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par Jean-François Jagielski

Juin 1969

Juin 69 : Poursuite des bombardements de la piste HCM et des réduits du VM au Cambodge.

L’ancien ministre de la Défense démocrate, Clark Clifford, déclare le contraire de ce qu’il avait dit 6 mois plus tôt (voir 28 septembre 1968) et publie un article préconisant le retrait unilatéral de 100 000 américains avant la fin 1969 et le reste pour la fin 1970. De son côté, Kissinger mentionne dans ses mémoires avec réalisme : « […] il devenait illusoire de réclamer un retrait réciproque, alors que le rythme de nos retraits unilatéraux allait en s’accélérant. » (Kissinger 1, 1979, pp. 286-287)

Sihanouk dénonce publiquement l’implantation des sanctuaires n-v et vietcong au Cambodge dans la province de Svay Rieng (voir 24 mai) (Kissinger 1, 1979, p. 476).

Lors de la convention du Students for a Democratic Society (S.D.S.) éclatent les rivalités qui couvaient depuis longtemps au sein du mouvement. Il éclate en trois factions gauchisantes rivales. Il avait vu son apogée fin 1968 avec entre 30 et 70 000 cotisants et de nombreux sympathisants. Il amorce ici une inéluctable régression dans une atmosphère de dogmatisme et de surenchère révolutionnaire qui lui seront fatals  (Granjon in collectif, 1992, p. 49).

A Paris, création de l’Association pour le soutien et la défense des Américains exilés (A.S.D.A.E.) dont le siège social se trouve rue de l’Odéon. Son objectif est d’apporter de l’aide aux exilés et déserteurs et de les soutenir contre « la machine de guerre et le mode de vie capitaliste des États-Unis ». Dans le comité de direction se retrouvent de nombreuses personnalités déjà connues pour leur engagement contre la guerre du Vietnam : Jean-Paul Sartre, Pierre Vidal-Naquet, Claude Bourdet, Laurent Schwarz, Jean-Marie Domenach (directeur de la revue Esprit et membre de l’Action civique non violente), Olivier Zucker (membre du Comité inter-mouvement auprès des évacués, C.I.M.A.D.E., chargé de trouver des emploi et des logements aux réfractaires), les avocats Jean-Jacques de Felice (Action civique non-violente) et Nicole Dreyfus (membre du P.C.F. et du conseil national de l’Union des femmes françaises).

Malgré la présence de ce prestigieux comité, la cause des réfractaires américains ne suscite plus d’enthousiasme ni dans l’opinion ni chez les étudiants français. Les insoumis aspirent alors à se faire oublier en attendant la fin de la guerre et une éventuelle amnistie. Dès la fin de l’année 1968, 61 % des Français déclaraient avoir une opinion « plutôt bonne » de l’attitude adoptée par les U.S.A. et les autorités françaises adoptent de ce fait un ton nettement plus conciliant envers la politique vietnamienne de Nixon (Journoud, 2016, pp. 78-79).


5 juin 69 : Reprise des bombardements américains contre le Nord-Vietnam suite à la destruction d'un appareil de reconnaissance. Bien que l’ayant officiellement accepté, les N-V n’ont en fait jamais accepté l’existence d’une quelconque surveillance aérienne (voir octobre 1968).


6 - 8 juin 69 : Le F.N.L. se transforme en un Gouvernement provisoire de la République du S-V (G.R.P.) qui administrera le S-V jusqu’au 2 juillet 1976, date de réunification des deux parties du Vietnam. Ce congrès fondateur se tient « près de la route nationale 22, dans la région de l’Hameçon, du côté vietnamien de la frontière », en pleine jungle qui l’abrite des bombardements de B-52 et que les Américains ont nommé « base 353 » lors de l’opération Breakfast visant à la détruire (voir 18 mars) (Truon Nhu Tang, 1985, pp. 168-171 ; carte du secteur et des Q.G. du F.N.L. et du G.R.P., p. 186).

Le G.R.P. absorbe l’Alliance des forces nationales, démocratiques et de paix créée en mai 1968 et le Parti révolutionnaire du peuple, branche du Lao Dong pour le Sud. Il est dirigé par Huynh Tan Pat (président), Nguyen Huu Tho et madame Nguyen Thi Binh qui occupe le poste de ministre des Affaires étrangères (Portes, 2016, p. 55). Il est reconnu par 17 pays communistes et non alignés et possède une ambassade à Pékin. Il siègera à la Conférence de Paris, remplaçant désormais la délégation du F.N.L. (De Quirielle, 1992, pp. 167-168).


7 juin 69 : Sur le chemin de Midway, réunion à Honolulu entre Kissinger, Lodge (chef de la délégation américaine à Paris), les généraux Wheeler et Abrams, l’ambassadeur Bunker, l’amiral Mc Cain sur la stratégie à adopter en vue d’un retrait américain. Abrams préconise un retrait de 25 000 hommes. Ce processus qui n’enchante pas les militaires est pourtant jugé irréversible,  tout comme d’ailleurs ses conséquences : l’affaiblissement des forces s-v et, d’une certaine manière, leur défaite à plus long terme (Kissinger 1, 1979, pp. 284-285).


