Mai 54 : Défaite au Cambodge des Khmers issaraks (communistes) qui perdent 500 hommes. Pour autant, le mouvement n’est pas moribond, toujours soutenu par le VM et la Thaïlande. Bangkok demeure le refuge de leur chef politique et militaire, Pok Chhum, à la tête de 1 200 hommes (Gras, 1979, pp. 231-232).
L’A.N.V. compte désormais 250 000 hommes mais 50 000 d’entre eux déserteront après la défaite de Dien Bien Phu (Toinet, 1998, p. 141).
68 % des Américains sont toujours hostiles à un engagement de leurs troupes en Asie (Ruscio, 1992, p. 203)
1er mai 54 : A Dien Bien Phu, le réseau des tranchées d’approche établi par le VM atteint les 400 km (Navarre, 1979, p. 350). Le 1er bataillon de la 13e demie brigade de la Légion étrangère exécute un coup de main sur les travaux du VM sur Éliane 2 : 2 blockhaus détruits et 1 endommagé. Le 1er B.E.P. chasse les troupes du VM des abords sud-ouest d’Huguette 5 (Pouget, 2024, pp. 533-534).
Les largages sanitaires continuent à tomber la plupart du temps dans les positions tenues par le VM (voir 6 mai).
Nouveau message du colonel Langlais au colonel Sauvagnac (commandant des forces aéroportées au Tonkin). Il est encore plus « corsé » que le précédent (voir 11 avril) : « […] Général en chef a bon dos quand vous vous retranchez derrière lui comme vous l’avez fait pour envoi personnel non breveté en me refusant tout renfort. Stop. En toute gravité et pour la dernière fois, je vous demande de vous mettre à la place de tous nos camarades d’Hanoi sans lesquels et malgré vous nous gagnerons cette bataille. Stop. Le message dont je transmets copie à tous mes chefs de bataillons sera le dernier que je vous adresse. Stop et fin. » (cité in Pouget, 2024, p. 391 et plus longuement p. 534).
Navarre répond avec scepticisme et réalisme à Ély concernant son message du 30 avril au sujet d’une éventuelle trêve en faveur des blessés (voir également 27 avril) : « Demander au Viet Minh une trêve de cette durée [de 6 à 7 jours] et a fortiori l’usage d’une partie du terrain qu’il contrôle n’est plus lui réclamer l’exercice d’un droit reconnu, mais une faveur qu’il peut refuser avec des motifs très valables, par exemple le répit que cela donnerait aux défenseurs. Il serait tout au moins en droit de nous demander certaines contreparties telles que l’arrêt de nos actions aériennes sur ses communications. C’est donc dans une sorte de cessez-le-feu intéressant une assez importante région que nous nous engagerions […] » (cité in Rocolle, 1968, pp. 495-496) Or rien n’aboutira dans le sens voulu par Bidault ou Ély (voir 5 mai).
Nuit du 1er au 2 mai 54 : Troisième offensive du VM (cartes in Tertrais, 2004, p. 28 ; Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. XXV). Violents tirs de préparation.
A l’est, vers 20 h 35, les divisions 312 et 316 attaquent Éliane 1 (qui tombe) et 4 (qui résiste en partie) en vue d’enlever Dominique 3 situé dans la vallée qui tombe vers 2 h 00. Éliane 2 parvient à tenir.
A l’ouest, la division 308 attaque Huguette 5 (qui, ancienne zone de parachutage, tombe à minuit) et entame les positions françaises d’Huguette 4 qui résistent en partie.
Au sud, Isabelle 5 tombe à 2 h 00.
Les Français se battent à 1 contre 9 : un régiment vm se bat généralement contre une position défendue par une simple compagnie. Giap dispose d’au moins 14 000 combattants là où De Castries peut encore compter sur 2 000 à 3 000 hommes dont certains sont blessés (Rocolle, 1968, p. 518 ; Pouget, 2024, p. 535).
2 mai 54 : Au vu de la gravité de la situation, Navarre quitte Saigon pour rejoindre Hanoi où il convoque une réunion qui a pour but d’y remédier autant que faire se peut. Sont présents Cogny, le colonel Crèvecœur (commandant des forces françaises au Laos) et les principaux commandants des forces françaises au Tonkin. Navarre décide d’un projet intitulé opération Albatros, une variante de Condor visant à rompre l’encerclement du camp retranché. Elle pourrait être réalisée par les troupes de Dien Bien Phu en combinaison avec les unités de commando basées au Laos. Il estime, mais à tort, que l’opération peut être montée en 2 ou 3 jours. Selon lui, le VM n’ayant pas de logistique au Laos ne peut être réactif pour la contrer. Cette sortie du camp suppose de laisser les blessés sur place (voir ci-dessous). Bien trop tardive, et un peu fumeuse dans sa conception, cette initiative n’aboutira pas tant les coups de butoir du VM sont désormais forts. Par ailleurs, le colonel de Crèvecœur calculera dès le lendemain qu’un tel dispositif ne pourra être mis en place avant le 15 mai car le groupement du lieutenant-colonel Godard doit d’abord être renforcé de 2 bataillons de parachutistes comme il l’avait été prévu pour Condor (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 213 ; Rocolle, 1968, p. 503).
Parachutage nocturne d’un cinquième bataillon (1er bataillon parachutiste colonial) sur Dien Bien Phu. Du fait du rétrécissement de la zone de réception et le risque qu’ils soient parachutés en zone vm, seule la moitié d’entre eux sont largués (Navarre, 1979, p. 351). Dans les derniers temps du camp sont parachutées des troupes qui sautent pour la première fois.
Reprise au matin entre 8 h 00 et 10 h 00 d’Isabelle 5. Du fait du bouleversement du terrain, il est impossible de s’y maintenir. Seuls des éléments de surveillance y sont laissés (Rocolle, 1968, pp. 522-523)
Concernant l’abandon des blessés du camp retranché en vue de l’opération Ariane, Navarre télégraphie à Ély : « […] Si gouvernement voyait objection d’ordre politique ou moral du fait abandon des blessés prière faire connaître toute urgence. N’envisagerai plus l’opération si un cessez-le-feu était dans perspectives immédiates Genève. » (cité in Rocolle, 1968, p. 501, note 63)
A Genève, Chauvel (chargé français des négociations) informe son homologue soviétique Gromyko que Bao Daï accepte la présence de la délégation du VM à la conférence (Pouget, 2024, p. 538).
Nuit du 2 au 3 mai 54 : Parachutage de la 2e compagnie du 1er B.P.C. (lieutenant Edme) malgré de mauvaises conditions météorologiques et une puissante riposte de la D.C.A. 100 canons de 37 mm et environ 400 mitrailleuses lourdes entrent en action (Rocolle, 1968, p. 523, note 136 : Pouget, 2024, p. 538-539).
3 mai 54 : A Dien Bien Phu, les légionnaires font sauter sur Éliane 2 qui tient toujours un blockhaus vm. La 2e compagnie du 1er B.P.C. gagne Éliane 3 au pied d’Éliane 2. 45 tonnes d’approvisionnement sont largués, mais seuls 10 % sont récupérables (Pouget, 2024, p. 539).
Cogny, toujours très attaché à la défense du Delta, demande à Navarre de pouvoir poursuivre à Dien Bien Phu « la résistance sur place jusqu’à épuisement des moyens […] entretenus jusqu’à l’extrême limite des possibilités » pour réaliser « le prolongement de la durée de fixation du Corps de bataille vietminh » qu’il estime « d’une importance capitale pour la sauvegarde du Delta. » Il ajoute : « Le prolongement de la résistance de Dien Bien Phu pendant les prochaines semaines (si possible jusqu’au 20 mai au moins) aurait à cet égard une valeur inappréciable. » (Navarre, 1979, p. 356)
Foster Dulles quitte Genève, manière de marquer la position américaine à l’égard de la future conférence. Il délègue sa place au général Bedell Smith, son adjoint. Il invite le soir de son départ Bidault à dîner. Mais ce dernier est retenu par un autre engagement. Jean Chauvel (diplomate chargé des négociations genevoises) se rend seul au dîner. Après celui-ci, Dulles s’entretient avec le diplomate français. Les U.S.A. ne croient pas à un arrangement lors de cette conférence. Le secrétaire d’État, encore plein d’illusions, demande au diplomate si les Français se sentent capables de tenir les deux deltas pendant 2 ans, le temps que les États-Unis réunissent des forces capables d’assurer la reconquête. Dulles nourrit l’espoir que l’intransigeance du VM soit telle que la conférence n’aboutisse à rien. Selon lui, il sera alors temps d’aviser (Chauvel, 1973, p. 49).
