1er juin 71 ; Les Vietnam Veterans for a Just Peace (pro-Nixon) constitués d’environ 5 000 membres condamnent les actions des autres vets qui, selon eux, participent à des « protestations irresponsables » (Gibault in collectif, 1992, p. 84).
3 juin 71 : En séance plénière de la conférence de Paris, Xuan Thuy répète que les questions politiques et militaires demeurent « cruciales et inséparables », tout en ajoutant que le « point essentiel, dans l’immédiat » est la fixation de la date du retrait total américain (Kissinger 2, 1979, p. 1 074).
7 juin 71 : Le colonel Heinl des Marines écrit dans Armed Forces Journal : « Le moral, la discipline et l’aptitude au combat des forces armées américaines sont au niveau le plus bas du siècle. Les unités du Sud-Vietnam sont dans un état voisin de l’effondrement. Certaines unités évitent ou refusent le combat, les meurtres d’officiers et de sous-officiers, l’usage de la drogue, la perte de tout ressort, voire la quasi-mutinerie, sont fréquents. » Il déplore le manque de réaction des officiers d’un peloton du 1er régiment de cavalerie qui s’est mutiné en refusant de se battre au Laos et a procédé à des actions de fragging (voir 20 avril). Faisant référence à l’affaire de My Laï, il poursuit : « Le lieutenant W. Calley [voir 29 mars] était un chef de section qui n’avait jamais appris à lire une carte. L’armée l’avait sélectionné car il n’y avait personne d’autre de disponible […] Nous avons au moins deux à trois mille Calley dans l’armée, prêts à provoquer les mêmes catastrophes. » (cité in Toinet, 1998, pp. 398-399) A la même époque, on dénombre 144 journaux clandestins dans l’armée américaine qui appellent à la désobéissance voire aux actions de fragging.
Kissinger informe par une note le groupe d’études et d’analyses pour le Cambodge composé de militaires. La Note de Décision n° 89 fixe trois objectifs : y garder un gouvernement hostile aux N-V ; fournir au pays suffisamment de matériel « pour pouvoir priver l’armée nord-vietnamienne du soutien de la plus grande partie de la population rurale khmère » ; encourager l’armée républicaine à lancer des offensives contre les N-V.
Les chefs d’état-major préparent un plan en vertu duquel l’armée républicaine doit atteindre un effectif de 220 000 soldats et 143 000 hommes des forces paramilitaires en janvier 1973. C’est ce qu’il faut atteindre pour repousser l’ennemi au nord-est du Cambodge. Mais ce plan néglige la piètre qualité de l’armée républicaine. Il néglige aussi le fait que 15 000 soldats communistes ont facilement paralysé 150 000 soldats gouvernementaux. Il fait également fi de l’amendement Cooper-Church et du fait que l’économie cambodgienne, en berne, est bien incapable de produire un tel effort de guerre car le taux d’inflation atteindrait alors 34 %. De leur côté, les États-Unis vont réduire le financement de ce plan, en le faisant passer de 350 millions de dollars à 275. Une telle réduction est obtenue en réduisant la dotation en munitions des nouvelles troupes cambodgiennes (Shawcross, 1979, pp. 194-196).
8 juin 71 : Clark Clifford (ancien secrétaire à la Défense sous LBJ), lors d’un dîner au Groupe de pression des avocats contre la guerre, déclare penser qu’en fixant la date du retrait au 31 décembre 1971, la libération des prisonniers américains est assurée (Kissinger 2, 1979, p. 1 074).
9 juin 71 : Les troupes américaines transfèrent l’entière responsabilité de la zone de la D.M.Z. aux S-V. L’aviation américaine poursuit toutefois ses missions de soutien dans cette zone (Burns Siger, 1992, p. 127).
10 juin 71 : Xuan Thuy, interrogé par Chalmers Roberts du Washington Post, réfute le fait de vouloir obligatoirement lier le retrait des Américains à la libération des prisonniers. Et le journaliste de conclure que le principal différend entre les U.S.A. et le N-V concerne l’avenir politique du S-V, là où le Congrès « et d’autres milieux » se concentrent uniquement sur le retrait des Américains et la libération des prisonniers (Kissinger 2, 1979, p. 1 074).
13 juin 71 : Le New York Times fait paraître les premiers Pentagon Papers – officiellement nommée « L’histoire du processus des prises de décisions US sur le Vietnam » – à la suite des fuites occasionnées par un analyste de la C.I.A., Daniel Ellsberg.
McN est à l’origine de la constitution de ces dossiers qui auraient dû demeurer top secret. La poursuite de la publication (3e livraison) est interdite par le ministère de la Justice qui obtient de la Cour fédérale du district sud de New-York un ordre de suspension temporaire (Nixon, 1978, pp. 368-369).
15 juin 71 : Le ministère de la Justice enjoint au New York Times d’interrompre la publication des Pentagon Papers. Le Washington Post, le Boston Globe et le Saint Louis Post Depech qui ont obtenu des copies poursuivent de leur côté la publication (Nixon, 1978, p. 370).
