Mars 46 : Outre les problèmes liés à la présence des Chinois et aux attaques incessantes du VM, les autorités militaires françaises doivent aussi freiner, selon le général Valluy, « les civils français d’Hanoi survoltés » et avides de vengeance (Valluy 2, 1967, p. 203).
Première quinzaine mars 46 : Relève de la 9e D.I.C. (général Valluy) en Cochinchine par la 3e (général Nyo, nommé depuis le 10 février au poste de commandant des forces françaises en Cochinchine et Sud-Annam) pour la reconquête du Tonkin. En vue du débarquement, la 9e est regroupée à partir des bases côtières vers Nha Trang et Cam Ranh.
1er mars 46 : Les accords militaires issus de Chungking sont négociés verbalement entre les états-majors militaires français et chinois. Selon le colonel Crépin, « la discussion a pris un ton aigu ». Les textes d’accord sont traduits « pour s’assurer qu’il n’y avait entre les deux textes aucune divergence due à la traduction. » Mais les Chinois rechignent toujours en prétextant la nécessité d’une autorisation de MacArthur (Combined Chief of Staff qui est à Washington…) pour signer car, en réalité, ils ne veulent toujours guère lâcher le fructueux butin tonkinois. Avant même leur signature, les Français font le forcing en refusant cette clause, Leclerc voulant absolument déclencher l’opération sur Haiphong et Hanoi le 6. Les Chinois s’inclinent, du moins en apparence (Pedroncini, 1992, p. 169).
Une note de Salan évoquant le débarquement des Français au Tonkin prescrit le respect « des emblèmes chinois » et « vietminh » (Salan 1, 1970, p. 309).
2 mars 46 : Les premiers détachements militaires français venus de Chine pénètrent dans le Haut-Tonkin (Fall, 1960, p. 48).
Bien que les résultats officiels des élections ne soient produits que le 13 avril, dès 8 h 00, réunion de l’assemblée nationale vietnamienne au théâtre municipal d’Hanoi avec, selon Sainteny, « une centaine de députés modérés » (Sainteny, 1970, p. 86). HCM remet la démission de son ancien gouvernement devant l’assemblée. Son président, le catholique Ngo Tu Ha, propose à HCM de former un nouveau gouvernement dit « d’Union et de résistance », proposition qui est adoptée à l’unanimité (composition in Fall, 1960, p. 49). HCM crée alors une Commission permanente de 15 membres tous communistes, chargée de contrôler le gouvernement et donc de s’arroger les pouvoirs du Parlement qui doit s’effacer devant ladite Commission. C’est donc une véritable dictature avec un parti communiste unique qui est mise en place, tout à fait comparable à ceux des pays de l’Est en Europe (De Folin, 1993, p. 122). HCM en est le président, Nguyen Hai Tan, un nationaliste prochinois leader du D.M.H. le vice-président, Phan Anh, ministre de la Défense et Nguyen Tuong Tam ministre des Affaires étrangères. Le leader du V.N.Q.D.D., Vu Hong Khanh, devient délégué spécial du conseil des ministres. Bao Daï, éternel absent, conserve dans ce gouvernement son poste de « conseiller suprême ». On crée aussi un Comité national de la Résistance, présidé par Giap (commandant l’A.P.V.), qui reçoit en fait les attributions du ministère de la Défense, tout en ne laissant théoriquement à celui-ci que des tâches purement administratives. L’assemblée déclarant la session close se sépare le jour-même à 13 h 00, sans débats ni votes, hormis la validation des décisions prises par le nouveau gouvernement…
Échange entre D’Argenlieu-Leclerc pour les derniers réglages du débarquement sur Haïphong et Hongay : « Toutes les précautions sont prises pour que ces opérations se déroulent le plus pacifiquement possible. » C’est Leclerc qui est chargé par le haut-commissaire de l’opération « en [son] absence du théâtre nord ». (D’Argenlieu, 1985, pp. 178-179)
Dans un télégramme adressé à Sainteny, D’Argenlieu, optimiste, estime que « l’accord franco-chinois est maintenant signé. La signature d’état-major est attendue d’un jour à l’autre. Notre position en Indochine s’en trouve internationalement clarifiée et fortifiée. L’accord militaire facilite singulièrement la venue de nos forces […] L’accord franco-chinois est une victoire diplomatique dont mieux que personne vous apprécierez la valeur […] » (cité in D’Argenlieu, 1985, p. 181 ; Bodinier, 1987, pp. 217-218) Belle illusion de l’amiral face à des Chinois pour qui les négociations officielles n’aboutissent jamais à quelque chose de définitif… Il devra déchanter dès le lendemain.
De son côté, Sainteny adresse un télégramme à D’Argenlieu. Il se félicite de l’avancée des négociations avec le VM mais souligne : « […] L’obstacle majeur reste donc la question de la Cochinchine. Est-ce une question qu’il faut réserver coûte que coûte, ou peut-on envisager de céder en ultime concession ? » La réponse cinglante de l’amiral sur cette question lui parviendra dès le lendemain (voir 3 mars) (cité in Turpin, 2005, p. 212).
L’Humanité dénonce des intimidations de la presse (saccage de locaux) à Saigon faites par des militaires ayant eu lieu fin-février. Le journal communiste, toujours en semi-phase avec l’engagement des Français dans le conflit, préfère incriminer des boucs-émissaires : « Qui étaient ces militaires ? Certainement pas des soldats français qui ne sauraient commettre de tels actes, certainement aucun de ces combattants qui ont fait leur preuve. Ne s’agirait-il pas plutôt des S.S. engagés, en son temps, dans la Légion, par M. Diethelm ? » (cité in Ruscio, 1985, p. 367). Les exactions de la Légion étrangère dans laquelle ont été engagés d’anciens soldats allemands (dont certains ont réellement appartenu à la Waffen S.S.) vont devenir un leitmotiv de la presse communiste française.
3 mars 46 : Salan proteste contre les lenteurs chinoises et adresse de nouveaux courriers à Lou Han. L’ambassadeur de France en Chine Meyrier envoie un télégramme à D’Argenlieu dans lequel Leclerc et Salan indiquent que « les autorités chinoises ne veulent à peu près certainement pas créer des troubles » à l’arrivée des Français. Pour autant, l’ambassadeur émet lucidement des doutes sur les délais de transmission aux échelons inférieurs de l’armée chinoise. Il préconise donc pour le débarquement français la date du « 7 pour avoir les plus fortes chances que les ordres arrivent en temps utile. » (Pedroncini, 1992, pp. 169-170)
Dans un télégramme adressé à Sainteny, D’Argenlieu observe une « objection de dernière heure soulevée par l’état-major chinois dans la discussion de l’accord d’état-major. » Il voit implicitement, à tort, dans cette situation des manigances perpétrées par le ministère de l’Intérieur du G.R.A. (Bodinier, 1987, p. 219).
Du fait du revirement d’HCM (voir 27 février), télégramme de D’Argenlieu à Sainteny en réponse au sien de la veille : « Je ne puis maintenir les termes de mon télégramme de base et les rappelle : la Cochinchine décidera elle-même de sa position vis-à-vis du Vietnam. » (D’Argenlieu, 1985, p. 182 ; Bodinier, 1987, p. 218)
Leclerc, muni des pouvoirs du haut-commissaire et de commandant en chef pour donner à Sainteny les directives utiles à Hanoi, embarque à Nha Trang sur le croiseur Émile Bertin en vue de diriger le débarquement au Tonkin (Pedroncini, 1992, p. 395). Il dispose à son bord de moyens de communication radio qui lui permettent de rester en contact avec Saigon, Hanoi, Haïphong et Chungking pour la période entre le 3 et le 6. Mais dans les faits l’ensemble des messages reçus demeureront fragmentaires, tardifs et parfois presqu’incompréhensibles car reflétant la confusion qui règne toujours dans les négociations inabouties avec les Chinois (télégrammes cités partiellement in Pedroncini, 1992, pp. 194-196). Avant d’embarquer, Leclerc a adressé un dernier message à Salan : « Encouragez Sainteny à pousser négociations avec oncle Ho. Nous nous présenterons devant Haïphong le 6 mars. Conduisez les négociations en conséquence. Je me conformerai à toutes vos propositions pour éviter conflit ou difficultés avec Chinois ou Annamites. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 191)
La direction du VM s’interroge sur le comportement à adopter à l’égard des Français : « Devons-nous résolument combattre ou composer avec les Français ? On peut répondre sur le champ. Si les Français s’en tiennent à la thèse d’une Indochine autonome sur la base de leur déclaration du 24 mars [1945], alors à coup sûr il faut se battre et probablement se battre pour longtemps, selon la tactique de la guérilla. Mais s’ils reconnaissent la souveraineté de l’Indochine, il nous faut composer avec eux, et ce pour mettre en échec les menées des Chiang Kaï-shekistes, des réactionnaires vietnamiens et des fascistes français toujours présents qui entendent nous enfermer dans une position d’isolement, nous contraindre à combattre simultanément de nombreux ennemis pour que nos forces s’épuisent. » (cité in Ruscio, 1985, pp. 98-99)
Nuit du 3 au 4 mars 46 : Salan est submergé de dépêches chinoises qui continuent à réclamer l’approbation préalable de McArthur (chef de l’état-major interarmes allié américain) pour autoriser le débarquement français (voir 1er mars). C’est une nouvelle ruse des Chinois pour temporiser. Les Français passeront outre (Salan 1, 1970, p. 312).
4 mars 46 : Les niveaux inférieurs de la hiérarchie militaire chinoise assurent n’avoir toujours reçu aucune directive de Chunking. Salan rencontre le général Ma Ing (représentant du général Lou Han) et lui confirme la réalisation du débarquement, le 6, quelle que soit la réponse (ou la non-réponse) des Chinois.
Télégramme de Sainteny à D’Argenlieu : « G.R.A. [Gouvernement révolutionnaire annamite] est resté ferme sur exigence de nous voir explicitement intégration de la Cochinchine dans le vocable Vietnam. Mais il est possible qu’il cède demain et accepte ma proposition. Il reste à craindre que dans son désir de ne céder qu’à la dernière minute, Ho Chi Minh n’ait pas signé avant le débarquement. » (D’Argenlieu, 1985, p. 183)
Entrevue HCM-Salan-Pignon le soir. HCM refuse finalement le débarquement des Français et demande un délai.
Nuit du 4 au 5 mars 46 : Nouvelle rencontre Salan-Ma Ing accompagné de 9 autres généraux chinois. Tous continuent à tenter de vouloir jouer la montre en prétextant cette fois la protection de leur population et des biens chinois au Tonkin. Non dupe de ces manoeuvres, Salan les rassure et s’y engage. Selon le même, certains « généraux mandchous » ont « le regard tourné vers Mao Tsé-toung », et ce sont eux qui font le plus opposition au retour des Français (Salan 1, 1970, pp. 316-317 ; compte rendu de cette rencontre par le général Lecomte in D’Argenlieu, 1985, pp. 439-442).
5 mars 46 : Au matin, l’optimisme règne du côté français. Selon un télégramme du colonel Gilles à Leclerc : « Général Chinois Haïphong [Wang] en très bonne disposition. Il admettra volontiers débarquement mais seulement lorsqu’il aura reçu ordres de Hanoi pour cela. » (cité in Turpin, 2005, p. 207). Les Français vont vite déchanter.
A 11 heures, alors qu’un avion qui s’apprêtait à emmener une délégation franco-chinoise qui devait décoller, tout est bloqué sur ordre des Chinois. Le général Chéou, commandant la 53e armée, a télégraphié à Chunking de faire surseoir au débarquement français et d’y faire éventuellement obstacle par la force. Ce télégramme ne fait que renforcer l’opposition de la Délégation consultative chinoise, véritable courroie de transmission du Gouvernement central, réalisé sans son aval entre les commandements militaires français et chinois du quartier général yunnanais (Turpin, 2005, p. 206).