Abandon définitif du projet d’opération Albatros au vu des délais trop importants pour la monter (voir 2 mai).
Au Cambodge, Son Ngoc Minh (Front Uni Issarak), soutenu par le VM, demande à ce que le Gouvernement royal du Cambodge soit officiellement présent à la conférence de Genève. Le bloc communiste et en particulier la Chine (qui redoute une partition du Cambodge et l'installation de bases américaines sur son sol) ne soutient pas cette demande. Les forces du Front Uni Issarak comptent alors environ 3 500 soldats et contrôlent un tiers du territoire cambodgien. Mais seul Sihanouk sera considéré comme représentant légitime du Cambodge à la conférence. Les autres factions cambodgiennes seront écartées.
Nuit du 2 au 3 mai 54 : Parachutage de la 3e compagnie du 1er B.P.C. (capitaine Pouget) (Rocolle, 1968, p. 523, note 136). Sur Éliane 2, les contre-attaques vm sont repoussées. Hugette 4 tombe à 3 h 45 Pouget, 2024, pp. 539-540).
4 mai 54 : A Dien Bien Phu, une tentative pour reprendre Huguette 4 avec des troupes françaises hétéroclites échoue. La 3e compagnie du 1er B.P.C. larguée la nuit précédente s’installe sur Éliane 3 en vue de contre-attaquer Éliane 2. Selon Pouget, « tous les abris et les blockhaus d’armes du P.A. Éliane 3 sont occupés par 300 blessés environ. » (Pouget, 2024, p. 540)
Cogny transmet à De Castries des informations concernant l’opération Albatros (alors que celle-ci a été abandonnée la veille par Navarre). Le commandant du G.O.N.O. a tout pouvoir dans le choix de ses moyens et des dates pour effectuer un retrait du camp retranché après en avoir reçu l’ordre. Il doit alors effectuer les destructions nécessaires. A Dien Bien Phu, le commandement est très sceptique quant aux chances d’une telle opération. On divise toutefois les rescapés encore valides et en état de se battre en 3 groupes : les parachutistes, les légionnaires et les Nord-Africains, la garnison d’Isabelle au sud. La retraite doit s’effectuer le 7 à 20 h 00. Prévision stérile : la prise du P.C. de De Castries et de son état-major interviendra vers 17 h 30 (Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 213-214).
Lettre de Navarre à Ély revenant sur les espoirs vains du commandant en chef quant à la question d’un éventuel cessez-le-feu : « […] M. Dejean m’a montré un télégramme indiquant que M. Bidault s’orientait vers un cessez-le-feu dans le cadre d’une convention d’armistice. S’il s’agit d’une convention discutée à Genève dans tous les détails avant cessation des hostilités, elle aboutira certainement après la chute de Dien Bien Phu et nous auront perdu à quelques jours près un atout essentiel pour le recherche de garanties que je crois illusoires. Je pense donc que cette convention devrait être discutée ici, le cessez-le-feu étant ordonné aussitôt l’entente réalisée sur l’essentiel et les détails étant réglés ensuite […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 505, note 75) A cette date, ce qui est sûr, c’est que Giap ne veut ni d’un « cessez-le-feu », ni d’une « cessation des hostilités », ni même d’une « convention d’armistice » mais une victoire écrasante.
A Hanoi, Navarre et Dejean examinent à nouveau une étude sur les modalités d’un cessez-le-feu en Indochine (Pouget, 2024, p. 540).
La délégation du VM rejoint Genève. Pham Van Dong (vice-premier ministre) réclame d’entrée l’admission de représentants du Pathet Lao et des Khmers issaraks (Rocolle, 1968, p. 494).
Nuit du 4 au 5 mai 54 : Nouveau parachutage de seulement 74 hommes du 1er B.P.C. (Rocolle, 1968, p. 523, note 136 ; Pouget, 2024, p. 540). Du fait de la réduction des drop-zones, seule la moitié de cette unité peut être larguée sans risque de tomber dans les positions ennemies (Navarre, 1956, p. 228).
5 mai 54 : La 3e compagnie du 1er B.P.C. (capitaine Pouget) relève sur Éliane 2 le 1er bataillon de la 13e demie brigade de la Légion étrangère et y rejoint la 2e compagnie du 1er B.P.C. (lieutenant Edme) qui s’y trouve depuis la veille (Pouget, 2024, p. 541).
Sur Éliane 2, la sape de mine visant à faire sauter ce point d’appui est en voie d’achèvement. Une tonne d’explosif est amenée. Le VM se prépare à l’assaut final.
Entrée en lice des orgues de Staline chinois dans la soirée.
Dans la dernière quinzaine d’avril, Navarre avait adressé à Paris des demandes. Il se situe dans l’hypothèse où la conférence de Genève (qu’il a toujours dénigrée) se solderait par un échec. Il lui faut donc prévoir mener une « autre guerre ». Si l’on n’obtient pas de cessez-le-feu immédiat, il n’est pas favorable à ce qu’on attende la fin des pourparlers pour que l’on renforce le Corps expéditionnaire. La question a été soumise au ministre de la Défense et au Comité de Guerre fin avril. Réponse est donnée ce jour : dans l’absolu, il est nécessaire de renforcer le corps expéditionnaire de trois divisions d’ici octobre (mais cette décision ne sera pas retenue au final…) ; l’arrivée de deux groupes de bombardiers est prévue mais elle suppose de faire appel au contingent ; il est également prévu de maintenir les forces actuelles de l’aéronavale. Toutes ces demandes ne pourront être satisfaites que par des ponctions au niveau européen où la situation est déjà tendue, qui plus est, dans une situation qui se dégrade également en Afrique du Nord. Le Comité estime qu’en cas d’échec des négociations à Genève, la France ne sera pas en mesure de faire face. Le conflit devra donc s’internationaliser. Pour l’instant, Navarre devra se contenter pour poursuivre les combats avec 2 bataillons de parachutistes, un G.M. algérien, 3 escadrons de chars légers, 1 groupe de bombardiers B-26 et une cinquantaine d’hélicoptères. L’« épicerie » qu’évoquait Ély le 13 novembre 1953 est plus que jamais d’actualité… D’où la nécessité pour les chefs d’état-major d’envisager, faute de moyens, « certaines rétractations de notre dispositif » (autour de Hanoi et du réduit d’Haïphong) pour sauver le corps expéditionnaire et envisager par la suite une partition du Vietnam (Ély, 1964, pp. 117-122).
A Hanoi, à 10 h 00, Navarre se réunit à la Citadelle avec Bodet et Cogny pour étudier le projet Albatros. A 12 h 15, il s’envole pour Seno puis Saigon (Pouget, 2024, p. 541).
A Genève, Bidault (Affaires étrangères) tente en vain de rencontrer la délégation du VM pour obtenir une trêve en faveur des blessés du camp retranché. Il se heurte, comme à Dien Bien Phu, à une fin de non-recevoir qui se maintiendra jusqu’à la reddition (voir 10 mai) (Rocolle, 1968, p. 496).
Dulles dénonce devant la commission des Affaires étrangères du Sénat la participation chinoise qui ressemble terriblement à une intervention directe dans le conflit indochinois. Un espoir illusoire d’intervention de l’aviation américaine renaît une nouvelle fois côté français (Chauvel, 1973, p. 45).
Un état récapitulatif du G.O.N.O. transmis à Cogny mentionne les pertes à ce jour :
- 1142 tués auxquels s’ajoutent 429 blessés qui ont succombé dans les postes sanitaires
- 1 606 disparus
- 1 161 déserteurs
- 4 436 blessés
Demeurent en théorie 6 136 hommes valides mais dont un nombre non négligeable est blessé. Ont combattu à Dien Bien Phu depuis le 13 mars 15 090 hommes (Rocolle, 1968, p. 548)
Nuit du 5 au 6 mai 54 : Parachutage d’une fraction de la 4e compagnie du 1er B.P.C. et de la compagnie de commandement. Tentative des troupes du VM pour prendre un blockhaus situé à l’ouest d’Éliane 2 (Rocolle, 1968, p. 523, note 136 ; Pouget, 2024, p. 541).
