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par Jean-François Jagielski

Mars 1947

Mars 47 : Campagne du parti communiste français contre l’engagement en Indochine après le renvoi de ses ministres (campagne dénommée « Paix au Vietnam »).

Courant mars, le général Leclerc adresse une lettre à Émile Bollaert avant son départ pour l’Indochine : « Encore une fois, monsieur le haut-commissaire, traitez… traitez… traitez… à tout prix ! » (Gras, 1979, p. 172)

Au Laos, le prince Souphanouvong prêche une lutte « jusqu’à libération complète du sol lao ». Il lance une offensive générale qui est un véritable fiasco militaire. Nombre de ses partisans l’abandonnent. Influencé par son épouse, « une « passionaria » vietnamienne », selon Gras, il rallie le VM au scandale des Lao-Issara puis se retire au nord du Siam puis encore en Birmanie avec quelques dizaines de fidèles (Gras, 1979, p. 233).

Le VM inaugure un nouveau front vers le Laos (Tay Tien, la « Marche vers l’ouest ») en vue d’aider ses alliés communistes qui se trouvent vers Sam Neua. Giap recommande à ses troupes de ne surtout pas arriver en conquérants et de ménager les populations lao (Giap 1, 2003, pp. 64-65).

Un tiers de l’électorat communiste français estime que les responsabilités du déclenchement de la guerre sont purement françaises (seuls 6 % accusent les Vietnamiens) (Ruscio, 1985, p. 165).

Un sondage portant sur la responsabilité des « troubles en Indochine » est publié. Les responsabilités sont vietnamiennes à 18 % pour l’ensemble des sondés (28 % de l’électorat du M.R.P., 6 % pour les communistes). Les responsabilités françaises sont de 15 % pour l’ensemble des sondés (6 % pour l’électorat du M.R.P., 35 % pour les communistes) (Dalloz, 1996, p. 108, note 7)

Émile Bollaert, futur haut-commissaire, constitue son cabinet : directeur de cabinet Pierre Messmer, chef de cabinet l’actuel sous-préfet Jacques Gandouin, chef d’état-major particulier le colonel Louis Le Pulloch ; ses conseillers seront Paul Mus (directeur de l’École Nationale de la France d’Outre-mer), Lucien Vochel, Xavier de Christen et Didier Michel. Désirant asseoir son action sur de bases solides, Émile Bollaert ne veut pas rejoindre son poste avant d’assister aux débats parlementaires des 11, 14, 18 et 20 mars 1947 consacrés à la situation en Indochine et d’avoir reçu des instructions claires du gouvernement.


1er mars 47 : Nouvel entretien Ramadier-D’Argenlieu. Revenant sur le mémorandum du 14 janvier de l’amiral où il était stipulé que le gouvernement français ne traiterait plus avec « le gouvernement d’Ho Chi Minh », Ramadier lui signifie clairement son désaccord sur ce point. Le président du Conseil fait observer un deuxième point de divergence portant sur la suppression du Comité interministériel de l’Indochine, potentiellement remplacé par une commission interministérielle. Pour l’instant, rien n’est acté mais D’Argenlieu, qui ne veut pas tomber sous la coupe du seul Moutet, y est opposé. Ramadier revient alors sur le contenu du mémorandum et demande à D’Argenlieu s’il s’y tient. Réponse affirmative de l’intéressé. Cette réponse implique pour Ramadier que le haut-commissaire ne puisse retourner en Indochine (D’Argenlieu, 1985, pp. 404-405). La rupture est définitivement consommée entre les deux hommes. D’Argenlieu est remercié.


2 mars 47 : Au Tonkin, occupation par les Français de Moncay. Deux colonnes parties de Dinh Lap et Hongay progressent jusque Haïduong. Cette reconquête permet aux charbonnages de Hongay de pouvoir reprendre leur activité interrompue par les événements de décembre 1946.

