1er mars 53 : Juin visite « le béton » (ligne défensive) de De Lattre dans la région d’Hanoi (voir 6 février 1951). Il produit à l’issue de sa visite un rapport dans lequel il écrit : « La chute du Haut Laos aurait sur le plan politique des répercussions incalculables. » Selon lui, sa perte pourrait entraîner des infiltrations du VM en Thaïlande (au régime vacillant), le Cambodge serait pris à revers et toute la pacification de la Cochinchine remise en cause (Navarre, 1979, p. 275, note 1).
2 mars 53 : Suite aux pressions soviétiques et chinoises, les communistes n-v lancent le premier acte du « Décret de Classification de la Population » qui permet de « distinguer les compatriotes les uns des autres, de séparer les amis des ennemis, de faire l’unité, et, enfin, de diriger la lutte dans le sens que l’on désire. » Ce décret comporte une série de règles aussi systématiques qu’obscures qui sont censées permettre classer la population n-v en 5 catégories allant du « grand propriétaire terrien » à « l’ouvrier agricole ». Issue du modèle chinois maoïste initié le 28 juin 1950 (Domenach, 1992, pp. 69-73), c’est sur la base de cette classification que va être lancée la réforme agraire en décembre et la redistribution des terres qui se poursuivra avec ses dérives jusqu’en 1956 : procès par les « Tribunaux populaires de la Réforme agraire » avec leur lot d’exécutions touchant ceux considérés comme des nantis et qui avaient soutenu la cause nationaliste (Fall, 1967, p. 183). Cette réforme s’avèrera être un échec cuisant, critiquée, mais trop tardivement par HCM (voir 17 août 1956).
Le maréchal Juin se rend au Laos, à Ventiane, mais refuse d’aller rencontrer Sisivang Vong à Louang Prabang. Puis il se rend à Phnom Penh chez Sihanouk.
4 mars 53 : Juin rencontre à nouveau Bao Daï à Ban Me Thuot mais cette fois sans Salan. De retour, il déclare à ce dernier : « Au lieu de chasser, il ferait mieux de prendre la tête de son armée. » Avant le départ de Juin, Salan note que cette visite-marathon n’a pas vraiment servi les différents interlocuteurs du maréchal qui évoquent en priorité la Corée, la Communauté européenne de défense ou ses inquiétudes marocaines… Et Salan de noter : « Tous ont été déçus, car ces questions sont tellement loin de leurs préoccupations ! Peu de mots sur le combat qu’ils mènent avec tant de foi et d’ardeur, sur cette bataille qui les usent physiquement et pour laquelle ils ne sent pas le pays derrière eux. » Le maréchal s’en prend même à la tactique de Salan : « Nous sommes enkystés, et je ne vous le reproche pas. Mais cette guerre doit se faire avec des groupes mobiles. » En fait, comme le constate amèrement Salan, Juin ne comprend pas grand-chose aux réalités indochinoises, ce qu’il avait d’ailleurs avoué lui-même à De Lattre… (Salan 2, 1971, pp. 380-381).
5 mars 53 : Mort de Staline. Khrouchtchev prend sa succession. La disparition de Staline amorce une certaine détente dans les relations Est-Ouest.
Sihanouk en résidence en France à La Napoule depuis fin janvier envoie un long mémorandum au président de la République Vincent Auriol. Il y fait un point sur la situation au Cambodge et conclut que seule l’indépendance complète de son pays pourrait redresser l’extrême gravité de la situation. Selon lui, trois cinquièmes du royaume sont entre les mains des rebelles issaraks et pro-vietminhs. Le peuple cambodgien est de plus en plus sensible à leur propagande. Il dénonce la répression française qui ne fait qu’aggraver la situation (voir 25 mars) (Cambacérès, 2013, p. 86 ; Tong, 1972, pp. 47-48).
13 mars 53 : Début de l’opération du VM sur le Haut Laos. Les Vietnamiens envoient une partie de la 304e division et 8 bataillons issus des 308e, 312e, et 316e divisions (Goscha, 2003, pp. 43-44).
17 mars 53 : Réunion à Anh Son (province de Nghe An) des cadres lao-viet en vue de l’attaque de (Laos). Les conseillers chinois l’approuvent (Giap 2, 2004, pp. 292-293).
18 mars 53 : Seconde lettre de Sihanouk adressée à Vincent Auriol (voir 5 mars). Selon son auteur, la situation empire au Cambodge. La seule voie pour sortir de l’impasse est « celle qui serait ouverte en me laissant le commandement du pays et en me confiant effectivement, les principales responsabilités. Le problème militaire doit être résolu en premier et dépasse tous les autres en importance et le moindre retard apporté dans son règlement risque de précipiter la déliquescence des forces vives du royaume qui s’étend déjà avec une rapidité inquiétante. » (cité in Tong, 1972, pp. 48-49). Suite à ces échanges, Sihanouk sera reçu par Auriol le 25.
