1er mai 72 : Quang Tri (nord-ouest d’Hué) tombe aux mains des forces communistes et ne sera repris qu’à la mi-septembre. Début de la bataille d’Hué qui, au final, ne tombera pas (Hanhimäki, 2008, p. 64). An Loc, proche de la frontière cambodgienne, est encerclée, Kontum et Pleiku, plus au nord, sont menacées. Mais les bombardements américains provoquent des pertes considérables, sur près de la moitié des effectifs n-v engagés (Portes, 2016, p. 86).
Brejnev conseille par courrier à Nixon de faire preuve de modération au niveau des bombardements, conseil qui avait déjà été prodigué en 1968 à son prédécesseur. Le président américain voit là une étroite collusion entre Hanoi et Moscou. Kissinger est plus modéré (Kissinger 2, 1979, pp. 1 223-1 224).
2 mai 72 : Nouvelle rencontre secrète Kissinger-Le Duc Tho-Thuy dans le contexte tendu de l’offensive n-v de Pâques démarrée depuis le 30 mars. Les N-V acceptent cette rencontre prévue initialement pour le 24 avril et repoussée plusieurs fois, parles uns et les autres, dans l’attente d’une situation militaire favorable. Ils sont actuellement en position de force et seront donc intraitables.
Nixon a rédigé un mémorandum adressé à Kissinger dans le cadre de cette entrevue : « Oubliez les réactions intérieures. C’est maintenant le meilleur moment pour frapper […] Je parlerai avec vous des déclarations que vous ferez quand vous les verrez, mais pour le moment je pense qu’il faut que vous soyez d’une franchise brutale, dès le début, surtout sur le ton […] En résumé, vous leur direz qu’ils ont violé tous les accords, qu’ils ont relancé la guerre, qu’ils se refusent à négocier sérieusement. Le résultat est que le Président en a assez, et que vous n’avez plus pour eux qu’un message : « Traitez, sinon… » » (Nixon, 1978, p. 440)
De son côté, Le Duc Tho accuse les U.S.A. d’avoir rompu le processus des négociations secrètes de la fin 1971. Kissinger perd son sang-froid et accuse les N-V d’être à l’origine de la situation actuelle. Il décide de s’en tenir aux consignes reçues, ne propose pas de cessez-le-feu mais précise que « la proposition politique des États-Unis n’est pas complètement inflexible ». Tho, sans remettre en cause le bienfondé de l’offensive en cours, lui réplique : « Montrez-nous l’étendue de votre flexibilité et je suis prêt à discuter avec vous de cette nouvelle flexibilité. » Et il ajoute, imparable, « nous savons que le temps est de notre côté. »
Les N-V reprennent ce qui a déjà été discuté antérieurement, notamment une date pour le retrait total des Américains et n’apportent aucun nouvel élément à la discussion. La proposition de Kissinger d’en revenir à la situation militaire antérieure au début de l’offensive de Pâques est naturellement rejetée. Xuan Thuy évoque à nouveau le départ de Thieu et la mise en place d’un gouvernement « neutraliste » auquel les Américains ne croient pas. La séance est un nouvel échec pour les Américains et Kissinger met fin aux entretiens (Hanhimäki, 2008, pp. 64-65 ; Kissinger 2, 1979, pp. 1 224-1 229).
Kissinger quitte Paris et transmet un rapport à Nixon par le biais de Haig. Ce rapport recommande de « suspendre toute décision tant que nous n’aurions pas analysé les implications de la réunion ». Haig informe Kissinger qu’une base s-v protégeant Hué est tombée. Et Kissinger de conclure : « Si la vieille capitale impériale tombait, nous risquions la débâcle ; le Vietnam du Sud se désintégrerait. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 229)
3 mai 72 : Retour de Kissinger à Washington où il retrouve Nixon sur son yacht présidentiel, le Séquoia. Kissinger a compris que les N-V étaient tellement sûrs de leur victoire qu’ils n’en étaient plus à la phase de négociations. Il s’agit donc d’agir dans les 48 heures et de prendre la décision de se rendre à Moscou ou non, en tout cas, sans être humilié. On avertit les Russes de l’échec de la rencontre du 2 mai, et que donc les Américains ne proposeront plus rien aux N-V. Côté russe des « décisions » vont être prises.