Offensive française motorisée lancée à partir de Hanoi selon deux axes. Le premier vers le nord-ouest (Hadong) et le second dans la même direction vers Dan Phuong. Elle vise des postes de commandement du VM qui ont été découverts. L’utilisation de tanks et de véhicules pose problème au VM de par leur rapidité et leur puissance de feu. Ce dernier ne dispose au cours de cet engagement  que de deux armes antichars qui viennent tout juste d’être mises au point (Giap 1, 2003, pp. 81-82).

Pour la première fois, les troupes du VM utilisent avec succès un bazooka de fabrication artisanale contre un blindé français utilisé dans une opération de nettoyage située dans la région de Chuong My-Quoc Oai (Giap 1, 2003, p. 229).


3 mars 47 : Un décret gouvernemental confère au futur haut-commissaire Émile Bollaert (ancien préfet, radical-socialiste) les pouvoirs civil et militaire, comme sous la gouvernance de D’Argenlieu, pour une durée renouvelable de six mois (Bodin, 2004, p. 141). Messmer, ancien secrétaire du Comité interministériel d’Indochine récemment déchu (voir 9 janvier), devient son chef de cabinet. Selon Messmer, « […] il veut la paix, il en veut aussi les moyens et il semble aussi avoir assez de poids politique pour imposer, le moment venu, sa décision. » Messmer, connaissant de par ses anciennes fonctions le manque de clarté des directives gouvernementales, lui conseille toutefois « de réclamer des instructions écrites au gouvernement, ce qu’il fait. » (Messmer, 1992, p. 181)


4 mars 47 : Visite de Moutet à D’Argenlieu. Pour ce dernier : « Je n’ai jamais vu un ministre si mal à l’aise. Il n’a pas à mon endroit la conscience nette […] » (D’Argenlieu, 1985, p. 405).


5 mars 47 : Au cours d’un conseil des ministres qui a lieu à 17 h 00, le communiste Maurice Thorez (vice-président du Conseil) intervient. Il affirme la nécessité d’entamer tôt ou tard des négociations. Il n’est pas opposé à une présence française en Indochine dans le cadre de l’Union française. Ramadier (président du Conseil) estime que la France a eu raison de réagir et d’envoyer des renforts. Mais tout cela ne peut avoir lieu que dans un temps limité. Il préconise une nouvelle politique plus ouverte qui suppose l’éviction actée de D’Argenlieu.

Le conseil des ministres acte définitivement le départ de d’Argenlieu des postes de haut-commissaire et commandant en chef. Ramadier et Moutet ont préalablement saisi une offre de démission que D’Argenlieu avait vaguement formulée dans un courrier adressé à Vincent Auriol (voir 6 février). Lors du conseil, on affirme que « le caractère et la personnalité de l’amiral ne permettent pas de penser qu’il puisse mener à bien sa mission […] Malgré son sens élevé du devoir, il n’a pas appliqué fidèlement la politique du gouvernement [mais] celle d’autrefois ». D’Argenlieu est donc remercié. Leclerc (voir 12 janvier et 26 février) puis Juin (voir 17 février) ont tous deux décliné l’offre de reprendre son poste. Les dissensions entre les partis politiques (socialistes, communistes, M.R.P.) formant la coalition gouvernementale étant trop fortes, notamment sur la question de fixer les buts de guerre et de fournir les moyens humains pour mener le combat en Indochine. Il est prévu par le gouvernement un bref retour de D’Argenlieu pour une passation de pouvoir avec Bollaert (sur une demande de D’Argenlieu, voir 27 février). Le haut-commissaire évincé analyse cette concession comme minimale : « L’on a cru bien faire, en s’inspirant un peu de mes suggestions à Ramadier, mais un peu seulement […] » Il n’apprendra au final sa destitution que par voie de presse. Ce qui alimente encore un peu plus sa rancœur (D’Argenlieu, 1985, p. 405-406). Selon des propos qui seront rapportés ultérieurement à l’amiral, « […] au Conseil des ministres du 5, le président Ramadier a dit n’avoir rien de sérieux à reprocher à la politique de l’amiral D’Argenlieu, mais que ce dernier avait été l’objet de violentes attaques, persistantes, et qu’il était obligé d’en tenir compte. Nulle voix ne l’a contredit. » (D’Argenlieu, 1985, p. 407) Ce que rapporte D’Argenlieu dans ses mémoires est partiellement inexact. Certes Jules Moch a émis des doutes sur l’opportunité de changer de chef en plein combat mais il a proposé que Valluy assure un intérim plus long. Connaissant les positions fermes du commandant en chef lors des événements de décembre 1946, Ramadier s’est opposé catégoriquement à cette proposition (Turpin, 2005, p. 327).