Il faut attendre 19 h 00 pour qu’un accord purement verbal soit conclu entre les Français et les généraux Ma Ing (représentant du général Lou Han) et Chow. Le commandement chinois donne l’ordre aux troupes de Haïphong de ne pas tirer sur les bateaux français qui vont remonter la rivière si les troupes françaises ne débarquent pas. Chow se rend en soirée, vers 21 h 00, auprès d’HCM afin de parvenir au plus vite à un accord écrit que le leader vietnamien est en train de rédiger à ce moment précis : « 1° Je demande que le Gouvernement français reconnaisse le Gouvernement du Vietnam comme le gouvernement d’un pays libre, pays qui aura son gouvernement, son assemblée, ses finances, son armée. Le tout dans l’Union fédérale indochinoise. 2° Le Gouvernement français demandera au Gouvernement annamite d’admettre une armée française (composée de 15 000 Français et 10 000 Annamites ; ceux-ci choisis par le Gouvernement annamite). Total de l’armée : 25 000 hommes. 3° Le statut de la Cochinchine devra être décidé par le vote des nationaux du Vietnam. 4° Les autorités françaises, de leur propre chef, demanderont que soit signé un armistice temporaire entre la France et le Vietnam. 5° Toutes les autres questions (secondaires) seront discutées et résolues au cours de conversations officielles. » (cité in Turpin, 2005, p. 213). Puis Chaw, muni du document, rencontre Salan qui, après avoir vu Sainteny, l’approuve bien que ces exigences dépassent nettement le cadre défini par le mémorandum de D’Argenlieu et son télégramme, approuvé par le Comité de l’Indochine le 20 février.
Dès 22 h 30, Salan transmet son acceptation à Lou Han. Celui-ci répond que la relève devient possible mais sous condition : le débarquement français ne doit avoir lieu que le 7, le temps que les ordres soient transmis aux troupes chinoises. Le lieutenant-colonel Lecomte de l’état-major de Leclerc avait entretemps averti Sainteny qu’il était impossible de modifier le plan français sans risquer des incidents avec les Chinois tant qu’un accord avec les Vietnamiens n’avait pas été conclu. Il le presse donc : « Étant donné la situation et l’ampleur du conflit possible, je vous demande instamment, au nom du général Leclerc qui m’a donné pouvoir de vous le dire, de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour arriver au plus tôt à un accord, fût-ce au prix d’initiatives qui pourraient être désavouées. » (Turpin, 2005, pp. 206-207). La signature des accords est donc considérée comme une urgence tant du côté français que vietnamien.
Le soir même, Sainteny répond directement à Leclerc : « Je crois que nous tenons le bon bout mais ce sera de justesse ! J’ai lâché (bien peu de choses d’ailleurs) pour éviter le gros incident à Haïphong. L’intégration des 10 000 Vietnamiens dans les forces de relèves sous votre commandement a enlevé la décision. J’espère que vous approuverez cette initiative. Il me reste à souhaiter maintenant que le G.R.A. accepte demain le projet ci-joint et […] que l’Amiral ne me désavouera pas trop. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 202)
A 23 h 37, les colonels Legendre et Gilles mettent en garde Leclerc sur le fait que le compromis Salan-Chaw demeure inconnu du général Wang qui, non informé des récentes décisions par Hanoi (général Lou Han), « décline toute responsabilité concernant ouverture du feu en cas de présentation en rivière […] ». Wang donne une simple autorisation pour un voyage en avion d’un représentant de Leclerc. Du fait des problèmes de transmission, ce message ne parviendra à Leclerc que le lendemain à 7 h 55, sans pour autant le faire changer d’avis sur sa décision de débarquer (Turpin, 2005, pp. 207-208).
La flotte française et les troupes de débarquement se regroupent dans le golfe du Tonkin selon ce qui a été convenu verbalement avec les Chinois. Or un télégramme du général Ho Ying Chin, un des électrons libres de l’armée nationaliste chinoise, donne l’ordre de ne pas exécuter les instructions du gouvernement envoyées la veille par le général Chin Teh Sun, vice-ministre chargé de ces opérations.
D’Argenlieu reçoit un nouveau télégramme de Leclerc en soirée, tardivement. Il est surpris d’y voir apparaître « un programme militaire d’effectifs » où il est mentionné que la future armée franco-vietnamienne sous commandement français sera composée de 15 000 Français et 10 000 Vietnamiens. Il apprendra ultérieurement qu’il s’agit d’une « demande pressante de l’État-major » et donc que la décision a été prise à Paris (qui s’en défendra) sans que lui-même ait été consulté au préalable (D’Argenlieu, 1985, p. 185). C’est aussi une exigence d’HCM.
Communiqué commun d’Argenlieu-Mountbatten reconnaissant la souveraineté française sur l’Indochine (De Folin, 1993, p. 124). A partir de cette date, toute la zone de la péninsule indochinoise au sud du 16e parallèle cesse de faire partie du théâtre du S.E.A.C. britannique. Les Français sont désormais seuls chez eux, ce qui était le souhait de De Gaulle et D’Argenlieu (Turpin, 2005, p. 156).
Le premier ministre britannique, Winston Churchill, prononce le discours de Fulton qui marque l’intensification de la guerre froide : « De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l'Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent. »
Nuit du 5 au 6 mars 46 : Dans l’après-midi du 5 a eu lieu une rencontre tendue entre Salan et les généraux Ma Ing (représentant du général Lou Han, absent) et Tchao (commandant par intérim de la 53e armée). Les Chinois se retranchent derrière les ordres récents reçus du général Ho Ying Chin (directeur pour l’Europe de l’armée chinoise) qui refuse le débarquement français (voir 5 mars). Face à ce nouveau blocage, Leclerc en informe Sainteny par câble. À ce moment, un accord entre les Français et HCM sur cette question n’est toujours pas définitivement établi. Or, nouvelle ruse chinoise pour différer, c’est justement ce que réclame le général chinois Tchao. Il va donc voir HCM et l’invite à s’entendre avec les Français. Or, cet accord, pour l’instant purement verbal, ne sera conclu que le 6 à 6 heures du matin. C’est Hoang Giam qui annonce à Sainteny que le « président acceptait ses conditions » et qu’il signerait l’accord le lendemain à 16 h 30 (Sainteny, 1970, p. 86 ; D’Argenlieu, 1985, p. 186). À ce moment, HCM aurait déclaré après avoir accepté du bout des lèvres : « Plutôt flairer la crotte des Français que manger toute notre vie celle des Chinois. » (Mus, 1952, p. 85)
6 mars 46 : A 9 h 00, selon le colonel Repiton-Preneuf (2e Bureau, état-major de Leclerc), « on est d’accord sur tous les points mais Ho Chi Minh n’a pas signé. La signature doit avoir lieu à 11 h 00. A 10 h 15, la Délégation française apprend l’incident de Haïphong. » (cité in Turpin, 2005, p. 207). La signature n’aura donc pas lieu à l’heure fixée mais à 16 h 30.
Dans la matinée, débarquement des Français à Haïphong (opération Bentre concernant 21 000 hommes). Des télégrammes alarmants mais tardifs (cités in Pedroncini, 1992, pp. 194-196) reçus sur l’Émile Bertin ont prévenu Leclerc que les Chinois de la 53e armée feraient tirer sur les bateaux s’ils se présentaient devant Haïphong. Leclerc a néanmoins confirmé l’ordre « d’exécuter l’opération prévue avec le maximum de prudence et de ne répondre en aucun cas aux coups de feu. » (Salan 1, 1970, p. 325). Il a même annulé, lors d’une réunion sur l’Émile Bertin dans la nuit du 5 au 6, le débarquement sur Hongay et l’occupation du terrain d’aviation d’Haïphong « pour, selon Valluy, lui donner une allure plus pacifique. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 196) Les Vietnamiens, du moins officiellement, ne s’opposeront pas à l’opération en cours : Sainteny doit rencontrer HCM à 16 h 30 pour signer un accord écrit avec eux (voir nuit du 5 au 6 mars). Mais les troupes chinoises à Haïphong sous les ordres du général He Yinqing, prétextant n’avoir pas reçu d’ordres de Chunking, ne sont pas sur la même longueur d’onde et résistent. Elles tirent dès 8 h 30 à plusieurs reprises sur les bateaux français en approche sur Haïphong à partir du port (carte de la disposition de l’escadre in Pedroncini, 1992, p. 197). Les Français compteront 32 morts et une quarantaine de blessés (Salan 1, 1970, p. 328). Ils attendent cependant les ordres pour riposter. Leclerc, toujours à bord de l’Émile Bertin demeuré en retrait, donne finalement l’ordre de riposte à 10 h 48. Le Triomphant tire alors 33 coups de 138 et autorise l’utilisation de l’artillerie secondaire du navire. Un dépôt de munitions chinois est touché entraînant des explosions et un énorme incendie. Les tirs français décroissent dès 11 h 10 (Turpin, 2005, p. 208). Un ordre de cessez-le-feu commun est alors envisagé. Des officiers chinois montent à bord du Triomphant et un cessez-le-feu provisoire est établi. À l’issu de ces échanges de tirs, personne ne cherche un véritable affrontement prolongé : ni les Français, ni les Chinois, ni les Vietnamiens (Francini 1, 1988, p. 263 et pp. 288-289 ; Valluy 1, 1967, pp. 33-34). Des négociations orageuses ont alors lieu entre le général chinois Wang (commandant la place d’Haïphong) et l’amiral Auboyneau. On ne parviendra à un accord provisoire que vers minuit (voir 13 mars). Cependant, il faudra attendre le 18 mars pour que les troupes françaises puissent entrer dans Hanoi au vu de la situation explosive qui y règne et des entraves procédurières et matérielles que le Chinois vont mettre en place pour nuire au débarquement (voir 11 mars).
Les événements d’Haïphong, connus à Hanoï dans la matinée, n’affectent en rien la signature des accords franco-vietnamiens du 6 mars qui a lieu à 16 h 30. Selon un télégramme de Sainteny, le texte de l’accord a également été discuté le matin lors d’un conseil des ministres du G.R.A. Il a été approuvé dans la matinée par le Comité central du VM qui s’est réuni à Huong Canh, près d’Hanoi, et s’est rallié aux vues d’HCM disant qu’il n’y pas d’autre solution que de s’entendre avec les Français au sujet du débarquement (Bodinier, 1987, p. 219).
À 12 h 30, Sainteny demande par télégramme à D’Argenlieu son approbation pour la signature de l’accord préliminaire. D’Argenlieu le valide à 15 h 40 et demande à ce que Leclerc en soit informé (Bodinier, 1987, p. 220-221).
Entamée la veille suite à de longues et laborieuses négociations, signature à 16 h 30, de « la Convention préliminaire » franco-vietnamienne dite du 6 mars et de son « Accord annexe ». Sont présents l’après-midi côté français : Sainteny, commissaire de la République et seul signataire mandaté par Leclerc qui assure dans cette affaire l’intérim de D’Argenlieu, absent car demeuré à Saigon. Pignon et Salan sont présents comme simples observateurs pour le volet politique de la convention. Côté vietnamien, HCM et Vu Hong Khanh du V.N.Q.D.D., sont tous deux signataires. Les signatures se font devant des observateurs anglais, américains, chinois et français, tous satisfaits du résultat. Il y a cependant deux volets à ce document : un politique et une annexe militaire (textes définitifs in D’Argenlieu, 1985, p. 188-190 ; Salan 1, 1970, pp. 330-332 ; Sainteny, 1953, p. 182-184). C’est cette dernière qui va poser problème.