6 mai 54 : Aménagement par le VM d’Éliane 1 et Dominique 3 suite à leur récente conquête.
Dans l’après-midi, les guetteurs d’Éliane 2 signalent une attaque venant de l’est. Les tirs de l’artillerie français ne les arrêtent pas. A 17 h 00, la position est écrasée par les tirs de préparation et des tirs directs vm qui visent les embrasures des derniers blockhaus. A 20 h 00, Claudine 5 subit le même sort (Pouget, 2024, pp. 541-542).
Sans y croire un instant, Navarre télégraphie à Ély : « Albatros ne sera exécuté qu’à la toute dernière extrémité quand tout espoir serait perdu de pouvoir tenir jusqu’à une éventuelle cessation des hostilités. Crois, en effet, que notre position serait bien meilleure dans ce cas si Dien Bien Phu tenait toujours […] Date exacte et modalités seront fixées en fonction situation d’une part G.O.N.O., d’autre part détachement recueil actuellement en place mais que je fais renforcer par deux bataillons et par maquis. Difficulté principale résultera certainement dans forcement investissement constitué par véritable lacis de tranchées et blockhaus […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 506, note 81)
Intervention très tardive mais pour une fois soutenue de l’aviation de bombardement : 46 bombardiers B-26 sont engagés pour protéger les parachutages accompagnés d’une intervention de 60 avions de chasse (Rocolle, 1968, p. 526)
Dulles explique au C.N.S. qu’il faut « renforcer la main des Français à Genève en accentuant l’incertitude des communistes quant à une intervention américaine. » Simple bluff diplomatique, peu crédible, Dulles ayant quitté la conférence dès le 3 (De Folin, 1993, pp. 265-266).
Le ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault adresse une lettre à Bao Daï l’assurant que la France ne cautionnerait pas à Genève la partition du Vietnam : « Notre but est d’obtenir un cessez-le-feu dans le cadre d’un armistice les garanties nécessaires aux trois États d’Indochine, à la France et aux puissances alliées dont les intérêts généraux sont solidaires des nôtres dans l’Asie du Sud-Est. Cet armistice ne doit pas préjuger le règlement définitif dont l’examen pourra être abordé par la suite, lorsque les conditions de paix et de liberté pour la tenue d’élections générales, seront réunies. Dès maintenant, je suis cependant en mesure de confirmer à Votre Majesté que rien ne serait plus contraire aux intentions du gouvernement français que de préparer l’établissement, aux dépens de l’unité du Vietnam, de deux États ayant chacun une vocation internationale […] » (cité in Devillers, 2010, pp. 336-337). Fausse déclaration de bonnes intentions : les Français n’ont qu’une hâte, se sortir de l’imbroglio indochinois par le biais de la conférence de Genève, quitte à accepter la partition du Vietnam.
Dans un article de Claude Bourdet, France Observateur demande : « Le M.R.P. est-il le parti du crime ? » (cité in Dalloz, 1996, p. 106) Les démocrates-chrétiens ayant en effet été jusqu’alors le principal soutien au conflit indochinois.
Du fait des largages de plus en plus difficiles (voir 1er mai) et du rapprochement des bombardements vers le centre du camp où se trouvent des structures sanitaires, le médecin-chef du G.O.N.O. signale : « Situation blessés extrêmement précaire par suite inondation et éboulements nombreux abris. Plus de place disponible. Besoins urgents tous médicaments : mes stocks détruits. » (cité in Rocolle, 1968, p. 306).
Nuit du 6 au 7 mai 54 : Après une légère accalmie du 3 au 6, Giap lance sa quatrième et dernière offensive sur le centre du camp retranché. Sont d’abord visés à l’est les points d’appui Éliane 2, 4 et 10 (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, p. 318-319) totalement écrasés par l’artillerie et, depuis peu, les orgues de Staline chinois. A 18 h 00, Éliane 2 et 4 sont submergés. Vers 23 h 00, le VM déclenche une mine de 1 000 kg d’explosifs sur Éliane 2 qui sera totalement submergé le 7 à 5 h 00. Claudine 5 tombe à son tour. La perte d’Éliane 2 à 5 h 00 va entraîner celle d’Éliane 3 et 10. On renonce à larguer la 1ère compagnie du 1er B.P.C. sur ordre du colonel Langlais (Pouget, 2024, p. 542-543).
La décision d’opérer une seconde tentative de sortie nommée opération Albatros (voir 2 mai), avec abandon des blessés, est programmée mais avorte rapidement sous l’assaut des orgues de Staline et face à l’épuisement général des troupes françaises (Ély, 1964, p. 95).
7 mai 54 : Fin de la bataille de Dien Bien Phu.
A 9 h 30, les combats s’arrêtent sur Éliane 4.
A 10 h 00, conversation téléphonique techniquement difficile entre De Castries et Cogny concernant l’opération Albatros qui devrait avoir lieu la nuit suivante. Cogny donne son autorisation verbale. Il la confirmera ensuite par télégramme : « Confirme autorisation verbale donnée ce jour à 10 h 00 jouer Albatros pour centre résistance central et Isabelle. » (cité in Rocolle, 1968, pp. 535-536, note 182). Dans la matinée, le lieutenant-colonel De Seguin Pazzis (chef d’état-major de De Castries) entre en liaison radio avec le colonel Lalande (commandant le point d’appui Isabelle) et l’informe que l’opération Albatros devrait être déclenchée sous peu (Rocolle, 1968, p. 544). Il n’en sera rien. A 16 h 00 une nouvelle conversation entre les 2 hommes offrira 2 options à Lalande : une résistance extrême ou une tentative de sortie. Il opte pour la seconde mais devra s’incliner en constatant vers 20 h 00 que toute percée des lignes vm est impossible (Rocolle, 1968, pp. 545-547).
Vers midi, réunion au P.C. du colonel Langlais : les lieutenants-colonels Bigeard et Lemeunier estiment que toute tentative de sortie est impossible au vu de l’état d’épuisement de leurs troupes. Ils en informent De Castries vers 13 h 00 (Rocolle, 1968, pp. 536-537).
A midi, les troupes du VM bordent la rivière Nam Youn par l’est (régiments 102 et 88 de la 308 ; régiments 98, 174 et 176 de la 316).
L’après-midi, intervention aérienne est presqu’aussi importante que la veille : 25 bombardiers B-26 et de 16 chasseurs de l’aéronavale malgré des conditions météo défavorables qui ont contrarié le soutien d’Éliane 4 et 10 le matin (Rocolle, 1968, p. 536).
A 15 h 30, dernière réunion entre De Castries, Bigeard, Langlais et De Pazzi.
A 16 h 00, conversation téléphonique avec le général Bodet qui fixe le cessez le feu à 17 h 00.
A 17 h 00, l’ordre de cessez-le-feu est donné.
