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par Jean-François Jagielski

Juin 1972

Juin 72 : Il ne reste plus au S-V que 6 000 combattants américains et 78 000 hommes travaillant dans différents services. Le régime de Saigon dispose de plus d’un million d’hommes en armes dont moitié de troupes régulières et l’autre de troupes locales, soit une force cinq fois supérieure à celle de l’ennemi. Mais les lignes de résistance de Thieu sont très étirées et les vides sont rapidement réoccupés par les troupes vietcong qui dévastent ou occupent les postes gouvernementaux, notamment dans le delta du Mékong.

Nixon déclare en public que la vietnamisation est un succès mais, dans les faits, il est obligé de constater que l’ardeur combattante entre les N-V et les S-V n’est pas la même. Les communistes ont au moins perdu 100 000 tués et blessés depuis le début de l’offensive de Pâques. Mais les combats ont montré que, sans les conseillers américains, les troupes s-v se battent toujours aussi mal. Et, sans l’appui massif de l’aviation américaine, le désastre aurait été encore plus important.

La cote de popularité de Nixon remonte pour atteindre 59 % (Portes, 2008, p. 259).

Au Cambodge, création de partis politiques en vue des élections législatives : Lon Nol crée le Parti social républicain et Sirik Matak le Parti républicain, tandis que In Tam et Chau Sau font renaître le Parti démocrate. Ces deux derniers partis, jugeant que la loi électorale assurait d'avance la victoire de Lon Nol, refusent de participer au scrutin.


Début juin 72 : Confrontés aux bombardements intensifs de Linebaker 1, au blocus, à de sérieux problèmes d’approvisionnement militaire, les N-V décident de stabiliser puis d’abandonner progressivement leur offensive et donc de reprendre le chemin des négociations. Ils sont alors persuadés que les Américains, après tant de sacrifices humains et financiers, feront comme en Corée et voudront conserver une simple zone d’influence (Portes, 2016, p. 96).


4 juin 72 : Élection présidentielle au Cambodge. Le général Lon Lol est réélu selon les chiffres officiels avec 54,93 % des voix, Im Tram avec 24,44 % et Keo An 20,61 %. Le résultat de ces élections est très suspect. A son habitude, Washington ferme les yeux (Shawcross, 1979, p. 236 ; Sihanouk, 1979, p. 258). Du fait du contexte militaire dans le pays, ces élections sont organisées sur environ 30 % de la totalité du territoire (Jennar, 1995, p. 132).


5 juin 72 : Brian Urquhart (secrétaire général adjoint à l’O.N.U.) informe Aubrac que Waldheim a fait auprès de l’ambassadeur américain à l’O.N.U. une démarche appelant à la reprise des négociations à Paris. Les ambassadeurs de Chine et d’U.R.S.S. ont été informés de l’établissement d’un contact personnel avec Hanoi, sans que le nom d’Aubrac soit mentionné. Ce dernier n’obtient pas de nouveau rendez-vous avec le Secrétaire général de l’O.N.U., ce « qui [lui] laissa une impression désagréable ». Aubrac a le sentiment que Waldheim fait le strict minimum et qu’il n’éprouve « aucune compassion pour un peuple engagé dans un combat vital pour son indépendance » (Aubrac, 2000, pp. 379-380).


7 - 8 juin 72 : Publication dans le journal Le Monde d’un article du géographe Yves Lacoste sur le bombardement par les B-52 des digues protégeant les rizières des crues du Fleuve Rouge dans une zone particulièrement habitée : « Une série de brèches, écrit Lacoste provoquerait un plus grand nombre de morts que l’explosion de plusieurs bombes atomiques sur la plaine du Tonkin. » (cité in Aubrac, 2000, p. 380-381 ; Le Monde du 8 juin 1972).


8 juin 72 : Nic Ut de l’Associated Press prend la célèbre photographie de Phan Ti Kun Phuc, petite fille de 9 ans brûlée par le napalm lors d’un bombardement accidentel s-v. Ce cliché qui dit l’horreur de la guerre est choisi en 1972 comme  la World Press Photo of the Year  et rapportera à son auteur le prix Pulitzer en 1973. Elle sera diffusée dès le lendemain aux États-Unis en première page du New York Times et du Washington Post puis dans le monde entier (Portes, 2008, p. 258). La paternité de cette photographie est aujourd’hui remise en question (Le Monde du 26 janvier 2025).


