Juin 65 : Au Cambodge, Saloth Sar, Keo Meas et d'autres dirigeants communistes quittent le « Bureau 100 » pour Hanoi où ils se rendent à pied par la piste Ho Chi Minh. Le séjour durera environ 9 mois. Rencontres avec les Khmers installés à Hanoi depuis 1954 (Keo Moni) et pourparlers secrets avec les responsables communistes vietnamiens (Le Duan). Saloth Sar quittera Hanoi pour Pékin où il séjournera 2 mois et rencontrera Mao, Liu Shaoqi et Deng Xiaoping. Il effectuera aussi une rapide et secrète visite à Puyong Yang (Corée du Nord). Sihanouk se rendra dans les 2 pays tout en ignorant que Saloth Sar s'y trouve également.
1er juin 65 : Le président Johnson réclame 89 millions de dollars supplémentaires pour financer une aide économique à l'Asie du Sud-Est.
6 membres français de l’O.T.A.S.E. sont rapatriés en France (voir mai) (Journoud, 2011, p. 233-234).
En France, l’Union nationale des étudiants de France (U.N.E.F.) lance un « appel pour la tenue d’une journée internationale universitaire contre la guerre au Vietnam » signée par certains universitaires français : Jean Chesneaux (spécialiste de l’Asie), Jean Dresch, Laurent Schwartz (mathématicien), Paul Ricoeur (philosophe), Jean Orcel, André Hauriou et d’autres (Jalabert, 1997, p. 70).
7 juin 65 : Face à la déroute de l’armée s-v qui enchaîne les défaites (Ba Gia), le général Westmoreland dresse un bilan pessimiste (voir 11 mai). Doutant de la victoire, il demande que l'effectif des troupes américaines passe de 50 000 à 200 000 hommes au Sud-Vietnam. Sa demande est agréée par l’amiral Sharp du C.I.N.P.A.C. qui affirme que « nous courons à la catastrophe si nous nous contentons d’enclaves sur le littoral. » Johnson acquiesce, mais tout en restant très discret sur cette intensification de l’engagement américain.
La demande de Westmoreland provoque toutefois « une tempête à Washington » car elle n’est pas faite dans les formes attendues de discrétion chères à LBJ. Elle est aussi une initiative personnelle du commandant en chef au Vietnam, là où, jusqu’alors, c’était le comité des chefs d’état-major qui traitait de cette question.
Westmoreland demande en fait à avoir carte blanche sur la question de l’engagement des effectifs (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 414 et pp. 440-441 ; Halberstam, 1974, p. 529). Ce qui fera dire à McN par la suite : « Sur les milliers de câbles que j’ai reçus pendant les sept années au Département de la Défense, ce fut celui qui me perturba le plus. » Progressivement ces demandes montrent que la guerre des enclaves, chère à Taylor, n’est plus d’actualité : l’engrenage de l’escalade est bel et bien en marche.
8 juin 65 : Le porte-parole du département d’État, Robert McCloskey, a un entretien avec John Finney du New York Times. McCloskey doit reconnaître que « les forces américaines étaient là pour aider l’armée sud-vietnamienne sur le terrain quand ce serait nécessaire ». C’est reconnaître que Westmoreland a le feu vert de LBJ. C’est aussi devoir reconnaître publiquement que les États-Unis sont engagés militairement au Vietnam alors que jusqu’alors l’administration s’efforçait de le dissimuler. LBJ entre dans une rage folle lorsqu’il apprend cette annonce. (Halberstam, 1974, p. 529-530 ; Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 438-439).
Le sénateur Wayne Morse, l’un des deux opposants au vote de la résolution du Tonkin, est l'orateur principal d'un rassemblement anti-guerre auquel assistent 17 000 personnes au Madison Square Garden de New York.
9 juin 65 : Du fait des déclarations de McCloskey (voir 8 juin), la Maison Blanche doit reconnaître du bout des lèvres l’engagement des U.S.A. dans un communiqué à la presse. Il est alambiqué à souhait : « Si les responsables vietnamiens qualifiés demandent de l’aide, le général Westmoreland a la possibilité […] d’employer ces unités pour soutenir des éléments vietnamiens si ceux-ci font l’objet d’une attaque lorsqu’il n’existe pas d’autres réserves disponibles et si, à son avis, la situation militaire l’exige. » (cité in Le dossier du Pentagone, 1971, p. 439 ; Johnson, 1972, p. 180)
9 - 13 juin 65 : Bataille de Dong Xoai (province de Phuoc Long). Le Vietcong y attaque un camp des Forces Spéciales américaines (Bérets Verts) et le quartier de l'état-major de l’A.R.V.N. Le district de Phuoc Long est conquis par le Vietcong durant toute une journée puis il se retire. Le combat sera l'un des plus meurtriers de la guerre, causant à l'A.R.V.N. 416 soldats tués au combat, 174 blessés et 233 disparus. De plus, 100 civils sont tués par le Vietcong.