Après la défection de Leclerc et Juin, Emile Bollaert est nommé haut-commissaire de France en Indochine (initialement pour 6 mois renouvelables, voir 3 mars, en fait jusqu’au  15 septembre 1948 mais le demeurera jusqu’au 20 octobre 1948). Contrairement à D’Argenlieu, il n’est pas militaire et ne peut donc avoir la fonction de commandant en chef du C.E.F.E.O. qui est à nouveau confiée au général Valluy (voir 10 février) puis le sera, par intérim, au général Salan. Toutefois, c’est le haut-commissaire qui a la responsabilité des attributions civiles et militaires (voir 3 mai). Il est issu du groupe radical-socialiste, parti de tous les compromis qui n’appartient pas à la coalition gouvernementale si divisée sur la question de l’Indochine. Il n’a aucune expérience asiatique et prend ses fonctions dans une situation d’impasse totale. Mais il semble plus ouvert et, ancien préfet, surtout plus docile, que son prédécesseur et c’est ce qu’on lui demande.

La question indochinoise est abordée dès le premier conseil des ministres dans le strict cadre de la constitution de 1946 (voir 8 novembre 1946). Il faut créer et concrétiser les concepts d’Union française, d’États associés à la République française, « gardienne de la sécurité générale ». Bollaert a pour mission de rechercher au Vietnam des hommes « de toutes les familles politiques et spirituelles » (y compris dans le VM !) qui acceptent de négocier avec la France. L’action militaire vise au « rétablissement et maintien de l’ordre », à lutter contre la menace terroriste, d’assurer la libre circulation des personnes et des biens. Vaste programme plus rhétorique que réaliste pour un pays déchiré comme le Vietnam…

Bollaert recevra, comme il l’a demandé dès sa nomination, des instructions écrites signées mais d’un gouvernement hétéroclite et divisé : Ramadier (président du Conseil, S.F.I.O.), de Moutet (Outre-mer, S.F.I.O.), de Gouin (S.F.I.O.), de Thorez (communiste, qui quittera le gouvernement le 4 mai), de Delbos (radical) et de Teitgen (vice-président, M.R.P.). Selon Messmer, le ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault (M.R.P.), ne signe pas ces instructions… (Messmer, 1992, pp. 181-182).


6 mars 47 : Un convoi de 200 véhicules français reliant Hanoi à Nam Dinh est attaqué sur la R.C. 1 barrée à plusieurs endroits. Il vise à libérer la ville qui subit un siège depuis 83 jours (Giap 1, 2003, p. 64).

D’Argenlieu écrit à Ramadier (sans préciser dans ses mémoires ce qu’il lui dit vraiment, voir 7 mars). Par contre, il analyse son éviction dans ses mémoires en y mettant tout le poids de sa rancœur : « […] je constate que l’on s’est écarté sur des points graves de mes suggestions. Mon successeur n’est pas « choisi » mais « désigné » et « nommé ». Il n’y a pas place pour deux : « l’ancien » et le « nouveau » à Saigon. La coutume éprouvée veut que ce soit un intérimaire qui passe la suite au nouveau titulaire. Manifestement le gouvernement voudrait me présenter comme « consentant » et noyer ainsi le poisson. Or la vérité est autre, ils veulent m’éliminer d’Indochine et s’y sont pris sournoisement. Le truc de la démission n’ayant pas réussi, ils ont cherché autre chose […] » (D’Argenlieu, 1985, p. 406).