Kissinger et Haldeman (chef de cabinet de Nixon) se rendent chez le secrétaire d’État aux Finances, John Connally. Ils lui expliquent que Nixon a décidé de reprendre les bombardements par B-52 sur Hanoi et Haïphong, sachant que les Russes risquent d’annuler le sommet prévu. Nixon ne veut plus se rendre à Moscou. Haldeman et Connally sont opposés à cette décision (Kissinger 2, 1979, pp. 1 232-1 233). Kissinger voit Nixon et le range à son avis d’y aller quand même.
Discussions fébriles à la Maison Blanche entre Nixon, Kissinger, Haig et Haldeman. Elles portent sur la durée des bombardements qui doit passer à cinq jours. On privilégie les B-52, moins sensibles aux conditions météorologiques. Kissinger approuve cette réaction jugée nécessaire mais estime qu’on ne peut intensifier les bombardements au Nord au détriment du Sud. Il confie à Nixon : « C’est la tragédie de notre situation. » (Portes, 2016, pp. 86-87)
Kissinger demeure favorable aux bombardements au nord du 20e parallèle, mais aussi à la mise en place du minage des ports auquel les N-V ne s’attendent pas. Car il faut également ménager l’opinion publique mondiale sur la question de la perte des civils provoquée par les bombardements.
4 mai 72 : Réunion plénière à Paris. L’ambassadeur américain Porter refuse de fixer une nouvelle date de rencontre du fait de l’absence de progrès dans les négociations (Kissinger 2, 1979, p. 1235).
5 mai 72 : Les N-V révèlent l’existence de la réunion du 2. Selon Kissinger, ils font courir la rumeur qu’il aurait donné son accord à un gouvernement de coalition pour déstabiliser les S-V. Les Américains démentent (Kissinger 2, 1979, p. 1 235).
Kissinger voit Dobrynine (ambassadeur soviétique à Washington). Il lui fait part des décisions, ne compte plus sur l’aide soviétique et lui explique pourquoi on en est arrivé là (Kissinger 2, 1979, p. 1 236).
6 mai 72 : Kissinger écrit à Bunker (ambassadeur au S-V), l’assure de la puissance de l’opération en cours et lui demande s’il lui faut encore plus de moyens. Il lui est répondu qu’Abrams se dit satisfait de ce qu’il a. On lui attribue pas moins de 56 nouveaux B-52, 3 nouveaux porte-avions, 129 Phantom F-4 et 72 nouveaux Phantom.
Nixon reçoit une lettre de Brejnev. Il conseille la modération aux Américains mais n’offre concrètement aucune aide diplomatique. Selon Kissinger, cette lettre « ne fit que renforcer notre détermination. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 237)
Kissinger réunit ses conseillers pour connaître les réactions des N-V, des Russes et des Chinois suite à la décision de la pose de mines autour des ports du Nord. Les avis sont partagés mais une majorité se dégage en faveur de cette solution qui soutiendrait le moral des S-V (Kissinger 2, 1979, p. 1 238).
Parution dans le New York Times d’un article de C. Shatan intitulé « Post-Vietnam syndrom ».
7 mai 72 : Nixon donne l’ordre à l’amiral Moorer de miner Haïphong et des ports à la limite des deux miles des eaux territoriales. Les mines ne seront activées que le 10 mai afin que les navires étrangers disposent de trois jours complets pour partir en sécurité.
Préparation de la réunion du C.N.S. du lendemain. Selon Kissinger, « contrairement à ce qui s’était passé pour l’opération au Cambodge deux ans plus tôt, le climat n’était pas à l’exaltation mais à la détermination résignée. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 238)
8 mai 72 : Réunion du C.N.S. le matin. Le secrétaire d’État Rogers est revenu d’Europe pour y participer. Selon Kissinger, c’est une réunion pour la forme car les décisions de Nixon sont déjà actées. Comme souvent, les avis sont partagés sur la question du minage entre les pour et les contre. L’amiral Moorer confirme que le minage pourra démarrer dès le soir. Laird (Défense) y est hostile, préférant privilégier le traitement de la situation au Sud et pensant que les choses viendraient trop tard. Helms (C.I.A.) partage son avis. Nixon tient bon car il estime qu’on ne peut lâcher le S-V, même si le sommet américano-russe doit en pâtir. Le président est d’autant plus persuadé qu’il faut tenir au S-V qu’il en va de la crédibilité des États-Unis dans le monde : « Tous les pays non communistes vivraient dans la terreur. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 236 et pp. 1 238-1 241)
Juste après la réunion, Nixon convoque Kissinger et Connally (secrétaire au Trésor) dans le Bureau ovale. Il leur demande si quelque chose lors de ce C.N.S. a pu les faire changer d’avis. Ils disent au président que la discussion n’a fait que renforcer leurs convictions. Kissinger estime que c’était là un moyen pour obtenir un enregistrement secret de cette conversation prouvant leur approbation (voir février 1971) (Kissinger 2, 1979, p. 1 241).