Westmoreland est obligé d’avoir recours à l’armée américaine (173e brigade aéroportée) qui arrive tardivement au moment où le Vietcong se retire. Les pertes côté Vietcong sont de 350 hommes dans les combats terrestres et près du double dans les bombardements aériens. Selon le compte rendu officiel vietnamien de la campagne de Dong Xoai, les communistes ont affirmé avoir mis hors de combat 4 459 soldats ennemis (dont 73 Américains). En outre, 1 652 armes de toutes sortes ont été capturées dont 390 armes automatiques et 60 véhicules ont été détruits. 34 avions et 3 hélicoptères ont été abattus.
11 juin 65 : Le comité des chefs d’état-major donne en partie satisfaction aux demandes d’effectifs de Westmoreland par le biais de l’amiral Sharp (voir 7 juin). Il souhaite toutefois savoir où vont être engagées ces troupes (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 441).
12 juin 65 : L'opposition catholique sud-vietnamienne obtient le départ du premier ministre Phan Huy Quat de la tête du régime en place à Saigon. Ce dernier s’entendait mal avec le président Phan Khac Suu. Ce sont les militaires qui prennent leur succession en créant un Comité national de Direction présidé par Nguyen Van Thieu. Celui-ci occupe alors le poste de président. Les militaires créent un Comité exécutif (qu’ils nomment « cabinet de guerre ») confié au chef de l’armée de l’air, Nguyen Cao Ky. Il occupe alors le poste de premier ministre. Selon Johnson, les militaires seront alors mieux à même de mesurer « la détérioration catastrophique de la situation militaire. » (Johnson, 1972, p. 180)
13 juin 65 : En réponse à une demande de précisions, Westmoreland insiste pour avoir une totale liberté d’action dans l’emploi de ses troupes. Vu les multiples échecs de l’armée s-v, les Américains doivent combattre le F.N.L. par la tactique du search and destroy alors que les S-V assurent quant à eux les opérations de pacification.
Westmoreland informe qu’il sera amené à demander de nouveaux renforts, ce qui ne fait pas l’unanimité au sein de l’administration. McN le suit mais George Ball (sous-secrétaire d’État) est sceptique. Quant à McGeorge Bundy (Sécurité nationale), il veut éviter un désastre tout en limitant l’effort (Francini 2, 1988, pp. 304-305).
16 juin 65 : Le secrétaire à la Défense McNamara annonce que 20 000 hommes supplémentaires vont être déployés au Sud-Vietnam, portant l'effectif total des renforts à 74 500.
17 juin 65 : Taylor (ambassadeur Saigon et partisan des seules enclaves) approuve finalement la demande d’effectifs de Westmoreland du 7 juin (Halberstam, 1974, p. 522). Son rapport déplore le manque d’autorité sur le pays du président Thieu et du gouvernement Ky qui prend le nom de « comité de direction nationale » (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 441).
19 juin 65 : En perte d’autorité, le premier ministre s-v Phan Huy Quat qui penche alors pour une solution pacifiste démissionne. Son vice-premier ministre Tran Van Tuyen a déclaré en avril au journal Le Monde qu’il est nécessaire de créer un gouvernement en phase avec le peuple. C’est Nguyen Cao Ky qui prend le poste de premier ministre, alors que Nguyen Van Thieu, un catholique, prend celui de chef de l’État. Les « Jeunes Turcs » prennent les rênes du pouvoir et rompent immédiatement les relations diplomatiques avec la France qui prône toujours une politique neutraliste. Avec eux s’installe aussi le règne la corruption économique (Tran Van Don, 1985, pp. 247-250). L’ambassadeur Taylor émet rapidement des doutes sur leur capacité à gouverner durablement.
20 juin 65 : Les Khmers serei, en liaisons avec les forces thaïlandaises, multiplient les incidents terrestres et maritimes en territoire cambodgien, à partir du territoire thaïlandais dans les provinces de l’ouest de Cambodge (agression de Krivivong) (Sihanouk, 1979, p. 242).