16 juin 71 : Éditorial du New York Times intitulé « Les documents du Vietnam » : le journal « continuera à se battre jusqu’à l’extrême limite de ce que lui permet le droit contre ce que nous croyons être une entrave parfaitement inconstitutionnelle imposée par l’Attorney Général. » Ce dernier fait partie du cabinet gouvernemental et occupe des fonctions comparables à celle du garde des Sceaux en France (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 661-662).
20 juin 71 : Éditorial du New York Times intitulé « Une victoire de la liberté » : le juge de district Murray L. Gurfein repousse l’action du gouvernement contre la publication des Pentagon Papers (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 662-663).
21 juin 71 : Éditorial du New York Times intitulé « Le dossier du Vietnam ». Il dénonce le manque d’informations données à la presse par l’administration Johnson à partir de 1964. Le journal revendique la publication de ces dossiers « parce que le public américain a le droit d’en avoir connaissance et parce que, lorsque le New York Times les a eus en main, c’était son rôle, en tant que moyen d’information libre et non censuré, de les rendre publics. » (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 663-667).
22 juin 71 : Le Sénat américain adopte à 57 voix contre 42 une résolution de Mike Mansfield qui exige « de mettre fin, le plus tôt qu’il sera matériellement possible, à toute opération militaire en Indochine » et de « pourvoir au rapatriement rapide et rapproché de toutes les forces américaines dans les neuf mois » qui suivent la promulgation de cette résolution (Kissinger 2, 1979, p. 1 066 et pp. 1 074-1 075).
24 juin 71 : Face à la division des tribunaux inférieurs au sujet de la publication des Pentagon Papers, le gouvernement américain et le New-York Times en appelle à la Cour Suprême (Nixon, 1978, p. 370). La peur des « fuites » à tout-va continue à obséder le président.
25 juin 71 : Sihanouk reconnaît devant un représentant de la télévision canadienne la présence au Cambodge « d’environ deux mille instructeurs nord-vietnamiens qui aident » les partisans. A cette époque, les forces communistes sont composées à 90 % de soldats vietnamiens et vietcong et de 10 % de KR (Tong, 1972, pp. 222-223).
26 juin 71 : Nouvelle séance de négociations secrète. Kissinger est de plus en plus obligé de ruser pour masquer ce déplacement aux journalistes.
L’ambiance est détendue. Le Duc Tho déclare même penser « provisoirement » que les Américains n’ont rien à voir dans le coup d’État qui a mis Lon Nol au pouvoir au Cambodge. Xuan Thuy et Le Duc Tho ne rejettent pas les 7 propositions américaines du 31 mai. Au moment de la pause, Tho emmène Kissinger dans le jardin et c’est au cours de cette promenade que Kissinger l’invite à venir donner des cours de Marxisme-léninisme à Harvard…
A la reprise des pourparlers, Xuan Thuy fait une contre-proposition en neuf points comprenant le retrait des Américains au 31 décembre 1971 (en accord avec l’amendement McGovern-Hatfield, voir 26 août 1970). La libération des prisonniers se ferait au moment des premiers départs et ne serait plus simplement « discutée ».
Les propositions politiques paraissent plus « ambiguës » à Kissinger : sachant que les Américains sont opposés à l’existence d’un gouvernement de coalition, il faut donc « cesser de soutenir » Thieu, Ky et Khiem. L’expression, qui peut tout dire, ne plaît pas au secrétaire à la Sûreté nationale.
Un second point d’achoppement est prononcé par Thuy : il concerne les indemnités que devraient payer les U.S.A. pour « les dommages causés par les Américains dans les zones de combat au Vietnam. » Les choses sont présentées comme « un tout intégral ». Kissinger constate cependant et pour la première fois une avancée, notamment dans la formulation des demandes où le conditionnel se substitue à l’habituel impératif. Il considère que chacune de ces contre-propositions « bien que rédigées de façon inacceptables était négociable », à l’exception de la question des réparations.
Le conseiller à la Sécurité nationale fait un compte-rendu à Nixon : il considère que « leur proposition présente des éléments positifs en même temps que des points durs à avaler. » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 075 - 1 079) Mais toutes ces ébauches d’avancée vont être remises en question dès le 1er juillet.
30 juin 71 : Arrêt de la Cour suprême des États-Unis en faveur des journaux qui ont enfreint l’interdiction à poursuivre la publication des Pentagon Papers. Le gouvernement perd à 6 juges contre 3 (Nixon, 1978, p. 370 ; Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 669-694).
Un des juges de la Cour suprême, Hugo Black, déclarera : « Seule une presse libre, sans contrainte, peut effectivement dévoiler les erreurs d’un gouvernement. Et c’est justement l’une des responsabilités suprêmes d’une presse libre d’empêcher qui que ce soit au gouvernement de tromper la nation en envoyant ses fils dans des pays lointains, mourir de maladies exotiques ou sous les balles et les obus. A mon sens, loin de mériter une condamnation pour leur reportage courageux, le New York Times et le Washington Post et les autres journaux devraient être loués d’avoir servi qui l’idéal pour nos Pères fondateurs était si évident. En démasquant les manœuvres d’un gouvernement qui nous a conduits à la guerre du Vietnam, ces journaux ont accompli avec noblesse ce que, précisément, nos fondateurs souhaitaient qu’ils fissent, certains qu’ils seraient à la hauteur de leur tâche. » (cité in Journoud, 2012, pp. 79-80)