Giap écrit une seconde instruction intitulée « De la nécessité de passer à la guérilla de mouvement ». Elle est pressante et s’adresse aux chefs de chaque zone de guerre et commandants de régiments afin qu’ils ne poursuivent pas les batailles rangées où le VM est en nette infériorité matérielle. Il faut attaquer les positions faibles de l’ennemi, pratiquer une guerre de mouvement mais se replier rapidement avant qu’il ne réagisse avec ses blindés  (Giap 1, 2003, p. 82-83). Dans une note envoyée aux chefs de zone, il déplore par ailleurs l’indigence des services de renseignement (citée in Bodinier, 1989, pp. 359-363)

Les communistes français, en vue d’un débat à l’assemblée nationale sur le vote des crédits militaires, se réunissent en bureau politique et décident de ne pas les voter (Ruscio, 1985, p. 171).


7 mars 47 : Nouvel et dernier entretien Ramadier-D’Argenlieu. Selon l’amiral, Ramadier « paraît un peu gêné et froid ». Il dit à son interlocuteur être étonné de la teneur de sa lettre du 6 au sujet de la décision gouvernementale qui lui avait été notifiée oralement. L’amiral lui répond que sa « surprise » vient d’avoir appris la chose par voie de presse, sans même en avoir été informé personnellement. D’Argenlieu informe Ramadier qu’il ne peut y avoir qu’un seul haut-commissaire en Indochine, ce qui signifie qu’il ne participera pas à la passation de pouvoir prévue par le gouvernement (voir 5 mars). D’Argenlieu remet alors son dernier rapport (rapport cité in D’Argenlieu, 1985, pp. 449-454). Ramadier promet de le lire et de revoir le haut-commissaire. Cette rencontre n’aura en fait jamais lieu. Ramadier doit pourtant lui remettre la médaille militaire, pour bons et loyaux services… (D’Argenlieu, 1985, pp. 406-407)

Le décret nommant Émile Bollaert au poste de haut-commissaire en Indochine paraît au J.O. (Turpin, 2005, p. 327).


8 mars 47 : Au total, côté français, les opérations de pacification depuis le 19 décembre 1946 ont entraîné 1 300 tués et disparus et 25 000 blessés (Gras, 1979, p. 172, note 1).


11 mars 47 : Au Tonkin, les troupes françaises parties le 9 d’Hanoi débloquent la garnison de Nam Dinh, troisième ville du Tonkin, encerclée depuis deux mois et demi (Gras, 1979, p. 181). Cette libération se produit après 83 jours d’un siège qui a commencé le 19 décembre 1946. La garnison qui a résisté durant tout ce temps sera relevée le 21 (Salan 2, 1971, p. 50).


12 mars 47 : La R.D.V.N. promulgue un premier code du travail (mesures de travail obligatoire). Du fait de la situation de conflit, il sera très peu appliqué (Fall, 1960, p. 304).


11, 14, 18 et 20 mars 47 : A Paris, débats parlementaires consacrés à la situation en Indochine. Les discussions sont passionnées et même houleuses. La droite est offensive et réclame l’engagement solennel du gouvernement de ne pas négocier avec HCM. Les communistes ont décidé depuis le 6 de ne pas voter les crédits militaires. La presse, jusque-là silencieuse, se focalise sur le Vietnam.


12 mars 47 : Truman assure du soutien américain tous les pays qui résisteront « partout dans le monde » au communisme. L’offre plan du plan Marshall concrétisera cette annonce dès le 5 juin (Pedroncini, 1992, p. 323).


