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par Jean-François Jagielski

Juillet 1962

Juillet 62 : Poursuite de la dégradation des relations entre Diem et les journalistes américains. Le président s’en prend à Homer Bigart. Le journaliste américain publie dans le New York Times un compte-rendu incisif sur sa politique appelant à réévaluer l’aide américaine. Si les U.S.A. ne parviennent pas à réformer le régime en place, ils vont être confrontés à 2 alternatives tout aussi indésirables l'une que l'autre. Soit remplacer Diem par une junte militaire, soit engager clairement des troupes américaines pour soutenir les perspectives déclinantes du Sud-Vietnam (Hammond, 1990, pp. 24-29).

Échange épistolaire entre Nguyen Huu Tho (dirigeant du F.N.L.) et l’ancien président du Conseil Tran Van Huu, ancien président du Conseil (voir 27 avril 1950), neutraliste favorable aux accords de Genève de 1954, actuellement en exil à Paris. Tho lui expose les grandes lignes du programme du Front, insistant sur l’idée d’une neutralité à la laotienne (voir 16 février - 3 mars). Il demande à son correspondant dans quelle mesure il pourrait apporter son concours à cette cause, voyant en lui une solution de rechange à Diem (Chaffard, 1969, p. 260).

Saloth Sar (futur Pol Pot) devient chef du Parti des travailleurs du Kampuchéa (P.T.K.) en remplacement de Tou Samouth assassiné par la police sihanoukiste (Deron, 2009, p. 263).


1er juillet 62 : Les Américains amorcent leur retrait des troupes de Marines de Thaïlande suite à un accord qui va être signé à Genève le 23 juillet entre les 14 nations qui reconnaissent la neutralité du Laos, accord que l’U.R.S.S. et les N-V vont signer (Kissinger 1, 1979, p. 467).

Le général W. B. Bosson est chargé de créer une école de guerre spéciale à Fort Bragg (Caroline du Nord). 250 officiers et un millier de sous-officiers y reçoivent un enseignement sur la guerre non conventionnelle, la guerre psychologique et la contre-guérilla. On peut s’interroger sur l’efficacité de ce type d’écoles qui vont se multiplier pour atteindre le nombre de 27. Le général Shoup du Marines Corps, clairvoyant, déclarera de Saïgon : « Les Américains sont trop impatients dans leur désir d’en finir avec la guérilla au Sud-Vietnam. Il n’y a pas de panacée qui élimine les communistes d’ici du jour au lendemain. » (cité in Toinet, 1998, p. 274) Les faits et les rapports à venir (lorsqu’ils ne seront pas arrangés…) lui donneront parfaitement raison.


11 juillet 62 : Un des premiers rapports de la C.I.A. critique la mise en place des « hameaux stratégiques » affirmant « quels que soit [leurs] mérites, [ils] pêche[nt] par un contenu trop flou et [un] manque d’applicabilité aux problèmes quotidiens. » Ce qui n’empêchera pas Harriman (adjoint au secrétaire d’État aux Affaires d’Extrême-Orient) ou Hilsman de se montrer très optimistes quant à leur avenir (Tenenbaum, 2010, p. 133).


20 juillet 62 : Une première et vaste opération héliportée nocturne est menée par les troupes s-v du colonel Cao près de la frontière cambodgienne. Elle est présentée dans les rapports officiels américains comme une victoire. Or celle-ci est plus que relative : le débarquement a été fait au milieu d’un bataillon vietcong et les S-V ne sont parvenus pas à cerner le VC qui s’échappe. John Vann (conseiller commandant la 7e division américaine couvrant la région nord du Delta) a joint par radio le colonel Cao pour parachuter un bataillon en vue de  couper la retraite. Ce conseil n’est pas exécuté pour de sombres querelles de personnalités au sein du commandement s-v (Halberstam, 1966, pp. 136-137).

Le F.N.L. fait référence à l’accord qui va être signé au Laos (voir 23 juillet) pour défendre une position neutraliste identique au S-V : « […] du moment  que les forces antagonistes du Laos ont pu trouver une issue raisonnable, la population du Sud-Vietnam doit pouvoir, elle aussi arriver à une solution adéquate. » Le Front énonce 4 points qui pourraient aboutir à une situation semblable au S-V : retrait des Américains ; cessez-le-feu entre les parties intéressées ; gouvernement d’union nationale préparant des élections libres ; neutralité du S-V, du Laos et du Cambodge. Mais Diem et les Américains rejettent cette proposition « judicieuse, conforme à la raison et au cœur » qu’Hanoi ne condamne pas, pas plus d’ailleurs que la Chine ou l’U.R.S.S. (voir 12 juin) (Chaffard, 1969, p. 264).

Au Cambodge, Tou Samouth, secrétaire général du Parti ouvrier du Kampuchéa (P.O.K.), est arrêté, torturé puis assassiné par la police cambodgienne. L’ordre d’exécution proviendrait ou de Sihanouk ou sans doute plus certainement de son ministre de la Défense, Lon Lol. Il sera remplacé par Saloth Sar (le futur Pol Pot) lors du congrès des 21 - 22 février 1963. Ce dernier rejoindra dès lors la « base 100 » dirigée par les Vietnamiens à la frontière khméro-cambodgienne dans la région de Tay Ninh (Cambacérès, 2013, pp. 144-145 ; Deron, 2009, pp. 25-27).


