appelle Geneviève De Galard ; elle rejoint le médecin commandant Gauwin à l’infirmerie. » L’avion qui a pu être réparé qu’en utilisant un leurre avec un autre avion fracassé sera quand même à nouveau endommagé en fin d’après-midi et ne pourra repartir (Pouget, 2024, pp. 468-469).
D’Hanoi, après réception de l’autorisation gouvernementale, Navarre transmet à Giap le message concernant l’évacuation des blessés. Navarre quitte ensuite Hanoi pour Saigon.
Un fonds commun de 5 millions de dollars, financé par l’U.R.S.S. et les démocraties populaires, est mis à la disposition de la R.D.V.N. (Fall, 1960, p. 119).
Nuit du 28 au 29 mars 54 : 2 Dakota sont obligés de rebrousser chemin du fait des conditions météorologiques (Pouget, 2024, p. 469).
29 mars 54 : Poursuite des travaux d’approche du VM autour d’Huguette 7 à l’ouest, Dominique 1 et 2, Éliane 1 et 2 à l’est. Les villages de Ban Keo et Ban Long Ton ont été évacués au nord-ouest d’Huguette 7. Le Mont Chauve est abandonné la nuit et réoccupé le jour. Le sous-secteur nord a disparu avec la perte totale ou partielle de Gabrielle et Anne-Marie. Langlais ne commande plus que le sous-secteur du centre. A l’est, Éliane et Dominique sont occupés par le 3e bataillon du 3e R.T.A., le 1er bataillon du 4e R.T.M. et le 2e bataillon thaï, soutenus par le 5e B.P.V.N. (Botella) et le 6e B.P.C. (Bigeard) (Pouget, 2024, p. 469).
Signe de dégradation des relations entre les 2 hommes (voir nuit du 30 au 31 mars), Navarre répond à Cogny qui ne cesse de lui demander des renforts pour le Delta : « Je ne puis vous répéter ce que je vous ai dit à maintes reprises : nous sommes engagés dans une bataille générale dans laquelle j’ai le devoir absolu de répartir mes forces entre mes grands subordonnés en fonction de la mission que je leur ai donné et dont je suis le seul juge […] » Il reproche à son interlocuteur l’insuffisance de la préparation de la défense de Dien Bien Phu puis conclut son courrier d’un ton péremptoire : « Je vous demande en conclusion de bien vouloir vous rappeler :
- D’une part que, faisant partie d’une équipe, vous devez avoir constamment à l’esprit – et imposer à vos collaborateurs d’avoir à l’esprit – que votre rôle et le leur s’intègrent dans un tout.
- D’autre part, que votre commandement et, par voie de conséquence, la zone d’activité de vos collaborateurs s’étend à tout le Tonkin et que le delta peut dans certaines circonstances perdre momentanément la première place dans les préoccupations. » (cité in Rocolle, 1968, p. 409)
Après avoir écarté son projet de 23, le colonel Sauvagnac (commandant de l’état-major des troupes aéroportées) fournit une nouvelle étude visant à porter aide au camp retranché en cas de nécessité urgente. Cette opération aéroportée viserait le col des Méo sur la R.P. 41 en vue de couper l’axe d’approvisionnement du VM vers Dien Bien Phu. Si l’opération réussissait, les troupes se dirigeraient ensuite sur la base logistique de Tuan Giao qui jusqu’alors n’a été et n’est guère atteinte par les bombardements aériens insuffisants et dispersés (Rocolle, 1968, p. 410) Ce projet pourtant judicieux demeurera dans les cartons, faute de moyens…
Bao Daï qui n’entend pas lâcher le pouvoir crée un cabinet de guerre restreint avec certains membres du gouvernement et le général Nguyen Van Hin, chef d’état-major de l’armée nationale. Son intention est de lutter contre le communisme mais aussi d’adopter une certaine forme d’hostilité à l’égard des négociations de paix en vue à Genève (Gras, 1979, pp. 542-543). Les Vietnamiens n’ont d’ailleurs été que tardivement informés par les Français de l’existence de cette conférence.
Foster Dulles dénonce dans un discours à l’Oversas Press Club à New-York l’action directe chinoise dans la bataille de Dien Bien Phu (présence d’un général et d’officiers chinois au Q.G. vietminh). Cette intervention vise sans doute à préparer l’opinion publique américaine à l’annonce d’une éventuelle intervention de l’aviation des U.S.A. à Dien Bien Phu. Selon Ély, les Français déploreront cette annonce car ils veulent ménager la diplomatie chinoise en vue de la conférence de Genève (Ély, 1964, pp. 86-88). Il est question dans ce discours d’une « action commune dans l’Asie du Sud-Est » mais qui demeurera, dans les faits, un simple vœu pieu (Chauvel, 1973, p. 44 ; extrait de ce discours cité in Rocolle, 1968, pp. 413-414).