La partie politique est modestement intitulée « Convention préliminaire ». HCM y fait preuve d’un esprit conciliateur qui tend à éviter un choc frontal car il cherche surtout à gagner du temps. Certes, le mot « indépendance » ne figure pas dans cet accord. Mais dans l’article 1 de ce texte, « la République du Vietnam » devient un « État libre ayant son gouvernement, son parlement, son armée et ses finances, faisant partie de la Fédération indochinoise et de l’Union française ». Sur la question de la réunion des trois Ky, « le Gouvernement français s’engage à entériner les décisions prises par les populations consultées ultérieurement par référendum. » (D’Argenlieu, 1985, p. 188) Mais si le Vietnam est ici défini politiquement, il ne le sera jamais géographiquement puisque dépendant toujours du modèle de découpage des trois Ky imposé au moment de la colonisation du pays. Or la majorité de la population vietnamienne considère ce découpage comme une aberration historique et une marque imposée de longue date par le colonisateur français. C’est d’ailleurs aussi cette imprécision géographique que D’Argenlieu reprochera aux négociateurs de l’accord, Sainteny, Pignon et Salan. À l’issue de ce texte, les troupes françaises peuvent toutefois revenir pacifiquement (mais aussi temporairement…) au Tonkin car il y a, au moins sur le papier, cessation des hostilités (Raymond, 2013, p. 71). En son article 2, l’accord stipule que « le Gouvernement du Vietnam se déclare prêt à accueillir amicalement l’armée française lorsque, conformément aux accords internationaux, elle relèvera les troupes chinoises. Un accord annexe joint à la présente Convention préliminaire fixera les modalités selon lesquelles s’effectueront les opérations de relève. » L’article 3 précise que « chacune des hautes parties contractantes prendra toute mesure nécessaire, pour faire cesser sur le champ les hostilités, maintenir les troupes sur leurs positions respectives et créer un climat favorable nécessaire à l’ouverture de négociations amicales et franches ». Elles doivent porter sur les relations diplomatiques du Vietnam, le statut futur de l’Indochine, les intérêts économiques et culturels français au Vietnam (D’Argenlieu, 1985, pp. 188-189). De Folin remarque à juste titre qu’en mars 1946 seul le Sud connaît des troubles. Cette formulation de l’article 3 autorise donc implicitement le « gouvernement d’Hanoi » à s’immiscer dans les affaires de Cochinchine (voir 7 mars) que les Français considèrent pourtant comme une chasse gardée (Pedroncini, 1992, p. 213).
L’accord annexe est quant à lui strictement militaire. Côté français, il a été signé par Sainteny, mais a été préparé par Pignon et Salan. Côté vietnamien, il est signé par HCM et Vu Hong Khanh. Giap en a été le principal inspirateur. D’Argenlieu qui ne l’a pas validé au préalable n’en sera destinataire que le 7. L’accord stipule la présence de 10 000 Vietnamiens et 15 000 Français (voir 5 mars), l’existence d’« un commandement supérieur français, assisté de délégués vietnamiens » dont le rôle devra être défini « au cours d’une conférence d’états-majors, laquelle se tiendra dès le débarquement des unités françaises ». Le texte précise également que « des commissions mixtes seront créées, à tous les échelons, pour assurer, dans un esprit d’amicale collaboration, la liaison entre les troupes françaises et les troupes vietnamiennes. » C’est cet accord militaire qui limite dans l’instant l’affrontement entre la France et le VM. Salan, lorsqu’il le découvre quelques heures avant qu’il ne soit signé, estime qu’il n’a « rien de commun avec [sa] note sur les propositions militaires remises à Sainteny. » Affirmation dans ses mémoires visant à se défausser ? Il sent venir les foudres de Paris mais estime qu’il faut pourtant le signer (Salan 1, 1970, p. 329).
D’Argenlieu ne valide ni ne validera jamais l’accord car cette annexe militaire lui paraît trop anticipée sur des points précis qui aurait dû être débattus dans des commissions prévues à cet effet : « […] je le juge lourd de servitudes militaires pour la France au profit du jeune « État libre ». Mais il est contresigné. Nous sommes devant le fait accompli. » (D’Argenlieu, 1985, p. 191) L’amiral le qualifiera en privé de « Munich indochinois » (voir 24 mars) ou de « petit Munich » (D’Argenlieu, 1985, p. 222). Certes la convention évite dans l’immédiat un bain de sang mais, côté indochinois, mécontente fortement les nationalistes (y compris Vu Hong Khanh, chef du V.N.Q.D.D, qui l’a pourtant également signée) ainsi que la plupart des partisans du VM. Un accord d’états-majors (théorique car peu respecté dans les faits…) devra être signé ultérieurement entre Salan et Giap (voir 3 avril). Comme le remarque à juste titre Gras, « on avait remis à plus tard les véritables difficultés en employant des formules vagues et ambigües, dans lesquelles chacun pouvait comprendre ce qu’il voulait. » (Gras, 1979, p. 100)
HCM considère donc l’accord du 6 mars comme un moindre mal. Il réagit de la manière suivante en s’adressant à Sainteny : « Et moi, j’ai de la peine, car au fond c’est vous qui avez gagné. Vous savez bien que je voulais plus que cela. Enfin, je comprends que l’on ne peut tout avoir en une fois. » Jouant sur les sentiments, il embrasse Pignon (conseiller politique de D’Argenlieu) et Sainteny en déclarant : « Ma consolation, c’est l’amitié. » (Sainteny, 1970, pp. 87-88). Défaite pour HCM ? Rien n’est moins sûr car il a obtenu des apports non négligeables : la reconnaissance d’un « État libre », avec son armée, un certain degré de reconnaissance diplomatique et un « statut futur de l’Indochine ». C’est pour lui une étape transitoire qui lui fait gagner du temps et il la considère assurément comme telle. De plus, cet accord qui a été signé un peu rapidement côté français ne l’a aussi été que pour donner une certaine fausse sérénité au débarquement imminent prévu à Haïphong, entendant freiner une trop forte réaction du VM qui se produira quand même. Quant au gouvernement français, il demeure totalement absent de ce processus de négociation : il n’a donné aucune instruction claire et n’a dépêché personne d’importance sur place pour le représenter directement. La coalition tripartite M.R.P., radicaux, socialistes et communistes étant bien trop divisée sur la question indochinoise.
Sainteny fait parvenir à D’Argenlieu par télégramme le contenu de l’accord préliminaire, mais sans le contenu de l’accord annexe. Craignant les foudres de l’amiral, il mentionne simplement son existence (Bodinier, 1987, pp. 219-220). L’accord annexe quant à lui ne sera transmis à l’amiral que le 7 et donc, après la date de la signature des accords (Bodinier, 1987, pp. 223-224).
Nuit du 6 au 7 mars 46 : Une « négociation longue et difficile » a lieu entre le général chinois Wang, commandant de la place à Haïphong, et le vice-amiral Auboyneau. Les bateaux français sont déplacés d’une rivière à l’autre. Wang affirme n’avoir reçu aucun ordre d’Hanoi (général Lou Han) mais se dit prêt à poursuivre les négociations avec Valluy (commandant de la 9e D.I.C.) le 7.
7 mars 46 : La population vietnamienne qui a été baignée durant des mois par la propagande contre les Français est abasourdie par l’annonce de l’accord. Les nationalistes de tous bords (V.N.Q.D.D. et D.M.H.) crient à la trahison (alors que l’un de leur membre a été signataire de l’accord). HCM et Giap sont donc obligés de le défendre devant une importante foule, en partie hostile au début, regroupée devant le théâtre d’Hanoï (ressenti et réactions diverses des auditeurs in Ngo Van Chieu, 1955, pp. 68-71). On a pris soin d’inviter le nationaliste Vu Hong Kanh, signataire de l’accord pour le V.N.Q.D.D., et Bao Daï, « conseiller suprême » et député vietminh, qui doivent servir de caution (Sainteny, 1970, p. 82-83). Pour justifier l’accord, Giap est obligé de le comparer au traité de Brest-Litovsk de 1918. Il déclare : « En résumé, l'idée maîtresse du Gouvernement, c'est la paix pour le progrès, la voie ouverte par la convention est celle de l'indépendance prochaine et totale, qui est notre but. » (cité in Raymond, 2013, p. 71). Il déclare encore : « Il y a des moments où il faut être ferme et d’autres où il faut être mou » (cité in Ngo Van Chieu, 1955, p. 69). Giap, dans son for intérieur, considère cet accord comme un inévitable gain de temps. HCM se justifie en allant dans le même sens : « C’est faire preuve d’intelligence politique que de négocier plutôt que de se battre [...] Moi, Ho Chi Minh, je vous ai toujours menés sur le chemin de la liberté, j’ai toute ma vie combattu pour l’indépendance de notre Patrie. Vous savez que je préfèrerais mourir que de jamais vendre le pays. Je vous jure que je ne vous ai pas vendus. » (cité in Devillers, 1988, pp. 152-153) Giap, avec une grande franchise, demeure toutefois intransigeant sur la question de l’unité du Vietnam : « Sur la question de l’unification des trois Ky, les discussions entre le gouvernement et les représentants de la France ont été assez agitées. La France veut garder la Cochinchine, mais le gouvernement vietnamien a fermement déclaré : « Si on sépare Cochinchine, Annam et Tonkin, nous sommes résolus à résister jusqu’au bout. » (cité in Devillers, 1952, p. 228 ; larges extraits de ce discours cités in Devillers, 2010, pp. 431-435). Les Français savent donc à quoi s’en tenir. Toutefois, pour l’instant, il y a toujours, côté Vietminh, l’espoir de réunifier le pays sans devoir faire la guerre aux Français, ou du moins dans l’immédiat (Brocheux, 2003, p. 171). Et ce d’autant plus que l’armée vietnamienne est elle-même manque d’homogénéité et souffre même de divisions politiques. C’est ce que constate Ngo Van Chieu : « Nos unités ont été formées par différents « groupements ». Il y a les unités régulières de l’armée (la Garde nationale) qui sont aux ordres du gouvernement et les unités régionales. Mais dans ces dernières, seule une minorité est apolitique. Les autres dépendent toutes plus ou moins de partis politiques engagés. Soit du Parti Vietminh soit du V.N.Q.D.D., soit du D.M.H. » (Ngo Van Chieu, 1955, p. 74)
À l’issue de cette manifestation, HCM, lucide quant à la difficulté de construire des relations franco-vietnamiennes, déclare à Sainteny : « Alors nous nous battrons… Vous me tuerez dix hommes, pendant que je vous en tuerai un. Et c’est moi qui finirai par gagner » (Sainteny, 1970, pp. 89-90). Il avait déjà tenu ce type de propos devant Salan (voir 8 février). C’est au cours de cet entretien qu’HCM confie pour la première fois à son interlocuteur qu’il va soumettre à son gouvernement le choix de Paris pour poursuivre les négociations. Sainteny se chargera d’en informer D’Argenlieu (Turpin, 2005, p. 227, note 40).
