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par Jean-François Jagielski

Juillet 1967

Juillet 67 : Sondage analysant l’évolution de l’opinion publique américaine envers le conflit au Vietnam : pour 48 %, contre 41 %, sans opinion 11 % (Nouilhat in collectif, 1992, p. 60). Une opposition à la guerre se dessine pour la première fois.

LBJ accepte l’idée des militaires (Sharp et Westmoreland) d’attaquer des objectifs jugés essentiels dans la zone Hanoi-Haïphong entre le 9 et le 24 août. Il rejette par contre le fait de miner Haïphong et de détruire les digues situées dans le delta du Fleuve Rouge, provoquant ainsi des inondations qui aurait des incidences catastrophiques sur la population civile. Il craint toujours que de tels actes entraînent une réaction chinoise ou soviétique (Johnson, 1972, p. 447).


Début juillet 67 : Un plénum du Lao Dong prend la décision de préparer un soulèvement général : la future offensive du Têt. Le général Nguyen Chi Thanh, commandant des opérations au Sud depuis octobre 1964, bon connaisseur de la situation des maquis vietcong et défenseur de la faction sinophile au sein du parti (voir avril), émet des réserves quant à ses chances de réussite. Mais il décèdera le 6 dans des conditions obscures (crise cardiaque ? empoisonnement provoqué par ses rivaux ?) (Marangé, 2012, p. 331 et 520).


2 - 14 juillet 67 : Opération Buffalo au niveau la D.M.Z. pour empêcher l’A.P.N.V. d’occuper la position clé de Con Thien (« Colline des Anges »), menée par les 3rd et 1st  9th Marine Regiment face au 90e Régiment vietcong. C’est un véritable carnage des 2 côtés. En 1967, 77 % des pertes américaines se concentrent dans 10 des 44 provinces et 52 % dans la zone du 1er Corps, à proximité de la zone démilitarisée ou dans les régions montagneuses à proximité du Cambodge (Sheenhan, 1990, p. 769).


6 juillet 67 : Mort du général Nguyen Chi Thanh, commandant les forces communistes et vietcong au Sud suite à une crise cardiaque ou un empoisonnement. Sinophile, il demeure partisan de la poursuite de la guérilla au Sud et a émis les plus vives réserves quant aux chances de réussite de la future offensive du Têt. Les raisons de sa mort demeurent assez obscures. Selon Spencer et Tucker, il serait peut-être mort dans un bombardement aérien (Spencer, Tucker, 2000, pp. 295-296). Selon Marangé, « le bruit courut qu’il avait été empoisonné par ses rivaux. Dans les mois qui suivirent, plusieurs membres importants du P.T.V. furent accusés d’avoir ourdi un « complot prosoviétique » ». Suite à ce décès, des purges vont à nouveau affecter le parti. Hoang Minh Chinh, ancien directeur de l’Institut de philosophie d’Hanoi, accusé d’avoir donné aux Soviétiques des renseignements sur les activités des Chinois au N-V, sera interné en camp presque jusqu’à la fin de ses jours. De nouvelles purges seront effectuées dans l’armée en octobre (Marangé, 2012, pp. 331-332).


7 - 12 juillet 67 : McN se rend au Vietnam avec Katzenbach (sous-secrétaire d’État) et le général Wheeler (président des chefs d’état-major). Ce sera le dernier voyage du secrétaire à la Défense au Vietnam. Il rencontre Westmoreland. Les 2 hommes se mettent d’accord sur un accroissement des effectifs autour de 55 000 hommes (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 567).

