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par Jean-François Jagielski

Mai 1970

Mai 70 : Sondage analysant l’évolution de l’opinion publique américaine sur le conflit au Vietnam : pour 36 %, contre 56 %, sans opinion 8 % (Nouilhat in collectif, 1992, p. 60).

Deux KR, Thiounn Mounn, rentré de France et son frère Thiounn Prasith, présent à Pékin, apportent leur concours intellectuel en soutenant Sihanouk.

Le premier rédige un programme politique du Front national du Kampuchéa démocratique. Il ne fait pas référence au socialisme, ne cède aucun rôle particulier à Sihanouk mais salue la « conquête totale de l’indépendance nationale [qui a été] reconnue et garantie par les accords de Genève de 1954 ». Sihanouk ne se fait cependant guère d’illusions sur les sentiments que lui portent les KR déclarant officieusement : « Ils me cracheront comme un noyau de cerise. » (Richer, 2009, pp. 32-33)

Le magazine américain Life publie un article intitulé « Our fogotten wounded » qui se penche sur le sort peu enviable des blessés de la guerre du Vietnam (Gorin, 2006, p. 21).


1er mai 70 : Amorce d’un second retrait unilatéral des troupes américaines. Il fait suite à celui du 15 décembre 1969 et concerne cette fois 150 000 hommes comme l’avait annoncé Nixon le 20 avril.

Vive réaction du Sénat américain. Sa Commission sénatoriale des Affaires étrangères approuve un projet de loi visant à abroger la Résolution du Tonkin. Elle accuse le président d’usurper les pouvoirs du Congrès en matière de déclaration de guerre et de mener en Indochine un conflit totalement illégal. La Maison Blanche réagit en estimant que Nixon agit en tant que commandant en chef de l’armée dont la mission est de protéger la vie des militaires américains.

L’amendement Cooper-Church est voté au Sénat. Il interdit l’envoi de soldats au Cambodge après le 30 juin, la présence de conseillers américains auprès des forces cambodgiennes et toute opération aérienne à venir. Pour la première fois, le Sénat vote donc un texte destiné à restreindre les pouvoirs militaires du président. L’accueil de cette décision est beaucoup plus mitigé à la Chambre des Représentants. Mais il faudra cependant attendre le 7 novembre 1973 avec le vote du War Power Act pour que le Congrès reprenne vraiment la main en cas d’engagement des troupes par le président.

La presse dénonce quant à elle une forme de mystification présidentielle déjà bien rôdée depuis des années sous les différentes administrations qui ont eu à gérer le conflit. Le New York Times écrit dans son éditorial : « En ce qui concerne le Vietnam, une longue expérience amère au fil des années a épuisé la crédulité du peuple américain. » Le Washington Post dénonce de son côté « une guerre qui se reproduit elle-même ; elle est fondée sur des informations douteuses, des arguments spécieux et une rhétorique patriotique fumeuse. » (cité in Wainstock, Miller, 2019, pp. 260-261).

En visite au Pentagone, Nixon suit un premier compte rendu des opérations en cours au Cambodge. Il observe les cartes et repère 4 autres secteurs que ceux visés actuellement et occupés par les forces communistes. Il demande : « Ne pourrions-nous pas prendre tous les repaires ? » Dans un premier temps, réponse embarrassée des militaires qui ne veulent fâcher ni le Congrès ni la presse. Réponse sèche du président adressée aux militaires : « Laissez-moi être juge des réactions politiques. Le fait est que nous avons déjà encaissé l’irritation politique pour cette opération. Si nous pouvons réduire substantiellement la menace pesant sur nos forces en épongeant le reste des repaires, c’est le moment ou jamais. » Il ordonne de les supprimer tous, cette fois à la satisfaction des militaires (Nixon, 1985, p. 130-131).

Au cours de ce déplacement, évoquant la contestation universitaire, Nixon confie à son entourage : « Regardez-moi ces clodos qui font sauter les campus ! Pourtant ce sont les plus gros veinards du monde ; ils sont aux meilleures universités mais il faut qu’ils brûlent les livres et fassent du foin autour de tout ça. » Cette remarque désobligeante à l’égard des étudiants contestataires fuite dans la presse. Le New York Times et le Washington Post la mentionneront dès le lendemain (Wainstock, Miller, 2019, p. 261).

