Mai-juin 46 : Départ définitif des troupes d’occupation japonaises au Nord comme au Sud de l’Indochine.
1er mai 46 : Une manifestation à Saigon en faveur de l’autonomie de la Cochinchine a lieu. Elle réunit 10 000 personnes.
3 mai 46 : Nouvel assassinat (voir 7 avril) par le VM (sous les ordres de Nguyen Binh) de Nguyen Banh Thach, un autre membre du Comité consultatif de Cochinchine (voir 26 mars) (De Folin, 1993, p. 159). L’insécurité grandissante fait douter une partie la population cochinchinoise de la résolution française à pouvoir s’imposer.
5 mai 46 : Rejet en France par référendum du premier projet de constitution. Ce rejet entraîne de nouvelles élections et la formation d’une nouvelle assemblée constituante (voir 5 juin).
Valluy constate que « le gouvernement Ho Chi Minh tend à se rapprocher des Français dont l’appui lui semble de plus en plus nécessaire pour contrebalancer son instabilité constante. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 255) Les Vietnamiens n’entendent pas, au moins temporairement, répercuter au Tonkin les difficultés liées au blocage de la conférence de Dalat et celles que connaît actuellement la Cochinchine. Le gouvernement vietnamien songe à quitter Hanoi par peur d’un coup de force français qui n’est pas tout à fait une fiction depuis la nomination de Valluy au poste de commandant en chef des forces du Tonkin (voir 10 avril). Cet apaisement momentané au Nord n’empêchera pas l’apparition d’une vague de violence à Hanoi émanant des milieux extrémistes.
7 mai 46 : La délégation de parlementaires vietnamiens conduite par Pham Van Dong est reçue au siège du comité central du P.C.F. où elle rencontre Maurice Thorez, Jacques Duclos et André Marty. C’est une occasion pour les membres du P.C.F. de mieux connaître la situation au Vietnam, ce qui n’était d’ailleurs pas forcément le cas avant (Férier, 1993, p. 43). Selon Ruscio, « ce n’est qu’à ce moment que les dirigeants communistes français eurent, enfin, une communication complète de la situation au Vietnam. » Ruscio, qui s’en est entretenu ultérieurement en rencontrant pour ses recherches Pham Van Dong, lui a demandé si ce voyage avait été l’occasion de renouer des liens. Réponse affirmative de ce dernier qui précise : « Seulement […] nous étions obligés de travailler avec les officiels français d’alors. Il fallait garder une certaine discrétion dans nos rapports avec le P.C.F. […] Nous avons fait beaucoup pour informer le P.C.F. de la situation. Il était déjà un grand Parti, mais il ne pouvait pas tout savoir ! » (cité in Ruscio, 1985, p. 71 et p. 108)
Réunion du Cominindo qui ne décide de rien. Son secrétaire général, Labrouquère, est, comme Moutet, en campagne électorale pour un poste à la députation (Devillers, 1988, p. 187).
8 mai 46 : À la conférence de Dalat, la commission politique parvient à l’un des rares points d’accord : le Vietnam reconnaît faire partie de l’Union française en tant qu’État associé ; son adhésion à la Déclaration des droits de l’Union et sa participation à son Conseil supérieur fera l’objet de discussions ultérieures. Mais les Français lui refusent un statut d’État, son adhésion à l’O.N.U. et ne lui accordent aucune véritable indépendance diplomatique (voir 29 mars). Seule une « participation de représentants indochinois dans le personnel diplomatique » est concédée. Ce dont ne se satisfont pas les Vietnamiens (D’Argenlieu, 1985, pp. 257-258).
Une directive de D’Argenlieu adressée à Leclerc lui prescrit une « observation moins scrupuleuse des accords antérieurs » en raison des nombreux manquements vietnamiens observés (Pedroncini, 1992, p. 396). Il demande à son subordonné d’« accentuer résolument notre progression vers le Nord en direction de Pleiku et Kontum [car] nous devons étendre notre autorité en Annam en direction du 16e parallèle, spécialement chez les Moïs. » La réponse de Leclerc est mesurée : « Pouvons quand nous le voulons, mais s’agit de savoir si intérêt actuellement à augmenter nos difficultés avec le Vietnam. » Ce dont conviendra d’ailleurs D’Argenlieu le 14. Leclerc n’a pour l’instant qu’une priorité en tête, obtenir le départ définitif des Chinois (Devillers, 1988, p. 183).