Pour le VM, c’est presque une victoire inespérée et inattendue : Giap est absent ce jour-là de son P.C. et l’ordre de l’assaut final n’est donné que tardivement (Rocolle, 1968, p. 486). Toute la résistance française sur les Éliane est tombée. Vers midi, le régiment 141 s’empare d’Éliane 12 et vers 14 h 00 d’Éliane 11 atteignant ainsi les rives de la Nam Youm où se terraient jusqu’alors les déserteurs (« Rats de la Nam Youm »). Vers 15 h 00, seuls une poignée de légionnaires du 1er bataillon du 13e D.B.L.E. tiennent encore Éliane 3 avec quelques tirailleurs marocains qui font défection vers 16 h 00. À 17 h 30, la position centrale et le P.C. de De Castries tombent (témoignage de cette reddition in Dao Thanh Huyen et alii, 2010, p. 231 ; Rocolle, 1968, pp. 540-542). Selon Navarre, « il n’y a pas capitulation mais cessation progressive du combat, à mesure que les points d’appui sont submergés. » Le commandant en chef a en effet donné des ordres à De Castries pour qu’il en soit ainsi et a chargé Cogny de les lui transmettre. Ce dernier le fera scrupuleusement (« pas de drapeau blanc »), quitte à mettre de côté le sort des blessés du fait de la mise en place d’un simple cessez-le-feu (Navarre, 1979, p. 351, note 1 ; derniers échanges radio entre De Castries et Cogny in Rocolle, 1968, pp. 539-540 ou Pouget, 2024, pp. 433-435). Vers 20 h 00 à Isabelle, l’opération Albatros (voir ci-dessus) échoue également : selon Navarre, seules « quelques dizaines d’isolés rejoignirent nos positions au Nord-Laos. » (Navarre, 1956, p. 242)
On compte alors, selon Navarre, 16 000 tués et blessés côté français ; 1 500 morts et 1 600 disparus ; 9 500 prisonniers dont 5 000 sont blessés. 36 avions ont été abattus ou détruits au sol. 150 ont été atteints par des tirs de D.C.A. 79 aviateurs sont morts ou portés disparus (voir 19 mai pour les évaluations de Cogny) (Navarre, 1956, p. 235). Toujours selon le même, les pertes du VM sont estimées entre 8 et 10 000 tués, non compris les coolies (Navarre, 1956, p. 229). Cadeau revoit ces chiffres à la hausse, évoquant quant à lui 22 000 tués et blessés. Les chiffres officiels vietnamiens sont toujours à ce jour nettement minimisés par l’historiographie officielle : 4 020 tués, 792 disparus et 9 118 blessés (Cadeau, 2019, p. 497).
La perte du camp retranché est plus une immense défaite psychologique qu’une véritable débâcle du corps expéditionnaire : seul 5 % de son effectif est perdu ainsi que 3,3 % des 450 000 hommes des armées des États associés. A Paris, au moment de la conférence de Genève, c’est pourtant comme après la défaite de Cao Bang l’affolement dans les milieux politiques et militaires tout comme dans la presse (Gras, 1979, p. 569).
8 mai 54 : Reddition à 1 h 00 du point d’appui Isabelle (Cadeau, Cochet, Porte, 2021, pp. 321-322), le plus au sud, qui tombe en dernier. A 1 h 30, Isabelle a envoyé son dernier message à Hanoi : « Sortie manquée. Ne peux plus communiquer avec vous. »
Les colonnes de prisonniers français sont mises en route vers les camps d’internement situés au nord. Cette marche se transformera en calvaire du fait de l’épuisement des troupes et de leurs blessés dont beaucoup mourront au cours de cette marche forcée. Les officiers supérieurs du camp retranché seront les seuls à bénéficier d’un transport en camion Molotova (Bigeard, 1997, p. 182). Selon le rapport sur l’interrogatoire des blessés de Dien Bien Phu, la rancœur parcourt les rangs : « […] D’une façon générale, tous les rescapés pensent (et ceci depuis le mois de mars au moins) que le général De Castries et son état-major ont été des incapables sur toute la ligne. Les seuls éloges vont au colonel De Langlais et aux officiers de tous les bataillons (sauf officiers vietnamiens). » (cité in Rocolle, 1968, p. 542, note 205).
Navarre reçoit une lettre d’Ély (chef d’état-major) : « A aucun moment il ne m’est venu à l’idée de nos dirigeants politiques ou militaires de discuter les décisions qui avaient abouti à l’installation du camp retranché. En ce qui me concerne, vous le savez, j’ai tenu à vous couvrir entièrement dès que vous avez pris la résolution de défendre Dien Bien Phu. Les discordances, s’il y en a eu, n’ont pu provenir que de la presse, avec Hanoi [Cogny…] comme origine. » (cité in Navarre, 1979, p. 370).
Navarre assume ses responsabilités et commence sa défense : Dien Bien Phu est une défaite tactique mais une victoire stratégique : le Laos a été sauvé ; le corps de bataille vm a été saigné à blanc et est bien incapable d’aller plus loin avant plusieurs mois ; le Delta, toujours défendable, a été épargné. Selon Cadeau, ce point de vue est sinon totalement, du moins partiellement admissible (Cadeau, 2019, p. 498). Ce qui n’empêchera pas le commandant en chef de devenir dès ce jour le principal bouc-émissaire qui sera évincé de son commandement dès le 3 juin.
Début de la conférence de Genève pour la partie indochinoise au lendemain même de la défaite (Laurent Cesari, 2008, p. 7-24 ; Gras, 1979, pp. 563-569). Elles se poursuivront jusqu’au 20 juillet (voir chronologie détaillée dans la suite).
Deux phases la marquent. Du 9 mai au 18 juin, le ministre des Affaires étrangères, Georges, Bidault dirige la délégation française peu après la démission du gouvernement Laniel, fortement critiqué. Du 18 juin au 21 juillet, ce sera Pierre Mendès France qui prendra sa succession suite à un nouveau changement de gouvernement. Selon De Folin, malgré cette situation chaotique, les deux hommes ont œuvré « dans la même direction » et « il y eut une unité d’action assez remarquable » (De Folin, 1993, p. 273).
Sont présents aux négociations : la Chine (jusque-là en mal de reconnaissance internationale et qui fait ici son entrée dans la diplomatie internationale), les U.S.A., le Royaume-Uni, la France, l’U.R.S.S, ainsi que les États associés : Cambodge, Laos, l’État du Vietnam et la République démocratique du Vietnam et, à titre de consultant, l’Inde (Cesari, 2008, p. 7).
D’entrée apparaissent de nombreuses querelles procédurières pour la répartition des présidences tournantes, chaque camp voulant affaiblir l’autre (Cesari, 2008, pp. 8-9). Le conflit sino-américain en Corée, dont les négociations se sont terminées depuis le 15 juin par un échec, structure autant la conférence que la guerre franco-vietminh. Les deux puissances communistes sont plus ou moins unies mais veulent négocier ; les U.S.A. et les États associés souhaitent au contraire l’éviter. John Foster Dulles (secrétaire d’État) a quitté la conférence dès le 3 mai, soit 5 jours avant l’ouverture du débat sur l’Indochine avec l’espoir de le faire échouer car il veut qu’aucun territoire ne devienne communiste. Il espère ainsi à miner l’alliance sino-soviétique. La direction de la délégation américaine échoit alors au simple sous-secrétaire d’État, le général Walter Bedell Smith (Cesari, 2008, p. 9).
Les États associés refusent toute concession aux mouvements communistes rebelles (Pathet Lao, Khmers issaraks). Les U.S.A., chef de coalition et principal bailleur de fonds, ainsi que les puissances occidentales s’opposent donc aux négociations alors que le combattant principal, une France très affaiblie, veut mettre fin au plus vite aux opérations (Cesari, 2008, p. 9).
Le 8 mai, au lendemain de la chute de Dien Bien Phu, Pham Van Dong adopte d’entrée à Genève une position intransigeante : l’Indochine est un champ de bataille unifié et il refuse donc de séparer le sort du Cambodge et du Laos de celui du Vietnam dont il refuse la partition. Sûr de sa victoire après la récente défaite française, il demande la tenue d’un cessez-le-feu sur place et l’organisation rapide d’élections, toutes deux supervisés par la France et la R.D.V.N. Or les positions de ces deux pays paraissent inconciliables. Zhou Enlaï joue alors les médiateurs sur la question des prisonniers de Dien Bien Phu et obtient le retrait de la R.D.V.N. de la négociation d’avec les États associés, appuyé en cela par Molotov. Un accord sera obtenu à l’arraché le 10 juillet.
Concessions, avancées et refus :
Côté français, c’est le nouveau président du Conseil qui sera élu le 19 juin, Pierre Mendès France va reprendre les choses en main dès le 18 et fixera impérativement le terme des négociations au 20 juillet, avec menace de démission en cas d’échec des négociations (Cesari, 2008, p. 18). C’est un pari risqué mais qui lui paraît nécessaire pour limiter les « faiblesses conciliatrices » qu’espérait le bloc communiste. Mendès confie à ses négociateurs que la mise en place d’un armistice inacceptable risquerait de remettre le feu aux poudres à moyen terme, y compris au niveau mondial.