Selon LBJ, à leur retour, « tous trois étaient réconfortés par les progrès en cours mais profondément conscients des problèmes énormes que nous devions encore résoudre. » Ces problèmes sont d’ordre politique : des tensions sont apparues entre Thieu et Ky sur fond de rivalité quant au futur poste de président. Les Américains craignent une scission au sein de l’armée. McN ne dit pas forcément le véritable fond de sa pensée ce jour-là. Wheeler estime que les alliés ont « remporté une série ininterrompue de succès militaires. L’ennemi était encore agressif mais il était décontenancé. Son recrutement dans les campagnes devenait de plus en plus difficile et des garçons de treize à quatorze ans  apparaissaient dans les rangs du Vietcong. » Katzenbach est également optimiste « si le peuple américain, ici même, nous donnait une chance. » (Johnson, 1972, pp. 318-319) Durant la période de l’été 1967, plus le pessimisme de McN s’affirmera moins il aura accès au président qui ne veut plus entendre quelqu’un douter de sa résolution à toujours aller plus loin dans l’engagement au Vietnam.


10 juillet 67 : De retour au Vietnam, après l’accréditation de Mai Van Bo (voir 23 mai), De Quirielle remet à Pham Van Dong (premier ministre) une lettre de son homologue français Georges Pompidou l’accréditant en qualité de délégué général du gouvernement de la République française et non plus de simple intérimaire de Sainteny. Pham Van Dong répondra à Pompidou : « Ce fait constitue un nouveau développement des relations d’amitié entre nos deux pays. Le peuple vietnamien est décidé à lutter jusqu’à la victoire contre les agresseurs américains pour la défense de ses droits nationaux reconnus par les accords de Genève, dont la France est partie signataire. Vous pouvez être assuré que M. De Quirielle bénéficiera de l’assistance des autorités du Vietnam dans l’exercice de ses missions. » (cité in De Quirielle, 1992, p. 195). François De Quirielle se souvient : « Je fus rapidement informé par le directeur d’Europe [Affaires étrangères n-v] que je serai désormais considéré comme un vrai chef de mission diplomatique et, dès le 1er janvier 1968, le ministère des Affaires étrangères faisait figurer sur la liste diplomatique la délégation générale de France immédiatement après les ambassades. » (cité in Journoud, 2011, pp. 223-224)


13 juillet 67 : Westmoreland est de retour aux U.S.A. pour assister aux obsèques de sa mère. LBJ réunit donc le commandant du M.A.C.V., McN et Wheeler. McN déclare s’être entretenu  le matin même avec les dirigeants militaires. Ils sont parvenus à un « accord complet » sur la question des effectifs. L’augmentation des effectifs doit se situer autour des 45 000 hommes, ce qui devrait permettre d’atteindre les 525 000 soldats présents au Vietnam vers le 30 juin. LBJ approuve cette proposition et la rendra publique le 3 août (Johnson, 1972, p. 449).


14 juillet 67 : Pour la fête nationale française, HCM adresse à De Gaulle un message. Il lui exprime ses chaleureuses félicitations « à l’occasion de la grande Révolution française » et le remercie d’avoir soutenu « avec force la juste lutte du peuple vietnamien contre l’agression américaine. » Nouvellement nommé officiellement délégué général (voir 10 juillet), De Quirielle (délégué général du gouvernement français au N-V) observe d’Hanoi que « le nombre et la qualité des personnalités de rang ministériel qui assistaient à la réception donnée à la délégation prouvaient que la France était montée d’un degré dans la hiérarchie des pays avec lesquels le Vietnam entretenait des relations. Elle était rangée parmi les « pays amis » qui venaient immédiatement après les « pays frères ». » (De Quirielle, 1992, p. 196)


Mi-juillet 67 : L’administration Johnson est engagée depuis juin dans une campagne diplomatique secrète dont le nom de code est Pennsylvania. Un scientifique français, Herbert Marcovitch et Raymond Aubrac, ami de Marcovitch et ancien hôte d’HCM lors de son séjour en France en 1946, se rendent à Hanoi. Marcovitch et Aubrac rencontrent à deux reprises Pham Van Dong et Aubrac rend visite à un HCM vieillissant et presque mis sur la touche. A leur retour, ils rencontreront Kissinger (professeur de sciences politiques à Harvard) le 26 juillet à Paris (Johnson, 1972, p. 322-323).

LBJ valide 45 des 57 cibles de bombardement voulues par les chefs d’état-major (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 567 ).