9 juin 72 : Kissinger adresse à Nixon un bilan sur l’efficacité du minage en place depuis un mois. Conjugué aux attaques aériennes de voies ferrées, le résultat est jugé bon : 1 000 wagons demeurent bloqués en Chine, les opérations de transbordement par camions mettent du temps à se réaliser et sont entravées par la saison des pluies. De plus, Russes et Chinois ont peu réagi : les deux rencontres au sommet ont été maintenues, celle de Pékin (à venir) et celle de Moscou qui a eu lieu (Kissinger 2, 1979, p. 1 357-1 358).

Après avoir lu l’article du journal Le Monde (voir 7 – 8 juin), Aubrac rencontre Herbert Marcovtich qui doit rencontrer Vo Van Sung (délégué n-v à Paris). Le groupe Pugwash pour lequel Aubrac, Marcovitch (et, à l’époque, Kissinger…) ont œuvré en 1967 entend déposer une protestation (Aubrac, 2000, p. 381).


10 juin 72 : Selon Kissinger, « les Nord-Vietnamiens étaient attentifs à notre campagne électorale, encore que je ne sache pas avec certitude, à l’époque, s’ils allaient faire traîner les négociations jusqu’aux élections de novembre ou choisiraient de négocier sérieusement juste avant. »

La période est celle de la convention démocrate. Un article du 10 juin paru dans un journal du parti parle, toujours selon Kissinger, en termes favorable de la campagne de McGovern « mais s’abst[ient] de prédire sa victoire. » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 360-1 361)


12 juin 72 : Nixon consent à une reprise de contact avec Hanoi. Kissinger propose une entrevue privée avec Le Duc Tho pour le 28 juin. On prévoit par la suite une séance plénière pour le 13 juillet et une nouvelle, secrète, pour le 18 (Kissinger 2, 1979, p. 1 359).


13 - 15 juin 72 : Nicolaï Podgorny (président du præsidium du Soviet suprême de l'U.R.S.S) est à Hanoi. Les Russes ont demandé aux Américains que les bombardements cessent à ce moment. C’est ce qui avait été convenu à Moscou entre Nixon et Brejnev. Les Américains limitent donc leurs bombardements dans un rayon de 20 km excluant provisoirement la capitale n-v (Kissinger 2, 1979, p. 1 359). Les N-V accueillent froidement leur hôte. Ils refusent l’idée de travailler à la paix et déclinent même l’offre de Moscou sur les derniers systèmes antiaériens. Ce qui n’empêchera pas les N-V de reprendre par la suite le processus de négociations en faisant des ouvertures (voir 19 juillet) (Marangé, 2012, p. 352).


14 juin 72 : L’aviation américaine atteint le record de 340 missions journalières sur le N-V (Burns Sigel, 1992, p. 130).

Aubrac obtient un rendez-vous avec Nguyen Khai (adjoint de Vo San Sung, délégué n-v à Paris). Ce dernier lui confirme la gravité des bombardements sur les digues du Fleuve Rouge (voir 7 - 8 juin). Il prend contact avec Brian Urquhart (secrétaire général adjoint à l’O.N.U.) Ce dernier l’informe que, du fait de la campagne électorale aux U.S.A., Waldheim n’entend pas faire de déclaration publique sur le Vietnam. Il lui conseille d’être à Genève le 30 pour rencontrer Waldheim (Aubrac, 2000, pp. 381-382).


17 juin 72 : Début de ce qui va devenir le scandale du Watergate. Cinq « plombiers » sont repérés par un agent de sécurité et sont arrêtés par la police dans l'immeuble du Watergate, siège du Parti démocrate. Certains d’entre eux sont d’anciens de la C.I.A. Le F.B.I. les arrête. L’enquête montre qu’ils ont des contacts avec la Maison Blanche toujours obsédée par la question des fuites. On apprendra par la suite que ces hommes ont également participé au cambriolage du cabinet du psychiatre de Daniel Ellsberg (à l’origine des Pentagon’s Papers) pour trouver contre lui des documents compromettants dans le but de le discréditer.


18 juin 72 : Fin progressive du siège d’An Loc qui n’est pas tombé. Les troupes n-v repartent alors vers le Cambodge.