Leclerc reçoit à bord de l’Émile Bertin un représentant du gouvernement vietnamien, Pham My. Selon le récit de cette rencontre par le colonel Repiton-Preneuf, le général manie la carotte et le bâton : « « Je serai venu avec ou sans votre accords. » Mais il se félicite que cette dernière étape soit pacifique. C’est au gouvernement du Viet-Nam de montrer de quelle autorité il dispose, de normaliser rapidement les relations de ses populations avec les Français. Nos troupes vont faire la relève des Chinois, et à cette relève, des troupes vietnamiennes seront appelées à participer ; la façon dont seront acquittées les premières tâches engagera tout l’avenir. » (cité in Turpin, 2005, p. 225)
D’Argenlieu reçoit un exemplaire définitif des accords du 6 mars. Il considère que l’« Accord annexe » n’est « ni sobre ni net… ni opportun surtout. » Il juge que le volet militaire relève d’accords d’états-majors ultérieurs et qu’il n’avait pas à figurer ici aussi précocement. Assez furieux, l’amiral demande dans un télégramme des comptes à Sainteny : « 1. Vous prie me préciser d’extrême urgence dans quelles conditions et par qui a été préparé, rédigé et décidé projet de l’accord annexe à Convention préliminaire. 2. Aucune allusion antérieure à sa signature ne m’a été faite et cependant sa seconde partie engage l’avenir militaire de la France vis-à-vis du Gouvernement de Hanoi. Ceci était matière entièrement distincte de la question relève, et aurait dû être réservé. 3. Veuillez me faire connaître le rôle du général Salan, mon délégué militaire, en cette affaire. 4. J’apprécierai que le Gouvernement de Hanoi, selon la procédure habituelle, et si il en est encore temps, ne livre pas à la publicité le texte de l’accord annexe, document strictement militaire […] »
En fin de matinée, D’Argenlieu adresse le texte de la Convention préliminaire au président du Conseil Félix Gouin et l’accompagne d’une note personnelle où il est mentionné qu’il estime que cette « Convention [est] une bonne convention » mais sans dire le moindre mot de ses réserves au sujet de l’accord annexe. Selon D’Argenlieu, après avoir interrogé Leclerc, l’amiral reçoit au soir des éclaircissements de ce dernier qui lui répond : l’accord annexe a été rédigé par Sainteny, Pignon et lui-même, « en accord complet avec le général Salan en ce qui concerne les questions militaires » ; il est donc impossible de le revoir « sans remettre en cause [la] signature de l’ensemble » ; le G.R.A. a exigé le maintien du contenu de l’Accord annexe pour le signer ; il était matériellement impossible de joindre l’amiral ; c’est le G.R.A. qui a assuré la publicité de l’accord annexe, non les Français (D’Argenlieu, 1985, pp. 191-193).
Un rapport de Sainteny du jour évoque le calme à Hanoi. HCM a choisi Paris pour la tenue des prochaines négociations. Ce dernier veut rencontrer D’Argenlieu au plus vite mais ce dernier va différer cette demande estimant qu’elle ne pourra avoir lieu « que lorsque les accords préliminaires seront entrés en exécution. » Cette rencontre ne pourra avoir lieu à Hanoi et c’est finalement Dalat que l’amiral retiendra. Ce choix n’est pas le fruit du hasard, la ville n’est ni dans la Cochinchine du référendum à venir ni au Tonkin trop en ébullition (D’Argenlieu, 1985, pp. 197-199).
Le G.R.A. demande l’envoi immédiat d’une commission d’armistice chargée de l’application de l’article 3 des accords du 6 mars. C’est pour lui une manière d’aller s’immiscer dans les affaires de Cochinchine, jusqu’alors chasse gardée des Français. Leclerc s’y opposera dès le 8. De Folin observe à juste titre qu’« il y a donc, dès le début, litige sur l’application géographique de l’accord du 6 mars. Cette confusion continuera à Dalat et à Fontainebleau. » (Pedroncini, 1992, p. 213).
Sainteny informe D’Argenlieu et Leclerc qu’« Ho désire envoyer dès demain à Saigon des délégués chargés de porter l’ordre de cessez-le-feu à tous les groupes partisans encore en action dans le Sud. » Il demande l’accord de Leclerc. Celui-ci, avec l’appui de D’Argenlieu, lui refuse cette tentative d’immixtion en Cochinchine. L’amiral répond : « L’autorité de fait du gouvernement de Hanoi ne s’exerce jusqu’à présent qu’au Nord du 16e parallèle. En droit, désormais, elle n’est que provisoire pour l’Annam. » Il informera Paris de cette décision dès le lendemain (Devillers, 1988, pp. 163-164).
Un télégramme de Sainteny à D’Argenlieu indique qu’HCM « va proposer à son gouvernement que lieu choisi pour négociations prochaines soit Paris. » (Devillers, 1988, p. 168)
8 mars 46 : Les Chinois demandent aux Français de stopper le débarquement en cours. Ils exigent que les armes n’entrent pas dans la citadelle d’Hanoi mais soient stockées à l’aéroport de Gia Lam où des troupes chinoises ont pris position autour pour en prendre possession. Salan donne alors l’ordre aux avions en vol de se détourner. Au final, les Chinois autoriseront la poursuite du débarquement des troupes à Haïphong (Salan 1, 1970, p. 334).
Dans un échange avec D’Argenlieu, Leclerc en bon militaire considère que « la convention préliminaire ne [le] concerne pas », propos qui choque D’Argenlieu. Dans ses mémoires, citant un de ses télégramme, l’amiral désapprouve l’accord annexe dont Leclerc a été un des inspirateurs : « Ai vu texte des accords. J’estime que l’accord annexe militaire entre dans beaucoup trop de détails engageant trop l’avenir. » Il précise : « Je reproche à cet accord d’avoir mélangé les problèmes immédiats [avec] les problèmes d’organisation définitives […] qui ne peuvent évidemment se traiter ainsi d’un trait de plume. » Or, cette annexe a été négociée et validée par Salan qui était son subordonné pour les questions militaires. Il observe par ailleurs que, côté chinois, « les échelons subordonnés n’exécutent pas – ou avec un retard voulu – les ordres des échelons supérieurs […] car les véritables motifs sont les raisons de butin et de pillage. » (D’Argenlieu, 1985, pp. 200-201)
Après Pham My reçu la veille, Leclerc reçoit cette fois Giap à bord du torpilleur Sénégalais dans le port de Haïphong. Il lui explique que ses troupes sont venues relever les Chinois et que, dans cette relève, les Vietnamiens ont leur rôle à jouer. En terminant l’entretien, Leclerc précise cependant à son interlocuteur : « Dites aux Vietnamiens qu’ils peuvent compter sur moi, moi aussi je suis Français, et, dans le respect de vos aspirations, il va de soi que j’agirai français… d’abord français. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 395 ; Devillers, 1988, p. 154 ; Turpin, 2005, p. 225)
Dans un échange avec l’amiral, Leclerc évoque à nouveau avec lui l’accord annexe : « […] Je ne parle pas de la convention préliminaire qui ne me regarde pas. Par contre, l’accord annexe n’est évidemment pas parfait. Mais, après réflexion, je pense qu’il peut servir de base de discussion utile […] » (Devillers, 1988, p. 162) Le problème étant toutefois qu’on en est plus à la « discussion » mais à la mise en œuvre d’un accord écrit et signé, que le G.R.A. veut voir appliqué à l’ensemble du Vietnam…
Suite au télégramme de Sainteny de la veille, D’Argenlieu signale au gouvernement français qu’HCM « ambitionne de voir à très bref délai s’ouvrir à Paris la conférence prévue. » Il ajoute : « Ce serait une erreur grave à tous égards. Puisque son gouvernement a résolu avec lui de faire partie de la Fédération indochinoise, il est indispensable de le maintenir dans ce cadre durant toute cette période préliminaire. Ce serait injustice flagrante vis-à-vis des souverains du Cambodge et du Laos [...] » (cité in Devillers, 1988, p. 169 ; Turpin, 2005, p. 229). C’est cet argument qui justifie aux yeux de l’amiral l’existence des deux futures conférences de Dalat et le fait qu’il fera tout son possible pour « torpiller », à deux reprises, celle de Fontainebleau en privilégiant Dalat. Contrairement au désir d’HCM, il demande donc la tenue d’une conférence préparatoire en Indochine, à Dalat, où l’on « pourra travailler, selon lui, dans une atmosphère calme et sereine à l’abri de toute manifestation spontanée ou organisée de foule. »
Dans un télégramme adressé à Sainteny, D’Argenlieu manifeste l’un de ses rares points d’accord avec Leclerc et précise sa pensée non seulement sur la Cochinchine mais aussi sur l’Annam : « Je suis d’accord avec la réponse faite par le général Leclerc pour les délégués dont nous n’avons que faire en Cochinchine. L’autorité de fait du gouvernement de Hanoi ne s’exerce jusqu’à présent qu’au nord du 16e parallèle. En droit, désormais, elle n’est que provisoire en Annam. » (cité in Turpin, 2005, p. 243)
Du 8 au 13 mars 46 : Troupes et matériel français continuent à être débarqués dans le port de Haïphong qui est désormais sous les ordres du colonel Dèbes (chef d’état-major de Morlière). Ce débarquement est cependant volontairement ralenti par les Chinois qui refusent de donner « des postes à quai » pour le faciliter (D’Argenlieu, 1985, p. 201). La situation dans la région est déjà particulièrement tendue, allant de brutalités à l’égard des Français civils ou militaires jusqu’aux meurtres. Les liaisons économiques avec Hanoi sont sans cesse interrompues (Valluy 3, 1967, p. 366). Le face-à-face avec les Vietnamiens semble inévitable au-delà des belles déclarations d’intention des uns et des autres.
9 mars 46 : Mise en place d’un gouvernement d’union nationale de 11 membres dont 5 appartiennent au V.M. HCM conserve la présidence (Sainteny, 1970, p. 86).
Marius Moutet informe D’Argenlieu de la ratification gouvernementale de l’accord du 6 mars (D’Argenlieu, 1985, p. 199). La convention préliminaire est approuvée sans difficulté par le gouvernement. D’Argenlieu découvre le contenu de l’annexe militaire et demande des comptes à Sainteny. Celui-ci dira dans ses écrits postérieurs qu’« il était impossible de revoir cette question sans remettre en cause la signature de l’ensemble. Il était d’ailleurs matériellement impossible de demander l’accord de l’Amiral avant la signature. » D’Argenlieu parle dans un premier temps d’une « bonne convention » mais a cherché à garder secret le texte de l’« accord annexe » avant de l’envoyer en métropole. Pour lui, le principal point d’achoppement concerne le plafond de 15 000 soldats français pouvant stationner au Tonkin, clause qui, selon lui, n’avait jamais été évoquée au préalable dans les discussions. Il en est de même pour le départ progressif des troupes françaises par cinquième prévu chaque année (Pedroncini, 1992, pp. 211-212).
Trois jours après les accords du 6 mars, le Comité central du P.C.V. décide « d’entrer en liaison sans tarder avec le P.C.F. en vue d’une action commune avec les camarades français » (Ruscio, 1985, p. 70).
10 mars 46 : Enlèvement au Tonkin d’un médecin militaire français et de deux infirmières qu’on ne reverra jamais. Le cycle de violence s’enclenche donc dès l’arrivée des Français. Il va être long, quasi ininterrompu. Le VM l’utilise comme une arme de guerre contre laquelle les Français, tenus par les accords du 6 mars et les futurs « accords d’états-majors » franco-vietnamiens (voir 3 avril), sont et demeureront impuissants. Cette impuissance à juguler la violence va permettre au VM de détruire en peu de temps les cadres de la société traditionnelle vietnamienne colonisée.
Le Comité interministériel pour l’Indochine ratifie les accords du 6 mars. Moutet et De Langlade, son secrétaire général, expriment de la part du gouvernement leur « satisfaction de l’heureuse conclusion des pourparlers poursuivis dans des circonstances difficiles [...] » Mais ces éloges ne vont pas durer car, pour l’instant, Paris n’a pas encore vraiment saisi le contenu de l’annexe militaire (voir 11, 12, 14 mars) (Bodinier, 1987, p. 226).
Leclerc souhaite que la future conférence franco-vietnamienne ait lieu à Paris, ce que ne veut D’Argenlieu pour mieux minimiser son importance. Il réitèrera ce propos les 15 et 16 mars (D’Argenlieu, 1985, p. 210). L’amiral commence à dénoncer la portée de l’accord annexe du 6 mars (Pedroncini, 1992, p. 395). Il parle alors dans un télégramme adressé à Paris d’une signature faite dans des « circonstances invraisemblables » et s’emploie rapidement à réduire la portée des accords qu’il déclare « limités dans le temps et aussi dans l’espace. »
Dans une lettre adressée à Leclerc, D’Argenlieu revient sur l’épineuse question de l’accord annexe : « L’Accord annexe traitant les questions militaires, en se deuxième partie, m’a fait la plus fâcheuse impression. J’en avais totalement ignoré le contenu. Causant avec Guillebon nous avons aussi conclu que la chose était faite, il nous restait à en tirer le meilleur parti. » L’amiral entend « ne rien hâter » au sujet de la future conférence franco-vietnamienne tant que l’opération de relève n’entrera réellement pas en vigueur. Il précise que « Paris est naturellement écarté comme lieu de conférence. Je l’ai obtenu sur le champ du gouvernement. Paris a décidé de ratifier la convention préliminaire […] » (Bodinier, 1987, pp. 324-325). Mais quid de l’accord annexe ?