Chinois et Russes font donc de nouvelles concessions, mais sans consulter la R.D.V.N., pour conclure dans les délais imposés par les Français. L’idée d’une partition au niveau du 17e parallèle sera acceptée par HCM (non présent, représenté par Pham Van Dong). Les Chinois, sans doute moins belliqueux et pro-nord-vietnamiens que ne le pensent les Américains, accepteront de reporter un processus électorale visant à l’autodétermination en juillet 1956. Eisenhower reconnaitra plus tard que si ces élections avaient eu lieu immédiatement, HCM aurait gagné avec 80 % des voix au Nord comme au Sud (Sheenhan, 1990, p. 176).
Côté américain, les États-Unis qui ne croient pas au succès de cette conférence ne signeront pas les accords. Face à la « déclaration finale », le sous-secrétaire d’État Bedell Smith précisera le 21 juillet : « […] mon gouvernement n’est pas disposé à s’associer à une déclaration commune des membres de la Conférence comme celle qui est énoncée […] Le gouvernement des États-Unis […] prend acte des accords conclus à Genève les 20 et 21 juillet […] » (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 80). Les États-Unis estiment que les conditions qui seront préétablies par les Anglais, Français et Américains, lors d’une réunion le 25 juin, n’auront pas été remplies à la table des négociations sur 7 points dont les principaux sont : préserver l’intégrité et l’indépendance du Laos et du Cambodge tout en assurant le retrait des forces vietminh de ces pays ; préserver au moins la partie Sud du Vietnam, et si possible une enclave dans le Delta au Nord ; la supervision internationale de l’accord et celle des transferts de populations ne sont pas en l’état satisfaisantes. Les U.S.A. se résigneront à l’idée de partition mais commencent penser substituer dès lors l’anticommuniste Diem à Bao Daï (Cesari, 2008, p. 22). Ils ne s’engageront pas à participer au suivi du traité prévu par l’article 13 et se refuseront de participer aux consultations prévues pour maintenir les accords (Cesari, 2008, p. 23). Ce qui leur permet d’envoyer rapidement une équipe dirigée par le colonel Lansdale pour mener une guerre clandestine en vue de lutter contre le N-V par des actes de sabotage (voir 1er juin) (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 29-32 et pp. 81-94).
Côté vietnamien, Pham Van Dong devra céder sous la double menace russe et chinoise de lui couper les vivres s’il voulait poursuivre leurs revendications de non-partition et le refus d’élections pour juillet 1956. Un double projet combattu tant par le Vietminh que par Bao Daï (Cesari, 2008, pp. 17-18).
La France va donc imposer sa volonté d’un État du Vietnam (qui avait juridiquement concédé sa représentation militaire à la France), tout comme la Chine et l’U.R.S.S. ont imposé la leur à la R.D.V.N.
On crée des commissions internationales de contrôle de l’armistice (C.I.C.) présidées par l’Inde (neutraliste), le Canada (pro-occidental) et la Pologne (procommuniste) avec donc au moins deux pays peu favorables à la France car anticolonialistes. L’U.R.S.S. et la Grande-Bretagne assureront la co-présidence. L’article 13 de la déclaration prévoit des consultations entre les anciens participants pour étudier le respect des accords en cas de saisie des commissions de la C.I.C. Cet article sera rejeté par les Américains qui laisseront aussi entendre qu’ils chercheront à entraver la consultation de 1956, ce que confirmera Dulles en privé dès le 24 juillet 1954 et publiquement le 30 août 1955.
À l’issue de cette conférence, le Vietnam est partagé provisoirement en deux zones distinctes de part et d’autre du 17e parallèle. Ce choix a été imposé par la France et sera arrêté le 23 juin, non au niveau du 16e parallèle comme prévu initialement. On entend créer une zone démilitarisée : la D.M.Z. Elle doit se maintenir jusqu’aux hypothétiques élections de 1956 (carte in Tertrais, 2004, p. 35).
Il est donc convenu entre l’Est et l’Ouest que le Vietnam constitue une zone politiquement et militairement neutralisée, où, du moins en théorie, les grandes puissances s’abstiendront d’intervenir. Il en est de même, toujours en théorie, pour le Laos et le Cambodge. Le gouvernement Bao Daï-Diem refusera d’entrée l’idée de partition du Vietnam et comptera sur la France pour l’appuyer, bien que celle-ci n’ait pas tenu les engagements écrits de Georges Bidault du 6 mai (Devillers, 1967, p. 70). Les N-V n’ont toutefois pas renoncé à la réunification des deux Vietnam. Pham Van Dong déclarera lors de la conférence : « Nous gagnerons l’unité du Vietnam comme nous avons gagné la paix. Aucune force au monde ne nous en détournera […] Peuple du Vietnam, compatriotes du Sud, la victoire est à nous ! » (Rignac, 2018, p. 112)
Navarre, qui n’avait été mis clairement au courant de l’existence de cette conférence que lors de la visite de la mission Pleven (voir 9 - 25 février), estime quant à lui avoir « été tenu complètement à l’écart des négociations ». Un « représentant du commandant en chef » a bien été nommé mais non habilité à correspondre directement avec lui ni à faire partie du comité des experts militaires. Selon Navarre, tout a été mené de bout en bout par le seul Quai d’Orsay (Navarre, 1956, p. 308).
Dans L’Express, l’écrivain François Mauriac, désabusé, constate à l’issue de cette conférence : « Pensée amère, pensée empoisonnée : cette histoire à la fois criminelle et inepte, cette histoire de dix ans écrite à l’encre rouge, l’a été par des chrétiens [du M.R.P.]. » (cité in Dalloz, 1996, p. 106)
9 mai 54 : Ély (chef d’état-major des Forces armées) adresse une lettre à Navarre dans laquelle il l’appuie et le couvre clairement : « A aucun moment il n’est venu à l’idée de nos dirigeants politiques ou militaires de discuter des décisions qui avaient abouti à l’installation du camp retranché. En ce qui me concerne, vous le savez, j’ai tenu à vous couvrir entièrement dès que vous avez pris la résolution de défendre Dien Bien Phu. Les discordances, s’il y en a eu, n’ont pu provenir que de la presse, avec Hanoi [Cogny] comme origine. » La faute, si faute il y a eu, n’est attribuable qu’à « notre échec », un échec où le gouvernement en place et le commandement militaire ont aussi, pour une bonne part, leurs responsabilités respectives (Ély, 1964, pp. 108-109 ; Navarre, 1956, p. 268, note 1).
10 mai 54 : Cogny déclare à la presse qu’il ne croit pas à une grave menace du VM sur le Delta avant le mois de septembre (Navarre, 1979, p. 372, note 1).
Laniel réclame à nouveau une intervention américaine en Indochine auprès de Dulles qu’il rencontre le soir même. Ce dernier se retranche en lui répondant qu’une résolution du Congrès est nécessaire, sachant que l’opinion publique américaine y est, depuis la guerre de Corée, très défavorable (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 40).
Depuis le 1er janvier, les désertions ont touché 6 600 hommes au sein des troupes franco-vietnamiennes. Elles atteindront 25 000 hommes entre le 11 mai et la signature du cessez-le-feu le 21 juillet (Ruscio, 1992, p. 208).
A Genève, le VM fait connaître pour la première fois ses conditions de paix (Rocolle, 1968, p. 494). Ce n’est donc qu’à ce moment précis que la question du cessez-le-feu peut être abordée. Elle ne sera définitivement réglée et mise (en relative) application que le 21 juillet.
Faisant réponse à une requête de Nguyen Quoc Dinh, délégué représentant le Vietnam à la conférence, concernant les blessés du camp retranché, Pham Van Dong fait savoir que son gouvernement accepterait de restituer tous les blessés graves et qu’il suffisait que Navarre et Giap règlent ensemble les modalités de ce rapatriement (Rocolle, 1968, p. 496). Ce n’est donc qu’une fois la reddition obtenue que le VM accorde une trêve en faveur des blessés, un geste qu’attendait l’opinion internationale.