13 mars 1947 : Émile Bollaert constitue son cabinet : directeur de cabinet : Pierre Messmer, chef de cabinet ; Jacques Gandouin ; colonel Louis Le Pulloch, chef d’état-major particulier ; conseillers, Paul Mus (ancien directeur de l’Ecole Nationale de la France d’Outre-mer, favorable à la négociation avec le VM), Lucien Vochel, Xavier de Christen, Didier Michel (ennemi d’HCM). Ce cabinet reflète les divisions des partis politiques français sur la question indochinoise. Selon Messmer, Bollaert, qui entend assister aux débats parlementaires du moment, n’arrivera à Saigon que le 1er avril (Messmer, 1992, p. 182). Il prendra officiellement ses fonctions de haut-commissaire le 14 avril.

De plus, le nouveau haut-commissaire va être confronté d’entrée aux deux courants du nationalisme vietnamien : le VM et une nébuleuse de mouvements nationalistes composites et minoritaires (partis, ligues, groupes, groupuscules, sectes…) qui ne s’entendent pas. Or le VM, se considérant comme le seul représentant légitime, empêche par ses actions violentes toute expression démocratique souhaitée par le gouvernement français.

A l’Assemblée nationale, Ramadier doit faire face à un vif débat « sur ce qu’est le Vietminh ». Le député Paul Reynaud s’en prend à l’un des conseillers d’HCM qui avait participé à la conférence de Fontainebleau, Duong Bach Mai, présent ce jour dans le public. Il est arrêté. À droite, il devient un prétexte pour ne pas chercher à négocier avec le VM (Chaffard, 1969, pp. 104-118 ; Ruscio, 1985, p. 171).


17 mars 47 : Nguyen Binh (commandant militaire du Comité du Nam Bo), craignant le ralliement de la secte Hoa Hao aux Français (voir 8 janvier), attire Huynh Phu So, le « bonze fou », ancien commissaire spécial du Comité exécutif du Nam Bo, dans un guet-apens et le fera juger puis exécuter (voir 20 mai) (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, p. 491 ; Bodinier, 1989, p. 467). S’ensuit des affrontements violents et, au final, un ralliement de la secte aux Français (voir 18 mai) (Gras, 1979, p. 180).


18 mars 47 : Du 18 au 21 mars a lieu un grand débat à l’Assemblée nationale. Déclaration du président du Conseil Paul Ramadier : « Ce n’est pas par la force que nous règleront le problème de l’Indochine. Il n’y a de solutions que des solutions politiques. » Il ne se déclare pas défavorable à la réunion des trois Ky : « Nous ne voyons aucun inconvénient à l’union des trois pays annamites, mais à condition qu’elle ne se fasse pas à l’avantage exclusif de l’un d’entre eux […] » (Devillers, 2010, p. 188). Il rappelle la position de la France par rapport à l’Indochine : « Indépendance dans le cadre de l’Union française » mais se garde bien de déclarer vouloir reprendre toute négociation avec HCM pour ne pas heurter la droite (texte de sa déclaration cité in Devillers, 1952, pp. 378-379).


19 mars 47 : Le parti communiste français rend publique une résolution « réaffirmant l’entière nécessité de cesser les hostilités en Indochine, de reprendre les pourparlers avec le gouvernement vietnamien et Ho Chi Minh sur la base de l’accord du 6 mars 1946, de respecter l’indépendance et l’unité de la république démocratique du Vietnam dans le cadre de la Fédération indochinoise et de l’Union française. » (Giap 1, 2003, p. 97)