11 mars 46 : D’Argenlieu reçoit le compte rendu d’une réunion préparatoire à la tenue d’une réunion du Comité interministériel pour l’Indochine qui lui reproche d’avoir choisi Dalat comme lieu de la prochaine conférence avec le gouvernement vietnamien alors qu’il avait, selon ses dires à Leclerc, obtenu un aval du comité en ce sens (voir 10 mars). La bureaucratie s’en mêle. Paris entend reprendre la main et s’immiscer dans les affaires indochinoises en envoyant « des délégués des départements ministériels » et propose « de créer une commission chargée d’étudier […] le problème fédéral et diplomatique. » D’Argenlieu y voit un « gauchissement extrême de la perspective du problème indochinois » avec l’arrivée d’« organismes métropolitains, irresponsables vis-à-vis des populations indochinoises. » (D’Argenlieu, 1985, pp. 204-205) Il entend procéder au Vietnam comme il l’a fait au Cambodge (voir 7 janvier), oubliant un peu rapidement qu’il n’a absolument pas au Vietnam l’assentiment que lui a accordé Sihanouk…
Bien que ne lui convenant pas, D’Argenlieu diffuse (avec retard…) à Paris (Cominindo) le texte de l’accord annexe. Sur l’exemplaire destiné à la Défense nationale, il annote : « Il ne vous échappera pas que le secundo de l’accord comporte des engagements que j’aurais voulu éviter. Renseignements pris, le général Salan, qui a pris part aux négociations avec Sainteny, s’est trouvé dans l’obligation de donner satisfaction sur ce point sous risque de tout remettre en question. Mes informations confirment que si le texte n’avait pas été signé le 6 mars, soir, de graves conséquences auraient pu résulter de l’incident de Haïphong. Général Leclerc [voir 8 mars] a eu la même réaction que moi, mais, tout bien pesé, sommes d’accord pour juger que nous devons nous accommoder des bases de l’accord pour organiser au mieux nos forces en Indochine. » (cité in Turpin, 2005, p. 222).
Les tracasseries chinoises pour nuire au débarquement français se poursuivent comme en témoigne un télégramme de Leclerc : « Débarquement continue – Relations toujours aussi tendues avec Chinois qui n’exécutent pas les ordres de Hanoi, en particulier en refusant encore accorder débarquement à quai. » (cité in Turpin, 2005, p. 209).
12 mars 46 : Réunion franco-vietnamienne à Hanoi, rue Le-Loï. Première discussion Salan-Giap autour de l’« annexe » militaire du 6 mars. Vu Hong Kahn (chef du V.N.Q.D.D., signataire des accords du 6 mars) y participe. Selon Salan, Giap entend la « neutraliser petit à petit ». Côté français, c’est à cette occasion qu’est présenté le commandant Jean-Julien Fonde de l’état-major de Leclerc qui doit assurer le rôle de chef de la délégation française pour assurer la liaison franco-vietnamienne. Il a un premier contact avec Giap qui entend gagner sa « sympathie » mais lui apprend que son épouse et sa belle-sœur sont tous deux mortes dans les geôles françaises. Giap lui confie que la période qui s’annonce sera « délicate » et que « les négociations seront longues et difficiles. L’application des accords n’ira pas sans heurts. » Début de la rédaction de « convention d’état-major. Salan fait savoir que Leclerc « souhaite venir prendre contact, le plus tôt possible avec le président [Giap] et la population française. » En vue d’arrondir les angles, Giap précise à Salan que Leclerc sera reçu « en grand chef » à Hanoi le 18 (Salan 1, 1970, p. 342 ; Fonde, 1971, pp. 154-155).
Réponse de D’Argenlieu au Comité interministériel pour l’Indochine : l’accord du 6 mars a une portée limitée dans le temps et l’espace. « Il a un caractère local » et « n’est qu’une étape » qui ne préfigure pas « de la fusion éventuelle des trois « Ky » ». Le choix de Dalat (voir 7 mars) se justifie par le fait d’en faire une « capitale fédérale ». Pour D’Argenlieu, Paris donne trop d’importance à cet accord, faisant ainsi le jeu du gouvernement vietnamien. C’est à lui et au gouvernement fédéral qu’il a institué de prendre désormais les bonnes décisions (D’Argenlieu, 1985, pp. 205-207).
D’Argenlieu envoie une mise au point à Paris au sujet des accords du 6 mars qui, bien que signés, ont à ses yeux une portée des plus limitée : « L’objet essentiel de ce document est de créer le climat favorable à l’ouverture de pourparlers conduisant à une entente définitive […] Cet accord, limité dans le temps, l’est également dans l’espace. Il a un caractère local […] » En fait, pour l’amiral, ces accords, qui souffrent depuis leur élaboration d’une définition géographique vague. Dans son esprit, ils se cantonnent au seul Tonkin (Devillers, 1988, pp. 164-165).
D’Argenlieu dans un échange avec le Cominindo estime qu’« il importe de ne rien précipiter » tant que les forces françaises n’auront pas garanti un retour à la normale. Il revient à nouveau sur le choix de Dalat pour lieu de la future conférence car la station doit devenir « la capitale fédérale » si le gouvernement d’Hanoi l’accepte (Devillers, 1988, p. 170).
Le Conseil consultatif de Cochinchine demande confirmation de l’accord du 6 mars le concernant. Reprenant la terminologie de D’Argenlieu, Cédile (commissaire de la République en Cochinchine) lui répond que la France n’a signé qu’une convention locale et confirme que l’expression « République du Vietnam » figurant dans la « convention préliminaire » n’impliquait de la part du gouvernement français « aucune reconnaissance d’un gouvernement unique groupant » les trois Ky (Gras, 1979, p. 105).
Le ministre des Affaires étrangères du nouveau gouvernement de coalition vietnamien, le nationaliste Nguyen Tuong Tam (V.N.Q.D.D.) qui s’était arrangé pour ne pas signer les accords du 6 mars en délégant, cherche un appui sino-américain et déclare : « La Chine et l’Amérique ont le devoir de sauver la guerre en Extrême-Orient […] En attendant que la France et le Vietnam aient établi une paix solide, l’Amérique doit nous aider à tous les points de vue, comme la Chine. » A son instigation, une mission d’amitié des principaux partis est envoyée auprès de Tchang Kaï Check. Bao Daï en sera (voir 18 mars) (Devillers, 1988, p. 154).
13 mars 46 : Leclerc presse le colonel Crépin (adjoint de Salan), toujours à Chunking depuis début janvier, de signer au plus vite l’accord avec l’état-major chinois, ce qui aurait dû être fait depuis le 1er mars. Les responsables militaires, sous la contrainte de Tchang Kaï Chek, signent enfin, à 13 heures 30, le texte relatif aux « dispositions concernant les principes généraux de la relève des troupes chinoises par les troupes françaises en Indochine au nord du 16e Parallèle » (voir 28 mars). Lou Han reçoit enfin l’ordre formel de Tchang Kaï Tchek de se rendre à Hanoi et de superviser en son nom l’exécution de cet accord. Selon D’Argenlieu, du 13 au 28 mars, « la situation commence à s’améliorer entre les états-majors français et chinois. » (D’Argenlieu, 1985, p. 209) Le colonel Crépin, plongé depuis longtemps au cœur de ces douteuses négociations, écrit quant à lui : « Je ne me faisais pas grande illusion sur la valeur pratique de cet accord en raison de la mauvaise foi des armées chinoises. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 173)
Les réactions négatives de Paris aux accords du 6 mars commencent à se manifester. Une note de Philippe Baudet (directeur de la section Asie-Océanie au Quai d’Orsay) avec la mention « pour le ministre » (Georges Bidault) observe : « […] C’est avec étonnement et une émotion considérables que le Gouvernement français, déjà surpris par le retard, a pris connaissance des termes de cet accord, qui stipule le retrait des troupes françaises des pays annamites par cinquièmes successifs dans un délai de cinq années […] Le ministre des Colonies, après avoir envoyé le 9 mars un télégramme d’approbation et même de félicitations à l’amiral lui a adressé le 13 mars, après accord de M. Félix Gouin, un nouveau télégramme par lequel il lui marque que le Gouvernement est mis en présence d’un fait accompli concernant des points sur lesquels il n’a jamais été consulté […] En fait, devant cette disposition militaire inattendue, le Gouvernement est en droit de se demander s’il a placé à bon escient sa confiance dans ses représentants en Indochine, et il doit considérer jusqu’à la possibilité de les désavouer […] » (cité in Devillers, 1988, pp. 165-167) D’Argenlieu, qui avait différé l’envoi de l’accord militaire annexe à Paris, devient une cible.
Avalanche de télégrammes du Comité interministériel pour l’Indochine. Le premier est signé Moutet et De Langlade (secrétaire général du Comité) et est adressé à D’Argenlieu : « Le Gouvernement est maintenant mis en présence d’un fait accompli concernant des points sur lesquels il n’a jamais été consulté [accord militaire annexe, voir 6 mars]. Je vous prie à l’avenir de ne conclure aucun accord de quelque nature que ce soit sans que le texte ait été au préalable soumis à l’accord du gouvernement. Faites des réserves pour la relève des troupes [...] » (cité in D’Argenlieu, 1985, p. 207 ; Bodinier, 1987, pp. 227-228)
Le Comité demande à D’Argenlieu d’obtenir, dans les négociations d’états-majors à venir, de ne pas limiter les effectifs français à 15 000 hommes au nord du 16e parallèle. Il faut également revenir sur la clause des 5 ans pour le départ définitif des troupes françaises de l’accord annexe et maintenir des bases aériennes et navales. La conférence franco-vietnamienne à venir ne pourra avoir lieu ni à Paris ni à Saigon et c’est D’Argenlieu, assisté de délégués du Comité issus de différents ministères (voir 11 mars), qui dirigera la délégation française à Dalat (D’Argenlieu, 1985, pp. 210-211).
Officiellement mis en cause par la Comité au sujet des incidents de Haïphong, Salan est rappelé à Paris (D’Argenlieu, 1985, p. 212). Dans les faits, on lui reproche surtout d’avoir avalisé et fait signer par Sainteny l’accord annexe du 6 mars.
Moutet (F.O.M.) va dans le sens de D’Argenlieu et de sa politique du « diviser pour mieux régner » en Indochine : « On me signale qu’il serait possible d’organiser avec les personnes connaissant bien la Cochinchine toute une propagande pour empêcher sa réunion au Tonkin sous le slogan : la Cochinchine aux Cochinchinois. » (cité in Turpin, 2005, p. 245)
14 mars 46 : Sainteny adresse un télégramme à D’Argenlieu sur la situation à Hanoi qu’il juge « très troublée depuis vingt-quatre heures par campagne de presse et bruits mis en circulation ». On reproche aux Français le projet de référendum sur le sort de la Cochinchine. Radio-Saigon annonce le retour de toute l’Indochine sous souveraineté française. Le choix de Paris pour les prochaines négociations est dénoncé par la presse prochinoise.
Sainteny, commissaire de la République au Tonkin et Nord-Annam désavoué, fait part à D’Argenlieu de son désir de mettre fin à ses fonctions et de rentrer en France. Il y renoncera ultérieurement (voir 25 mars) (D’Argenlieu, 1985, p. 236 ; Devillers, 1988, p. 170).
