12 juin 40 : Deux traités de non-agression sont signés entre La Thaïlande (Siam), la France d’une part et l’Angleterre de l’autre (Toinet, 1998, p. 34). Le traité franco-thaïlandais sera toutefois rapidement rompu (voir 5 janvier 1941).
16 juin 40 : Catroux, cherchant à gagner du temps face à la menace japonaise, ferme de sa propre initiative la frontière chinoise au passage de carburant vers la Chine sur injonction des Japonais (Franchini 1, 1988, p. 152 ; Catroux, 1959, p. 48).
17 juin 40 : Charles Arsène-Henry (ambassadeur de France à Tokyo) valide la décision de Catroux du 16 : « Cela me semble le seul moyen d’éviter une attaque armée contre notre colonie. » (cité in Valette, 1993, p. 33)
18 juin 40 : Catroux informe le gouvernement français réfugié à Bordeaux de son intention : « Au cas où la France conclurait une paix séparée, il importerait à la sauvegarde du territoire et des intérêts de l’Indochine, que la coopération franco-britannique fût maintenue telle qu’elle est établie par les accords militaires et économiques et généraux. » (Catroux, 1959, p. 42).
19 juin 40 : Depuis 1938, le gouvernement français s’était rapproché du leader nationaliste chinois, Tchang Kaï Check, en guerre larvée avec le Japon. Les Japonais lancent donc un ultimatum d’une durée de 24 heures au gouverneur général d’Indochine, le général Catroux, qui se voit imposer un contrôle japonais de la frontière tonkinoise. Le Tonkin, avec la voie ferrée du Yunnan, constitue en effet le « poumon d’acier » de la Chine nationaliste pour ses approvisionnements en matériel militaire américain en provenance de Haïphong. Le Japon impose donc la présence de contrôleurs à la frontière entre le Tonkin et la Chine. Catroux ne peut que céder (Toinet, 1998, pp. 40-41).
Le sous-secrétaire d’Etat américain Summer Welles informe l’ambassadeur de France à Wahington que les États-Unis veulent éviter tout conflit avec le Japon (Wainstock, Miller, 2019, p. 37).
L’Indochine n’est pas de taille à affronter l’armée japonaise au vu de son faible armement : 17 Morane (partiellement armés), 9 bâtiments de combat, 2 escadrilles de bombardement, très peu de blindés et peu de camions. L’armée française ne dispose que de 90 000 hommes (mal armés et parfois peu sûrs) et ne peut donc compter que 14 500 Européens. Malgré l’appel pressant de Catroux, les États-Unis refusent désormais de fournir de l’armement aux Chinois pour ne pas heurter les Japonais. En grande difficulté militaire depuis l’offensive éclair des Allemands de mai 1940, la métropole ne peut fournir aucune aide à l’Indochine (Franchini 1, 1988, pp. 152-153).
Le vice-ministre des Affaires étrangères du Japon, Masuynki Tani, demande « d’arrêter le trafic d’armes vers la Chine ». Il exige la présence d’ « inspecteurs japonais sur place ». Cette demande est accompagnée d’actes hostiles dont la prise de la ville de Longtchéou située à la frontière tonkinoise. Une division japonaise s’avance vers la frontière devant Langson et des unités en attente de débarquement croisent au large d’Haïphong (Valette, 1993, p. 22).
Catroux demande à l’ambassadeur français à Washington d’intervenir pour obtenir l’envoi de 120 avions et de matériel de D.C.A. Il se heurtera à un refus (voir 20 juin) (Catroux, 1959, p. 49).
Nuit du 19 au 20 juin 40 : Catroux télégraphie à l’ambassadeur de France à Tokyo (Charles Anselme-Henry) qu’il va tenter d’éviter « d’avoir recours aux armes » et que donc il accepte la fermeture des frontières avec la Chine, le contrôle japonais « sous prétexte qu’il se sera discret dans les apparences et fera l’objet d’un accord précis. » (Catroux, 1959, p. 53). Son choix d’approuver l’ultimatum japonais sera désavoué par le gouvernement qui prône alors la fermeté. Catroux en fera les frais (voir 25 juin) (Zeller, 2021, pp. 19 - 20).
19 et 23 juin 40 : Rassemblements d’anciens combattants à Saigon devant le consulat de Grande Bretagne en faveur de l’Entente cordiale. 800 français manifestent leur volonté de poursuivre la lutte malgré la signature de l’armistice (Férier, 1993, p. 15). Ce mouvement demeure toutefois très marginal à l’échelle de l’Indochine.