8 juin 1969 : Conférence dans l’île de Midway entre Nixon et Thieu. Elle se tient dans la maison de l'officier en chef, la Midway House.

Ne participent aux débats de fond que, côté américain, Nixon et Kissinger, et, côté s-v, Thieu et Nguyen Phu Duc, son conseiller aux Affaires étrangères. On opte donc pour des discussions resserrées. Les séances plénières sont quant à elles tenues par William Rogers (secrétaire d’État), Laird (secrétaire d’État à la Défense), le général Wheeler (chef d’état-major général), l’amiral John Mc Cain (commandant en chef des Forces du Pacifique), Marshall Green (sous-secrétaire d’État pour les Affaires de l’Asie orientale), Tran Chanh Tanh (Affaires étrangères s-v). On y discute que de questions générales.

Deux séances resserrées sont au programme. Nixon rassure Thieu sur la question du gouvernement de coalition et assure que les objectifs des alliés sont communs. On évoque  « le droit des peuples à disposer de leur avenir », un concept cher aux Américains. L’ennemi cherche certes à semer la dissension entre les alliés mais ne « doit pas parvenir à ses fins ». Nixon informe Thieu « qu’une heure après [son] retour à Saigon, nous bombarderons le Cambodge. » Kissinger précise que cette attaque doit porter sur trois endroits différents et que les États-Unis exerceront le maximum de pression sur Hanoi.

Thieu évoque la question du remplacement des troupes américaines par celles du S-V qui doit produire un effet favorable sur l’opinion publique américaine. On se met d’accord sur le retrait de deux divisions, soit un effectif comprenant entre 22 et 25 000 hommes. Nixon préconise un retrait dans les 30 jours qui doit être terminé avant la fin août. On convient d’un maintien permanent et à longue échéance d’un petit nombre de troupes américaines pour garantir ultérieurement la paix, promesse qui ne sera cependant pas tenue par Nixon (voir 18 septembre). Ce que l’on nomme « redéploiement » (pour ne pas prononcer le mot « retrait ») doit figurer dans le communiqué commun et est annoncé à la presse.

Nixon revient sur les erreurs de LBJ (attaques graduelles). Il assure son interlocuteur que « maintenant les choses seront différentes » avec des attaques massives des forces américaines en cas d’obstination d’Hanoi. Il affirme qu’il allait démontrer aux Russes que les N-V avaient intérêt à terminer cette guerre.

On aborde la question politique du S-V, en se mentant. Thieu assure qu’en cas de retrait des troupes n-v, le F.N.L. pourra être considéré comme un parti politique comme les autres et pourra participer aux élections anticipées sous contrôle international. Le contenu de ces entretiens particuliers n’est pas évoqué de manière explicite en conférence plénière puisque certains aspects ne sont connus que de Nixon et Kissinger et depuis peu également de Thieu (bombardements du Cambodge, implication des Russes) (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 247-255). Nixon exulte et considère cette réunion comme un triomphe politique, tout comme Kissinger d’ailleurs. Mais ce dernier le regrettera a posteriori.

Rétrospectivement, dans ses mémoires, il note : « On voulait que Thieu fasse en l’espace de quelques mois et en pleine guerre civile ce qu’aucun autre dirigeant d’Asie du Sud-Est n’avait réussi à faire en plusieurs dizaines d’années de paix : on lui demandait à la fois de gagner une guerre, d’adapter sa défense au retrait de l’énorme machine militaire américaine, et de mettre en place des institutions démocratiques dans un pays qui n’avait pas connu la paix depuis une génération et n’avait jamais connu la démocratie de toute son histoire. » (Kissinger 1, 1979, pp. 285-286 et Nixon, 1978, pp. 283-284).

C’est donc le début de la « vietnamisation » du conflit. Elle est soutenue par Laird (secrétaire d’État à la Défense) mais beaucoup moins par Kissinger (et les militaires) qui la considèrent à juste titre comme une position de faiblesse dans les actuelles négociations avec le N-V. D’où le soutien inconditionnel du conseiller à la Sécurité nationale aux futures offensives aériennes et terrestres au Cambodge (voir 30 avril 1970) puis au Laos (opération Lam Son 719, voir 8 février - 25 mars 1971) (Hanhimäki, 2008, pp. 56-57).


10 juin 69 : L’ex-F.N.L. publie une « déclaration sur le programme d’action du gouvernement provisoire révolutionnaire de la République du Sud-Vietnam » signée par son président Huynh Tan Phat (citée in extenso in Truon Nhu Tang, 1985, pp. 333-337). Ce texte acte l’existence officielle du Gouvernement provisoire de la République du S-V (G.R.P.).


11 juin 69 : Kissinger mentionne une réunion d’information complète sur les bombardements au Cambodge en présence des sénateurs John Stennis (président de la Commission des Forces armées au Sénat) et Richard Russel (président de la Commission budgétaire du Sénat). Des membres de l’opposition à la Chambre des Représentants et du Sénat auraient été également invités (Kissinger 1, 1979, p. 263-264).