15 mars 46 : Télégramme de Leclerc à D’Argenlieu : des déclarations et émissions de Radio-Saigon sur l’avenir de la Cochinchine ont renversé la situation au Tonkin et en Annam. Les Chinois les ont exploitées et le VM cherche désormais leur appui contre les Français. Il y a un risque de fuite du gouvernement du VM et de déclenchement des hostilités. Ce que souhaitent les Chinois, c’est démontrer que la France est incapable d’assurer l’ordre et la sécurité des minorités, ainsi que celle de leurs ressortissants. Leclerc demande à D’Argenlieu « de prendre les décisions [politiques] qui s’imposent » (Salan 1, 1970, pp. 346-347). Selon Leclerc, il y a donc un risque de fuite du gouvernement vietnamien et il faut rompre cette coalition vietnamo-chinoise, notamment en convoquant une conférence franco-vietnamienne hors de l’Indochine, à Paris et non à Dalat (Devillers, 1988, p. 170).
Nouvelle réponse écrite de D’Argenlieu au Comité interministériel pour l’Indochine. Le ton monte encore d’un cran entre l’amiral gaulliste et le socialiste Moutet : pour D’Argenlieu, le gouvernement a été régulièrement mis au courant de la négociation de l’accord du 6 mars. L’amiral se justifie auprès du Comité : il n’a pris, « comme vous », connaissance de l’accord annexe qu’après qu’il ait été signé ; il y a eu « des circonstances invraisemblables dans lesquels Ho Chi Minh s’est décidé à une conclusion et dans lesquelles nos délégués ont eux-mêmes été amenés à conclure » ; enfin, le débarquement à Haïphong était strictement lié à la conclusion de cet accord. D’Argenlieu apprend que De Langlade, un soutien gaulliste, doit quitter le secrétariat du Comité sans que l’on sache qui va le remplacer (voir 15 et 21 avril). L’amiral se demande alors : « Serons-nous même consultés à Saigon ? » (D’Argenlieu, 1985, pp. 207-208)
Sainteny, qui a récemment rencontré HCM, rapporte que celui-ci regrette l’actuelle tension qui règne à Hanoi (voir 14 mars). Ho estime que seule l’annonce de l’envoi rapide d’une délégation du G.R.A. vers Paris pourrait atténuer ces tensions (Devillers, 1988, p. 171). Dans un premier temps, D’Argenlieu se garde bien de transmettre cette information à Paris, estimant que Sainteny s’est « beaucoup trop avancé » sur le lieu pressenti pour la future conférence.
Suite à l’apport de renforts, le C.E.F.E.O. présent en Indochine compte environ 61 000 hommes. Le ministre de la France d’Outre-mer fait savoir qu’on procèdera à des rapatriements d’hommes ayant plus de 5 ans de service. Cette annonce correspond en fait au début d’un déficit chronique en effectifs qui ne sera jamais comblé (Bodin, 1996, p. 16).
16 mars 46 : Leclerc dispose (enfin…) de 53 750 hommes du C.E.F.E.O. 29 000 sont en transfert et 2 900 attendent toujours leur départ (Turpin, 2005, p. 123).
Leclerc annonce à Salan (discrédité par Paris depuis les accords du 6 mars) que le général Valluy va prendre le commandement du Nord à sa place. Salan demeurerait alors le délégué pour « les affaires chinoises et les discussions avec Giap ». Leclerc lui signifie que D’Argenlieu veut lui confier le commandement du Sud mais Salan, désavoué et aigri depuis l’affaire de l’accord militaire annexe, veut rentrer en France (Salan 1, 1970, p. 342-343).
HCM adresse à Gouin (président du Conseil) un télégramme de protestation contre les agissements des troupes françaises qui sont à déplorer malgré les ordres de cessez-le-feu provoqués par l’application de la Convention préliminaire et de l’annexe militaire du 6 mars. D’Argenlieu y voit un « chef d’œuvre de duplicité » à la veille de sa rencontre avec lui en baie d’Along (D’Argenlieu, 1985, pp. 227-228). HCM obtiendra cependant une réponse de Moutet à sa plainte. Il lui demande, non sans ironie, de « signaler les incidents » à… D’Argenlieu (D’Argenlieu, 1985, p. 235)
A Ninh Dinh, près de Saigon, massacre de 15 catholiques et enlèvement de 30 personnes qui inaugure une vague de terrorisme menée par Nguyen Binh. Celui-ci a remplacé Tran Van Giau au poste de commissaire aux armées du Nam Bo (Gras, 1979, p. 109). Il va instaurer un véritable climat de terreur déstabilisatrice au Sud : meurtres, enlèvements, expéditions punitives, attentats.
17 mars 46 : Rencontre Salan-Giap à 22 h 00. Giap l’avertit que les Chinois envisagent de « provoquer des incidents » sur la route des troupes françaises entre Haiphong et Hanoi. Giap l’assure que les forces du VM ne bougeront pas (Salan 1, 1970, p. 348).
Télégramme adressé par D’Argenlieu à Moutet. La situation à Hanoi est si tendue qu’il envisage un revirement pour la future conférence franco-vietnamienne en vue de contenter HCM. Selon les vœux de ce dernier, elle doit avoir lieu à Paris et non Dalat. Pour D’Argenlieu, l’envoi de délégués du Comité interministériel imposés par le gouvernement associés aux membres du comité fédéral, pour être crédibles face aux Vietnamiens, devront avoir une « communauté de vue sur les points essentiels. » Selon lui, les délégués parisiens doivent donc être placés sous son autorité (D’Argenlieu, 1985, pp. 212-213). Pirouette qui doit permettre au haut-commissaire de les neutraliser.
Mémorandum protocolaire de D’Argenlieu en vue de sa rencontre avec HCM en baie d’Along. Les deux hommes ne se sont jamais vus. La rencontre, prévue sur l’Émile Bertin, doit prendre une allure solennelle et préfigurer celle de Paris, ce que n’oublie pas de préciser D’Argenlieu dans son invitation pour amadouer son interlocuteur. L’aval du gouvernement à cette rencontre sera donné le 19. Par crainte d’un refus de présence d’HCM qui ne jure que par Paris, il ne lui sera remis que le 20 par l’intermédiaire de Sainteny et Leclerc. HCM demande à ce que Sainteny, avec qui il entretient des relations privilégiées, soit présent ce jour-là (D’Argenlieu, 1985, pp. 219-221 ; Devillers, 1988, p. 172).
Au Sud, des tracts distribués à Saigon et dans sa banlieue annonce que le VM punira de mort tout acte de collaboration avec les Français. Ils sont signés de la main de Nguyen Binh, nouveau commissaire aux armée du Nam Bo (Gras, 1979, p. 109). L’armée française ne peut rien contre ce genre d’actes qui instaurent par leur répétition un climat de terreur au Sud et ce, d’autant plus, que les forces de la Sûreté et la police, décapitées par les Japonais, ne sont toujours pas véritablement reconstituées.
Au nord, à Hanoi, la situation demeure tendue comme en témoigne Ngo Van Chieu, officier dans la nouvelle armée vietnamienne : « Nous occupons l’ancienne caserne de la Garde Indochinoise, et on nous lit deux proclamations signées l’une par le Président Ho Chi Minh, l’autre par le Général Leclerc. Elles demandent aux populations vietnamienne et française de conserver leur calme et de s’abstenir de tout acte inconsidéré. Nous sommes consignés, en alerte, et une mission précise est assignée à notre unité : dès le 17 au soir, et jusqu’à nouvel ordre, nous devons nous tenir prêts à couvrir face à l’ennemi, l’évacuation de Hanoi par le Gouvernement. Les points de repli vers la campagne sont nettement désignés, les itinéraires reconnus, et les « guérillas » de rue mis (sic) en place. Les Tu-Ve sont également mis en alerte. » (Ngo Van Chieu, 1955, pp. 74-75). Les craintes des Français d’une fuite du nouveau gouvernement vietnamien du fait de leur retour au Tonkin ne sont donc pas de simples chimères.
Dans une lettre adressée à D’Argenlieu ce jour surgit un nouveau point de divergence aigu entre l’amiral et son subordonné. Leclerc plaide à nouveau pour qu’HCM obtienne satisfaction dans son choix en faveur de Paris pour poursuivre les négociations : « Amiral… Un point vous surprendra, c’est que, d’accord avec Sainteny, nous n’avons pas encore remis le mémorandum, car il nous semblait dépassé par les événements. Étant donné l’ambiance chez Ho Chi Minh, si on ne lui donnait pas l’assurance de Paris, on risquait une rupture définitive. Au cours de la journée de demain, ce mémorandum lui sera remis, ce qui nous permettra de le sonder, mais il nous répondra certainement : « D’accord mais à condition que nous obtenions Paris. » » (cité in Turpin, 2005, p. 230)
18 mars 46 : Entrée de Leclerc à Hanoï à la tête de 1 000 hommes et 200 véhicules de la 2e D.B. Il est accompagné de Sainteny. La communauté française est enfin rassurée et les accueille en libérateurs car les accords du 6 mars ont été rejetés par une bonne partie de la population française. Selon Valluy, « les Français acceptent mal l’accord […] et ne veulent pas admettre que le Vietnam est un État libre. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 215) Du haut d’un balcon de l’hôtel de ville, Leclerc, libérateur de Paris et Strasbourg, lance : « Hanoi, dernière étape de la libération » (Turpin, 2005, p. 226).
Sainteny, Leclerc et Salan rencontrent à 17 h 30 HCM « dans une atmosphère détendue » (du moins pour l’instant…, voir 6 juin). Les forces du VM participent aux manifestations du moment aux côtés des Français. Seul Valluy semble plus circonspect dans le rapport qu’il fera de la journée à D’Argenlieu le 20 (D’Argenlieu, 1985, p. 222). En amont de cette journée, le VM avait pris ses dispositions pour fuir au cas où l’entrée de Leclerc à Hanoi aurait tourné au coup de force (voir 17 mars) (Gras, 1979, p. 105).
Moutet répond au message de D’Argenlieu de la veille qui marquait une inflexion de l’amiral en faveur de Paris pour y tenir la future conférence franco-vietnamienne. Le ministre n’est pas opposé à ce que la conférence se tienne dans la capitale française. Il précise dans sa réponse, « d’autant plus […] qu’ici nous pourrions facilement obtenir d’avantage, le principal personnage étant soustrait aux influences de son milieu. De telle sorte, tout en étant préparé par vous et les délégués des départements ministériels, la solution définitive pourrait être envisagée ici. » (cité in Devillers, 1988, p. 171). Faisant suite à sa lettre de la veille, Leclerc envoie Salan à Saigon pour tenter de convaincre D’Argenlieu de retenir Paris comme lieu de la future conférence franco-vietnamienne (Pedroncini, 1992, p. 395).
Bao Daï qui a accepté de faire partie de la mission d’amitié du gouvernement vietnamien auprès de Tchang Kaï Check quitte Hanoi le matin pour la Chine (Chunking) dans un appareil américain. Il est pressenti par les nationalistes prochinois comme pouvant être celui qui renversera le gouvernement vietminh. Début d’un long exil entretenu à souhait par l’intéressé… (Devillers, 1988, p. 154)
D’Argenlieu se plaint dans une lettre adressée à Michelet (ministre de la Défense) des revirements du Comité interministériel pour l’Indochine sur la question de l’annexe militaire du 6 mars et lui demande clairement quelle est la position du gouvernement à son égard (voir 30 mars) (D’Argenlieu, 1985, pp. 213-214).
Moutet (F.O.M.) donne tardivement des instructions à D’Argenlieu sur les bases militaires que la France entend conserver telles que prévues par les accords du 6 mars. Il ajoute : « Au Comité interministériel, c’est le ministre des Affaires étrangères [Bidault] qui a vivement protesté contre l’accord militaire. En ce qui me concerne, je prends toute ma responsabilité de vos accords et je défendrai devant l’Assemblée tout ce que vous avez fait, dont je suis entièrement solidaire […] » (Devillers, 1988, p. 168) Des dissensions apparaissent au sein même du gouvernement sur la portée de ces accords.
