Juillet 71 : A Chulaï où stationnent 13 000 GI’s, 150 freaks (soldats marginalisés) organisent un rassemblement pour la paix et glorifient l’usage de la marijuana. L’armée réagit en lançant une campagne contre les drogues. Les réseaux de dealers, multiples, ne peuvent toutefois pas être efficacement combattus tant la corruption est étendue à tous les niveaux de l’armée. En 1973, une enquête des services américains montrera qu’une filière militaire utilisait même le transport des cadavres de GI’s pour acheminer de la drogue vers les U.S.A.
Au Cambodge, conférence de deux semaines réunissant plus de 60 cadres du P.C.K. à Phnom Santuk qui débouche sur la nomination d'un nouveau comité central d'où sont absents les « Khmers-Hanoi ».
En provenance du Cambodge, Ieng Sary (KR, beau-frère de Saloth Sar) arrive à Pékin avec pour titre celui de Haut-Représentant des combattants de l'Intérieur. Alors que le G.R.U.N.K. a toujours été scindé entre la faction qui combat au Cambodge et celle de la Chine, il rejoint la capitale chinoise pour mieux contrôler l’action politique de Sihanouk et du gouvernement.
Le magazine Life publie un article intitulé « Confessions of the « Winter Soldiers » ». Il fait référence à une série d’entretiens menés par les V.V.A.W. en début d’année sur les crimes de guerre commis au Vietnam d’ailleurs évoqués par John Kerry dans son intervention devant la commission des Affaires étrangères du Sénat le 22 avril (Gorin, 2006, p. 21).
1er juillet 71 : Éditorial du New York Times intitulé « Un peuple informé » : « Pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, le gouvernement fédéral a essayé, par l’intermédiaire de la Cour [voir 24 juin] d’interdire la publication de documents dont, prétendait-il, la diffusion dans le public causerait un « dommage irréparable » à la sécurité de la nation. Le Times, appuyé en la circonstance par l’immense majorité de la presse américaine, soutient au contraire qu’il est dans l’intérêt national de publier ces informations qui portaient d’ailleurs sur l’histoire du conflit et non sur les opérations en cours. » (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 665-667)
Nouvelles propositions publiques n-v par la bouche de Mme Binh du G.R.P. Elle reprend les propositions de la réunion secrète du 26 juin mais y ajoute ce que Kissinger qualifie de « troc » : la libération des prisonniers contre le retrait américain, en éludant le reste du contenu des discussions du 26. Elle reprend l’idée d’un gouvernement de coalition auquel les Américains sont opposés (Kissinger 2, 1979, p. 1 079). Ces nouvelles déclarations mettent Kissinger en porte-à-faux avec Nixon sur l’utilité des négociations secrètes où, ce qui est convenu un jour, est contredit peu de temps après par des déclarations publiques de la part des N-V. Dans ses mémoires, Kissinger en revient lui-même à mettre en doute leur utilité, tant les N-V les utilisent pour en faire un outil de surenchère permanente et un moyen qui leur permet de manipuler l’opinion publique américaine et le Congrès en émoi (Kissinger 2, 1979, p. 1 075). Le stratagème n-v s’avère et s’avèrera particulièrement efficace (voir 6, 15 et 23 juillet).
Kissinger part pour Saigon et rend ostensiblement visite à Ky, Minh et au chef de l’opposition bouddhiste pour montrer que les U.S.A. sont ouverts au futur choix des urnes. Selon ses dires (dont on ne peut que douter…), il leur affirme que la position américaine en faveur d’un pluralisme politique en vue des élections présidentielles d’octobre est totale. Dans les faits, seul Thieu est considéré par les Américains comme le seul et unique recours face au chaos politique qui règne comme habituellement au S-V. Ce qu’il reconnaît d’ailleurs clairement dans ses mémoires : « Mais ni Nixon ni moi n’étions disposés à jeter Thieu dans la gueule du loup [...] Nous ne considérions pas que le maintien de l’échafaudage politique de Saigon était une faveur faite à Thieu, mais un impératif dicté par notre intérêt national. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 090)
2 juillet 71 : Kissinger se rend au S-V. Ce voyage n’est en fait qu’un prétexte pour pouvoir se rendre ensuite en Chine amorcer ce que l’on va nommer une « diplomatie triangulaire » (voir 9 - 11 juillet).