11 mai 46 : À la conférence de Dalat, un des délégués du VM, Bach Mai, démontre l’unité du Vietnam, constitué arbitrairement de trois Ky par le processus de colonisation française. Il déclare : « […] en démontrant aux yeux du monde que le Nam Bo fait partie du Vietnam, et que le Vietnam comprend trois Ky, j’éprouve exactement le même sentiment de révolte et de douleur que vous éprouveriez si vous aviez à démontrer que l’Alsace ou la Lorraine font partie de votre beau pays la France. » (cité in D’Argenlieu, 1985, p. 266) D’Argenlieu n’en a cure et conclut par une note optimiste : « Il serait imprudent de conclure que ces désaccords ne pourront être quelques jour aplanis. C’est affaire de bonne volonté, de patience et de temps […] (cité in Devillers, 1988, pp. 182-183).
14 mai 46 : D’Argenlieu se rend à Ban Me Thuot pour la cérémonie de serment des populations montagnardes des Plateaux Moïs fidèles aux Français (Pedroncini, 1992, p. 396).
Suite à la réponse de Leclerc du 8 mai, D’Argenlieu convient que les opérations françaises conduites sur Pleiku et Kontum « conduites forcément avec décision et rapidité, ne peuvent qu’augmenter nos difficultés avec le Gouvernement du Vietnam et provoquer une crise aiguë en Indochine du Nord […] » (Devillers, 1988, p. 183). On jette, côté français, par ces actions de reconquête de l’huile sur le feu en une période qui devrait être consacrée aux seules négociations de Dalat.
Selon une lettre de Leclerc adressée à D’Argenlieu : « La grande majorité des populations libérées de Cochinchine est lasse du désordre. Elle se rapproche de plus en plus de nous, et nous montrera son attachement d’autant plus grand qu’elle sera convaincue de la valeur de la puissance française. Le programme « La Cochinchine aux Cochinchinois » ralliera donc le maximum de suffrages dans les provinces où l’habitant se sent efficacement protégé contre les terroristes « vietnamiens ». » (cité in Turpin, 2005, p. 244) Belle illusion colonialiste qui prône une fois de plus la théorie du « diviser pour régner » chère à l’amiral et qui peut peut-être s’appliquer à une infime minorité de possédants cochinchinois (voir 4 février) mais certainement pas aux masses paysannes.
16 mai 46 : Retour en Indochine de la délégation vietnamienne qui est enchantée de l’accueil reçu en France (mission « good will »). La plupart de ses membres pense que les perspectives politiques françaises du moment sont plutôt favorables au Vietnam (Devillers, 1988, p. 188). C’est une fausse impression qui sera contredite et par le résultat des élections (voir 2 juin) et par la conférence de Fontainebleau durant laquelle le président de cette délégation, Pham Van Dong, demeuré quant à lui en France, durcira le ton de ses propos jusqu’à la rupture définitive d’avec les Français.
18 mai 46 : Départ de D’Argenlieu pour Hanoi. Il y restera jusqu’au 21. Entrevue D’Argenlieu-HCM. L’amiral tente de dissuader HCM de partir avant le 1er juin pour Paris car la France est actuellement en période électorale. Il ne sera pas entendu. HCM botte en touche lorsque D’Argenlieu lui reproche les crimes dont celui de Nguyen Banh Thach du comité consultatif de Cochinchine (voir 3 mai). Au final, ces discussions n’aboutissent à rien (Devillers, 1988, p. 188).
20 mai 46 : Nouvelle entrevue entre D’Argenlieu et HCM mais cette fois en présence d’autres membres du gouvernement vietnamiens : Than (Affaires étrangères), Giap et Hoang Minh Giam (vice-ministre des Affaires étrangères). D’Argenlieu note que « ce dernier, vraie « éminence grise » de Ho, est le plus âpre et le plus hostile. » On aborde la question des montagnards moïs, soutiens des Français qu’ils entendent défendre. HCM élude, estimant que l’on évoquera cette question à Paris (D’Argenlieu, 1985, p. 281 ; Devillers, 1988, p. 188).
22 mai 46 : Leclerc ayant été mis au courant le 14 avril par le général Juin (chef d’état-major) d’une lettre de D’Argenlieu demandant au gouvernement son départ, il est convenu entre les deux hommes que, dès le retour de l’amiral de métropole, le général quitterait ses fonctions (voir 19 juillet). Leclerc n’ébruite pas la nouvelle qui filtre cependant peu à peu et provoque la consternation au sein de l’armée (Pedroncini, 1992, pp. 259-260).