19 mars 46 : Évoquant le retour des Français au Tonkin, Salan note : « La journée du 19 est occupée à installer les nouveaux venus, chacun obtient satisfaction et les esprits sont à l’euphorie. » (Salan 1, 1970, p. 349). Leclerc passe en revue les troupes de la Citadelle qui ont été réarmées. Il fait pavoiser ses véhicules de drapeaux français et vietnamiens et demande pour la garde de sa villa la présence conjointe de 15 soldats français et 15 vietnamiens (Devillers, 1988, p. 155).
Début d’une visite officielle de trois jours de Sihanouk à Saigon.
20 mars 46 : HCM accepte la proposition de rencontrer D’Argenlieu en baie d’Along, à la condition expresse de pouvoir aller à Paris ultérieurement. Il espère y trouver des appuis politiques de gauche pouvant faire pression sur le gouvernement provisoire. La date du 24 est proposée pour le début de la conférence de la baie d’Along (D’Argenlieu, 1985, p. 223).
Malgré la visite officielle de Sihanouk à Saigon entamée la veille, un conseil fédéral est maintenu en présence de l’amiral qui y critique à nouveau l’annexe militaire du 6 mars (D’Argenlieu, 1985, pp. 223-224).
Dans un projet de télégramme adressé à Sainteny et Leclerc, D’Argenlieu, insatisfait de la situation au Nord, écrit : « De concession en concession, nous aboutissons finalement à une impasse […] Le but que nous avons visé pendant cinq mois était de raffermir notre autorité dans le Nord et pour ce faire d’y introduire nos troupes dans les meilleures conditions. Mais cette heureuse arrivée de nos troupes n’est pas une fin en soi si elle s’accompagne politiquement d’un renoncement progressif aux instruments indispensables à l’exercice de cette autorité. Le cadre de la Fédération en est l’instrument essentiel. C’est à en sortir sans délai que tend l’attitude du G.R.A. » (cité in Turpin, 2005, p. 231)
Henri La Laurentie (directeur des Affaires politique à la F.O.M.) écrit dans une note critique adressée à un Moutet toujours aussi versatile : « Je crois deviner qu’ici même et à Saigon s’insinue la tentation de diviser pour régner. Cédile s’élance avec sa fougue un peu frustre, dans une politique indochinoise. L’Amiral n’y contredit pas. Si vous n’y mettez pas bon ordre nous perdrons en un tournemain tout le bénéfice moral de notre accord avec le Vietnam. » Selon lui, « l’habilité désormais consiste à éviter les habilités. » (cité in Turpin, 2005, p. 246)
21 mars 46 : Attaquant à partir du Cambodge, du Centre-Vietnam et du Nord, les troupes françaises et laotiennes (dites des Forces du Laos) appuyées par l’aviation britannique infligent une défaite à Thakhek aux forces communistes du Pathet Lao. Cette ville située sur le Mékong à la frontière lao-thaïlandaise (sud-est de Vientiane) est un nœud stratégique où se croisent les routes principales. Le prince Souvanouphong (pro-Pathet Lao) y est blessé et évacué vers la Thaïlande (Burchett, 1970, p. 121).
Un rapport du département d’État américain favorise, mais avec la prudence jugée nécessaire pour ce qui touche à l’Indochine, le réarmement de la France. Il affirme : « Cette politique est de soutenir les Forces armées françaises en leur fournissant du matériel. Mais, en attendant une clarification de la situation en Indochine, toute livraison de matériel militaire américain qui semble lié directement à cette région doit être suspendue. » Tout comme sous l’administration Roosevelt (voir 30 août 1945), mais avec moins de vigueur, les U.S.A. de Truman estiment devoir « ne pas renforcer la position du gouvernement français dans son effort de restauration par la force de la position d’avant-guerre de la France en Indochine. » (Pedroncini, 1992, p. 223)
Une note de service de Leclerc nomme officiellement le commandant Jean-Julien Fonde au poste de chef de la délégation française de la commission franco-vietnamienne de liaison et de contrôle (Fonde 1971, p. 171, note 1).
22 mars 46 : Un décret pris par HCM lui permet de nommer plusieurs sous-secrétaires d’État tous communistes et de poursuivre ainsi une totale mainmise sur le gouvernement : Hoang Minh Giam est nommé à l’Intérieur, Ta Quang Buu à la Défense nationale, Do Duc Duc à l’Éducation nationale (Fall, 1960, pp. 49-50).
Cérémonie franco-vietnamienne aux monuments aux morts français et vietnamien d’Hanoi en présence de Giap. Défilé de troupes françaises et du VM vers la Résidence supérieure où les attend HCM acclamé par une foule. Cette dernière apparaît cependant clivée par l’amalgame des troupes qui défilent (Salan 1, 1970, p. 351 ; Gras, 1979, p 101 ; Ngo Van Chieu, 1955, pp. 76-77).
23 mars 46 : Départ de Leclerc et Salan pour Haïphong. D’Argenlieu les attend en baie d’Along à 15 h 00. Il confie à Salan « qu’il a dû [le] défendre contre Paris » car les Chinois l’ont mis en cause dans les incidents du débarquement (voir 13 et 16 mars). Salan exprime son désir de rentrer en France contre l’avis de l’amiral qui pourtant ne l’apprécie guère (voir 14 avril) et voit en lui l’un des malencontreux instigateurs de l’accord militaire annexe du 6 mars (Salan 1, 1970, p. 352).
24 mars 46 : Rencontre D’Argenlieu-HCM en baie d’Along sur le croiseur Émile Bertin. D’Argenlieu pense, à juste raison, que son interlocuteur considère cette rencontre comme « un piège ». HCM, méfiant, n’y était pas forcément favorable car il sait qu’il va y être question d’une conférence préliminaire sur le territoire indochinois qu’il réprouve et qui doit se tenir à Dalat. Or HCM ne veut aller qu’à Paris. Sainteny et Leclerc demeurent quant à eux favorables à une conférence parisienne. Ils y voient « une manière de soustraire Ho Chi Minh aux pressions de son entourage et à l’influence chinoise » et à « l’atmosphère fiévreuse et « colonialiste » du Tonkin (Sainteny, 1970, pp. 91-92). Au final, malgré ses réticences, HCM donnera au cours de cette rencontre son aval pour que la conférence de Dalat puisse avoir lieu mais n’y participera pas personnellement.
La journée en baie d’Along commence par une première rencontre de courtoisie vers 9 h 35. Un second entretien entre HCM et l’amiral, le plus important, a lieu à 11 heures après une revue d’escadre visant à impressionner l’invité. On y évoque la Convention préliminaire du 6 mars et des questions autour de la Fédération indochinoise et de l’Union française. On revient sur le mémorandum du 17 mars et la question de la conférence de Paris « qui ne saurait tarder ». Pour HCM, elle serait « la conclusion définitive des accords. » L’amiral lui répond que « Paris [le gouvernement français] tient à ce qu’une conférence se tienne sans atermoiements en Indochine [Dalat]. » HCM fait pour l’instant mine d’accepter et l’on part déjeuner. Discours de l’amiral puis toasts.
Nouvelle parade navale l’après-midi. Un troisième entretien a lieu vers 15 h 30 en compagnie cette fois du ministre des Affaires étrangères, Nguyen Tuong Tam et de « son homme lige », Giam (sous-secrétaire à l’Intérieur). Côté français sont invités Sainteny et son directeur de cabinet Longeaux. On en revient à une idée évoquée lors du deuxième entretien du matin : envoyer à Paris une délégation de l’Assemblée nationale vietnamienne qui serait reçue à l’Assemblée nationale française, une manière de valoriser les « récents accords » et de faire preuve des deux côtés d’une forme de « good will ». Pour D’Argenlieu, c’est aussi une manière d’aller à Paris mais sans que président du Vietnam soit présent… À 17 heures, HCM quitte l’Émile Bertin (D’Argenlieu, 1985, pp. 229-234).
Leclerc et Salan, présents toute la journée sur le navire, n’ont pas été invités à participer aux entretiens. Leclerc est furieux et le fait savoir. Son éviction, voulue par D’Argenlieu (voir D’Argenlieu, 1985, p. 233, note 1), entraîne une nouvelle violente tension entre les 2 hommes que les Chroniques de l’amiral se gardent bien d’évoquer. Les mémoires de Salan en disent plus sur ce différend. D’Argenlieu demande à Salan d’intervenir auprès de son supérieur pour le ramener à la raison : « Mon général, vous êtes ici mon délégué militaire, le général Leclerc vient d’avoir à mon égard un geste discourtois, je vous prie de le ramener à la raison. Pendant plus d’une semaine, il a eu toute latitude de s’entretenir avec Ho Chi Minh, c’est bien mon tour maintenant. Je ne veux pas courir un « Munich indochinois », il ne faut plus aller de concessions en concessions. Si j’accorde Paris, je crains que Ho ne demande encore plus. Je suis favorable au départ d’une délégation pour Paris, mais Ho doit rester à Hanoi. » (Salan 1, 1970, p. 353)
À l’issue de cette journée sera rédigée une « proposition » adressée aux deux gouvernements. Elle prévoit : un envoi d’un groupe de 10 parlementaires vietnamiens à Paris dans la première quinzaine d’avril pour y « porter à l’Assemblée constituante française le salut fraternel de l’Assemblée nationale de la République du Vietnam ». On convient de l’ouverture d’une conférence préparatoire à Dalat en vue de celle de Paris avec désignation de 12 membres par délégation (voir 3 avril pour la constitution de la délégation française). Le but de cette conférence préparatoire est de conclure un accord définitif qui sera signé à Paris (D’Argenlieu, 1985, p. 238). Une contre-proposition vietnamienne tentera d’éluder les termes allant dans le sens des Français. D’Argenlieu l’estimera donc inacceptable en l’état (D’Argenlieu, 1985, p. 238).
Faisant un bilan de cette rencontre, Louis Raymond observe : « Les deux hommes [D’Argenlieu et HCM], après une matinée de conversations, convinrent de l'envoi d'une délégation parlementaire vietnamienne à Paris, de l'organisation d'une conférence préliminaire à Dalat, suivie d'une conférence finale entre les deux pays à Paris au cours de l'été. Les bases d'un dialogue pacifique sont toutefois posées. La question du respect des accords fut, de part et d'autre, sujette à bien des échauffourées. De nombreux incidents contribuèrent à amener les deux camps à s'accuser respectivement de leur violation et l'on s'achemina vers les deux conférences prévues [Dalat puis Fontainebleau] dans un climat où la violence sourdait. » (Raymond, 2013, p. 72)
25 mars 46 : Premiers accords militaires Leclerc-HCM qui seront complétés le 3 avril (Valluy 1, 1967, p. 34).
Longues discussions entre Salan et Giap. Ce dernier est « inquiet » et semble désappointé par la teneur des discussions de la baie d’Along entre HCM et D’Argenlieu (Salan 1, 1970, p. 342).
Pour autant, HCM adresse un télégramme de remerciement à D’Argenlieu suite à l’entrevue en baie d’Along. Il sera transmis le 26 au Comité interministériel pour l’Indochine.
Sainteny, un moment hésitant et découragé après la remise en cause de la signature des accords du 6 mars, entend finalement garder son titre de commissaire au Tonkin et en Annam (voir 14 mars) (D’Argenlieu, 1985, p. 236).
Suite à une invitation de D’Argenlieu, visite de Lou Han, accompagné de hauts-gradés chinois, et d’une délégation anglaise et américaine pour assister à bord de l’Émile Bertin à une démonstration de tirs. Visiblement, ce navire qui a reçu depuis peu le président vietnamien, doit aussi montrer aux Chinois la puissance de l’armée française…
26 mars 46 : Très brève réunion franco-vietnamienne à Hanoi, rue Le-Loï. Salan présente un plan de répartition des 15 000 Français des forces de relève prévues par l’accord du 6 mars dans les principaux centres au nord du 16e parallèle. Il estime qu’il y a urgence à « décongestionner Haiphong où le chaudron bout. » Giap estime quant à lui que « ce projet met en cause la souveraineté du Vietnam » et que « la délégation vietnamienne en présentera un autre… » La réunion se clôt au bout de 10 minutes, sans la moindre amorce de dialogue (Fonde, 1971, p. 179).