11 mai 54 : Navarre télégraphie à Ély (chef d’état-major des Forces armées) : « En plein accord avec le général Cogny, je suis opposé à toute rétractation effectuée dès maintenant et a priori. » (Navarre, 1979, p. 372, note 1). Il pose également la question de sa légitimité. Il faut « que le chef qui va commander en Indochine pendant les semaines à venir, qu’il s’agisse de négocier un armistice ou de continuer la guerre, ait une autorité incontestée […] Si le Gouvernement entend me laisser à mon poste, il doit m’aider à maintenir mon autorité dans ces circonstances difficiles […] Si, pour des raisons politiques ou autres, il ne croit pas devoir le faire, j’estime qu’il doit me remplacer sans délai, car il n’est pas possible que je reste dans une situation équivoque, en quelque sorte en sursis, c'est-à-dire sans autorité. » (Navarre, 1979, p. 395) Ély ne répondra pas par écrit mais donnera sa réponse lors de sa visite du 18 mai.
Le secrétaire d’État américain Dulles annonce de Londres qu’il est prêt à se passer des Anglais pour mettre au point une coalition mais que ses projets « d’action collective » ne sont pas abandonnés. Il oublie un peu rapidement la position isolationniste d’Eisenhower, certes non dénuée d’ambiguïté jusqu’alors (voir 12 mai).
L’Humanité écrit : « Les responsabilités des gouvernants qui se sont succédé depuis sept ans, et parmi eux, au premier rang, ces chefs de file de la trahison nationale que sont les dirigeants du M.R.P. apparaissent comme écrasantes. » (cité in Dalloz, 1996, p. 106)
12 mai 54 : En l’absence de Bidault retenu à Genève, Laniel (président du Conseil), Maurice Schumann (secrétaire d’État aux Affaires étrangères) lancent des discussions avec l’ambassadeur américain Dillon pour faire résonner le « tonnerre » américain (menace d’intervention), même si chacun sait que ce n’est qu’une forme bluff diplomatique (voir 24 mai) (De Folin, 1993, p. 266).
Instructions d’Eisenhower envoyées à Dulles concernant les négociations de Genève : « La position des États-Unis dans les pourparlers sur l’Indochine à la Conférence de Genève est celle d’une nation qui se trouve concernée sans être, cependant, belligérante ni partie dans les négociations. » Les U.S.A. n’approuvent ni le cessez-le-feu ni l’armistice. Un retrait américain des pourparlers à tout moment est dès lors envisageable (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 71).
13 mai 54 : Arrivée de Foster Dulles (secrétaire d’État) à Paris. Il évoque dans un communiqué de réaliser, dans le cadre de la Charte des Nations Unies, une défense collective une défense collective destinée à « assurer la liberté, la paix et la sécurité dans l’ensemble de la région de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique occidental ». Ce sont les prémices de la future O.T.A.S.E. Commentaire du diplomate français Jean Chauvel : « Cela nous faisait une belle jambe. » (Chauvel, 1973, p. 45)
Création d’une mission d’information regroupant les généraux Salan et Pélissié et dirigée par Ély (chef d’état-major des Forces armées) pour se rendre en Indochine. Elle quittera Paris le 15 et arrivera à Saigon le 18 (Salan 2, 1971, p. 422).
Le gouvernement Laniel obtient de justesse (à 2 voix près) le vote de confiance pour conduire les négociations à Genève.
Navarre écrit à Ély (chef d’état-major) et émet 2 hypothèses : ou le conflit s’internationalise rapidement ou la France doit faire face à des conditions difficiles en attendant une paix avec l’adversaire, voire l’entrée en lice de forces amies qui ne pourront être que tardives. Il exprime comment il voit les choses pour la période 1954-1955 : assainir la situation au sud du 18e parallèle ; tenir le bastion Hanoi-Haïphong voire mieux ; conserver le Nord-Laos tant qu’il n’est pas attaqué en force ; l’abandonner dans le cas contraire. En conclusion, Navarre se demande si la chose est réalisable « compte tenu de nos pertes et du retard dans la mise sur pied de l’armée vietnamienne » (Ély, 1964, pp. 126-127).
Le VM amorce un repli de ses forces vers le Delta. Selon Navarre, une tentative de négociation en vue d’une restitution des blessés graves échoue du fait d’une exigence vietnamienne : une renonciation française à toute action aérienne sur les routes de repli de ses unités (Navarre, 1956, p. 263). Cependant, à la conférence de Genève, un accord est trouvé pour assurer l’évacuation des blessés (Chauvel, 1973, pp. 53-54).
14 - 15 mai 54 : Lors d’un nouveau Comité de Défense français (voir celui du 5 mai), marqué cette fois par la défaite de Dien Bien Phu et l’ouverture de la conférence de Genève, on décide de l’envoi de 5 bataillons, d’un escadron de chars et d’unités de D.C.A. (en prévision d’une attaque chinoise ?) en plus de ce qui avait été prévu en avril.
Pour ce qui est du retrait, les avis paraissent plus partagés à Paris comme à Saigon : certains préconisent une retrait rapide (Ély, Salan), d’autres pensent qu’au contraire il faut le différer (Navarre, Cogny et le commissaire général Dejean). Ces dissensions, latentes – Ély parle de « longues séances qui furent un peu agitées » – se confirmeront le 18 mai. Navarre reçoit donc, « pour la première fois » depuis sa prise de commandement, ce qu’il ne se prive pas de rappeler dans L’Agonie de l’Indochine, « une directive opérationnelle ».
On prévoit, en accord avec Navarre et Cogny, comme objectif principal, primant toute autre considération, la sauvegarde du corps expéditionnaire et sa non-dispersion. 2 autres prescriptions sont adressées à Navarre : assainir la situation dans le Centre et le Sud en vue, si nécessaire, d’un repli au sud du 18e parallèle ; opérer dans le Delta tonkinois des rétractations « dans un premier temps sur le « Delta utile » (zone Haïphong-Hanoi) et, s’il y avait lieu, dans un deuxième temps, sur le réduit Haïphong (directive citée in extenso in Laniel, 1957, pp. 106-107).
Navarre fait savoir à Ély que si les deux premiers points lui conviennent, il n’est pas de même pour le troisième. Pour lui, l’abandon des zones sud et ouest du Delta est inconcevable. La zone des Évêchés est une zone de recrutement pour l’armée vietnamienne, cette manière de faire serait une forme d’abandon de la guerre et aurait des conséquences dramatiques au niveau des négociations qui se déroulent à Genève. L’hypothèse que le VM puisse déclencher une offensive générale à partir du 20 juin apparaît au commandant en chef plus qu’hasardeuse, idée qu’il défendait déjà avant la défaite, le 21 avril. Cogny, cette fois, soutient son supérieur (Navarre, 1956, pp. 268-271 ; Ély, 1964, p. 132).
Selon Gras, vu de Paris, la situation paraissait beaucoup plus catastrophique qu’elle ne l’était réellement (Gras, 1979, p. 570). Ces décisions alarmistes ne font qu’entériner les échanges antérieurs qui ont eu lieu entre Navarre et Ély (chef d’état-major des Forces armées). Pour le second, maintenir la situation dans le delta tonkinois s’avère difficile, il faudra lâcher certaines zones. On arrive à peine à maintenir les liaisons entre Hanoi et Haïphong, or, c’est là un axe essentiel qu’il faut préserver en cas d’attaque chinoise. Pour le premier, on doit certes envisager une rétractation mais pas aussi importante que celle préconisée par Ély et le Comité de défense (voir 14 – 15 mai).
Le Comité de défense nationale désigne les généraux Ély, Salan (ex-commandant en chef qui n’apprécie pas son successeur) et Pélissié (armée de l’Air) pour se rendre à Saigon et y rencontrer Navarre (voir 18 mai) (Ély, 1964, pp. 121-124 et pp. 127-131).
15 mai 54 : Le gouvernement américain transmet à Douglas Dillon, son ambassadeur à Paris, les conditions de son éventuelle participation à la guerre : réaffirmation par les Français de l’indépendance totale des trois États associés (et donc leur droit au retrait de l’Union française) ; participation des Américains au commandement de la guerre ; mise en place d’une coalition (U.S.A., Grande Bretagne, Australie, Nouvelle Zélande, Thaïlande, Philippines) qui devra être approuvée par l’O.N.U. ; validation de la demande française d’intervention des Américains par l’Assemblée nationale française (vu de l’habituelle « valse » des gouvernements…). Dans une lettre adressée au Président du Conseil Laniel, Eisenhower ajoutera ultérieurement encore une autre condition (voir 10 juin) (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 45). Outre la faible chance de réalisation d’une telle coalition, les Américains savent pertinemment que, côté français, certaines de leurs exigences sont inacceptables. Ils s’engagent donc ainsi à peu de frais.