Réunion du Comité de guerre restreint en présence de Laniel (président du conseil), Reynaud (vice-président du Conseil), Bidault (Affaires étrangères), Pleven (Défense), De Chevigné (secrétaire d’État à la Défense), Jacquet (États associés), Gavini et Christiaens. Côté militaire sont présents les généraux Ély (chef d’état-major des forces armées, de retour des U.S.A.), Blanc (chef d’état-major de l’Armée de Terre), Fay (chef d’état-major de l’Armée de l’Air), Crépin et l’amiral Nomy. On discute des aspects stratégiques et diplomatiques de ce que potentionnellement peut devenir l’opération Vautour, avec cette fois une implication directe des U.S.A. dans le conflit indochinois par le biais de raids d’aviation massifs autour de Dien Bien Phu. On écarte le risque d’une riposte chinoise qui paraît peu probable. Ecore faut-il en informer Navarre. On décide de missionner auprès de lui le colonel d’aviation Brohon qui avait accompagné Ély aux États-Unis (Devillers, Lacouture, 1969, pp. 88-89).
30 mars 54 : Quelques heures avant la seconde attaque du VM, le lieutenant-colonel Langlais inspecte les positions françaises. Selon Rocolle, alors que les mémoires de Langlais demeurent chronologiquement vagues sur ce point, cette inspection a lieu le 30. L’officier supérieur constate la fragilité de la défense de certains points d’appui et tente d’y remédier au mieux. Sur Dominique 1, occupé par une simple compagnie de tirailleurs, Langlais le renforce par une compagnie du 5e B.P.V.N. Il constate que Dominique 2 est défendu par des effectifs suffisants mais peu fiables du 3e R.T.A. A l’est, entre Dominique 2 et Éliane 1, il observe qu’il existe un intervalle de plusieurs centaines de mètres occupé par une seule compagnie thaïe peu fiable. La situation est plus rassurante sur Éliane 2. Plus généralement, après les défections qui se sont produites sur Gabrielle (voir nuit du 14 au 15 mars), se pose au commandement du camp retranché un problème de confiance et de cohésion au niveau des troupes coloniales quant à leur capacité à affronter le second choc qui s’annonce. L’intervention de Langlais est tardive, le jeu des relèves ne sera pas totalement accompli au moment du déclenchement de la préparation d’artillerie (Rocolle, 1968, pp. 418-420).
Lancement de la deuxième vague d’assaut contre Dien Bien Phu à 17 h 30 (cartes in Tertrais, 2004, p. 28 ; Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. XXV) communément dénommée « bataille des cinq collines ». Giap, épaulé par le général chinois Ly Cheng Hou, prend lui-même les opérations en main et supplantera désormais Hoang Van Thaï dans la conduite de la bataille. Il engage ses meilleures divisions, la 308 et la 316 à l’est, la 312 à l’ouest. Les 5 points d’appui défendant le centre du camp sont visés tant à l’est (Dominique, Éliane, Mont Chauve) qu’à l’ouest (Huguette). Le rapport de force est inégal : 12 000 assaillants contre seulement 2 000 défenseurs sur Dominique 1 et 2, Éliane 1, 2 et 4 et Huguette à l’ouest. Les combats sur Éliane 2 vont être les plus acharnés. Ils dureront 107 heures : le 174e régiment (division 316) est décimé et sera relevé par le 102e régiment (division 308) au soir du 31.
Les premières pluies de la mousson font leur apparition sur la zone de combat. Elles compliquent la tâche des Français mais également celle des Vietnamiens pour approvisionner le champ de bataille et aménager leurs réseaux de tranchées d’approche. Du fait des conditions météorologiques, l’aviation ne peut intervenir dans l’immédiat.
Navarre quitte Saigon pour rejoindre Hanoi du fait des récents événements.
Départ de Paris du colonel d’aviation Brohon pour Saigon où il doit rencontrer Navarre pour échanger avec lui l’éventualité sur l’opération Vautour évoquée lors du conseil de guerre restreint du 29 mars (Rocolle, 1968, p. 415).
Nuit du 30 au 31 mars 54 : Sur Dominique 1 et 2, sous la violence des tirs d’artillerie, le 3e bataillon du 3e R.T.A. abandonnent les points d’appui et se rendent. Dominique 2 et 5 sont conquis en une heure et demie. Dominique 3 tient dans un premier temps car son artillerie qui avait reçu un ordre de repli le refuse et produit un tir direct sur les assaillants. Contrairement aux premiers assauts sur Béatrice et Gabrielle, De Castries donne l’ordre de contre-attaquer immédiatement. Éliane 1 est rapidement conquis mais une contre-attaque du 5e B.P.V.N. stoppe la progression du 174e régiment de la 308. Le 6e B.P.C. de Bigeard contre-attaque sur Éliane 4 qui est repris au matin. Le Mont Chauve et Dominique 6, tenus de façon intermittente par des éléments légers qui avaient ordre de se replier en cas d’attaque, ont subi le premier assaut et sont rapidement tombés.
