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par Jean-François Jagielski

Mai 1969

Mai 69 : Nixon ordonne de lancer une série d’attaques sur d’autres bases sur une profondeur de 8 km au Cambodge. Ces attaques sont intermittentes d’avril à début août et sont toutes approuvées par la Maison Blanche. Elles se poursuivront jusqu’en mai 1970, couvrant à cette date les opérations américaines au sol (Kissinger 1, 1979, p. 258).


3 mai 69 : Lors d’une conférence de presse sont montrées les photos de deux « cadres vietnamiens rouges » abattus lors d’un engagement avec un « groupe de rebelles » dans la province de Rattanakiri (Sihanouk, 1979, pp. 248-249)


8 mai 69 : 16e séance plénière à Paris. Les N-V font un coup d’éclat en proposant un plan de paix en 10 points mais rédigé, selon Kissinger, à la manière d’un brutal ultimatum : retrait inconditionnel, total et unilatéral des troupes américaines ; abolition du gouvernement du S-V ; paiement de réparations américaines pour dommages de guerre. Conditions inacceptables pour les Américains qui n’ont aucune confiance dans les déclarations n-v. Ils pensent que le Front national de Libération (F.N.L.) sera noyauté tôt ou tard par les communistes et que très peu de places seront accordées aux autres formations politiques (Kissinger 1, 1979, p. 281).


9 mai 69 : Le journaliste du New York Times William Beecher révèle l’existence de bombardements américains au Cambodge dans un article intitulé Raids in Cambodia by US Unprotested. Ces faits lui ont été révélés par deux fonctionnaires de la Maison Blanche et du département d’État qui, questionnés, n’ont pas nié leur véracité. Edgar Hoover (directeur du F.B.I.) met sur écoute un des collaborateurs de Kissinger, Morton Halperin (adjoint de Kissinger au C.N.S.), susceptible d’avoir laissé fuiter l’information.

Les fonctionnaires incriminés ne seront jamais identifiés mais leurs révélations enclenchent dans l’administration américaine une psychose des fuites qui obsèdera de plus en plus Nixon jusqu’au scandale du Watergate (Cambacérès, 2013, p. 151 ; Journoud, 2012, p. 77). Selon Shawcross, Laird est également incriminé comme l’auteur de cette fuite par Nixon et Kissinger : « Quelle histoire. Ils étaient déchaînés et m’accusèrent d’avoir révélé l’information pour prouver que le secret n’était pas si important, et que Sihanouk ne s’en préoccupait pas. » Laird nie devant l’accusation mais Kissinger n’est pas rassuré pour autant. Les soupçons se dirigent alors vers Morton Halperin (conseiller de Kissinger) qui sera mis sur écoutes téléphoniques et quittera ses fonctions à la fin de l’année (Shawcross, 1979, p. 104).


10 mai 69 : Kissinger envoie son adjoint, le général Haig, au F.B.I. avec une liste de noms de gens soupçonnés d’avoir été à l’origine de la fuite du New York Times. Trois suspects figurent sur la liste : Morton Halperin (conseiller de Kissinger), Helmut Sonnenfeldt et Daniel Davidson (membres du C.N.S.). Haig demande à Davidson qui entretenait d’étroits rapports avec les journalistes de présenter sa démission (Shawcross, 1979, p. 105).


10 mai - 7 juin 69 : Opération Apache Snow dans la vallée d'A Shau (près de la frontière laotienne) et combat pour la colline Dong Ap Bia dite Hamburger Hill (cote 937) menée par le 9th Marines mais surtout la 101st Airborne .  Cette cote est prise au prix de lourdes pertes par l’armée américaine. Mais, une fois de plus, la position, ne sera pas gardée car ce sont les N-V qui ont dicté ce combat en concentrant des troupes en cet endroit précis.

Cette opération est la dernière grande opération d'envergure de l'armée américaine. Elle sera aussi l’une des plus controversée, tant par les médias que par certains membres du Congrès (Edward Moore, Ted Kennedy, George McGovern, Stephen Young) qui n’y voient – à juste titre – aucun véritable intérêt stratégique. D’autant plus que la position sera d’ailleurs ultérieurement abandonnée par les Américains.


14 mai 69 : Rompant un long silence de début de mandat sur la question du Vietnam, Nixon présente dans une allocution télévisée les prémices de sa politique en huit points. Il dresse un bilan et surtout des vœux : arrêt des offensives ennemies, amélioration des relations avec le S-V, renforcement des forces s-v, élaboration d’une position de négociation quelconque, et surtout un retrait bilatéral des troupes belligérantes (en 12 mois pour les Américains, et non en 6 comme cela avait été prévu à la conférence de Manille).