L’attitude de la plupart des membres du comité central du P.C.F. est à la fermeté. Selon Waldeck Rochet, « il faut accepter la rupture. Elle est opportune [...] Le moment est venu de se raidir, d’être plus ferme. » Et ce d’autant plus que les militants et les électeurs vont accueillir cette décision  comme « un réel soulagement » (Ruscio, 1985, p. 171-172). On dénonce dans L’Humanité du 20 le risque d’une intervention américaine en Indochine : « Le développement de la guerre en Indochine impliquerait le recours prochain de la France  à l’aide militaire et financière de l’étranger, c’est-à-dire à l’aliénation de notre indépendance nationale. » (cité in Ruscio, 1985, p. 358). Maurice Thorez (vice-président du Conseil) pose, lors de la clôture de cette cession du comité central du P.C.F., la question suivante : « Comment porter tout cela [divergences sur le Vietnam entre les communistes et les autres partis]  devant les masses ? » Il répond : « Brochures. Meetings. Série de comptes rendus dans la région parisienne. Donner indications à nos députés. Donner à plein dans le drame. Appuyer manifestations syndicales. U.F.F. [Union des Femmes françaises], U.R.J.F. [Union républicaine de la Jeunesse française], France-Vietnam doivent donner. » (cité in Ruscio, 1985, p. 165) L’Humanité édite un numéro spécial consacré au Vietnam ce même jour. La machine de propagande du P.C.F. est enclenchée. Elle annonce une rupture prochaine d’avec le gouvernement.

Le 19 au soir, la décision du P.C.F. est connue de tous, le groupe parlementaire s’abstiendra de voter les crédits de guerre : ils sont votés à 421 voix contre 0. Fall voit dans ce geste la poursuite d’une ancienne attitude du P.C.F. qui viserait à favoriser une volonté de l’U.R.S.S. de ne pas heurter une France longtemps et toujours pressentie comme une potentielle alliée (voir 25 septembre 1945). Les choses sont assurément moins assurées en mars 1947. Toutefois, pour appuyer sa thèse, Fall cite l’historien François Goguel qui écrit : « Il est clair que l’attitude conciliante des communistes français en mars [1947] sur la question de l’Indochine était due à leur désir de rester dans le gouvernement aussi longtemps que possible afin de pouvoir influencer la politique étrangère française en un sens favorable aux vues soviétiques. Mais vers la fin d’avril […] la conférence de Moscou se termina  par une rupture entre cette dernière et les puissances anglo-saxonnes. » (cité in Fall, 1960, p. 117).


20 mars 47 : Le VM attaque Ha Dong (proche Hanoi, au sud-ouest) mais commet l’erreur de vouloir éliminer totalement la garnison française solidement retranchée. Les pertes vietnamiennes en cadres et en armes sont importantes. Giap se rend compte qu’il ne peut engager que de petites unités du fait de la faible puissance de feu de son armée (Giap 1, 2003, p. 84).

Lors d’un conseil national de la S.F.I.O., en pleine crise provoquée par le refus des communistes de voter les crédits militaires, Léon Boutbien affirme (pour l’instant, car sa position évoluera nettement par la suite…) qu’il est nécessaire de négocier avec HCM. Il est applaudi. Or Ramadier et Moutet s’opposent à cette hypothèse. Guy Mollet, secrétaire général, lance un appel pathétique pour préserver l’unité du parti mise à mal. Une motion défendue par Gaston Deferre donne raison à Moutet et marque finalement la durable rupture des socialistes avec HCM (Ruscio, 1985, pp. 154-155).

Jacques Duclos, député communiste, déclare à l’Assemblée nationale : « La poursuite d’une politique de force contre le Vietnam nous conduirait à la catastrophe. » Cette phrase deviendra la une de L’Humanité du 21 (Ruscio, 1985, p. 163).


21 mars 47 : HCM répond au discours de Ramadier du 18 et se déclare prêt à négocier sur les ondes  de La Voix du Vietnam : « Encore une fois, nous déclarons solennellement que le peuple vietnamien ne désire que l’unité et l’indépendance au sein de l’Union française. Nous nous engageons à respecter les intérêts économiques et culturels français au Vietnam. Si le gouvernement français faisait une déclaration officielle reconnaissant l’unité et l’indépendance du Vietnam et garantissant l’application de cette politique, toutes les autres questions seraient faciles à régler. Il suffit que la France prononce un mot pour que cessent immédiatement les hostilités, pour que reprennent les amitiés et la confiance. Si malgré notre sincère désir de paix, les Français entendent continuer la guerre, ils perdront sans rien gagner, car la guerre n’aboutira qu’à créer de la haine et la rancune entre nos deux peuples. Nous prions le gouvernement français de bien vouloir nous faire connaître nettement sa politique à l’égard du Vietnam […] » (cité in Chaffard, 1969, p. 120 ; Giap 1, 2003, pp. 97-98).

