Juin 63 : Le lieutenant-colonel John Paul Vann, statisticien de formation, rentre aux États-Unis et s’en prend aux chiffres du M.A.C.V. d’Harkins sur la question des pertes de l’A.R.V.N. qui sont bien plus faibles que celles annoncées par l’armée américaine.
Pour lui, l’A.R.V.N. se bat peu ou mal, le poids de la guerre est soutenu par des milices locales mal équipées dont les soldats sont tués en dormant sur leurs positions défensives (Halberstam, 1966, pp. 78-91). .
Vann se fait entendre aux échelons les plus élevés du Pentagone, notamment par le général Barksdale Hamlett (chef d’état-major adjoint de l’armée) qui organise une entrevue entre lui et les chefs d’état-major interarmes. Il reçoit comme consigne de ne pas mettre en cause Harkins et donc indirectement Taylor qui à la tête de l’état-major interarmes (voir 8 juillet) (Halberstam, 1974, pp. 240-241).
Le général Tran Van Don (ministre de la Défense s-v) se rend en Thaïlande. Au contact de personnes étrangères, il se rend compte que la presse internationale est très hostile au régime de Diem depuis le suicide du bonze Thich Quang Duc. De retour au S-V, il constate « la rapide dégradation du climat politique. » Il songe alors à « élaborer minutieusement notre projet de coup d’État. » (Tran Van Don, 1985, pp. 113-114)
Nhu prend des contacts discrets non avec des membres du F.N.L. mais avec des sympathisants, sans véritablement s’engager tout à fait. C’est ce révèlera Mame Nhu dans une interview accordée à Lucien Bodard le 18 juillet 1966 : « C’est moi qui ai dit à mon mari : Reçois des émissaires communistes qui veulent te voir et négocier avec toi […] Nous avons pris alors des contacts importants et secrets. » Propos qu’elle reconfirmera dans une autre interview, cette fois avec Pierre Dumayet, le 13 février 1964 : « Mon mari recevait des maquisards, sur leur demande. » (cité in Chaffard, 1969, pp. 310-311, note 2)
3 juin 63 : Le gouvernement fait interdire l’accès aux bouddhistes de la radio d’Hué. S’ensuit une nouvelle manifestation devant ses locaux. Les tentatives de dispersion par les pompiers échouent. L’intervention de l’armée avec des véhicules blindés ne fait qu’accroître la détermination des manifestants et les fortes tensions depuis l’affaire du 8 mai. S’ensuivent des explosions qui provoquent 7 morts et de nombreux blessés. L’origine de ces explosions ne sera jamais clairement déterminée par l’enquête officielle.
Lors d’une réunion à la Maison Blanche, LBJ (vice-président) continue à travailler sur un projet de résolution pour le Congrès dont il espère un appui qui lui donnerait un accord en vue d’un engagement encore plus massif des U.S.A. au Vietnam (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 286).
Le correspondant à Saigon de l’agence de presse de l’U.P.I., Neil Sheenhan, au vu des dernières déclarations du conseiller principal de Diem (voir 12 mai) écrit : « Nhu a fait connaître la répugnance du gouvernement de Diem à suivre les avis des militaires américains, chose dont beaucoup de conseillers militaires se sont plaint depuis plus d’un an [voir 11 janvier]. » Puis il cite les propos de Nhu : « Je ne pense pas qu’ils [les Américains] soient capables de nous donner des conseils dans les questions de guerre subversive […] Je crains que les Américains ne sachent pas faire mieux que nous. » (cité in Chaffard, 1969, p. 308, note 2).
En visite à Pékin en l’absence d’HCM, Le Duan, premier secrétaire du Lao Dong, et certains membres du gouvernement s’alignent de plus en plus sur les positions extrémistes chinoises (Marangé, 2012, p. 309).
7 juin 63 : Mame Nhu accuse, lors d'une conférence de presse, les États-Unis d'être derrière les manifestations bouddhistes. Cette accusation provocatrice d’une rare stupidité irrite profondément Kennedy.
8 juin 63 : Publication par Mame Nhu d’une déclaration violente, en contradiction avec la volonté d’apaisement voulue par le gouvernement s-v. Elle y affirme, sans avoir consulté Diem, que les bouddhistes subissent l’influence des communistes et promet de sévères représailles (Halberstam, 1966, p. 204).
10 juin 63 : Retour de l’ambassadeur Nolting à Saigon. Diem demande à le voir au plus vite car il se sait soutenu par l’ambassadeur (Nolting, 1988, p. 113). L’adjoint de l’ambassadeur des U.S.A. qui a assuré l’intérim, William C. Truehart, a adopté à l’égard de Diem une ligne plus dure que celle de Nolting lorsque ce dernier était absent. Il a prévenu Diem que si la crise bouddhiste n’était pas rapidement résolue, les États-Unis se verraient dans l’obligation de se dissocier de sa politique (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 196).