Nixon souhaite que Kissinger rencontre son chef de cabinet, Haldeman. Ce dernier pense que la décision de Nixon d’aller de l’avant aura de lourdes conséquences sur l’opinion et la cote de popularité du président. Kissinger est furieux et lui reproche son propos.
Dans un discours télévisé, Nixon annonce le minage des ports n-v, la poursuite des bombardements et les conditions pour reprendre les négociations : libération des prisonniers, cessez-le-feu dans toute l’Indochine sous surveillance internationale et, dans ce cas, départ de toutes les forces américaines dans un délai de quatre mois. La décision n’est pas anodine car elle peut remettre en cause la rencontre prévue entre Nixon et Brejnev (mais les Russes réagiront peu, se focalisant simplement sur la perte de certains de leurs navires, voir 16 avril). S’adressant aux Russes, Nixon déclare : « […] Nous ne vous demandons pas de sacrifier vos principes ou encore vos amis ; mais vous ne devriez pas non plus laisser l’intransigeance de Hanoi gâcher les perspectives que nous avons ensemble si patiemment préparées […] » Concernant le sommet avec les Russes, en aparté, Nixon qui n’est toujours pas partant se dit à nouveau prêt à l’annuler : « Nous ne devons pas perdre la guerre même si pour cela, il faut annuler le sommet. » (cité in Portes, 2016, p. 91)
Selon Kissinger, la politique ferme menée par Nixon au Vietnam est bien perçue. Deux instituts de sondage donne entre 74 % et 86 % d’approbation (Kissinger 2, 1979, p. 1251). Seuls un certain nombre de membres démocrates du Congrès dénoncent ce que le New York Times appelle « une menace pour la paix du monde ». Son éditorialiste estime que « le président Nixon fait un pari désespéré [...] dans lequel il risque la sécurité fondamentale et les intérêts les plus profonds des États-Unis contre des avantages douteux et minces, et qui va à l’encontre du mandat donné par les parlementaires aussi bien que de la volonté et de la conscience d’une large fraction du peuple américain […] » Selon le journal, « M. Nixon est en train de pousser le pays au bord d’une crise constitutionnelle ; le Congrès peut encore sauver le président de lui-même et la nation du désastre. » (cité in Truong Nhu Tang, 1985, p. 225)
9 mai 72 : Lancement de l’opération Linebacker I, vaste programme de bombardement des points stratégiques du N-V qui durera jusqu’au 23 octobre (42 000 sorties et 162 000 tonnes de bombes déversées par les B-52). Elle vise à stopper l’offensive n-v et à contraindre l’ennemi à la négociation. Sont utilisées pour la première fois les premières bombes à guidage laser. S’y ajoutent le minage des ports et une campagne navale de bombardement tout le long de la côte. Selon Nixon, le minage du seul port de Haïphong permet de bloquer 2,1 millions de tonnes de ravitaillement, 85 % de l’approvisionnement en matériel militaire et 100 % de celui en pétrole (Nixon, 1985, p. 160).
Nixon entend se différencier de Johnson et de la manière dont il avait dirigé la première grosse vague de bombardement en 1965, Rolling Thunder, qui avait connu des périodes d’interruption lors des phases de négociation. Des tensions existent toujours entre le président et Kissinger. Ce que révèle un mémorandum qui lui est adressé par le président évoquant le N-V : « Je ne puis souligner assez fermement que je suis décidé à jouer le tout pour le tout […] Je crois que nous avons trop tendance à parler fort et à agir faiblement. C’était certainement la faiblesse du gouvernement Johnson. Dans une certaine mesure, cela fut sans doute aussi la nôtre lorsque nous avons lancé d’innombrables avertissements à l’ennemi et avons ensuite agi d’une manière timorée quand il nous a mis à l’épreuve. Il a maintenant dépassé les bornes et nous aussi. Nous avons le pouvoir de détruire sa capacité à faire la guerre. La seule question qui se pose, c’est de savoir si nous avons la volonté de nous servir de ce pouvoir. » (cité in Nixon, 1985, p. 159)
Nixon ajoute : « Ce qui me différentie de Johnson, c’est que j’ai cette volonté au plus haut point. Si nous échouons maintenant, ce sera parce que les bureaucrates – et notamment ceux de la Défense qui seront, bien sûr, vigoureusement défendus par leurs amis des Affaires étrangères – auront trouvé le moyen d’affaiblir les mesures énergiques que j’ai annoncées. Pour une fois, je veux que les militaires et les membres du C.N.S. apportent leurs suggestions quant à une action énergique, menaçante et efficace. » (cité in Kissinger 2, 1979, p. 1 255). De plus en plus atteint d’un syndrome de persécution, le président se sent également de plus en plus incompris des uns et des autres.