Selon Navarre, c’est à la mi-mai que le gouvernement français, sous la pression de la presse, perd son sang-froid et analyse, selon lui, mal les conséquences de la défaite de Dien Bien Phu au Tonkin. Des rumeurs naissent durant la deuxième quinzaine de mai et semblent relayées exagérément par les médias. Navarre rend Cogny et son entourage immédiat responsables du « pessimisme » ambiant, à ses yeux non justifié, qu’il qualifie d’« immense vague de panique » (Navarre, 1956, p. 265).
17 mai 54 : Churchill (premier ministre britannique) déclare devant le parlement anglais qu’il est opposé à toute intervention en Indochine avant la tenue de la conférence de Genève (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 46).
18 mai 54 : Les généraux Ély (chef d’état-major des Forces armées), Salan (ex-commandant en chef) et Pélissié (armée de l’Air) partis le 15, arrivent à Saigon pour tenter de rétablir une situation militaire délicate (voir 13 mai). Ils y resteront jusqu’au 23. Ils sont reçus par Navarre.
Ce dernier se sait en sursis (voir 3 juin), même si Ély lui « affirma que l’affaire de Dien Bien Phu, si grave qu’elle fût, avait été parfaitement comprise par le Gouvernement qui [lui] gardait toute sa confiance […] » (Navarre, 1979, p. 370). Ély remet au commandant en chef les directives du Conseil des chefs d’état-major des 14 et 15 mai. L’objectif principal, « primant tout autre considération », est la préservation du corps expéditionnaire. Il faut également assainir la situation dans le Sud et le Centre, en défendant le 18e parallèle.
Navarre approuve ces 2 directives mais estime que la décision des rétractations au Tonkin est prématurée au regard de la situation actuelle et réelle. C’est, selon lui, la porte ouverte à une offensive du VM sur le Delta et un aveu de faiblesse alors qu’on est en train de négocier à Genève. Il n’envisage de prendre cette décision qu’en cas d’échec des pourparlers genevois.
Il estime que, dans l’hypothèse où le corps de bataille vietminh venant de Dien Bien Phu se porte sur le Delta, il ne pourra être actif qu’à partir du 20 juin. C’est ce qu’il avait déjà confié au préalable par télégrammes à Ély (Ély, 1964, p. 124). Les faits lui donneront raison (voir 15 juin), même si Ély et Salan le jugent trop optimiste (Ély, 1964, p. 134 et p. 136). Navarre préconise simplement le renforcement de la zone par ses troupes et celles de l’Armée nationale vietnamienne (A.N.V.) qui ont conservé leur tenue au feu. Ély, pessimiste, acquiesce, tout en ne renonçant pas à l’idée de repli sur le Delta utile (zone Hanoi-Haïphong) (Gras, 1979, p. 570).
19 mai 54 : Les membres de la mission se rendent au Tonkin 48 heures pour y rencontrer Cogny (commandant les forces françaises au Tonkin) qui leur fait bonne impression : grande autorité, état-major solide et soudé. Prudents, les membres ne cherchent pas à savoir où il en est dans ses relations avec Navarre estimant que cette question est prématurée. Ils observent que la zone de pacification que doit contrôler le commandant du Tonkin est bien trop vaste au vu de ses faibles moyens.
Cogny s’attend à une attaque du VM dès que les troupes engagées sur Dien Bien Phu seront reconstituées vers le 15 juin et opérationnelles, probablement début juillet. Pour autant, il est sur la même longueur d’onde que son supérieur sur la question de ne pas précipiter le repli. Au Tonkin tout est relativement calme pour l’instant, même si la situation demeure préoccupante. De retour sur Saigon, les membres rencontrent le colonel De Crèvecœur qui commande les maquis au Laos puis certains commandants de secteurs (Ély, 1964, pp. 136-141).
Salan obtient de Cogny un bilan de la bataille de Dien Bien Phu : la garnison comportait 14 450 hommes ; il y a 1 500 tués et 3 000 blessés. Pour le reste, ce sont des prisonniers. La valeur du matériel abandonné ou détruit est évaluée à 17 milliards 150 millions de francs. Les pertes globales du 1er janvier au 7 mai ont été de 16 000 hommes dont 450 officiers et 2 500 sous-officiers, soit 6 fois supérieures à celles de 1953. Salan observe qu’à Saigon, « la population [lui] donne le sentiment de subir le même vent de panique [qu’il] avai[t] constaté en décembre 1950 après les affaires de Cao Bang et Langson. » Il critique l’attitude distante du commissaire général Dejean. Malgré quelques tensions antérieures, il affirme que ses relations avec Navarre demeurent correctes (Salan 2, 1971, pp. 422-423).
20 mai 54 : Zou Enlaï parvient à faire accepter à Pham Van Dong la partition du Vietnam mais il faudra attendre le 16 juin pour que les choses soient officialisées (Cadeau, 2019, p. 516).
Les chefs d’état-major combinés américains, face à la demande d’intervention française en Indochine, considèrent que « l’Indochine ne présente aucun objectif militaire décisif » et préconisent « un soutien aérien et naval assuré de l’extérieur […] » qui demeure toutefois tout à fait hypothétique (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 40).
Le VM annonce vouloir libérer Geneviève De Galard (Le Monde, 20 mai 1954).
Selon Navarre, certains journaux décrivent « le moral des populations comme profondément atteint et en proie à une « psychose qui pourrait se transformer en panique ». Or, selon lui, cette « psychose » n’existait absolument pas. Le calme des populations du Delta était au contraire parfait. » Toujours selon le même, la chute de Dien Bien Phu n’a pas affecté le moral des populations tonkinoises. Il n’observe chez les Français aucun départ précipité (Navarre, 1979, p. 369). Il est vrai qu’on avait déjà observé une attitude tout à fait semblable dans l’armée française et les milieux politiques, la presse et la population en métropole après l’affaire de Cao Bang fin 1950.
21 mai 54 : Salan, pessimiste, préconise une rétraction du dispositif français et de couvrir la route Saigon-Haïphong. Le commissaire général Dejean et Navarre « acceptent mal, tout en les trouvant logiques ». Ély demande à ce que différentes hypothèses soient étudiées (voir 22 mai). Les membres de la mission continuent à rencontrer les commandants de secteur sur le terrain (Ély, 1964, p. 135)
22 mai 54 : Les membres de la mission Ély-Salan ont une entrevue avec le commissaire général Dejean. Ils constatent que les rapports entre Dejean et Navarre ont toujours été bons, même dans les moments les plus difficiles.
Navarre aborde la question de l’organisation du pouvoir avec les membres de la mission. Il pense que les pouvoirs civils et militaires devraient revenir à un officier-général, notamment si le conflit s’internationalise (Ély, 1964, p. 145). Un accord entre le commandant en chef et les membres de la mission est trouvé. Il permet d’attendre les résultats de Genève : repli sur le Delta du corps expéditionnaire sans abandonner les zones sud et ouest mais confiées aux troupes vietnamiennes ; un barrage doit être constitué au niveau de la zone montagneuse du 18e parallèle en cas de repli ; la zone Atlante doit être conservée dans le mesure du possible et passer sous commandement vietnamien en attendant des renforts venus de métropole (Navarre, 1956, pp. 274-275)
23 mai 54 : Ély (chef d’état-major des Forces armées), Salan (ex-commandant en chef) et Pélissié (Armée de l’Air) repartent pour Paris à 7 h 00. Pas d’avion particulier mais un vol commercial qui rencontre d’ailleurs des problèmes techniques et est retenu 12 heures à Karachi (Ély, 1964, p. 146).