24 mai 46 : Leclerc donne des directives au groupement Quilichini qui opère en Haute et Moyenne région du Tonkin demeurées fidèles aux Français. Il précise : « pas d’ingérence dans l’administration du pays. » (Pedroncini, 1992, p. 396)
Les Chinois restituent aux Français le poste de Dien Bien Phu. La 93e division chinoise évacue progressivement mais aussi lentement le Laos, une fois la récolte d’opium achevée (Fonde, 1971, pp. 215-216). Mais le retrait total des Chinois va traîner jusqu’en septembre.
25 mai 46 : Entrevue D’Argenlieu-Leclerc. Ce dernier évoque son départ éventuel au 1er juillet. Le général Revers aurait été pressenti pour le remplacer.
De retour d’Indochine, rapport du général Juin (chef d’état-major de l’armée française) au gouvernement sur sa mission en Extrême-Orient. À Nankin, il a pu s’entretenir avec le général Ho Ying Ching (qui « représente la tendance extrémiste du Kuomintang farouchement nationaliste ») sur les récents événements de la « Pâques sanglantes » (voir 21 avril). Juin désapprouve les récentes négociations franco-vietnamiennes entamées avec des communistes. Il a rencontré le général américain Marshall à Chunking qui l’a assuré de son appui « pour hâter l’évacuation des troupes chinoises du Tonkin et notamment la fourniture du shipping nécessaire au transport de ses troupes. » Il s’est ensuite rendu en Indochine où il a constaté des progrès. Au Tonkin, « nos troupes sont solidement installées » avec contrôle des ports et des aérodromes mais la présence chinoise à Hanoi et Haïphong entraîne toujours « des désordres sanglants ». Il observe également que « les relations entre troupes du Vietnam et troupes françaises manquent totalement de cordialité. » Il a rencontré Lou Han à Hanoi qui envisage – du moins en paroles - l’évacuation de la ville par ses troupes. La situation en Cochinchine et au Sud-Annam est toujours tendue du fait de troubles récurrents. Les accords du 6 mars n’y sont pas respectés. Les Français entendent toujours défendre par voie de référendum « la cause d’une Cochinchine indépendante » chère à D’Argenlieu (Bodinier, 1987, pp. 261-266) Derrière ces constats plus ou moins rassurants, le général Juin se sent mal à l’aise dans ce pays qu’il comprend mal. C’est ce qu’il avouera d’ailleurs un peu plus tard au « Chinois », le général Salan (voir 30 août).
Le président du conseil consultatif de Cochinchine, le Français Me Beziat, adresse une lettre à D’Argenlieu. Il demande la création d’un gouvernement provisoire de la République de Cochinchine. Il lui sera répondu le 27 (Devillers, 1988, p. 188).
26 mai 46 : Un rapport du bureau politique du Commissariat de la République à Hanoi signale des « activités clandestines et anti-françaises » du G.R.A. : « Elles constituent l’essentiel de l’action sur le plan intérieur : elle a un caractère gouvernemental. La propagande ne cesse d’entretenir un état d’excitation de groupements de résistance. » (cité in Turpin, 2005, pp. 236-237) La violence se manifeste par des enlèvements d’Eurasiens, des vexations à l’égard des Français, des assassinats de Vietnamiens considérés comme profrançais et d’opposants au VM, y compris en Cochinchine.
27 mai 46 : Création par le VM du « Front national uni du Vietnam » ou encore « Association du peuple vietnamien unifié » (Hoi Lien Hiep Quoc Dan Viet Nam ou Lien Viet). Il se propose, selon une méthode rôdée depuis 1941 lors de la création du VM, de céder le pas au nationalisme par rapport au seul communisme. Son but est d’intégrer à la cause indépendantiste les nationalistes non-communistes. Il est présidé par la ministre de la Défense Huynh Thuc Khang (non communiste) et comprend des membres du V.N.Q.D.D. « rénové », du D.M.H. et des partis socialistes. Le processus progressif d’absorption du Lien Viet par le VM ne sera que très lent et ne prendra fin qu’au Congrès d’unification des fronts du Lien Viet et du Vietminh qui aura lieu du 11 au 19 février 1951. Il aboutira à la naissance du Lao Dong le 3 mars de la même année (Fall, 1960, p. 149). Toutefois, avec l’espoir d’une réunification des 2 Vietnam, le Lien Viet se maintiendra jusqu’en septembre 1955 (voir 5 – 10 septembre 1955) pour être remplacé par un « Front de la Patrie ».