10 mai 72 : L’ambassadeur Dobrynine remet une courte lettre de protestation des Soviétiques au sujet des dommages causés aux bateaux et des pertes humaines occasionnées par les bombardements américains. Le ton n’est toutefois pas virulent (Kissinger 2, 1979, p. 1 248).
Nixon envoie à Kissinger ce que ce dernier nomme « un oukase » vantant l’efficacité de la guerre psychologique. Selon Kissinger, le président semble de plus en plus obnubilé par une guerre psychologique qui tourne dans son esprit à une forme de grossière intox. Selon Kissinger, « il voulait que l’on fasse courir le bruit que la totalité des régiments nord-vietnamiens avait cessé d’exister et que le moral du Vietnam du Nord était en train de s’effondrer. » Le président, qui cherche décidément partout des boucs émissaires et reproche à la C.I.A. son manque d’imagination dans ce domaine (Kissinger 2, 1979, p. 1 255).
Au Cambodge, promulgation de la nouvelle constitution par ordonnance (Sihanouk, 1979, p. 258).
11 mai 72 : Réaction de l’agence TASS aux effets des bombardements américains sur la N-V. Selon Kissinger, « elle venait tard et était modérée. » Ce qui est un bon signe pour le maintien de la future rencontre russo-américaine (Kissinger 2, 1979, p. 1 249).
Autre signe encourageant pour les Américains, la faible réaction des Chinois au minage des ports et au blocage des voies ferrées vers la Chine. Cette dernière n’interviendra donc pas directement dans le conflit. Le gouvernement d’Hanoi semble diplomatiquement assez isolé face à ses deux alliés traditionnels (Kissinger 2, 1979, p. 1 250).
Fort de cette neutralité bienveillante des deux grands, Kissinger décide de se tourner à nouveau vers une phase de négociations avec Le Duc Tho (Kissinger 2, 1979, p. 1 251).
12 mai 72 : Réponse positive de Le Duc Tho pour la recherche « d’une solution logique et raisonnable au problème vietnamien. » En fait, l’offensive n-v est en train de s’essouffler. Selon une habitude rôdée de la tactique n-v, la voie de la négociation redevient alors une opportunité (Kissinger 2, 1979, pp. 1 251-1 252).
L’U.R.S.S. accepte « du bout des lèvres » les excuses américaines au sujet des bateaux soviétiques atteints par les bombardements mais là encore, la réaction demeure modérée (Kissinger 2, 1979, p. 1 252).
Le nouveau secrétaire général de l’O.N.U., Kurt Waldheim, nommé depuis le 1er janvier, demande à rencontrer Raymond Aubrac « dans les meilleurs délais ». Aubrac est perplexe. Contrairement à son prédécesseur (U Thanh), Waldheim n’a jamais exprimé une position claire concernant la guerre du Vietnam (Aubrac, 2000, pp. 370-371).
13 mai 72 : Destruction du pont Ham Rong proche de Ton Toa au sud d’Hanoi par des bombes guidées au laser. Il avait résisté à 700 attaques durant Rolling Thunder (Portes, 2016, p. 90-91).
Nixon remet à Kissinger un mémorandum qui atténue celui du 10. Selon son entourage, le président devient de plus en plus impulsif et globalement assez incontrôlable.
14 mai 72 : Les Soviétiques souhaitent la reprise des négociations plénières et secrètes entre Washington et Hanoi « sans conditions préalables ». Les U.S.A. ne sont pas favorables à la reprise des négociations publiques dans l’immédiat car cela choquerait l’opinion américaine. Kissinger veut avant tout revoir Le Duc Tho discrètement et juger si des progrès sont envisageables (Kissinger 2, 1979, p. 1 252).