19 – 23 juin 72 : Kissinger est à Pékin. Il rend compte de la visite de Nixon à Moscou. Les Chinois sont plus intéressés par un cessez-le-feu (proposé par Nixon le 8 mai) que par un règlement de la question politique vietnamienne qui leur paraît plus ardu. Ils indiquent que l’aide apportée à Hanoi est plus alimentaire que militaire, ce que Kissinger veut bien feindre d’accepter entendre (Kissinger 2, 1979, p. 1 360).


22 juin 72 : Chaîne autour du Capitole formée par 2 500 femmes et enfants, à l’initiative de la chanteuse américaine pacifiste Joan Baez (Debouzy, 2003, p. 31).

Brejnev informe Nixon, suite à la visite de Podgorny à Hanoi (voir 12 juin), que les N-V ont écouté avec « attention » l’exposé de ce dernier sur les positions américaines. Ils se sont déclarés prêts à reprendre des négociations bilatérales. Une date doit être proposée par les Américains. Kissinger y voit à juste titre un infléchissement et donc une forme de faiblesse de la position n-v. Hanoi accepte la tenue d’une séance plénière pour le 13 juillet et d’une entrevue confidentielle pour le 15 (Kissinger 2, 1979, pp. 1 359-1 360).


23 juin 72 : Les Américains acceptent la date du 13 juillet pour la reprise des sessions plénières et proposent le 19 pour une rencontre secrète (Kissinger 2, 1979, p. 1 360).


25 juin 72 : Nixon annonce publiquement que plus aucun nouveau renfort ne sera envoyé au S-V (Burns Sigel, 1992, p. 131).


27 juin 72 : Un rapport de la C.I.A. indique une évolution dans la position n-v : les communistes sont en train d’abandonner la question de la démission de Thieu comme préalable à la reprise des négociations (Portes, 2016, p. 98). L’intuition de Kissinger sur un affaiblissement de la position n-v se confirme (voir 22 juin).


28 juin 72 : Contre-offensive s-v avec l’opération Lam Son 72. Parachutistes et Marines s-v repartent à la reconquête de Quang Tri qui est reprise, à l’exception de la citadelle qui sera toujours tenue par les communistes en août. Il s’avère que les forces du Nord ont souffert d’un mauvais ravitaillement en provenance du Cambodge dû aux bombardements (Toinet, 1998, p. 376).


Nuit du 28 au 29 juin 72 : Nixon annonce la reprise des négociations à Paris pour le 13 juillet. Il annonce également la poursuite des bombardements (Aubrac, 2000, p. 382).


29 juin 72 : Le général Weyand remplace Creighton Abrams à la tête du M.A.C.V. Franck Snepp, analyste à la C.I.A., note à son sujet : « Si, à mon retour, quelque chose pouvait témoigner des changements survenus au Sud-Vietnam, c’était bien la vie au ralenti que menait le Pentagone Oriental. Les militaires américains ne jouaient plus qu’un rôle de second violon à côté de leurs alliés vietnamiens. Dans le plus parfait esprit de vietnamisation, les officiers ne se donnaient même plus la peine de répondre au téléphone. » (Snepp, 1979, p. 21)

Nixon annonce dans une conférence de presse la reprise des négociations plénières. La veille, il a annoncé un nouveau retrait de troupes américaines (Kissinger 2, 1979, p. 1 361).

Aubrac rencontre à Paris Nguyen Khai (représentant adjoint du N-V à Paris). Il apprend auprès de son interlocuteur l’ampleur des protestations internationales contre les bombardements américains (Aubrac, 2000, p. 382).


30 juin 72 : Aubrac rencontre Waldheim à Genève à 17 h 00. Ce dernier lui confirme être intervenu deux fois auprès de George Bush (ambassadeur américain à l’O.N.U.) pour une reprise des négociations et un arrêt des bombardements. Le secrétaire général de l’O.N.U. retoque un texte de déclaration concocté par Aubrac et Roberto Guyer (sous-secrétaire général pour les affaires politiques spéciales à l’O.N.U.) qui met l’accent sur « les actions militaires [qui] augmentaient les souffrances des populations soumises au conflit », l’estimant « inacceptable » pour les Américains. Une seconde version plus édulcorée est rejetée de la même manière. Aubrac perd patience, reprochant à son interlocuteur « de ne vouloir rien faire » face à la menace de rupture des digues du Fleuve Rouge. La rédaction dans la nuit d’autres moutures d’un projet de déclaration n’aboutit pas. Aubrac décide alors de s’adresser à Rome au cardinal Villot (voir 4 juillet) (Aubrac, 2000, pp. 382-383).​

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