Création du Conseil consultatif de Cochinchine. Allant dans le même sens que Cédile (commissaire de la République en Cochinchine) et Moutet (ministre de la France d’Outre-mer), ce Conseil désigne le docteur Nguyen Van Trinh, leader du Parti démocrate, président du Comité consultatif, comme chef du « Gouvernement provisoire de la République de Cochinchine » voulu par D’Argenlieu. Cette désignation est contraire aux accords du 6 mars qui prévoyaient un référendum pour fixer le sort de la province. Même si ce gouvernement n’est que « provisoire », le sens de l’accord n’est donc pas respecté et ne fait que conforter le fait que les Français ne considèrent pas la Cochinchine comme faisant partie de la « République du Vietnam » comme le laissait pourtant entendre la convention préliminaire du 6 (Francini 1, 1988, p. 299).
Un membre du Conseil restreint de Cochinchine, Tran Van Phat, est assassiné ce même jour par des hommes sous les ordres de Nguyen Binh) (De Folin, 1993, p. 159). Binh a décidé de reprendre l’initiative en prenant pour cible ceux qui prônent le séparatisme cochinchinois.
Débarquement à Tourane (Da Nang) des troupes du 23e R.I.C. en vue de la relève des troupes chinoises dans la région Tourane-Hué. Contrairement à ce qui s’était passé à Haïphong, le débarquement a lieu cette fois sans le moindre heurt (Devillers, 2010, p. 89).
27 mars 46 : Rapport de Leclerc envoyé à Paris pour la période du 20 octobre 1945 au 25 mars 1946. Il est destiné au gouvernement. Le général estime que « les autorités et le Gouvernement [sont] insuffisamment informés » des opérations qui ont eu lieu depuis cinq mois au Tonkin. Il précise les craintes de son auteur : « S’il est probable que la Chine reculerait devant un conflit armé avec la France, ses unités irrégulières donneraient tout leur appui aux forces révolutionnaires annamites, à travers des frontières dont on connaît la perméabilité. C’est donc, si l’on tente de réinstaurer la souveraineté française au Tonkin par la force des armes, un conflit de grande envergure qu’il faut être prêt à affronter » (cité in Sainteny, 1970, p. 78). Le même rapport précise par ailleurs : « […] Je l’affirme catégoriquement, la reconquête du Tonkin, même en partie, est impossible. Ce n’est pas avec une petite division, et en 1946, qu’on conquiert un pays surexcité, armé et grand comme les deux tiers de la France. En outre, le problème n’aurait pas tardé à prendre une ampleur internationale. C’est pourquoi on ne soulignera jamais assez l’importance des accords qui ont été conclus. » (cité in Turpin, 2005, p. 222) Leclerc revient sur ce qu’on a nommé « l’incident d’Haïphong », estimant qu’il n’était pas un incident « mais bien un combat contre le Général chinois prévenu, en excellente liaison avec nous, et ayant parfaitement compris. » Il déplore par ailleurs la mauvaise volonté des Chinois dont il souhaite un départ qui ne se produit toujours pas malgré le retour des Français (Férier, 1993, pp. 17-18).
Leclerc répond également aux critiques venues de Paris au sujet des accords du 6 mars. Les avantages obtenus sont supérieurs à ceux qui auraient pu être gagnés par les armes. Reste à les exploiter, tâche purement politique qui revient à D’Argenlieu. Leclerc écrit à ce propos : « Maintenant que nous occupons solidement, bien qu’imparfaitement la Cochinchine, le Cambodge et le Sud-Annam, une grande partie du Laos, et quelques bases au Tonkin, il est permis d’affirmer que nous avons gagné la première manche. Reste la deuxième, avant tout à base de politique et de négociation. » (cité in Chaffard, 1969, p. 74 ; extraits in Devillers, 1988, pp. 155-157)
Pour une raison obscure, les Français s’emparent à Hanoi du bâtiment de la direction des Finances de la R.D.V.N., ce qui provoque de nouvelles tensions. Valluy donnera l’ordre de le restituer en le dotant cependant d’une garde mixte (Devillers, 1988, p. 175).
28 mars 46 : Nouvelle réunion franco-vietnamienne après celle du 26 qui n’avait duré que 10 minutes. Le climat est toujours aussi tendu. Giap dénonce les « empiètements » français à Hanoi qu’il assimile à des provocations d’attitudes (patrouilles braquant leurs fusils en passant devant palais du Gouvernement, locations de bâtiments faites sans autorisation, réoccupation sans préavis de locaux administratifs libérés par les Chinois). Pour Giap, la population vietnamienne est excédée par ces provocations d’où son appel à la grève pour le lendemain. Salan revient sur la question du « chaudron » de Haïphong. En vain (Fonde, 1971, p. 180).
Salan rencontre Lou Han et signe à 11 h 50 l’accord concernant l’évacuation des troupes chinoises. Selon lui, « […] nous sommes d’accord sur les traductions après vérification des textes français et chinois. Ils sont très complets, tout est prévu jusqu’au moindre détail, ceci pour éviter les discussions toujours possibles avec les subordonnés chinois. » (Salan 1, 1970, pp. 354-355)
Salan rencontre pour un dîner le ministre des Affaires étrangères Nguyen Tuong Tam qu’il juge comme n’étant « pas à la hauteur » et « dépassé par son groupe » (Salan 1, 1970, p. 354).
29 mars 46 : À Hanoi, grève générale avec boycott des Français. Selon Fonde, les autorités vietnamiennes encadrent le mouvement. Les troupes françaises de la citadelle sont consignées (Fonde, 1971, pp. 180-181).
Salan voit Giap et Nguyen Tuong Kahn (ministre des Affaires étrangères). Il « proteste devant leur mauvaise foi » portant sur l’attitude des troupes françaises face aux grévistes vietnamiens. Salan les amène devant Valluy qui commande les troupes incriminées (9e D.I.C.) et les défend. Pour montrer ses bonnes intentions, le commandant de la 9e D.I.C. a même contredit les ordres de D’Argenlieu qui voulait faire occuper par ses troupes le palais Pugnier afin d’en faire la résidence du haut-commissaire (Salan 1, 1970, p. 354).
Ce même jour, les Forces françaises de Savannakhet (Laos), qui avaient été désignées pour relever les troupes chinoises à Hué, sont sérieusement accrochées par des Vietnamiens alors qu'elles passent la frontière franco-laotienne, celles-ci faisant mine d'ignorer les accords. Dans la ville, la population vietnamienne badigeonne sur les murs : « Le Nam Bo au Vietnam » et « Ouverture immédiate des négociations à Paris ». (Raymond, 2013, p. 72)
À Saigon, les assassinats politiques menés par Nguyen Binh se poursuivent, dont celui du docteur Tran Van Phat, membre du Comité du Nam Bo.
Le Comité interministériel pour l’Indochine est informé des propositions françaises en vue de la première conférence de Dalat (voir 3 avril) : « régler les questions relatives à la participation à l’Union française sous forme d’un nouveau pacte se substituant aux traités antérieurs » (diplomatie, protection des Français et étrangers, sécurité, bases militaires et navales, avantages économiques). D’Argenlieu n’a eu aucun retour des Vietnamiens sur la proposition française issue de l’entrevue de la baie d’Along (mission « good will »). Il mandate Sainteny pour activer la chose (D’Argenlieu, 1985, p. 246).
Un arrêté paraît au J.O. et fixe les membres de la délégation française chargée de négocier à Paris avec celle du Vietnam dans le cadre de la convention préliminaire du 6 mars. D’Argenlieu, membre de droit de la délégation, choisit entre autres Sainteny, Pignon (conseiller politique de l’amiral), Messmer (futur secrétaire du Cominindo) et Salan (D’Argenlieu, 1985, pp. 247-248).
Une directive de l’état-major de la Défense nationale (section coloniale) fixe la future organisation militaire en Indochine. Elle indique le nombre et l’emplacement des bases côtières, terrestres et aériennes réservées à la France (Bodinier, 1987, pp. 231-232).
Après sa récente rencontre en baie d’Along avec HCM, D’Argenlieu envoie un long télégramme à Paris pour en rendre compte. Le document n’est pas exempt de quelques coups de griffe. Le président vietnamien va tenter d’éluder certaines dispositions de la convention du 6 mars : « Le premier engagement qu’il veut éliminer est celui qui le lie à la Fédération indochinoise […] Sa méthode tactique est de ne plus vouloir négocier en Indochine, mais aller au plus tôt dans ce but à Paris. Il espère en y arrivant […] être l’objet de la curiosité et de l’attention générale, soulever l’intérêt des partis et arriver à faire pression sur le Gouvernement lui-même […] » D’Argenlieu demande l’agrément du gouvernement pour l’envoi de la délégation « good will » et la conférence préparatoire de Dalat dont il souligne le caractère limité. Il obtiendra une réponse le 3 avril (Devillers, 1988, pp. 174-175).
D’Argenlieu reçoit des instructions très nettes du ministère des Affaires étrangères : il faut obtenir du gouvernement vietnamien son assentiment pour que le Vietnam, « quelle que soit la définition géographique qui en sera donnée », accepte son intégration à la Fédération indochinoise et à l’Union française. Le pays ne peut obtenir une liberté diplomatique qui serait contraire à l’idée même de Fédération. Selon l’amiral, « la demande d’admission à l’O.N.U., incompatible avec l’idée d’une Fédération indochinoise, doit être fermement écartée. » (Devillers, 1988, p. 182)
30 mars 46 : Décret n° 40 du 29 mars paru au J.O. de la R.D.V.N. et publié sous le titre « Mesures exceptionnelles » : il autorise l’arrestation et l’envoi en « camps spéciaux » toute personne qui, par parole ou action, s’oppose au régime en place (voir 29 octobre). La dictature communiste s’installe progressivement mais sûrement (De Folin, 1993, p. 169).
Valluy (commandant la 9e D.I.C.) produit une note « contre le concept d’un « « coup de force » centré sur Hanoi émanant « sûrement des Annamites » et « probablement des Chinois ». Cette étude prélude en partie de ce qui se passera dans la ville en décembre et qui va être mûrement réfléchi par l’état-major français (Valluy 2, 1967, p. 203 ; Bodinier, 1987, pp. 233-236).
Leclerc fait un point sur la situation en Indochine en adressant un courrier à son futur successeur, le général Valluy (Bodinier, 1987, pp. 236-238).
Réponse de Michelet (Défense) à la lettre de D’Argenlieu du 18 mars : le gouvernement lui accorde sa pleine confiance et l’encourage à demeurer en place (D’Argenlieu, 1985, p. 215).
D’Argenlieu informe, après coup, le Conseil fédéral de la constitution d’un « Gouvernement provisoire de la République de Cochinchine ». (Turpin, 2005, p. 245)
31 mars 46 : Troisième conférence d’état-major franco-vietnamienne. Celle-ci dure plus longtemps que les précédentes puisqu’elle atteint les 4 heures. Selon Fonde, Giap lâche très peu de concessions, toutes assorties de « limitations, interdictions et contrôles, qu’un Freud les imputeraient, sans doute, à un complexe obsessionnel. » Un acquis pour les Français cependant, un bataillon de la 9e D.I.C. et le reliquat de la 2e D.B. vont relever à la citadelle d’Hanoi 1 700 soldats rapatriables.
A minuit, Lou Han cède officiellement ses responsabilités et celles de ses troupes à Valluy. Giap ne l’entend pas vraiment de cette oreille, quels que soient les accords conclus entre les Français et les Chinois : « Le maintien de l’ordre appartient à la police vietnamienne. » (Fonde, 1971, pp. 182-183). En réalité, l’évacuation complète des troupes chinoises d’Indochine traînera jusqu’au 18 septembre.