15 mai 72 : Nixon propose que l’on lance « une offensive surprise » avec les chars dans une zone où leur efficacité serait prouvée. Il évoque Patton et McArthur, voire Churchill. Il remet à nouveau en cause le manque d’agressivité de l’armée américaine, le manque d’imagination des militaires (à l’exception de Haig, étoile montante dans l’esprit présidentiel). Kissinger, l’amiral Moorer, Abrams et même Haig demeurent sceptiques face aux idées fulgurantes d’un président au comportement impulsif et inquiétant (voir 13 mai) (Kissinger 2, 1979, p. 1 256).
16 mai 72 : Suite à la demande de Kurt Waldheim (voir 12 mai), Aubrac se rend auprès du secrétaire général de l’O.N.U. Sont présents lors de cet entretien Roberto Guyer (sous-secrétaire général pour les affaires politiques spéciales), Brian Urquhart (secrétaire général adjoint). Aubrac n’a guère d’atomes crochus avec Waldheim : « […] il n’était pas de ceux qui créent une atmosphère facile et j’ai toujours senti une certaine gêne dans mes rapports avec lui ».
Selon Aubrac, « le secrétaire général m’expliqua que, devant l’escalade de la guerre du Vietnam, il avait publié [la veille] une déclaration soulignant son inquiétude, appelant les parties à reprendre la négociation et renouvelant son offre de bons offices ». Ayant reçu le 15 des délégués des États-Unis et de l’U.R.S.S., ceux-ci ont dissuadé le Secrétaire général d’immiscer l’O.N.U. dans le conflit vietnamien. Waldheim décide pourtant de pratiquer une diplomatie discrète et charge Aubrac, qui entretient des relations tant avec Kissinger qu’avec les N-V, de les approcher (Aubrac, 2000, pp. 371-373).
17 mai 72 : Les Russes interviennent auprès d’Hanoi pour que les négociations reprennent (Kissinger 2, 1979, p. 1 253).
Kissinger reçoit à la Maison Blanche sept présidents d’université de la Ivy League représentant les établissements les plus prestigieux. L’un d’entre eux lui reproche de faire la guerre « pour des raisons qui ne sont pas claires et pour une cause que personne ne semble disposé à défendre. » Les présidents évoquent la contestation étudiante et leur désarroi. Les réponses de Kissinger sont embarrassées, irritées et surtout peu convaincantes. Selon lui, « la profonde émotion qui régnait sur les campus échappait à toute analyse rationnelle. » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 254-1 255)
18 mai 72 : Nixon envoie une note à Haig (qui ne sera pas du voyage à Moscou) demandant que les bombardements sur le N-V soient maintenus durant sa visite à Moscou. Il estime ne pas devoir retomber dans la même erreur que lors de son voyage en Chine durant lequel ceux-ci avaient été limités. Il veut qu’après le sommet les bombardements soient intensifiés dans la région de Hanoi et Haïphong (Kissinger 2, 1979, p. 1 256).
19 mai 72 : Réunion du plénum du P.C.U.S. qui marque une importante détente dans les relations russo-américaines. Brejnev pense cependant qu’il faut exploiter « la situation de faiblesse » des Américains. L’annulation du sommet comporterait un risque de reprise de la guerre au Vietnam, voire celui d’un déclenchement d’une guerre mondiale. Il précise que son pays continuera à apporter une aide militaire et économique conséquente aux N-V tout en s’efforçant de les faire revenir à la table des négociations : « Il nous semble qu’à l’heure actuelle, la combinaison d’une pression militaire et d’une tactique plus dynamique dans les négociations pourrait donner beaucoup. » (Marangé, 2012, p. 350)
Aubrac se rend à la délégation parisienne de la R.D.V.N. Vo San Sung étant absent, il est reçu par son adjoint Nguyen Khai avec lequel il évoque la proposition de Waldheim. Le soir, il se rend au Quai d’Orsay, rencontre Maurice Schumann qui lui promet son appui mais demeure sceptique quant à l’immiscion de l’O.N.U. dans le conflit au Vietnam. De leur côté, les Français entendent accueillir et abriter la négociation mais non s’en mêler (Aubrac, 2000, p. 376).