Dans le même temps, le Conseil national de la S.F.I.O. examine le problème indochinois et vote une motion Ramadier-Moutet-Gorce qui demande la reprise des négociations mais avec « les éléments les plus représentatifs du Vietnam » et donc non avec le seul HCM et le seul VM (Chaffard, 1969, pp. 120-121, note 2 ; Devillers, 2010, p. 456).


22 mars 47 : À l’Assemblée, les communistes continuent à désapprouver la politique gouvernementale sur l’Indochine (voir 19 mars) (Gras, 1979, p. 175).


24 mars 47 : Paul Ramadier, ayant reçu de l’assemblée un vote favorable à sa question de confiance sur sa politique indochinoise, donne des instructions à Bollaert lui prescrivant qu’il doit rechercher une solution politique négociée au conflit vietnamien avec toutes les tendances vietnamiennes, sans quitter le cadre de l’Union Française.


27 mars 47 : Un décret fixe les attributions du nouveau haut-commissaire Bollaert. Bien qu’il ne soit pas un militaire, nombre de ses prérogatives lui donne un rôle important dans ce domaine : « Il donne des instructions générales au général commandant supérieur des troupes françaises en Extrême-Orient. Il est assisté d’un conseil de défense et d’un état-major particulier. » De par l’article 2, Bollaert est « président » du conseil de défense (Bodinier, 1989, pp. 16-24).


28 mars 47 : Émile Bollaert, Pierre Messmer (son chef de cabinet) et Paul Mus (conseiller) prennent l’avion pour Saïgon où ils arriveront le 1er avril pour prendre leurs fonctions respectives (voir 13 mars et 14 avril). Ils se trouvent confrontés à une « offensive de paix » du VM à laquelle ils ne croient pas vraiment, pas plus d’ailleurs que Marius Moutet (ministre de la France d’Outre-Mer) qui était venu constater sur place la situation début janvier. Bollaert est persuadé que la paix ne peut être rétablie qu’en accordant l’indépendance au Vietnam, avec le plein accord du Vietminh, mais il demeure attaché au cadre de l’Union française pourtant complètement dépassé tant pour le VM que les nationalistes. Ce que les différents gouvernements présents, passés et à venir s’efforcent et s’efforceront de ne jamais comprendre (De Folin, 1993, p. 193).


30 mars 47 : Décès du colonel Dèbes dans un accident d’avion. Il assurait le commandement des T.F.I.N. depuis janvier en remplacement de Morlière. Le colonel Gonnet assure l’intérim jusqu’à la nomination de Salan le 25 mai (Bodinier, 1989, p. 25).

Dans le journal clandestin Thanh Nien, Bach-Dang commente l’arrivée du nouveau haut-commissaire : « […] Bollaert est socialiste, parti de droite en France. Il est également membre de la commission de la République, représentant les intérêts des capitalistes. Dans le débat sur la situation au Vietnam, les décisions des socialistes étaient très claires. Ils ont applaudi le principe de l’invasion par la force. Ils sont dans le parti des réactionnaires, désireux de coloniser le Vietnam. Le retour de D’Argenlieu, de Morlière, de Sainteny n’est pas pour nous une victoire. L’affectation de Bollaert au Vietnam n’est certainement pas pour nous une défaite […] Poursuivra-t-il la guerre ? Cela dépend des résultats acquis par le corps expéditionnaire. Cherchera t-il à traiter ? Cela dépend de la force  des résultats acquis par le corps expéditionnaire ? […] » (cité in Bodinier, 1989, p. 386)

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