Derrière cette apparente hétérogénéité politique, le comité directeur du Lien Viet est constitué de 9 membres du VM purs et durs : il est présidé par Ton Duc Thang (communiste de la première heure, un des marins de la mutinerie de la Mer Noire). Parmi les 27 membres du comité, il y a 12 membres du P.C.I. et 6 apparentés (Gras, 1979, p. 123 ; Fall, 1960, p. 149). Le Lien Viet dispose de bureaux délocalisés au sein de ce qu’on appelle les U.B.K.C./H.C. (Uy Ban Khang Chien/Han Chinh, comités de résistance et d’administration). Ils sont beaucoup plus présents au Nord qu’au Sud et ce, jusqu’au coup de force du 19 décembre (Goscha, 2011, empl. 1 107-1 108).
En réponse à une lettre qui lui a été adressée le 25 par le président du Conseil consultatif de Cochinchine pour demander la création d’un gouvernement provisoire (voir 1er juin), D’Argenlieu insiste « sur le caractère essentiellement provisoire de ce gouvernement. La Cochinchine demeure une parcelle du patrimoine national. Seul le vote d’une assemblée nationale [française] peut légaliser la chose. » (D’Argenlieu, 1985, p. 283) Sur la question de la tenue d’un référendum, la France tiendra son engagement.
29 mai 46 : Instruction de D’Argenlieu qui désigne Salan pour « être le délégué fédéral du haut-commissaire, commandant en chef, à la conférence de Paris. » (Salan 1, 1970, p. 395).
Face à la récente phase de violence déclenchée par les milieux extrémistes à Hanoi, Valluy adresse une énergique protestation à HCM. Ce dernier doit faire un effort considérable pour convaincre le VM de la nécessité d’un changement d’attitude. Il y parvient au moins partiellement à la veille de son départ pour la France, notamment en faisant pression sur l’irascible Giap qui doit prendre la succession du président lors de son séjour en France (Pedroncini, 1992, p. 255).
30 mai 46 : A une période de violence succède un moment de détente entre Français et Vietnamiens à Hanoi. Les manifestations d’amitié franco-vietnamiennes se multiplient. Selon le commandant Fonde, commandant la « Mission française de liaison » : « La population, conviée en masse à un rassemblement à la cité universitaire le 30 mai, délire à la vue de l’oncle Ho qui prône l’union, la discipline et la collaboration avec la France. Dans son élan, la foule acclame aussi le général Salan. » Au retour de cette manifestation, HCM visite des cantonnements français. Habituel séducteur passant en revue des hommes de la 9e D.I.C. et de la 2e D.B., il déclare : « Mes amis, vive l’amitié franco-vietnamienne ! Le Vietnam vous ouvre ses bras et son cœur ! » Massu le fait acclamer par ses hommes de la 2e D.B. (Fonde, 1971, p. 217 ; Pedroncini, 1992, pp. 255-256)
31 mai 46 : Malgré les efforts soutenus de D’Argenlieu pour le retenir le plus longtemps au Vietnam, départ jusqu’au 19 septembre d’HCM pour la France. Il est accompagné de Salan. Ce dernier a été nommé par le général Juin (voir 11 avril) puis par D’Argenlieu (voir 29 mai) au poste de chef de la mission préparatoire à la conférence de Fontainebleau où il occupera le poste de conseiller militaire. C’est lui qui prend en charge HCM lors des différentes escales avant l’arrivée en France. Ils font escale en Inde (Calcutta, Chandernagor), en Égypte (Le Caire) et en Tunisie (Tunis). C’est au cours de ce voyage, lors de l’escale du Caire, qu’HCM a confirmation de la décision de d’Argenlieu de proclamer en Cochinchine une République autonome. C’est un coup fourré de l’amiral augurant mal des intentions du gouvernement français qui essaie, en vain, de dissimuler l’information jusqu’à l’arrivée du président du Vietnam en métropole. HCM veut dans un premier s’en retourner au Vietnam. Il déclare à Salan : « Mon général, ne faites pas de la Cochinchine une nouvelle Alsace-Lorraine, car nous irons à une guerre de Cent ans. » (Salan 1, 1970, p. 389) Pour autant, les deux hommes qui s’apprécient, échangent. Salan parvient à arrondir les angles. HCM lui fait quelques confidences : « Giap m’est totalement dévoué. Il n’existe que parce que je le soutiens. Lui, comme les autres, ne peuvent rien sans moi. Le père de la Révolution, c’est moi. » (De Folin, 1993, p. 171 ; Salan 1, 1970, p. 383).