21 juin 65 : Lors d’un C.N.S., McN évoque le fait que la situation militaire se dégrade rapidement au S-V. Il recommande à Johnson d’envoyer 100 000 hommes avant octobre et dit qu’il en faudra 100 000 de plus début 1966. Il suggère au gouvernement de demander au Congrès l’autorisation de rappeler 235 000 réservistes. Le coût de ces mesures est estimé à 8 milliards de dollars. Selon les mémoires de Nixon, « Johnson savait que la Grande Société et la guerre du Vietnam couraient à la collision. » (Nixon, 1985, p. 85) Or Johnson veut les deux et doit sans cesse louvoyer.
22 juin 65 : L'aviation américaine bombarde des objectifs au Nord-Vietnam situés à seulement 130 km de la frontière chinoise, ce qui constitue à ce jour le raid septentrional le plus avancé en territoire ennemi.
24 juin 65 : Lors d’une conférence de presse, le premier ministre Nguyen Cao Ky annonce la rupture des relations diplomatiques du S-V avec la France. Cette décision était à l’étude depuis janvier 1964. Elle avait toujours été repoussée sous la pression des Américains et des milieux francophiles, y compris au sein de l’armée s-v. Bien que défavorable à cette rupture, le ministre des Affaires étrangères s-v Tran Van Do lit une déclaration en comité restreint. Elle accuse De Gaulle d’avoir « toujours aidé nos ennemis, directement ou indirectement » et d’être favorable au N-V. La rupture menée par Ky et Thieu est votée à l’unanimité moins une voix, celle de l’éphémère ministre de la Défense francophile, Tran Van Minh. C’est lui qui avertit l’ambassade de France de cette décision.
Tran Van Do s’empresse toutefois de relativiser la portée de l’acte : le consulat est maintenu et le statut des diplomates et fonctionnaires français également. De Gaulle réagit par une boutade : « Peu nous importe de ne plus être représentés auprès de quelqu’un qui ne représente personne. » De son côté, Rusk demande à l’ambassadeur Taylor de se dissocier de cette décision et de le faire savoir à l’Élysée. Selon un rapport du S.D.E.C.E., 50 % de la population s-v n’apprécie pas ce geste et 25 % estime que le moment choisi est mal venu. Un statu quo se maintiendra jusqu’à la fin de la guerre, favorisant cependant un rapprochement de la France tant avec le F.N.L. qu’avec le N-V (Journoud, 2011, pp. 193-195).
26 juin 65 : Westmoreland reçoit l’autorisation d’engager les forces américaines lorsqu’il le jugera nécessaire et comme il l’entend afin de conforter une armée sudiste plus que défaillante (voir 13 juin) (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 441-442).
27 - 30 juin 65 : Premier engagement d’ampleur des troupes américaines au nord-ouest de Saigon, à 32 km de la ville, vers Bien Hoa. Y participent la 173e brigade aéroportée, un bataillon australien et des unités s-v. L’attaque prend l’allure d’une première opération search and destroy dans un territoire occupé par le Vietcong et non, comme annoncé précédemment (voir 9 juin), d’une aide ponctuelle aux troupes s-v en difficulté. Les Américains ne parviennent pas à établir le contact avec un ennemi qui se dérobe. C'est le premier échec de cette durable tactique (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 439).
28 juin 65 : Suite au changement de gouvernement s-v et l’arrivée des militaires au pouvoir (voir 12 juin), l’ambassadeur Taylor envoie un rapport à Washington. Face à l’impréparation de l’armée s-v et à la situation militaire déplorable, le premier ministre Nguyen Cao Ky demande des renforts américains. On prévoit une rencontre entre Westmoreland et le nouveau ministre de la Défense s-v, le général Nguyen Huu Co. Les militaires et le ministère de la Défense étudient la situation à Washington. LBJ confie dans ses mémoires : « Je n’étais pas disposé à envoyer d’autres troupes sans avoir des analyses très détaillées. » Il décide donc d’envoyer McN au Vietnam (Johnson, 1972, p. 181).
30 juin 65 : Long mémorandum de McGeorge Bundy (Sécurité nationale) à LBJ visant à contrer le pessimisme de Georges Ball (sous-secrétaire d’État, voir 2 juillet) qui avait tendance à comparer la situation des U.S.A. à celle de la France au moment de Dien Bien Phu. Bundy s’efforce de montrer à son destinataire que la situation est tout à fait différente : la France était en bout de course, pas les U.S.A. dont un récent sondage Harris indique qu’ils soutiennent l’administration à 62 % (Prados, 2015, pp. 236-237).