Durant cette réunion, Nixon a un comportement assez inquiétant du fait d’une surexcitation persistante et de propos qui désarçonnent les chefs d’état-major : « Ce qu’il faut, c’est électriser le peuple avec des décisions audacieuses qui marquent l’histoire, comme Teddy Roosevelt montant à l’assaut de la colline de San Juan – un événement mineur en soi, mais frappant, et le peuple l’a remarqué. » (cité in Shawcross, 1979, p. 155).

En Chine, Mao, en présence de Sihanouk qui se tient à sa droite, lui réaffirme un soutien complet. Il ne sera pas que moral avec une aide financière « de prêt sans intérêt, remboursable après la victoire », le tout accompagné d’une aide militaire (Ponchaud, 2005, p. 185).

Au Cambodge, l'aviation et les blindés américains rasent les villes de Memot et Snuol (province de Kompong Cham).


2 mai 70 : Des manifestations pacifiques sont déclenchées dans  448 universités américaines suite à l’intervention américaine au Cambodge. Selon Jacques Portes, « les États-Unis semblent sur le bord d’une guerre civile. » (Portes, 2016, p. 64)

Nouvelle fuite vers la presse. William Beecher du New York Times s’apprête à révéler que Nixon a donné l’ordre de reprendre les bombardements sur le N-V. Kissinger fait pression sur le journal afin qu’il ne publie pas l’article. En Vain. Des journalistes dont Beecher lui-même, des membres de l’administration comme William Sullivan (secrétaire d’État adjoint aux Affaires asiatique) et des militaires proches de Laird (colonel Robert Pursley) sont alors mis sur écoute téléphonique sur ordre présidentiel (Shawcross, 1979, p. 158).


3 mai 70 : Dans le cadre de l’opération Total Victory, prise de la petite ville de Smuol (2 000 habitants) qui est rasée par l’artillerie et les attaques aériennes. Au final, les Américains n’y retrouveront que 7 morts dont 4 civils. Pour autant, devant les journalistes, le lieutenant-colonel Grail Brookshire qui a dirigé l’artillerie déclare : « Nous n’avions pas le choix, il nous fallait prendre cette ville qui était un centre d’activité nord-vietnamienne. » La ville est pillée par les S-V, ce que niera par la suite l’officier américain. Ils s’en prennent ensuite à la ville-plantation de Mimot et à une douzaine d’autres villages où ils mènent des représailles particulièrement violentes (viols, pillages, destructions des habitations) (Shawcross, 1979, pp. 153-154).

Au Cambodge, gouvernement Sirik-Matak qui demeurera en place jusqu’au 12 mars 1972 (Jennar, 1995, p. 164).


3 - 4 mai 70 : Premier congrès du F.U.N.K. en Chine : adoption du programme politique qui ressemble à s’y méprendre à celui du F.N.L. : « édification d’un Cambodge indépendant, pacifique, neutre, démocratique et prospère ». Sihanouk en devient le président, le Bureau politique de 11 membres est dirigé par Penn Nouth (Tong, 1972, pp. 203-205 ; Sihanouk, 1979, p. 254).


4 mai 70 : Les étudiants d’environ 400 universités et collèges se mettent en grève suite aux décès de deux étudiants de la Kent State University et deux passants abattus par la Garde nationale de l’Ohio ce jour-même. L’agitation  dans les milieux universitaires est à son comble.

Une commission dirigée par le gouverneur républicain de Pennsylvanie, William Scranton, diligentée par Nixon, estime que la situation dans les universités s’est « polarisée » et que les campus pourraient à nouveau exploser, entraînant une égale répression. Le gouverneur estime que le pays n’a plus connu de telles divisions depuis la guerre de Sécession et conclut : « Il n’y a rien de plus important que de mettre fin à la guerre. » L’opinion publique partage cet avis. Les sondages indiquent qu’un nombre croissant d’Américains exigent une date limite au retrait des troupes (Karnov, 1983, p. 384).

Toutefois un sondage montre qu’il existe toujours une majorité qui soutient l’intervention au Cambodge : 48 % soutiennent l’envoi d’armes, 35 % non et 11 % n’ont aucun avis. Seuls 6 % émettent des réserves. 50 % des sondés approuvent les engagements pris par Nixon, 35% marquent leur désapprobation. L’administration Nixon possède encore un soutien qui s’érode mais sans toutefois s’effondrer (Kissinger 1, 1979, p. 528).

