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par Jean-François Jagielski

Juillet 1968

Juillet 68 : Mise en place progressive du programme Phoenix (en vietnamien: Chien de Phung Hoang, un mot lié à Fenghuang, le phénix chinois). Il a été conçu, coordonné et exécuté dans un premier temps par la C.I.A., par les forces spéciales des États-Unis, celles de l'équipe de formation de l'armée australienne au Vietnam (A.A.T.T.V.) et par les services de sécurité République du Sud-Vietnam. Selon Tran Van Don, « le ministère de Thang n’y portait qu’un intérêt de pure forme. » (Tran Van Don, 1985, p. 238)

Le programme entreprend d'identifier et de « neutraliser » (par infiltration, capture, pratique terroriste, torture et assassinat) l'infrastructure au Sud-Vietnam du F.N.L. La C.I.A. le décrit comme « un ensemble de programmes qui ont essayé d'attaquer et de détruire l'infrastructure politique Vietcong » (Colby, 1992, pp. 246-247).

Les deux principales composantes du programme ont été les Unités de reconnaissance provinciales s-v (Provincial Reconnaissance Units, P.R.U.s.) et les centres d'interrogatoire régionaux. Les P.R.U.s. ont pour mission de tuer ou capturer les membres présumés du F.L.N. ainsi que des civils jugés (à tort ou à raison) comme appartenant à sa mouvance. Beaucoup de ces personnes sont menées dans des centres d'interrogatoire et torturées pour obtenir des informations sur leurs activités présumées. Les informations extraites dans les centres sont transmises aux commandants militaires des régions, qui peuvent les utiliser en confiant aux P.R.U.s. d'autres missions comme la capture et l’assassinat, y compris pour l’élimination d’opposants à Thieu.

Le programme a été actif entre 1965 et 1972, des initiatives similaires ayant été enregistrées avant et après cette période. 81 700 agents neutralisés soupçonnés d’être des informateurs ou des sympathisants du F.L.N., y ont perdu la vie. Leur nombre est estimé entre 26 000 et 41 000 victimes (Portes, 2008, pp. 252-253).

Pour s’autoriser le droit de procéder à des vols de reconnaissance (voir 8 mai), les Américains soumettent aux N-V une modification de formulation dans leurs engagements. Là où les N-V avaient demandé un arrêt des bombardements et de « tous les autres actes de guerre » dans lesquels ils incluaient les vols de reconnaissance, les Américains proposent la formulation « toutes les autres activités impliquant la force ». Les N-V n’y consentiront finalement qu’en octobre, non sans qu’il y ait d’ailleurs des accrochages et des destructions d’avions de reconnaissance.

En France, les demandes réitérées du ministre des Affaires étrangères, soucieux de remplir ses obligations de pays hôte de la conférence parisienne pour le Vietnam, restreint fortement les autorisations de manifestation par le biais d’une législation qui se raidit (Journoud, 2016, pp. 76-77).


4 juillet 68 : A Paris est organisée une soirée à la Mutualité visant à détourner l’Independance Day en journée de l’indépendance pour le Vietnam. 400 personnes, pour la plupart américaines, se rassemblent en présence de membres du P.A.C.S. et de l’Union des Vietnamiens de France. On projette un film de Felix Green sur la vie au N-V sous les bombardements américains. On lit également  des poèmes pacifistes (Journoud, 2016, p. 75).


14 juillet 68 : Comme un an plus tôt lors de la précédente fête nationale française, HCM adresse un message à De Gaulle. Il est publié en première page du journal du parti, le Nham Dam. Signe du réchauffement franco-nord-vietnamien, Le Duc Tho participe aux cérémonies de la délégation française à Hanoi (De Quirielle, 1992, p. 200).