Durant l’absence d’HCM, c’est le ministre de l’Intérieur Huynh Thuc Kang (un « neutre ») qui théoriquement assure l’intérim de la présidence. Mais dans les faits c’est Giap qui tient les les rênes. Il dirige le ministère de l’Intérieur et le commissariat de l’Armée nouvellement créé, et qui constitue une sorte d’état-major général embryonnaire. Le vide laissé par le départ progressif des Chinois donne au VM une occasion unique de liquider durant cette période ce qui reste des partis nationalistes qui ont désormais perdu leurs précieux protecteurs (Fall, 1960, p. 50).
HCM a d’ailleurs laissé le pays dans les mains de fer de Giap avec la consigne de « se tenir prêt à toute éventualité », notamment au Nord… (De Folin, 1993, p. 164) Mais l’ambiance du voyage en France demeurera dans l’ensemble assez détendue, même après l’annonce de la proclamation de la République de Cochinchine le 1er juin. Au final, HCM renoncera rapidement à un retour précipité, poursuivra et même prolongera son voyage jusqu’en septembre.
Il se rend à Biarritz du 12 au 22 juin pour, selon Sainteny, un « séjour forcé » en tant qu’hôte du gouvernement français (Sainteny, 1970, p. 96). En effet, il est obligé de se rendre en villégiature car à Paris il n’y a pour l’instant pas de gouvernement… Le voyage du président ne fait toutefois pas l’unanimité. Il reçoit du Vietnam une « Lettre au camarade Nguyen Aï Quoc » qui l’accuse de trahison en venant négocier à Paris (Sainteny, 1970, pp. 98-99). Pris entre deux feux, il n’est donc pas absolument serein, et même plutôt agacé, mais fait bonne mine en allant faire du tourisme avec Sainteny qui a pris le relai de Salan.
Le 22 juin, il quitte Biarritz pour Paris. Il survole avec Sainteny les châteaux de la Loire. Il débarque au Bourget à 16 h 00 et est accueilli par Marius Moutet (ministre de la France d’Outre-mer). La foule venue à sa descente impressionne ce nouveau chef d’État qui s’adapte tant bien que mal, en demandant parfois de l’aide à Sainteny lorsque la pression de la foule est trop forte. Il séjourne dans un premier temps à l’hôtel Royal-Monceau puis se rend en Normandie pour visiter les plages du débarquement. Il est alors hébergé dans une propriété de Sainteny.
De retour à Paris, il rencontre beaucoup de monde et mène des campagnes de lobbying auprès de dirigeants politiques français (M.R.P., S.F.I.O.) dont l’ancien ministre des Colonies Albert Sarraut ou d’anciennes relations (militants de L’Humanité ou de La Vie ouvrière, des milieux syndicaux) capables de soutenir la cause du VM. Il intrigue de nombreux hommes d’affaires ou journalistes venus voir ce personnage atypique. Il se rend compte aussi que la question indochinoise n’est guère une priorité chez la plupart des politiques français. HCM noue toutefois de nouvelles relations, se fait apprécier et exerce son pouvoir de séduction sur tous. Il rédigera au cours de ce séjour un carnet de voyage où il note ses réflexions sur les Français. Il a deux regrets : ne pas avoir rencontré De Gaulle (qui s’est retiré de la vie politique depuis le 20 janvier et lui a fermé sa porte) et Leclerc (qui ne se manifeste aucunement).
Le gouvernement français lui fera comprendre que son séjour, aux frais de la République, doit se terminer. Pour autant HCM reste en France. Il se rend à Soisy-sous-Monmorency, fin juillet 1946, chez des amis, les époux Aubrac (anciens résistants).
Au Cambodge, promulgation d’une loi électorale par le Conseil de régence (Sihanouk étant en France) pour former l’assemblée constituante fixant au 1er septembre les premières élections au suffrage universel. Une vie politique apparaît avec la création de partis politiques dirigés par les princes qui se querellent pour le pouvoir et souvent, contre le roi. Les travaux autour de la rédaction de la constitution dureront 8 mois et n’aboutiront que le 6 mai 1947 (Cambacérès, 2013, p. 61).