Réunion interministérielle en vue du vote d’une résolution du Congrès américain : 5 questions embarrassantes sont alors évoquées : Cette résolution sera-t-elle un chèque en blanc pouvant aller jusqu’à une guerre déclarée ? Quel genre de forces cette autorisation pourrait engager ? Quel changement dans la situation justifie cette résolution ? Les objectifs peuvent-ils être obtenus sans l’emploi de la force ? Est-ce que le Sud-Est asiatique a tant d’importance pour les intérêts nationaux des U.S.A. ? (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 286)
11 juin 63 : Immolation par le feu du moine bouddhiste Thich Quang Duc à Saigon dans le périmètre de l’ambassade du Cambodge pour protester contre la politique de répression de Diem. Des journalistes étrangers ont été prévenus que « quelque chose d’important devait avoir lieu » mais seuls Halberstam (New York Times) et Malcom Browne (Associated Press) se sont rendus sur place. La scène et sa mise en scène sont filmées. Les images de cette immolation par le feu feront rapidement le tour du monde.
Ces immolations de bonzes seront par la suite annoncées à la presse, filmées, mises en scène et viseront à troubler l’opinion publique américaine et mondiale en créant des martyrs. Le gouvernement s-v essaie de discréditer maladroitement ces opérations en prétendant que les bonzes ont été drogués à la morphine pour atténuer la douleur des immolations (Halberstam, 1966, pp. 205-206). C’est d’ailleurs une thèse que Diem fait sienne qualifiant l’acte d’« affaire ennuyeuse » tout en refusant toute concession au nom de la lutte contre le communisme. Car il demeure absolument persuadé que le mouvement bouddhiste est indiscutablement infiltré par le VM (Truong Vinh Le, 1989, pp. 86-87).
12 juin 63 : Truong Vinh Le, président de l’Assemblée nationale, rencontre Diem. Il lui propose la médiation de l’assemblée nationale pour résoudre la crise bouddhiste. Diem rejette la proposition. Le le trouve « las, dégoûté par le travail de sabotage de ses amis américains qui ne cessaient de lui causer des embarras. Il [Diem] aurait voulu remettre la barre de la barque gouvernementale à son frère Nhu, qu’il demanda de voir. Il aurait voulu abandonner les pouvoirs, se retirer de la vie publique, mais il pensait qu’après son départ, le pays serait livré aux communistes. » (Truong Vinh Le, 1989, p. 89).
15 juin 63 : Johnson (vice-président) se sachant à la veille des conventions politiques pour les futures élections présidentielles recule devant les répercussions électorales d’une escalade au Vietnam. Il en fait de même pour sa demande de résolution au Congrès (voir 3 juin). C’est d’ailleurs la politique voulue par Kennedy.
Lors d’une réunion le 15, McGeorge Bundy transmet à McN (Défense) et Rusk (secrétaire d’État) des instructions présidentielles qui décident de différer la décision de faire connaître publiquement un engagement plus fort des U.S.A. (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 286).
16 juin 63 : « Accord de compromis conclu par Diem et la délégation bouddhiste sur les cinq demandes des bouddhistes [voir 16 juillet]. Des émeutes éclatent à Saigon malgré l'annulation des funérailles de Quang Duc. Un mort et plusieurs arrestations. » (Union Calendar n° 371, 88e Congress, 1st Session, report n° 893, « Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19, 1963) », p. 7).
Création d’un comité mixte entre représentants du gouvernement et bouddhistes, placé sous la présidence du vice-président Nguyen Noc Tho, lui-même bouddhiste (Rignac, 2018, p. 231) Le gouvernement s-v refuse d’assumer ses responsabilités dans l’affaire de Hué (voir 8 et 9 mai) : on annonce la création d’une commission composée exclusivement de membres du gouvernement dont le ministre de l’Intérieur Bui Van Luong, dépêché à Hué, mais qui n’ose pas communiquer à Diem les résultats d’un rapport mettant clairement en cause la faute des troupes gouvernementales (Halberstam, 1966, p. 206).
La signature par Diem d’un compromis apaisant provoque la colère de Mame Nhu qui l’accuse d’être un « poltron » (Halberstam, 1966, p. 207). Cette dernière exaspère de plus en plus Diem par ses attaques contre les Américains et ses déclarations intempestives dans les médias (voir 7 et 8 juin) (Truong Vinh Le, 1989, p. 90).
21 juin 63 : Diem décrète l’état de siège et confie le pouvoir à l’armée. S’ensuit une vague massive d’arrestations arbitraires. Pour autant ont lieu des manifestations d’intellectuels opposés au régime en place.
23 juin 63 : Au Cambodge, la droite du Sangkum combat les réformes proposées par les progressistes du gouvernement. Motion de méfiance contre le secrétaire d’État à la Santé publique Hou Yuon qui est obligé de démissionner.
27 juin 63 : Kennedy acte le remplacement de Nolting (jugé trop complaisant à l’égard des Ngo) par le Républicain Lodge (soutenu par Harriman devenu sous-secrétaire d’État aux Affaires d’Extrême-Orient et hostile à Diem). Lodge n’étant pas immédiatement disponible, le remplacement ne pourra avoir lieu avant le 15 août (il sera effectif le 25) (Rignac, 2018, p. 239). Le futur ambassadeur suit des cours de contre-insurrection avant de prendre ses fonctions (Halberstam, 1974, p. 297). Cette nomination est avant tout politique, Lodge étant républicain. Elle ne vise qu’à contrer les attaques de ce parti contre la politique de Kennedy au Vietnam.
Fin Juin 63 : En prévision d’un coup d’État, les Ngo renforcent les dispositifs de sécurité autour du palais présidentiel : interdiction des rues proches de la résidence, renforcement de la surveillance, mise en alerte des polices secrètes, éloignement de la capitale d’unités militaires douteuses (Halberstam, 1966, p. 210).