16 juillet 68 : Clifford (Défense) a été envoyé à Saigon pour évaluer la situation militaire sur place et discuter de problèmes communs avec le gouvernement s-v. Le général Earl Wheeler, commandant le Comité des chefs d’état-major, l’accompagne. Ils sont reçus par Thieu, Ky et le général Nguyen Van Vi (ministre de la Défense), le général Cao Van Vien (chef d’état-major) et Nguyen Phu Duc (conseiller de Thieu). Il est question de l’engagement des troupes s-v et d’augmenter les effectifs des forces locales de l’A.R.V.N. qui jusqu’alors n’avaient qu’un rôle statique. Il faut améliorer leur armement et l’aide logistique des « Forces populaires d’auto-défense » dans tous les cantons et villages pour libérer les forces nationales régulières. Un accrochage a lieu entre Ky et Clifford sur l’utilisation disproportionnée des bombes américaines et de l’artillerie. Côté américain, la riposte se produit sous la forme d’échanges aigre-doux au sujet de la modestie des salaires des soldats de l’armée s-v (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 180-181).


18 juillet 68 : Début de la conférence d’Honolulu. Importante délégation gouvernementale s-v et américaine. LBJ et Thieu sont présents. Côté américain, présence de Rusk (secrétaire d’État), Clifford (Défense), William Bundy (secrétaire d'État adjoint pour les affaires d'Extrême-Orient), Rostow (Sécurité nationale), le général Wheeler (commandant des chefs d’état-major).

On discute des progrès de transfert de la charge de la guerre aux S-V. Clifford qui a été envoyé au Vietnam pour faire un constat rejoint la conférence et confirme, selon LBJ, « une situation militaire favorable », du moins à première vue. Mais avec pas mal de bémols : le programme d’équipement de l’armée s-v est toujours insuffisant, le commandement supérieur de l’armée laisse encore à désirer et les S-V s’en préoccupent peu. Clifford a également pu observer que leur allié se préoccupait peu de ce qui se passe à Paris car il ne semble pas souhaiter la paix autant que les Américains. En fait, les S-V craignent que des négociations secrètes se fassent à leur détriment et que les Américains quittent le Vietnam. L’avenir leur donnera entièrement raison…

LBJ est plus optimiste que son secrétaire d’État à la Défense. Il pense que Thieu veut la paix et emploie les mots que les Américains veulent entendre : « Nous nous rendons compte que nous, Vietnamiens, sommes plus affectés par cette guerre qui se déroule sur notre sol, à l’encontre de notre liberté. Nous estimons qu’il est de notre devoir d’endosser chaque jour une part plus importante de la lutte. » Il a déclaré en aparté à Johnson que les troupes américaines pourront quitter le territoire s-v milieu 1969 voire plus tôt. LBJ rassure Thieu en lui confiant au sujet d’un éventuel retrait américain : « Il ne faut pas le dire, mais le faire quand le moment sera venu. » (Johnson, 1972, p. 614-616)


19 juillet 68 : Suite de la conférence d’Honolulu. Séance plénière au Q.G. du C.I.N.C.P.A.C. avec cette fois un volet purement militaire. Exposé général du général Cao Van Vien (chef d’état-major s-v) sur la situation au S-V où les infiltrations ont selon lui pu être freinées grâce aux forces régionales (voir 16 juillet). On évoque les dévastations provoquées par l’offensive du Têt et le problème des réfugiés.

Thieu fait un point sur les exigences s-v. Beaucoup de vœux pieux : respect de la D.M.Z. et des territoires des belligérants ; non-ingérence des forces étrangères ; réconciliation nationale par la procédure démocratique ; réunification par des voies pacifiques. De son côté, LBJ promet d’aider l’armée s-v et les milices locales en les équipant mieux. Il reprend les vœux pieux de Thieu et précise certains points qui font consensus : les U.S.A. n’ont aucune ambition au Vietnam ; ils se retireront  si les N-V en font de même ; ils ne cherchent pas à imposer un gouvernement de coalition aux S-V ; ils veulent un règlement équitable à la conférence de paix avec le N-V. Mais, comme le remarque Nguyen Phu Duc (conseiller de Thieu participant de cette conférence), « il restait beaucoup de zones d’ombre ». On les met sciemment de côté en séance plénière : infiltrations ; sanctuaires au Cambodge ; absence de désescalade de la violence ; rôle du F.N.L. dans cet éventuel gouvernement de coalition ; désaméricanisation de la guerre.