20 juin 40 : Le général Catroux réaffirme au consul général britannique à Saigon : « Quelles que soient ou deviennent les événements en Europe, je considère que l’alliance franco-britannique subsiste et doit subsister en ce qui concerne l’Indochine et je regarde comme toujours en valeur les accords de coopération et d’assistance militaire résultant de l’alliance de la conférence de Singapour. Il en est de même pour la coopération financière et économique [...] Je n’ai pas besoin de vous dire que la décision britannique de poursuivre la guerre jusqu’à la victoire recueille mon entier assentiment. Mon assistance entière est assurée à votre Gouvernement ». Il en informe le gouvernement de Bordeaux qui, occupé par une situation bien plus préoccupante, ne lui répond pas (Catroux, 1959, p. 43).
Depuis le 17, le gouverneur général Catroux, respectant les directives (ou les silences) du gouvernement français replié à Bordeaux et celles de Arsène-Henry, ambassadeur de France au Japon, est contraint de laisser une mission japonaise s’installer à la frontière tonkinoise pour interdire le ravitaillement américain en provenance du port de Haïphong vers la Chine avec laquelle le Japon était en guerre non déclarée mais persistante. Le gouvernement de Vichy le lui reprochera injustement et le limogera le 26 juin. Les postes frontières sont fermés, qui plus est, sur décision des généraux chinois de l’armée du Yunnan (Valette, 1993, p. 23 et pp. 31-32).
L’ambassadeur de France au Japon, Arsène-Henry, informe le vice-ministre des Affaires étrangères du Japon, Masuynki Tani, de l’acceptation de toutes les exigences japonaises. Il demande à ce que pour l’instant la frontière reste ouverte jusqu’à l’arrivée des « experts » japonais (Valette, 1993, p. 33).
Suite à la demande de Catroux pour obtenir des avions et de la D.C.A., l’ambassadeur français à Washington, De Saint-Quentin, lui transmet le télégramme suivant : « Le sous-secrétaire d’État des Affaires étrangères m’a dit aujourd’hui qu’en raison de la situation générale le gouvernement des États-Unis ne croit pas pouvoir entrer en conflit avec le Japon et que, par suite, il laisserait faire si cette puissance attaque l’Indochine. » (Catroux, 1959, p. 49 ; Turpin, 2005, pp. 23-24, note 15). Les Britanniques adoptent la même position sachant leurs possessions également menacées par les Japonais (Cadeau, 2019, p. 55).
21 juin 40 : Catroux a demandé au général Mittelhauser, un des signataires de l’armistice, l’envoi vers l’Indochine des escadrilles du Levant qui vont être saisies. Il n’obtient là encore aucune réponse (Catroux, 1959, pp. 50-51).
Catroux obtient une réponse du gouvernement de Vichy signée d’Albert Rivière, éphémère ministre des Colonies du gouvernement de Vichy : « Les agissements étrangers en territoire français ne sont pas acceptables, mais il n’y aurait que des avantages à ce que les Japonais exercent le contrôle sur la frontière en territoire chinois. » (Catroux, 1959, p. 55)
24 juin 40 : Catroux s’adresse à Albert Rivière (ministre des Colonies du gouvernement de Vichy) et tente (sans beaucoup d’espoir…) de justifier ses décisions. Le gouvernement mesure mal les réactions de la population indochinoise à l’annonce de la défaite française. Le gouverneur général a simplement cherché à gagner du temps. Il constate qu’aucune aide matérielle en armement ne lui a été accordée. Il est pourtant est prêt à se battre. Il a réussi à ménager les Anglais qui prévoyaient une opération de blocus de la péninsule. Il estime être le seul à pouvoir sauver l’Indochine et a donc besoin d’avoir les mains libres pour agir. Quitte à être désavoué sous peu, pour des raisons de changement de régime en métropole, Catroux ayant été préalablement nommé par Mandel (Valette, 1993, pp. 42-43 ; Catroux, 1959, p. 55 ; Cadeau, 2019, pp. 57-58).
Un télégramme de Rivière (ministre des Colonies du gouvernement de Vichy) adressé à Catroux déplore à nouveau « que vous ayez accepté contrôle étranger ». Il faut faire preuve de discrétion et parvenir à limiter ce temps de « contrôle » (Catroux, 1959, p. 56).
25 juin 40 : Le général Catroux est démis de ses fonctions par le ministre des Colonies Albert Rivière. Appuyé par l’amiral Darlan, c’est le commandant en chef des forces navales en Extrême-Orient, l’amiral Decoux, qui est désigné pour prendre la succession. Il sera officiellement nommé le 20 juillet au poste de gouverneur général (Zeller, 2021, p. 20).