20 mai 72: Nixon se rend à Moscou. Selon Kissinger, « l’atmosphère était à l’optimisme, et même à l’exaltation, sans humilité excessive. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 258) Au cours des entretiens, la realpolitik soviétique sur les questions mondiales va finalement l’emporter au détriment de son soutien au « pays frère » n-v.
Nixon a au préalable envoyé à Haig un long mémorandum lui demandant de maintenir une position ferme au N-V durant tout son voyage. Les attaques aériennes doivent « se poursuivent sans répit » et la guerre psychologique doit être maintenue (Kissinger 2, 1979, p. 1 256 ; exemples concrets des applications de cette guerre psychologique par tracts visant à terroriser les populations civiles s-v in Schell, 1967, pp. 21-26).
22 - 26 mai 72 : A l’issue de la rencontre américano-russe du 20, Brejnev oblige Hanoi à revenir à la table des négociations pour le 1er août. Désormais les rencontres secrètes entre Le Duc Tho et Kissinger vont s’accélérer jusqu’au 10 octobre (Tran Van Don, 1985, p. 297).
23 mai 72 : Les bombardements visent principalement des sites industriels et non militaires du N-V (Burns Sigel, 1992, p. 130).
Le délégué n-v à Paris, Vo Van Sung, reçoit Aubrac. Il lui déclare : « Nous sommes toujours heureux de parler avec Raymond Aubrac mais pas avec le représentant du Secrétaire général des Nations unies. Nous voulons négocier directement avec les Américains sans passer par Moscou ou Pékin. Et encore moins par ce M. Waldheim que nous considérons comme un « agent américain » : il vit à New York et, contrairement à U Thant, il n’a jamais laissé entendre qu’il comprenait le sens du combat vietnamien. » (cité in Aubrac, 2000, p. 377) Pour les N-V, si négociation il doit y avoir, celle-ci ne relève que des U.S.A. et du N-V.
24 mai 72 : Au cours de sa visite dans une datcha de campagne de Brejnev située à Novo-Ogariovo, Nixon (accompagné de Kissinger, son collaborateur Winston Lord et d’un spécialiste du Vietnam, John Negroponte) détaille la position américaine au Vietnam déclarant que son pays n’est pour rien dans la crise actuelle qu’il qualifie de « flambée ».
La situation se tend rapidement entre les interlocuteurs dès qu’il est question du conflit. Les Russes, Brejnev, Podgorny (président du præsidium du Soviet suprême) et Kossyguine (ambassadeur aux U.S.A. mais, ce jour-là, « le plus virulent ») décrient la cruauté de la politique américaine. Ils exigent que les Américains acceptent les propositions « raisonnable[s] » d’Hanoi et lâchent Thieu une fois pour toutes. Nixon les réfute sur certains points en argumentant, notamment sur la non-acceptation par Hanoi de l’offre de cessez-le-feu américaine. Brejnev en conclut que les États-Unis semblent finalement accepter « une solution raisonnable » au problème et clôt la discussion (Kissinger 2, 1979, pp. 1278-1285 ; Hanhimäki, 2008, pp. 65-66).
Hanoi accepte mal cette rencontre qui lui montre que « les grandes puissances traitent à un autre niveau. » Et ce, d’autant plus, que les effets de Linebaker 1 et du blocus se font sentir, y compris dans leur offensive au Sud : ni Kontum ni Hué ne sont prises ; le siège d’An Loc piétine ; les pilonnages des B-52 empêchent les armées n-v de se déployer. Une pénurie s’installe dans le pays malgré les efforts de contournement, notamment au niveau des produits pétroliers (Portes, 2016, p. 92).
25 mai 72 : Aubrac se rend à New-York et rencontre Kurt Waldheim. Il l’informe de ses entretiens parisiens avec les N-V : « Pour mes amis vietnamiens, Monsieur le Secrétaire général, vous êtes un agent américain. » Aubrac lui conseille de suivre l’évolution de la situation et de faire à l’occasion « une déclaration publique équilibrée appelant à la reprise des négociations » (Aubrac, 2000, p. 379).
Fin mai 72 : Les radars des batteries de SAM-7 n-v sont aveuglés par un brouillage électronique américain. Les missiles deviennent moins efficaces (Portes, 2016, p. 95). Les Américains engagent 200 B-52 pour contrer l’offensive en cours et ainsi empêcher la concentration des troupes n-v (Kissinger 2, 1979, p. 1 357).