19 juillet 67 : Mort accidentelle dans une collision d’avions de John McNaughton (sous-secrétaire à la Défense, adjoint de McN) et de sa famille au dessus de la Caroline du Nord (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 567 ; erreur sur la date de son décès dans cette source qui mentionne le 19 juin). Il sera remplacé par Paul C. Warnke.

Arrivée à Phnom Penh d’Aubrac et Marcovitch. Il leur a fallu se battre pour obtenir des visas pour le Vietnam : les Russes se sont dérobés, la délégation du Nord-Vietnam à Paris a fait de même, Wilfried Burchett n’y est pas parvenu, la diplomatie française n’a officiellement pas été sollicitée car sa position est celle d’un retrait complet des troupes américaines du Vietnam. Donc Aubrac et Marcovitch se sont rapprochés du Vietnam mais sans pouvoir y entrer. Une visite à l’ambassade du Vietnam au Cambodge pour obtenir des visas aboutit dans un premier temps à un échec. Il faut qu’Aubrac fasse connaître ses anciennes relations particulières avec HCM pour que la situation se débloque enfin (Aubrac, 2000, pp. 326-327).


21 juillet 67 : Une étude publiée sous la plume du journaliste Jack Anderson du Washington Post montre que sur 4 soldats américains disponibles pour le combat, 5 autres se trouvent à l’arrière pour occuper des postes d’intendance et de soutien. Il y a donc plus de la moitié des troupes au Vietnam qui sont embusquées dans les services de l’arrière pour assurer une forme de confort logistique. Westmoreland justifiera cette situation en tenant les propos suivants : « Ce personnel non-combattant est très important pour le moral des troupes. Dans cette guerre presque tous nos soldats ont des repas chauds, même dans la jungle. Cela implique un grand nombre de cuisiniers et d’autres personnels similaires, mais les repas chauds sont bons pour le moral. » (cité in Nguyen Phu Duc, 1996, p. 177)

Aubrac et Marcovitch reçoivent enfin l’autorisation de se rendre au Vietnam en possession de visas. Ils prennent un avion de la C.I.C. pour se rendre à Hanoi (Aubrac, 2000, p. 328).


21 - 26 juillet 67 : Dans le cadre de l’opération Pennsylvania initiée en juin, Herbert Marcovitch et Raymond Aubrac se rendent à Hanoi. Aubrac rend visite à un son vieil ami HCM. Bien que malade et vieillissant, ce dernier accepte de le recevoir. Les 2 hommes rencontrent également à 2 reprises le premier ministre Pham Van Dong qui leur déclare : « Nous voulons un arrêt sans condition des bombardements. S’il se produit, il n’y aura pas d’autre obstacle aux négociations. » Il est manifestement désireux de poursuivre avec les 2 Français des contacts par le biais du consul général du N-V à Paris, Mai Van Bo. Pham Van Dong n’impose aucun délai au processus en cours (McNamara, 1996, p. 286 ; Journoud, 2001, pp. 148-149). De retour, les 2 émissaires rencontreront Kissinger (professeur de sciences politiques à Harvard) le 26 juillet à Paris (Johnson, 1972, pp. 322-323).


22 juillet 67 : Arrivée d’Aubrac et Marcovitch à Hanoi. Ils sont accueillis par le docteur Pham Ngoc Tach, ministre de la Santé, puisque l’objet officiel de leur visite est purement médical. Les 2 Français expriment leur désir de rencontrer HCM et Pham Van Dong (Aubrac, 2000, p. 331).