26 juin 40 : Réponse de Catroux, excédé, à Vichy : « Quand on est battu, qu’on n’a pas d’avions, pas de D.C.A., pas de sous-marins, on s’efforce de garder son bien sans avoir à se battre. On négocie, c’est ce que j’ai fait. Vous me dites que j’aurais dû vous consulter et suivre les instructions de votre télégramme précédent. Je réponds que je suis à 4 000 lieues de vous, vous ne pouvez rien pour moi et qu’enfin j’étais tenu par les délais. J’ai pris mes responsabilités. Je les prendrai encore. » (Catroux, 1959, p. 57) A ce moment précis, l’Indochine ne dispose que de quelques divisions mal équipées, parfois défaillantes (troupes annamites), face à une armée japonaise approvisionnée et aguerrie (voir 19 juin).
Catroux, initialement nommé par Mandel, est désavoué par le gouvernement de Vichy. Le vice-amiral Jean Decoux (commandant les forces navales françaises d’Extrême-Orient) est nommé au poste de gouverneur général de l’Indochine par Pétain. L’annonce est faite en soirée par la radio japonaise. Il prendra ses fonctions le 20 juillet, après un accord passé entre le général et l’amiral pour surseoir à cette nomination. Il a été choisi pour sa fidélité et ses convictions en phase avec celles de Vichy. Selon Franchini, « par conviction, nécessité, ou résignation la grande majorité des Français, après le coup de massue de la défaite en Europe, se rallie au gouverneur-général. » (Franchini 1, 1988, p. 158)
27 juin 40 : Catroux rentre à Saigon pour y rencontrer l’amiral britannique Percy Noble, commandant de la flotte dans le Pacifique. Il lui renouvelle ses vœux de fidélité en présence de Decoux. Noble ne peut pour autant lui apporter le soutien qu’il demande. Selon Catroux, nombre de soutiens se sont manifestés tant à Saigon qu’à Hanoi à la nouvelle de sa disgrâce. Decoux informe Catroux de sa nomination suite à la réception d’un télégramme émanant de Darlan (Catroux, 1959, pp. 58-59).
28 juin 40 : Selon Catroux, ses rapports se dégradent avec le vice-amiral Decoux à partir de cette date : […] l’amiral avait cessé d’être en communion de pensée avec moi. Il avait changé de camp, avait accepté l’armistice, s’était soumis à Vichy et était prêt […] à faire la politique de la Révolution nationale. » (Catroux, 1959, p. 73).
29 juin 40 : Arrivée à Hanoi du général Nishihara, chef de la mission japonaise de contrôle. Les Français laissent faire, ne pressentant pas la suite, et surtout ne comprenant pas pour l’instant que une partie de l’état-major japonais (amirauté japonaise et armée de Canton) agit à sa guise, sans se préoccuper le moins du monde de ce que dit et négocie la diplomatie nippone. Or ce même jour, le vice-chef d’état-major japonais adresse de nouvelles instructions au général Nishihara. Elles visent à imposer aux Français une occupation militaire (Valette, 1993, p. 24 ; Catroux, 1957, p. 64).
L’état-major japonais décide d’envahir l’Indochine et d’inclure dans un accord l’utilisation des moyens militaires et le droit de faire stationner ses troupes en Indochine française (Toinet, 1998, p. 41).
29 juin – 3 juillet 40 : Début de la mission du général Nishihara, chef de la mission japonaise de contrôle. Ce dernier est un officier de cavalerie francophone qui a effectué l’essentiel de sa carrière dans les états-majors ou comme représentant du Japon au sein d’organismes internationaux. C’est donc un militaire et un diplomate qu’a choisi Tokyo. Il est accompagné d’officiers issus de l’armée de Canton (22e armée). Ils doivent occuper une demi-douzaine de postes de contrôle sur l’axe entre Haïphong, Ha Giang, Lao Kay, Cao Bang, Langson et Tien Yen. Nishihara s’est installé à Hanoi d’où il dirige la liaison entre ces postes et les autorités françaises. A cette époque, le rôle dévolu à l’Indochine dans la future politique impériale japonaise n’est pas encore tranché. Des dissensions apparaissent au sein de l’appareil d’État tout comme dans l’armée (Cadeau, 2019, pp. 59-60).
30 juin 40 : Catroux apprend officiellement sa destitution. La nouvelle avait déjà été annoncée le 26 en soirée par la radio japonaise (Cadeau, 2019, p. 59).
Rencontre entre le général Nishihara et le général Catroux. Ce dernier qualifie son homologue d’« homme courtois » aux exigences pondérées. Selon Catroux, « il s’empressa de m’assurer en y insistant que son gouvernement ne poursuivait point des visées territoriales sur l’Indochine, mais que, par contre, il portait grand intérêt à l’établissement de courants d’échanges économiques entre notre possession et le Japon. » Mais l’armée japonaise n’est pas une, il y a des modérés (les généraux Nishihara et Tshushihara, chef du 2e Bureau) et des extrémistes qui considèrent l’Indochine comme une terre conquise (Catroux, 1959, pp. 64-65).