Un organisme international contrôlerait ces retraits et serait chargé d’organiser des élections générales au S-V. Nixon indique trois critères pour le retrait graduel de ses forces : capacité du S-V à se défendre, état d’avancement des négociations à Paris et niveau d’activité militaire de l’ennemi (Kissinger 1, 1979, pp. 282-283). D’un point de vue politique, il déclare qu’« il devrait y avoir une possibilité de participer dans la vie politique pour le Sud-Vietnam pour tous les éléments politiques [F.N.L.] qui sont disposés à le faire sans recours à la force ou à l’intimidation. » (cité in Nguyen Phu Duc, 1996, p. 241) En parallèle, il fixe un échéancier de retrait des troupes précis : retrait de 20 000 G.I’s à la fin août, deuxième retrait unilatéral de 35 000 hommes à partir de septembre sur trois mois. Ces décisions seront suivies d’effet (voir 15 décembre, 1er août 1971). Mais il constate a posteriori dans ses mémoires : « Mes propositions du 14 mai ne reçurent aucune réponse sérieuse des Nord-Vietnamiens, ni à Hanoï ni à Paris. » (Nixon, 1978, p. 283).


16 mai 69 : Au Cambodge, des Khmers serei font une « soumission spontanée ». 907 combattants dans la région de Phnom Melaï (province de Battambang). 205 d’entre eux se sont déjà « rendus » du 1er au 9 janvier (Sihanouk, 1979, p. 249).


20 mai 69 : Suite de l’affaire des fuites du New York Times (voir 9 mai). Kissinger et Haig se rendent dans le bureau de William Sullivan, sous-directeur du F.B.I., qui établit un compte rendu pour son supérieur Hoover. Selon ce document, Kissinger aurait déclaré : « Il est clair que je ne peux faire confiance à personne dans mon équipe, si ce n’est au colonel Haig ici présent. »

Haig fera mettre sur écoutes deux autres membres du C.N.S., Richard Sneider et Richard Moose. Par la suite, Haig et Kissinger déclareront en 1973, lorsque l’affaire éclatera publiquement, n’avoir pas souvenir de cette réunion. Au total, 17 personnes seront mises sur table d’écoute : des membres de l’équipe Kissinger, du personnel de la Maison Blanche, des journalistes, des fonctionnaires du département d’État et de la Défense dont Richard Pedersen, l’un des principaux adjoints du secrétaire d’État William Rogers (Shawcross, 1979, pp. 105-106).


22 mai 69 : Au Cambodge, la mission du F.N.L. sise à Phnom Penh est élevée au niveau d’une ambassade. Ce qui n’empêche pas Sihanouk d’opérer un rapprochement avec les Américains en cautionnant les bombardements et en ayant renoué des relations diplomatiques avec les U.S.A. (voir 11 juin). Le réchauffement diplomatique américano-cambodgien s’exprime par la réouverture de l’ambassade des États-Unis à Phnom Penh (Sihanouk, 1979, p. 249). Sihanouk poursuit alors une politique neutraliste du « grand écart ».

Selon Aubrac, Kissinger lui remet une note de Nixon destinée à HCM demandant à ce parallèlement aux négociations publiques s’ouvre un canal de tractations secrètes. A charge pour Aubrac d’aller porter le message en se rendant au Laos (voir 12 juin) (Aubrac, 2000, p. 360).


24 mai 69 : Au Cambodge, le général Lon Lol (vice-président du Conseil et ministre de la Défense) rencontre les ambassadeurs du N-V (Nguyen Thuong) et du F.N.L. (Nguyen Van Hieu). Il leur reproche d’entrée de ne pas respecter l’engagement pris par Pham Van Dong le 8 juin 1967 et celle de Nguyen Huu Tho du 31 mai de la même année sur la question du respect de l’intégrité territoriale cambodgienne. Il leur dit : « Depuis un certains temps, nous constatons que la présence de vos troupes se transforme en occupation effective de plusieurs régions de notre territoire. »

Il ajoute que « la zone des provinces de Stung-Treng et de Rattanakiri peut être considérée comme occupée militairement et administrativement par vos troupes. » Dans la région de Mondulkiri, « l’occupation par vos troupes de plusieurs points du territoire, dont quelques-uns sont de véritables bases logistiques, de vrais centres sanitaires et de vrais postes de commandement opérationnel, est aussi effective […] Vos troupes, en vrais maîtres des zones occupées dictent vos lois, en exigeant que nos autorités légales, tant civiles que militaires, obtiennent leur accord ou autorisation préalable, pour pouvoir les traverser. »

Nguyen Thuong botte en touche en évoquant une « cinquième colonne de Saigon » mais promet d’en faire part à son gouvernement. Nguyen Van Hieu évoque bien quant à lui un incident à Tamo (province de Svay Rieng) où les troupes khmères ont mené des opérations contre une infirmerie vietcong. Lon Lol lui répond : « il est plutôt question non d’une infirmerie, mais de vos troupes nombreuses et bien armées retranchées depuis longtemps dans cette zone. » Des accrochages ont eu régulièrement lieu, « les forces de l’armée royale khmère et la population ont subi beaucoup de pertes en vies humaines et en matériel. » Le ministre de la Défense khmer déclare alors : « La situation est maintenant telle que tous les Cambodgiens se demandent qui est maître du Cambodge entre vous et nous. » Sihanouk fera publier un rapport de cette entrevue dans le numéro de juin du Sangkum (Tong, 1972, pp. 186-190).

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