A la suite de cette fusillade, Nixon est ébranlé. Ses conseillers observent chez lui un état d’épuisement. Nixon confiera dans ses mémoires : « Les quelques jours qui suivirent Kent State furent les jours les plus noirs de mon mandat. » Il n’exprimera pas pour autant le moindre remord dans ses écrits postérieurs : « Personne ne pouvait justifier la décision des gardes de Kent de tirer sur la foule, mais personne non plus n’aurait dû défendre les actions d’une meute hurlante de terroristes. » (Nixon, 1985, p. 137)

Le président russe, Alexis Kossyguine, met en garde les U.S.A. contre les conséquences à long terme d’une intervention au Cambodge. Car l’U.R.S.S. tirerait « les conclusions appropriées pour sa politique, de cette façon d’agir des États-Unis en Asie du Sud-est […] Les actes du président Nixon en matière de politique étrangère contredisent de manière flagrante ses déclarations. » (cité in Burchett, 1970, pp. 79-80)


5 mai 70 : Suite à la conférence des peuples d’Indochine des 24 et 25 avril est organisée à Pékin une Conférence nationale du peuple cambodgien. Ses délégués ont tous été désignés par les dirigeants de la résistance au Cambodge, après consultation des Cambodgiens à l’étranger et notamment de Sihanouk toujours en exil dans la capitale chinoise. La conférence élabore un programme de lutte et le Bureau politique du Front uni national du Kampuchéa (F.U.N.K.) d’inspiration communiste.

L’existence du G.R.U.N.K. est officiellement proclamée. Il sera remanié et recomposé dès le 13, passant de 12 à 22 membres dont certains sont présents à ce moment précis dans la résistance armée qui agit sur au Cambodge. Khieu Samphan sera nommé ministre de la Défense, Hou Yuon ministre de l’Intérieur, des Réformes rurales et des Coopératives, Hou Nim ministre de l’Information et de la Propagande et Sarin Chhak (ancien ambassadeur au Caire) ministre des Affaires étrangères. Penn Nouth est confirmé dans son rôle de premier ministre (Jenner, 1995, pp. 168-169). Ce gouvernement sera remanié à deux reprises (voir 20 juillet et 9 septembre).

Le programme politique prévoit une réforme agraire visant à « garantir la propriété de la terre  à celui qui la cultive » et promet de régler le problème de l’endettement abusif en réglant un système de location des terres jugé injuste. Du point de vue de la politique étrangère, le principe de neutralité du Cambodge est réaffirmé. Zhou Enlaï attribue d’entrée un budget de 10 millions de dollars au G.R.U.N.K. 5 millions sont réservés à l’équipe de Sihanouk et 5 autres sont envoyés au Cambodge par le biais de la piste HCM, notamment pour l’achat d’armements.

Dans une présentation publique, Sihanouk confie n’avoir pas participé directement à l’élaboration du programme du G.R.U.N.K. mais l’approuver entièrement. Il insiste sur le fait que les combats menés au Cambodge sont le fait de Cambodgiens et non des Vietnamiens comme l’affirme le gouvernement de Lon Lol (Burchett, 1970, pp. 80-82).


6 mai 70 : 80 000 hommes des troupes alliées se trouvent au Cambodge. Parmi eux, 31 000 Américains (Burns Siger, 1992, p. 116).

Dans une interview accordée à Burchett, Sihanouk indique que « les membres les plus importants du gouvernement sont à la tête de ce mouvement [de résistance au Cambodge] ». Lui-même désire les rejoindre mais ne le peut pour l’instant car il doit, à partir de la Chine, « remplir certaines tâches, indispensables pour la continuation de la lutte, dans le domaine de la diplomatie internationale. » On est alors aux antipodes de ses affirmations antérieures qui nous décrivaient un Sihanouk risquant sa vie dans les maquis révolutionnaires… (voir 15 avril) Seuls les ministres qui sont sur le terrain ont pouvoir pour décider du retour de tel ou tel autre membre du gouvernement.

L’ex-chef d’État condamne l’intervention des alliés, démontrant que Lon Lol n’est à ses yeux qu’une marionnette des Américains. N’étant ni à un revirement ni à un reniement près, il revient sur sa tolérance passée quant à la présence de troupes du VM ou du VC qui ne sont plus, désormais, une menace envers son pays. Car elles ont respecté les frontières, ce qui n’est pas le cas des Américains et des S-V qui, quant à eux, l’ont envahi.