Parti de Saigon à 21 h 00, Navarre arrive à Hanoi vers 1 heure 15 du matin. Il se rend auprès du général Bodet, commandant en chef adjoint des forces interarmées, nommé à Hanoi par Navarre dès que les frictions entre le commandant en chef et Cogny se sont révélées (voir 20 novembre 1953). Ce dernier l’informe des derniers messages et de la gravité de la situation à Dien Bien Phu : De Castries a télégraphié : « La situation sera difficile à rétablir sans renfort extérieurs. Ferai l’impossible. » (cité in Pouget, 2024, p. 474) Navarre n’est pas accueilli par Cogny. Ce dernier n’est pas à son bureau. Son chef d’état-major dit qu’il est fatigué et est allé se reposer. Selon certains témoignages concordants, il a disposé de sa soirée le 30. Navarre le fait réveiller à 5 h 00 mais il demeure absent. Il ne réapparaît à son état-major que vers 8 h 30. Vive altercation entre Cogny et son supérieur. Ce dernier prévient Cogny qu’il se débarrassera de lui dès après la bataille en cours. Selon Navarre, seuls les entourages proches des 2 hommes sont mis au courant de ce grave différent (Navarre, 1979, pp. 348-349). En fait, les choses en resteront là (voir 28 avril) mais les tensions ne feront que s’amplifier entre les 2 hommes.
Dans l’attente du renfort éminent du 1er R.C.P., De Castries fait opérer des contre-attaques de nuit pour reprendre les positions perdues et fait lancer un bataillon pour prendre à revers Éliane 2. Les résultats sont mitigés : le lieutenant-colonel Lalande doit se replier avec une cinquantaine de blessés et un char endommagé (Rocolle, 1968, p. 429).
31 mars 54 : Giap a déclenché la veille une offensive générale à l’est mais qu’il devra stopper le 6 avril du fait de l’importance de ses pertes. Dominique 1 et 2 (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 317-318) et Éliane 1 (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 318-319) sont reprises par des contre-attaques françaises mais, faute de relève, ne peuvent les tenir durablement.
Côté français, décision est prise de parachuter au plus vite sur le camp retranché le 2e bataillon du 1er R.C.P. du commandant Bréchignac dont la réputation n’est plus à faire (Rocolle, 1968, p. 429). Mais il arrivera trop tard pour relever les unités d’assaut.
De Castries charge Bigeard de reprendre Éliane 1 et Dominique 2 avec tous les éléments parachutistes qui n’ont pas été encore engagés. Ces positions sont reprises en début et milieu d’après-midi mais encore faut-il pouvoir les tenir sur un terrain complètement bouleversé. Pour ce faire, il faudrait relever les unités qui les ont conquises. Or le 1er R.C.P. n’est toujours pas arrivé et ne sera finalement parachuté que la nuit suivante. Bigeard doit faire replier les hommes du 8e B.C.P. de Dominique 2. Sur Éliane 1, le 5e B.P.V.N. tient jusqu’à 18 h 00 mais doit également se replier sous la poussée des contre-attaques du régiment 174 de la division 308 (Rocolle, 1968, p. 429-431). Langlais envisage un moment d’évacuer la rive est de la Nam Youn. De Castries refuse. Un parachutage de munitions par C-119 à haute altitude avec parachute à retardement tourne à la catastrophe : 50 % des munitions tombent en zone ennemie.
Un message intercepté du VM à cette date précise : « La Conférence de Genève, qui est la manifestation de l’affaiblissement du moral de l’adversaire et de son dégoût de la guerre, est un succès pour le Vietminh. Aussi, tandis que la partie américaine cherche à saboter la conférence, le Vietminh doit-il la soutenir et chercher à répandre le désir de la paix dans les rangs adverses. Pour parvenir à ce but, il faut, en exploitant les succès militaires et la situation politique confuse en France, chercher à démoraliser l’ennemi et c’est pourquoi il est nécessaire d’ouvrir une campagne de propagande et de déclencher une offensive politique de grande envergure. » (cité in Navarre, 1979, p. 389)
Nuit du 31 mars au 1er avril 54 : Giap doit revoir ses prévisions face à la résistance des Français du 31. Il limite ses attaques. Sont visés Huguette 7 et Éliane 2. Il lance des assauts qui sont repoussés dans un premier temps sur Huguette 7 qui protège directement la piste à l’ouest. Cette position stratégique, rasée par l’artillerie, est momentanément perdue mais est reprise au matin du 1er. Au sud-est, le VM attaque Éliane 2 tenu par des troupes éprouvées (1er bataillon du 4e R.T.M. et des supplétifs du 1er bataillon du 2e R.E.I.). La position tient grâce à l’envoi de 3 chars qui sont neutralisés mais continuent à tirer un temps. Au matin du 1er, les 2 positions ont tenu en infligeant de lourdes pertes aux assaillants (Rocolle, 1968, pp. 431-432).
A 0 h 30 arrive à Hanoi un télégramme de De Castries qui demande qu’on lui parachute au plus tôt le bataillon de renfort du 1er R.C.P. (Rocolle, 1968, p. 427).
Fin mars 54 : En zone Atlante (Hauts Plateaux d’Annam), les forces franco-vietnamiennes s’emparent de Qui Hon.