Certains de ces points sensibles sont cependant abordés en aparté : on convient de donner un rôle important au S-V dans les négociations avec le N-V. Américains et S-V « agiront en parfaite consultation l’un avec l’autre ». Mais le doute s’insinue côté s-v quant à la sincérité des Américains sur le rôle réel qu’ils entendent vraiment attribuer au S-V dans les négociations entamées avec Hanoi. Sur ce point litigieux, les conversations s’éternisent à l’envie. Une discussion entre LBJ et Thieu sur un début de retrait américain aboutit à un projet de déclaration officielle le fixant au milieu de l’année 1969. Pour Thieu, ce retrait ne pourra être que partiel afin de garantir les chances de la paix (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 176-193).


20 juillet 68 : A l’issue de la conférence, après la rédaction d’un communiqué conjoint dans lequel figure que le S-V devait avoir « un rôle principal » (« un » et non « le ») dans les négociations avec Hanoi, du moins sur le papier, Thieu et LBJ donnent une conférence de presse. Le président s-v se lâche : il se dit victime d’une agression, exige le retrait des forces n-v et est opposé à toute forme de gouvernement de coalition avec les communistes. Tout ne va donc pas au mieux dans les relations américano-sud-vietnamiennes.


21 juillet 68 : Thieu, sur le retour, fait une escale à Guam où il visite une base de B-52.


25 juillet 68 : Au Cambodge, 25e congrès du Sangkum.

A Paris, interdiction par les autorités françaises d’une table ronde qui devait se tenir au siège des Quakers sur la conduite de la guerre au Vietnam en collaboration avec le Centre international pour la dénonciation des crimes de guerre et l’Association médicale franco-vietnamienne fondée en 1967 par le professeur André Roussel. La décision des autorités françaises est dénoncée par les organisateurs et relayée dans le journal Le Monde alors que d’autres manifestations ont pu se tenir ailleurs avant ou le même jour. Les organisateurs attirent « l’attention de l’opinion sur l’évolution bien inquiétante des options internationales du pouvoir et de ses mandants, qu’une telle interdiction sélective traduit clairement ». (Journoud, 2016, pp. 75-76 ; Le Monde du 27 juillet 1968).


30 juillet 68 : Rusk, lors d’une conférence de presse, demande à Hanoi un principe de réciprocité suite à la diminution des bombardements en cours. Il réclame le rétablissement de la D.M.Z. au niveau du 17e parallèle et l’arrêt des infiltrations au S-V. Harriman avait dénoncé à Paris une infiltration de 30 000 hommes en juillet, là où le seuil n’était que de        6 000 avant l’arrêt des bombardements. Hanoi doit donc « mettre quelque chose dans le panier de la paix » (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 197-198). Mais la position n-v demeure intraitable : il faut stopper les bombardements pour obtenir une forme de réciprocité.


31 juillet 68 : Le F.N.L. publie un « programme politique de l’Alliance des forces nationales démocratiques et de paix au Vietnam » qui aborde entre autres la question de la réunification (cité in extenso in Truong Nhi Tang, 1985, pp. 338-346) Il précise : « Actuellement, il existe en fait dans notre pays deux régimes politiques différents, l’un au Nord, l’autre au Sud. La réunification du pays ne saurait être réalisée du jour au lendemain, c’est pourquoi le Nord et le Sud devront se consulter, négocier l’un avec l’autre sur la base de l’égalité et du respect des caractéristiques de chacune des deux zones en vue d’arriver à la réunification pacifique du pays. » Belle déclaration d’intention sur le papier mais qui, dans les faits, n’existera jamais de du fait de l’emprise du Lao Dong au Sud.

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