Le G.R.U.N.K. est alors reconnu par la Chine (qui rompt définitivement ses relations avec le régime de Lon Nol), le Nord-Vietnam, la Corée du Nord et le G.R.P.


7 mai 70 : A New York, alors qu’une manifestation étudiante a lieu dans les environs de Wall Street, des ouvriers construisant le World Trade Center, armés de bâtons et autres armes improvisées, s’en prennent aux étudiants. On compte 70 blessés. Ces syndicalistes ont eu leur journée payée pour aller contre-manifester et la police est demeurée passive au moment des heurts. Leur action est à l’évidence clairement soutenue par Nixon (Portes, 2008, p. 242 ; Wainstock, Miller, 2019, p. 263). Selon Debouzy, on entend  de la bouche des ouvriers les cris de « Kill the Commie Bastards » et « Lindsay [maire de la ville] is a Red » (Debouzy in collectif, 1992, p. 35).


8 mai 70 : Nixon annonce à nouveau, dans une conférence de presse provoquée par le mouvement de contestation, que l’intervention au Cambodge ne durera que 6 à 8 semaines et que les troupes américaines se retireront au plus tard pour le 30 juin. Il prétend alors poursuivre les mêmes buts que les étudiants contestataires, à savoir aboutir à la paix (Shawcross, 1979, p. 157).


9 mai 70 : Une manifestation regroupant 100 000 personnes converge vers la Maison Blanche. La tension est telle que les services de protection jugent utile de garer des autocars et divers véhicules pour protéger les grilles de la demeure présidentielle (Wainstock, Miller, 2019, p. 262).


10 mai 70 : Tôt le matin car ne dormant plus, vers 4 heures, Nixon accompagné de quelques membres de son service de sécurité rend visite à quelques étudiants au pied du mémorial de Lincoln car il souhaite discuter avec eux. Ses propos paraissent assez incohérents : il parle sport, voyage et très peu de guerre (Portes, 2008, p. 241-242). Mais le dialogue ne se noue pas. Selon un étudiant présent sur place, « Nixon était très fatigué, il semblait éteint et il ne cessait de parler de tout et n’importe quoi. » Kissinger reconnaitra dans ses mémoires : « Cette visite maladroite au Lincoln Memorial pour rencontrer les étudiants n’était qu’un symptôme superficiel de l’abîme psychologique dans lequel il était plongé. » (cité in Wainstock, Miller, 2019, p. 263)


11 mai 70 : La commission des Affaires étrangères du Sénat américain, malgré l’opposition du gouvernement, approuve l’amendement Cooper-Church du 1er mai. Il limite les futures opérations au Cambodge en proscrivant tout envoi de troupe après le 30 juin. Il interdit la présence de conseillers militaires ainsi que toute opération aérienne destinée à venir en aide aux forces cambodgiennes. Il déclare que l’assistance prêtée par les États-Unis ne signifie en aucun cas que le pays s’engage à défendre le Cambodge. Une loi limite désormais les pouvoirs militaires du président (Shawcross, 1979, p. 164).


12 mai 70 : L’administration américaine est prise de paranoïa. Dans le cadre des récentes fuites vers la presse (voir 2 mai), Haig contacte le F.B.I. et l’informe que Kissinger demande la mise en place de deux nouvelles tables d’écoute. L’une chez Tony Lake (ancien conseiller de Kissinger, récent démissionnaire du C.N.S.) et l’autre chez son adjoint, Winston Lord (Shawcross, 1979, p. 159).


13 mai 70 : Au Cambodge, premier remaniement du G.R.U.N.K. Sihanouk en est le président, Penn Nouth le premier ministre. Ce premier remaniement marque l’entrée officielle des « maquisards » kr au sein du gouvernement : Khieu Samphan est nommé vice-premier ministre et ministre de la Défense ; Hu Nim est nommé ministre de l’Information et de la Propagande ; Hou Yuon (ou Hou Youn) ministre de l’Intérieur et de la Réforme des communes et des coopératives ; Thiounn Mumm, ministre de l’Économie et des Finances ; Khieu Tirith, ministre de l’Éducation populaire et de la Jeunesse (Jennar, 1995, p. 168-169).

Le Cambodge et la Thaïlande rétablissent leurs relations diplomatiques rompues depuis 1961.