24 juillet 67 : François De Quirielle remet à Pham Van Dong (premier ministre) sa lettre d’accréditation comme délégué général de la France au N-V (Quirielle, 1992, p. 224). Journoud observe que cette nomination « allait en effet donner le signal d’un rapprochement plus marqué de la France gaullienne avec son ancien adversaire. » (Journoud, 2001, p. 219)

Aubrac et Marcovitch sont reçus brièvement par Pham Van Dong. Les 2 Français ne lui dévoilent pas l’objet réel de leur venue. Au cours de la visite d’un hôpital, ils sont invités à se rendre au domicile d’HCM en présence de Pham Van Dong. Aubrac qui n’a pas vu HCM depuis 12 ans voit en lui « un vieillard épaissi par l’âge et la maladie, la barbiche toute blanche et les gestes lents. » On en vient à l’objet de la visite et Aubrac lui révèle le contenu de l’initiative Pugwash qui est approuvée : « Il me confirma qu’il souhaitait négocier avec les Américains d’une manière qui leur permette de sauver la face, mais seulement après l’arrêt sans condition de leur agression aérienne au Nord. Quant à la négociation au Sud, elle n’était possible qu’après l’évacuation des troupes américaines. » (Aubrac, 2000, pp. 331-333)


25 juillet 67 : Aubrac et Marcovitch retrouvent Pham Van Dong pour un entretien de 2 heures. Cette fois, on prend des notes. Le premier ministre vietnamien expose 3 volets : la situation générale, les négociations et la solution possible, la politique du F.N.L.

La situation générale lui parait à la fois simple et complexe : les U.S.A. cherchent à résoudre un problème qu’ils ont eux-mêmes posé en bombardant le Nord. La situation depuis quelque temps est plutôt favorable tant au VM qu’au F.N.L.

Sur les négociations, le Vietnam est toujours prêt à relever un défi guerrier comme il l’a toujours fait. Les négociations ne pourront s’enclencher qu’à partir du moment où les bombardements auront stoppé au Nord. C’est un point non négociable. Dans un deuxième temps doit suivre une négociation pour le Sud. Elle suppose le départ complet des troupes américaines.

Le F.N.L. poursuit sa voie. La R.D.V.N. et le F.N.L. sont d’accord « pour ne pas pousser trop vite les choses en ce qui concern[e] la réunification ». A l’issue de cette réunion, Aubrac et Marcovitch reprennent l’avion pour Phnom Penh puis Paris (Aubrac, 2000, p. 335-338)


28 juillet 67 : Marcovitch et Aubrac rentrent à Paris, voient Kissinger qui câble les résultats de cette rencontre à McN et Rusk (McNamara, 1996, p. 287). Ce sera la première implication officielle du futur conseiller à la Sécurité nationale dans le conflit vietnamien.

Kissinger fait savoir par télégramme à Rusk et McN qu’il a pris contact avec deux Français. Il entend servir de courroie de transmission entre les U.S.A. et le N-V en vue du rétablissement d’un dialogue pouvant aboutir à des négociations. Lors d’un déjeuner avec Johnson, Rusk et McN lui transmettent le télégramme de Kissinger.

Le président et Rusk y voient « un nouvel exemple de cul de sac », McN les convainc cependant de poursuivre les contacts et entame des échanges avec Kissinger tout en se renseignant sur les 2 Français (McNamara, 1996, pp. 285-286 ; Journoud, 2001, p. 145 et p. 147).

Selon Johnson, « après une étude minutieuse, nous autorisâmes Kissinger à informer les Nord-Vietnamiens, par l’intermédiaire des Français, que les États-Unis étaient disposés à interrompre les bombardements sur le Nord si une suspension menait « rapidement » à des « discussions productives » entre nous. » (voir mi-août) (Johnson, 1972, p. 323). Ce qu’il ne fera pas. De leur côté, Aubrac et Marcovitch renoncent à aller rendre compte de leur séjour à Hanoi à de Gaulle : les récentes déclarations du Général au Canada (« Vive le Québec libre ! ») et ses récents démêlés avec les Américains ne les incitent pas à se rendre à l’Élysée (Aubrac, 2000, p. 340).


29 juillet 67 : Un nouveau cargo soviétique, le Frounze, est  touché par l’aviation américaine. A nouveau, simple protestation modérée des autorités russes (Toinet, 1998, p. 315).

Aubrac laisse un message à Vo Van Sung (délégation n-v à Paris) indiquant que le contenu des entretiens a été transmis aux Américains (Aubrac, 2000, p. 341).

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