Selon Navarre, à peine les membres de la mission débarqués à Orly, que les rumeurs s’emballent à Paris. Selon Navarre, « une dépêche reproduite par une bonne partie de la presse annonçait une « attaque imminente de Hanoi », soi-disant dévoilée par un message intercepté par nous, de Giap à ses troupes. » Toujours selon le même, on décrit une « bataille de Phuly », prélude à la conquête du Delta, là où se produisent en fait les habituelles opérations de déstabilisation ou de « pourrissement » du VM (Navarre, 1956, p. 266).
24 mai 54 : Entrevue à Paris entre Bidault (Affaires étrangères), Dulles (secrétaire d’État) et Eden (Affaires étrangères britanniques). Les U.S.A. ne s’engageront que si les Anglais en font autant ou si les Chinois intervenaient directement dans le conflit. Cette dernière éventualité est peu probable car le VM a suffisamment d’hommes pour mener les combats. Les Britanniques n’entendent pas s’engager et attendent les résultats de la conférence de Genève. Selon le diplomate Chauvel qui assiste à l’entretien, Dulles demande de façon informelle à Bidault : « Voulez-vous deux bombes ? » L’offre est à nouveau rejetée par les Français (Chauvel, 1973, p. 46).
Un comité de défense national traite de la question de défense du Laos.
Dans un télégramme, Bidault écrit : « Il faut préparer la foudre et se contenter de laisser entendre au loin quelques roulements de tonnerre [américain…] avertissant nos adversaires des risques […] que leur intransigeance leur ferait courir si… » (cité in De Folin, 1993, p. 266). Dulles veut au contraire mettre « la foudre » en place le plus tôt possible pour rendre la menace crédible lors des négociations de Genève. Même si tout cela ressemble plus à la poursuite d’un bluff diplomatique qu’à une réelle volonté d’intervenir. D’où la naissance d’un deuxième malentendu franco-américain, après celui de l’opération avortée Vautour.
25 mai 54 : Ély (chef d’état-major des Forces armées) remet à Laniel (président du Conseil) un rapport non rédigé. Selon Salan, seul Ély l’a rédigé. Les autres membres l’auraient simplement approuvé oralement. Ély précise qu’il s’agit de simples notes télégraphiques, sans doute dues aux piètres conditions du voyage de retour (voir 23 mai). Malgré les recommandations que comportent ces notes, celles-ci ne seront pas suivies d’effet, notamment sur la question de la nécessité d’envoi de renforts. Selon Salan, concernant Navarre, on y voit figurer la phrase : « De même que l’on ne change pas de cheval au milieu du gué, de même on ne change pas de commandant en chef dans la tourmente. » Ély précise que ces notes furent tapées en 4 exemplaires dont un pour le président du Conseil et un autre adressé au ministre de la Défense. Aucune autre diffusion… Aucune déclaration de presse n’est faite, comme l’avait exigé Ély de la part des membres de la mission. Pour autant paraitra un article de L’Express intitulé « Le rapport Ély-Salan ». Il sera saisi. Une information sera même ouverte contre X (voir 28 mai) (Salan 2, 1971, pp. 424-425 ; Ély, 1964, pp. 147-148).
À Saigon, Navarre donne les ordres d’exécution décidés le 22 avec les membres de la mission Ély. Le commissaire général Dejean est présent et le gouvernement vietnamien mis au courant. Ce dernier donne son accord (Navarre, 1956, p. 277).
À Genève, Pham Van Dong accepte l’idée de partition et propose un partage du Vietnam fondé sur un échange de territoires d’un seul tenant basé sur les superficies, les populations, les intérêts politiques et économiques. C’est donc un renoncement à l’unité des trois Ky émanant du VM. Or, face à cette proposition, Bidault s’était engagé par écrit face à Bao Daï à empêcher ce partage (voir 6 mai). La partie de poker menteur se poursuit… Les discussions se déroulent jusqu’au 13 juin avec, côté vietminh, l’idée d’une ligne de partage située pour l’instant au niveau du 18e parallèle (De Folin, 1993, p. 278).
26 mai 54 : Navarre a reçu d’Ély deux nouvelles directives de fermeté le 20 et le 22 qui sont approuvées le 26 par le Comité de défense nationale : « Le commandant en chef doit veiller à éviter qu’Hanoi devienne un nouveau Dien Bien Phu. C’est sur place qu’il doit se déterminer en fonction des événements militaires. C’est à lui qu’appartient le choix de l’heure et des moyens pour se replier d’Hanoi si la situation l’exige. » (Laniel, 1997, pp. 107-108) Le gouvernement, suivant en cela le pessimisme de la mission Ély, décide donc d’axer la défense sur le Delta.
27 mai 54 : Dulles continue à bluffer en laisser planer, avec un certain succès, le doute quant à l’hypothétique éventualité d’une intervention américaine en faveur des Français dans le but de peser sur les négociations de Genève contre le bloc communiste. Dans une conférence de presse, il déclare que « les États-Unis seraient prêts à se battre et à user de la force pour mettre fin aux attaques qui se préparent en Asie du Sud-Est. » Il réitèrera ce genre de déclaration publique le 10 juin (De Folin, 1993, pp. 271-272).
Selon Navarre, un numéro de France-Observateur divulgue le contenu du compte rendu du comité de défense du 24 mai indiquant la liste détaillée des renforts prévus pour le Laos (Navarre, 1956, p. 309, note 2). Les fuites, mal endémique de la première guerre d’Indochine, se poursuivent donc.
28 mai 54 : Pour lutter contre la diffusion de fuites concernant des documents sensibles, le journal L’Express est perquisitionné. Ses dirigeants, Jacques Servan-Schreiber et Viançon-Ponte, sont inculpés pour divulgation du rapport Ély-Salan qui aurait fuité dans une dépêche de l’A.F.P. De son côté, Pleven inflige 60 jours d’arrêt au colonel Meric, supposé être à l’origine des indiscrétions. Mêlé à l’affaire, le secrétaire d’État gaulliste Marc Jacquet (États associés) est démis de ses fonctions (voir 20 juillet). Une enquête est diligentée contre le Secrétariat général permanent à la Défense nationale (classée ultérieurement sans suite). Le 27 juin, L’Express bénéficiera quant à lui d’un non-lieu puis qu’officiellement il n’y a toujours pas de guerre en Indochine, donc de révélations de secrets touchant à ce conflit qui n’est toujours pas une guerre (Laniel, 1957, pp. 93-95).
29 mai 54 : A Genève, mise en place d’un comité chargé de la question du regroupement des populations au Vietnam. Début d’un dialogue de sourds entre les parties (Cadeau, 2019, p. 517).
30 mai 54 : Laniel et Maurice Schumann (secrétaire d’État aux Affaires étrangères) persistent à espérer qu’en cas d’intervention chinoise, l’urgence de la situation dispenserait les Américains de passer par la procédure du Congrès. Le département d’État reproche à l’ambassadeur américain à Paris Dillon d’entretenir vainement cet espoir et de « rester dans ce malentendu » car « le Président ne pourrait agir sans autorisation du Congrès. » Selon De Folin, « l’ambassadeur a une lourde responsabilité dans la confusion qui règne à Paris » du fait de ses erreurs d’analyse et d’un manque de courage pour évoquer clairement la position de retrait américaine (De Folin, 1993, p. 269).
Navarre adresse un (dernier) tableau d’ensemble au gouvernement français : « L’effort rebelle s’est beaucoup ralenti, sauf au Centre-Vietnam où l’ennemi engage quelques nouvelles formations. L’incertitude subsiste sur les intentions du Vietminh de déclencher ou non une attaque sur le Delta. Cette attaque est possible à partir du 20 juin, date à laquelle le corps de bataille, de retour de Dien Bien Phu, peut être mis à pied d’œuvre. Si elle a lieu, le rapport de forces et le regroupement en cours permettent de l’envisager avec confiance. Il semble que la décision d’attaquer ou non n’ait pas encore été prise par le commandement vietminh et dépende pour beaucoup de l’idée qu’il se fera de notre détermination. » (Navarre, 1956, p. 278 ; texte intégral de ce télégramme in Navarre, 1979, pp. 457-458)
Laniel démissionne le secrétaire d’État gaulliste Marc Jacquet mêlé à l’affaire des fuites de L’Express (voir 28 mai) (Laniel, 1957, pp. 95-96). Nomination d’Édouard Frédéric-Dupont aux États associés.