15 mai 1970 : 11 jours après la fusillade de l’université de Kent (voir 4 mai) se produit un deuxième événement semblable au Jackson State College à Jackson (Mississippi). Des rixes entre étudiants et policiers ont eu lieu dans la journée du 14. Peu après minuit, la police ouvre le feu, tuant à nouveau deux étudiants et en blessant douze autres.


Mi-mai 70 : Selon Nixon, qui cite dans ses mémoires un sondage Gallup : 65 % des personnes interrogées approuvent la présidence de Nixon. 50 % approuvent la récente implication des U.S.A. au Cambodge, 39 % la désapprouve et 11 % n’expriment pas d’opinion. 58 % estiment que ce sont les étudiants qui sont responsables de la mort des victimes de l’université de Kent (Nixon, 1978, pp. 337-338).

Fin de l'opération Menu. Les B-52 ont effectué 3 630 raids sur le Cambodge dans le seul cadre de cette opération qui a duré quatorze mois. Pour autant, les États-Unis poursuivent les bombardements sur tout le pays. Les pertes civiles occasionnées par ces bombardements qui se sont déroulés entre 1969 et 1973 seront estimées à pas moins de 500 000 victimes.


16 - 17 mai 70 : Une conférence internationale réunie à Djakarta demande le retrait du Cambodge de toutes les troupes étrangères.


18 mai 70 : Après avoir retiré leurs diplomates, Hanoi et le G.R.P. annoncent vouloir rompre leurs relations diplomatiques avec le Cambodge et la R.P.C. Par contre, le Cambodge renoue les siennes avec la Thaïlande qui étaient rompues depuis 1961 (Sihanouk, 1979, p. 255).


19 mai : 70  Rétablissement des relations diplomatiques entre le Cambodge et la République du Sud-Vietnam qui étaient rompues depuis 1963.

Arrivée à Pékin du futur cadre kr Suong Sikoeun : « Je débarque à l’aéroport de Pékin. L’atmosphère morne qui y règne ne contribue guère à susciter mon enthousiasme […] Sur les 33 kilomètres qui sépare l’aéroport de l’hôtel de l’Amitié, je suis frappé par la grisaille du paysage et l’apathie de la population. Où est donc l’enthousiasme débordant et l’élan spontané des masses galvanisées par les flammes inextinguible de la Révolution culturelle ? Cette première prise de contact avec Pékin ne me laisse pas indifférent. » (Sikoeun, 2013, p. 117)


20 mai 70 : Après la contre-manifestation des ouvriers du bâtiment du 8 mai, 6 000 personnes défilent au City Hall Park de New York pour manifester leur soutien à Nixon sous l’égide du Building and Construction Trades Council of Greater New York. A l’issue de la manifestation, les ouvriers écoutent un discours de Peter Brennan, président du Council,  qui sera nommé plus tard par Nixon secrétaire d’État au Travail. Selon certaines sources, cette manifestation a été manipulée par des syndicats du bâtiment, des employeurs et des groupes de droite. En guise de remerciement à cette mobilisation, une délégation d’ouvriers et de syndicalistes est reçue à la Maison Blanche (voir 7 mai) (Portes, 2008, p. 243 ; Debouzy in collectif, 1992, p. 35).

Un immense rassemblement regroupant un million de personnes est organisé à Pékin sur la place Tien An Men en soutien au peuple khmer. Sihanouk est reçu au préalable par Mao, le maréchal Lin Biao et le premier ministre Zhou Enlaï. Mao réconforte, soutient son protégé et refuse les remerciements : « Ne nous remerciez pas. C’est le peuple khmer, c’est le peuple vietnamien, qui se saignent dans cette lutte, pas nous, les Chinois. Et nous bénéficierons de votre victoire. » (cité in Cambacérès, 2013, p. 172). Aux côtés de Sihanouk, dans l’une de ses rares intervention publique, le grand timonier déclare : « Je soutiens chaleureusement l’esprit de lutte de Samdech Norodom Sihanouk, chef de l’État du Cambodge, contre l’impérialisme américain et ses laquais ; je soutiens chaleureusement la déclaration commune de la Conférence au sommet des peuples indochinois [voir 23-25 avril] ; je soutiens chaleureusement l’établissement du Gouvernement royal d’Union nationale placé sous l’égide du Front uni national du Kampuchéa. » (cité in Burchett, 1970, p. 79 ; plus larges extraits de ce discours in Cambacérès, 2013, p. 173) Sihanouk a, exceptionnellement pour un étranger sur le sol chinois, le droit de prononcer une allocution.