Le Cambodge de Sihanouk et les États-Unis annoncent vouloir renouer des relations diplomatiques (rompues depuis 1965). Le rétablissement de ces relations entraîne un droitisation de la vie politique au Cambodge avantageant Lon Lol, ce qui n’est pas pour plaire à Sihanouk.

Dans une conférence de presse Sihanouk révèle que dans la province de Rattanakiri, limitrophe du Vietnam, les N-V et le VC « ont déjà implanté des villages dans les régions situées en dehors des voie de communication, mais fertiles et arrosées par de nombreux cours d’eau ». Il dénonce cette implantation : « Tous les villageois loyalistes sont systématiquement liquidés. » L’armée royale cambodgienne, mal équipée, demeure impuissante pour mettre fin à cette occupation (Tong, 1972, p. 126).


12 juin 69 : Aubrac se rend à Ventiane. Nguyen Cha, chargé d’affaires d’Hanoi, lui confirme qu’aucun visa ne lui sera accordé pour le Vietnam malgré l’insistance d’Aubrac (voir 16 juin). Aubrac mettra ultérieurement ce refus au compte du mauvais état de santé d’HCM (Aubrac, 2000, p. 360).


13 juin 69 : Une délégation du G.R.P. est envoyée à Phnom Penh. Elle y séjournera 6 jours et y rencontrera plusieurs fois Sihanouk. Ce dernier accepte, en compensation au prochain rétablissement des relations diplomatiques avec les États-Unis, l’installation de missions diplomatiques du N-V et du G.R.P. dans la capitale cambodgienne. Ce sont elles qui feront l’objet d’attaques par le gouvernement de Lon Lol les 8 et 11 mars 1970 (Cambacérès, 2013, p. 152).


13 – 14 juin 69 : Au Cambodge, un épandage à haute altitude de « poudres de couleur jaunâtre » dans un district de la province de Svay Rieng provoque une intoxication de plusieurs dizaines d’habitants (Sihanouk, 1979, p. 249).


14 juin 69 : Au Cambodge,  Sihanouk révèle que les Vietnamiens s’efforce de communiser et vietnamiser la province de Rattanakiri. Il déclare que les Vietnamiens tentent de « persuader les montagnards que leur province est un territoire vietnamien et qu’ils ont, avec les Vietnamiens, un père commun en la personne du président Ho Chi Minh. Les montagnards qui entendent rester fidèle au Cambodge et à Sihanouk sont purement et simplement liquidés. Entreprise de vietnamisation et génocide vont ainsi de pair. » (Sihanouk, 1979, pp. 249-250).


15 juin 69 : En France, suite à la récente démission de De Gaulle, Georges Pompidou est élu président de la République. Les relations entre Pompidou et Sihanouk seront beaucoup plus fraîches que durant la période gaullienne.


16 juin 69 : Le Cambodge reconnaît de jure le G.R.P. Nguyen Van Hieu qui occupait depuis 19 juillet 1966 un poste de délégué diplomatique. Il est nommé ambassadeur et vient présenter à Sihanouk ses lettres de créance (Tong, 1972, p. 125).

A Ventiane, Aubrac apprend de la bouche du chargé d’affaires n-v Nguyen Cha que celui-ci est habilité pour recevoir le message dont le Français est porteur sur le souhait américain de la tenue de négociations secrètes entre les deux belligérants (Aubrac, 2000, p. 361).


24 juin 69 : Kissinger fait à nouveau appel à Jean Sainteny pour tenter de faire avancer les négociations au vu de ses relations privilégiées avec HCM. Mais les N-V lui refusent, comme pour Aubrac, un visa d’entrée pour Hanoï (Kissinger 1, 1979, p. 289-290 ; Nixon, 1978, pp. 252-253).


25 juin 79 : Nguyen Tuong, ambassadeur de la R.D.V. au Cambodge adresse un courrier au prince Norodom Kantol, président du Comité national pour l’amitié khméro-vietnamienne. Il indique que « la R.D.V. et le peuple vietnamien sont déterminés à poursuivre avec fermeté et persévérance leur politique inchangée à l’égard du Cambodge du Sangkum : respecter l’indépendance, la souveraineté, la neutralité et l’unité du royaume, reconnaître et s’engager à respecter sans réserve et sans ambiguïté son intégrité territoriale dans ses frontières actuelles, œuvrer à resserrer toujours d’avantage les relations entre les deux pays en tous domaines sur la base du respect réciproque, de l’égalité et du profit mutuel. » (Sihanouk, 1979, p. 250). Or, tout dans l’attitude du Vietnam à l’égard du Cambodge montre le contraire (voir 14 juin).


27 juin 69 : Le magazine Life reproduit le portrait de 242 G.I’s tombés au Vietnam durant la période située entre le 28 mai et le 3 juin. Cette publication a un certain retentissement et montre aux Américains que cette guerre lointaine tue. Sans remettre en cause clairement l’engagement américain dans la guerre du Vietnam, une partie de la presse se fait progressivement plus critique à l’égard du conflit qu’elle ne l’était en 1968 (Portes, 2008, p. 230 ; Gorin, 2006, p. 25).

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