4 juillet 71 : Kissinger est reçu par Thieu. Il le met au courant de l’avancée des discussions avec Le Duc Tho qui semble plus conciliant sur la question du retrait américain. Il promet plus d’hélicoptères et d’armement. Comme l’observe Nguyen Phu Duc, « n’étant pas venu à Saigon pour négocier [mais pour aller en Chine…], il voulait seulement faire plaisir à ses hôtes. » (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 267)
6 juillet 71 : Dans une interview au New York Times, Le Duc Tho reprend la proposition du 1er de Mme Binh : le retrait américain contre la libération des prisonniers qui pourrait faire l’objet d’un accord séparé (en contradiction donc avec ses 9 points du 26 juin qui devaient être considérés comme « un tout intégral »). Selon Kissinger, malgré certaines avancées, « le Congrès et la presse, à l’unisson, proclamèrent que le gouvernement laissait passer une nouvelle occasion sans précédent de faire la paix. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 079)
9 - 11 juillet 71 : Première visite de Kissinger en Chine (mission Polo). Prétextant se rendre au S-V puis au Pakistan, il s’y rend secrètement sans en avoir averti l’allié s-v. Le caractère secret du voyage semble même irriter quelque peu les Chinois. C’est le premier processus américain pour impliquer directement la Chine dans la question de la paix au Vietnam. Kissinger confie secrètement à Zhou Enlaï : « Nous sommes prêts à retirer toutes nos forces du Sud-Vietnam à une date précise et à laisser la réalité façonner l’avenir politique […] Nous voulons simplement disposer d’un délai raisonnable ». Kissinger se plaint de l’attitude de Le Duc Tho. Chou comprend que Kissinger demande l’aide de la Chine pour assouplir la position n-v. Toutefois, cette demande d’intervention n’empêchera pas le ministre des Affaires étrangères chinois de se rendre peu après à Hanoi pour réaffirmer son total soutien au N-V (Hanhimäki, 2008, pp. 60-61 ; Portes, 2016, p. 57 ; Kissinger 2, 1979, pp. 796-843). La question de la médiation chinoise sera donc limitée.
12 juillet 71 : Kissinger est à Paris. Le Duc Tho a fait savoir à la presse qu’il désirait le rencontrer. Kissinger est une nouvelle fois obligé de ruser de manière assez rocambolesque avec les journalistes pour se rendre au rendez-vous de négociations devenues au fil du temps de moins en moins secrètes… Le principal point de friction demeure le remplacement de Thieu et son équipe. Les N-V considèrent que les élections présidentielles d’octobre peuvent fournir l’occasion aux Américains de s’en débarrasser. Guère d’avancée lors de cette séance quoiqu’en dise Kissinger dans ses mémoires. On promet de se revoir le 26 (Portes, 2016, p. 72 ; Kissinger 2, 1979, pp. 1 082-1 084).
15 juillet 71 : Nixon rend publique la rencontre entre Zhou Enlaï et Kissinger à Pékin qui a eu lieu du 9 au 11 juillet. Il annonce sa venue en Chine avant mai 1972 (Nixon, 1978, p. 398). Les S-V découvrent la chose car ils n’ont pas été mis au courant par Kissinger lors de sa récente visite à Saigon.
Nouvelle pression sur l’administration. Averell Harriman (ancien chef de la délégation américaine à Paris sous LBJ) déclare dans le New York Times que Mme Binh a offert aux U.S.A. « une chance raisonnable » d’en finir avec le conflit (Kissinger 2, 1979, p. 1 080).
La diplomatie n-v, tout en refusant de prendre parti dans le conflit sino-soviétique, cherche désormais plutôt l’appui des Russes. Selon Marangé, les N-V « s’efforcèrent de préserver leur indépendance [diplomatique], en pratiquant le secret pendant la guerre, puis, après le renversement du régime sud-vietnamien, en mettant en œuvre une politique étrangère diversifiée. » (Marangé, 2012, p. 345)
17 juillet 71 : Du fait de l’annonce de la visite de Nixon en Chine, Hanoi informe Le Duc Tho et Xuan Thuy que le moment n’est pas venu de faire progresser les négociations tant que l’on en saurait pas plus sur la portée de ce rapprochement (Marangé, 2012, p. 340).
18 juillet 71 : Mao conseille aux N-V de maintenir un statut quo au S-V et d’accepter la partition entre les deux Vietnam (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 273). Ce n’est absolument pas ce que veulent les Nordistes, d’où un certain refroidissement dans les relations sino-vietnamiennes au bénéfice des Russes.
23 juillet 71 : Suite aux déclarations de Mme Binh du 1er, le magazine Life publie : « Nous espérons que le président Nixon saisira cette chance. » (Kissinger 2, 1979, p. 1 080)
26 juillet 71 : Reprise des négociations secrètes. Toujours le même blocage sur le remplacement de Thieu. Les N-V suggèrent aux Américains de le renverser ou de l’assassiner… avec la complicité des N-V si nécessaire… Et Kissinger de conclure dans ses mémoires : « La paix était toujours aussi loin de portée que jamais. » (Kissinger 2, 1979, pp. 1 085-1 086)