Assistant à cette manifestation et la comparant à celle du 13 mai 1968 à Paris, Suong Sikoeun (futur cadre kr) note : « Mais la comparaison s’arrête là : tandis que là-bas la démonstration traduisait véritablement les aspirations profondes des masses, ici tout semble irréel et transpire la mise en scène. » (Sikoeun, 2013, p. 120)

Chine Nouvelle annonce que Khieu Samphan dirige la lutte dans l'Est du Cambodge, Hou Yuon dans le Nord-Ouest et Hu Nim dans le Sud-Ouest.


21 mai 70 : Lon Lol, « chef du gouvernement » cambodgien, annonce que « la transformation du pays en république […] est dans la bonne voie et s’effectue activement. » (Sihanouk, 1979, p. 255).

Rencontre à Pékin d’une demi-heure entre Sihanouk et Suong Sikoeun (futur cadre kr). L’entrevue est « assez cordiale mais sans suite ». Sikoeun n’a, à cette époque, pas l’intention de demeurer à Pékin et souhaite rentrer en France où son épouse, Laurence Picq, est demeurée (voir 11 juillet). Il décline l’offre du poste de sous-secrétaire à l’Information et reconnait : « Je préfère adopter l’attitude du wait and see. » (Sikoeun, 2013, p. 143)


25 mai 70 : Le gouvernement soviétique s’adresse au gouvernement Lon Lol condamnant « l’incursion des troupes américano-saïgonnaises au Cambodge qui constitue une violation flagrante des accords de Genève de 1954 pour l’Indochine et des normes du droit international universellement reconnues. » Pour autant, à cette date, l’U.R.S.S. n’a toujours pas reconnu officiellement le F.U.N.K. prochinois et tardera à le faire (Burchett, 1970, p. 88).


26 mai 70 : les États-Unis fournissent tardivement des équipements militaires au gouvernement Lon Nol pour une valeur de 7,5 millions de dollars.


27 mai 70 : Accord du gouvernement Lon Nol avec le Sud-Vietnam sur la situation des Vietnamiens vivant au Cambodge. Ces derniers ont été les victimes de véritables pogroms depuis le coup de force du premier ministre de Sihanouk.

Phnom Penh annonce par un communiqué officiel la reprise des relations diplomatiques avec le S-V (Sihanouk, 1979, p. 255).


28 mai 70 : Au sujet du massacre de My Lai, le chroniqueur Howard K. Smith déclare sur la chaîne ABC News : « My Laï est pour les Américains une horreur exceptionnelle. My Lai, pour l'autre camp, c'est un mode opérationnel quotidien. » (cité in Portes in collectif, 1992, pp. 134-135)


30 mai 70 : A l'état d'urgence dont la durée est prolongée, le gouvernement républicain du Cambodge ajoute la loi martiale.


31 mai – 1er juin 70 : Le journal Le Monde cite une dépêche de l’A.F.P. qui, une fois de plus, montre que les statistiques de body count traitant des pertes vietcong sont ubuesques. Selon Burchett, « les estimations sont faites après des tirs d’artillerie ou des raids aériens effectués dans des régions de jungle et des terrains accidentés où l’infanterie ne s’aventure pas. Le dénombrement des corps est donc impossible. » (Burchett, 1970, p. 87, note 4 ; Le Monde du 1er juin 1970)

Les statistiques de body count sont ici à rapprocher des zones de non-droit que s’étaient arrogées les Américains telles que décrites par Jonathan Schell : « Dans le Sud-Vietnam, certaines régions ont été nommées « zones de bombardement libre », ce qui signifie qu’on a besoin d’aucune autorisation pour les bombarder ou les canonner. Ce sont généralement des secteurs de jungle inhabitée où l’on soupçonne le Front d’opérer la nuit. La plupart des canonnades nocturnes sont destinées à arroser ces zones, où les obus font sauter les arbres et – du moins les Américains l’espèrent-ils – les grottes et abris du Front. » (Schell, 1967, pp. 20-21). Dans ces zones, nombre de civils (peut-être 220 000) ont été comptabilisés dans les pertes supposées avoir été occasionnées au VM ou au VC.

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