21 juillet 62 : Tran Van Huu (ancien président du Conseil neutraliste), pressenti par les N-V et le F.N.L. pour être une alternative à Diem, rencontre Sihanouk à Genève. Le dirigeant cambodgien, lui-même neutraliste, estime que Huu est l’homme qui pourrait rassurer l’Occident. Il l’a appuyé auprès de représentants de l’opposition en exil mais ceux-ci n’ont qu’un rôle modeste tant sur le plan local qu’international (Chaffard, 1969, pp. 270-271).


23 juillet 62 : Signature à Genève du traité de paix pour le Laos que 14 nations reconnaissent « neutre » (dont les deux Vietnam, la Thaïlande et les U.S.A.). Dans les faits, cette neutralité restera un vœu pieu dans les deux camps.

Les négociations ont duré plus d’un an (voir 16 mai 1961) et aboutissent à la formation d’un gouvernement de coalition tripartite dirigé par un triumvirat : chef du gouvernement, prince Souvanna Phouma (neutraliste) ; prince Boun Oum (droite laotienne proaméricaine) ; prince Souphanouvong (Pathet Lao pro-nord-vietnamien). Cette fragile coalition s’écroulera cependant dès avril 1963 avec le retour des intrusions n-v facilitées par l’accélération de l’utilisation de la piste HCM.

Un protocole est signé par toutes les puissances prévoyant l’évacuation des troupes étrangères, décision que ni N-V ni les Américains ne respecteront. De la même manière, selon Kissinger, seuls 40 des 6 à 7 000 soldats n-v qui y résident quitteront le pays. Les Américains en évacueront officiellement de leur côté 666 (même s’ils étaient bien plus nombreux que cela…) (Kissinger 1, 1979, p. 467).

Pour les Américains, la destinée du Laos est délibérément abandonnée au profit de celle du Vietnam. C’est ce qu’affirme clairement mais avec une certaine naïveté Taylor, le conseiller militaire de Kennedy : « Le sort du Laos sera réglé au Vietnam. » Pour autant, les Américains (Harriman, chef de la délégation à Genève pour le Laos) ont été, tout comme en 1954, étrangement absents du processus de discussion avec une Chine qui était favorable à une partition du pays. Quant à Rusk, il se contente de demeurer à Washington et ne vient à Genève que pour la cérémonie de clôture des accords (Nguyen Phu Duc, 1996, p. 113-116). Selon Chaffard, pour les Américains, la neutralisation du Laos n’est « qu’un moyen circonstanciel pour couper d’Hanoi les maquis [sud-]vietnamiens. » (Chaffard, 1969, p. 288) C’est à l’évidence une grave erreur d’appréciation tactique qui n’empêchera jamais ni l’existence, ni la persistance, ni l’augmentation au fil du temps des infiltrations n-v.

Conférence à Honolulu. McNamara établit un premier plan de désengagement américain au S-V et une baisse de l’aide financière. Présent, Harkins déclare à McN : « Il est hors de doute que nous sommes en train de gagner. Si nos programmes se poursuivent, nous pouvons nous attendre à une baisse d’activité vietcong. » Moins euphorique, McN estime quant à lui à 3 ans la durée pour soumettre le Vietcong (McNamara, 1996, p. 59 et 61). Plus réaliste, il évoque un risque d’une lassitude de l’opinion publique américaine et une augmentation des pressions politiques intérieures du fait de l’accumulation des pertes (Les Dossiers du Pentagone, 1971, p. 140).

Ce qui n’empêche toutefois pas le secrétaire à la Défense de faire des déclarations publiques tout à fait mensongères à la presse : « Notre aide militaire au Vietnam est en train de se révéler payante. Les Sud-Vietnamiens commencent à frapper les rebelles vietcong là où cela leur fait le plus mal – en ralliant le peuple à la cause gouvernementale […] Les forces armées vietnamiennes sont en train de passer à l’offensive contre le Vietcong, en prenant de plus en plus fréquemment l’initiative […] Les indicateurs sont encourageants, et nous cherchons désormais à soutenir cette dynamique. » (McNamara, 1996, pp. 58-59) Ce type de fausse affirmation est toutefois contredit par certains membres de l’administration qui en ont informé Kennedy (voir 11 février).


24 juillet 62 : Dans le cadre du plan Staley (voir juin), arrivée à Saigon du général américain Arthur G. Trudeau, chef du service de recherche et de développement de l’armée américaine. Il a la réputation d’être un trouble shooter. Sa venue est liée à l’expérimentation de matériels, d’armes et de tactiques pour la pratique de la contre-guérilla au S-V et au Laos. Il travaille en liaison avec les forces spéciales américaines chargées d’instruire les troupes s-v à Nha Trang (Chaffard, 1969, pp. 370-371).

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