19 mars 53 : Salan reçoit le général américain Clark à Saigon. Il est le commandant des forces des Nations Unies en Corée et des forces américaines d’Extrême-Orient en résidence à Tokyo. Visites protocolaires durant lesquelles il rencontre Bao Daï. Salan ne le connaît pas personnellement mais a eu des contacts fréquents avec lui.
20 mars 53 : Après parachutage d’une compagnie du 3e R.P.C. le 19, seuls 300 hommes venus de Sam Neua parviennent à rejoindre la plaine des Jarres au Laos. Ils sont recueillis par les maquis méos. Salan doit rendre des comptes à Paris qui ne comprend pas cet abandon pourtant validé au préalable, selon Salan, par Juin et Letourneau en février (Salan 2, 1971, p. 388).
Salan a un entretien avec Clark (ambassadeur des États-Unis) sur la situation en Indochine. Nouvelles visites protocolaires avec visite d’une école de formation des cadres de l’armée vietnamienne à Thu Duc.
Nuit du 21 au 22 mars 53 : Les 308e et 312e divisions vm quittent leur base de Phu To et de Moc Chau. Pour réduire les précédents problèmes logistiques, elles n’emmènent en tête que les troupes combattantes, le reste devant se charger du ravitaillement (Giap 2, 2004, pp. 292-293).
22 mars 53 : Nouvelle rencontre Salan-Clark, à Hanoi cette fois. Présentation à Nam Dinh d’un G.M. vietnamien puis visite d’un camp de prisonniers vietminh. L’Américain constate qu’ils sont bien traités.
23 mars 53 : Salan informe Clark de ses projets d’offensive sur le Laos et de l’importance de l’aide que la Chine apporte au VM. Il réitère des demandes en matériel (avions de transport de grande capacité pour ravitailler les populations méos amies). Clark lui affirme que « ce combat nous est commun » et qu’il appuiera ses demandes auprès de son pays (Salan 2, 1971, pp. 383-384).
Eisenhower reçoit une délégation française à bord de l’USS Williamburg. Côté américain sont présents le secrétaire d’État Dulles, l’ambassadeur aux Nations Unies Cabot Lodge et des membres du département d’État chargés de l’Europe. Côté français sont présents le président du Conseil René Mayer, Georges Bidault (Affaires étrangères) et Jean Letourneau (États associés). Eisenhower déclare : « Les États-Unis sont tout à fait favorablement disposés envers la France et ont essayé de lui apporter secours. Il est clair que pour nous qu’elle [la guerre d’Indochine] fait partie de la lutte contre le communisme dans le monde entier et qu’elle n’a pas seulement comme but de maintenir le colonialisme. » (cité in Wainstock, Miller, 2019, p. 164)
25 mars 53 : Sihanouk, Penn Nouth (premier ministre) et le prince Monireth (haut-commissaire du Cambodge) sont reçus par Vincent Auriol. Selon Sihanouk, la situation s’est aggravée du fait des actions des Khmers Issara (voir 18 mars) qui veulent une indépendance totale, sans la présence des Français. Sihanouk plaide pour un compromis : « L’indépendance complète est souhaitée par ma nation, mais je compte l’obtenir tout en consolidant la base de notre collaboration. Si, par exemple, la souveraineté cambodgienne est reconnue en ce qui concerne l’armée, le commandement en serait confié au roi, mais le roi ne travaillerait pas ; il n’y aurait qu’un changement de principe, les officiers français seraient toujours en place. Les nationalistes demandent l’indépendance sans les Français, nous la demandons avec les Français. » Auriol ne lâche rien et propose de « créer un comité de guerre présidé par V[otre] M[ajesté] avec, à vos côtés, le général commandant les troupes françaises. » (Auriol 7, 2003, pp. 82-85) Selon Burchett, ce que l’on demande à Sihanouk, c’est de rentrer au plus vite au Cambodge, sans avoir rien obtenu des Français (voir 5 avril) (Burchett, 1970, p. 31). Sihanouk, déçu par cet entretien, se retire à Fontainebleau et laisse à son premier ministre Penn Nouth, le soin de poursuivre les discussions avec le gouvernement français (Cambacérès, 2013, pp. 86-87).
28 mars 53 : Le Comité d’étude et d’action pour le règlement pacifique de la guerre du Vietnam (voir décembre 1952) organise un meeting à la Mutualité (Ruscio, 1985, p. 305).
Fin mars 53 : Les Français lancent l’opération Hautes-Alpes avec 4 G.M. dans la zone des Évêchés. 18 nouveaux postes sont installés dans la région de Phat Diem et sur le tronçon de Ghenh à Ninh Binh sur la R.C. 1.