Juillet 54 : L’armée vietnamienne compte 260 000 hommes (6 divisions et une 7e en cours de création composée seulement de 6 G.M.) mais, selon son chef d’état-major le général Nguyen Van Hinh, « beaucoup n’y croyaient plus » (Maigre, 1994, p. 32).
1er juillet 54 : Poursuite de l’opération Auvergne. Évacuation délicate des populations de Ninh Binh et Nam Dinh vers le nord en direction de Phu Ly (entre Hanoi et Ninh Binh) sous protection de l’armée française (Gras, 1979, p. 573).
Le major américain Lucien Conein rejoint l’équipe de Lansdale au Vietnam. C’est un spécialiste des opérations paramilitaires qui a déjà collaboré avec les Français en 1945 dans les maquis antijaponais (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 84).
2 juillet 54 : Ély, toujours à Paris, fait part à Salan de sa satisfaction pour la conduite des opérations d’évacuation du Sud-Tonkin. Il quitte la capitale pour le Vietnam.
3 juillet 54 : Évacuation de Phu Ly dans la zone des Évêchés. Vanuxem est obligé de contre-attaquer le VM qui a investi la ville. Cette évacuation marque la fin de l’opération Auvergne qui s’est déroulée dans de relatives bonnes conditions (Gras, 1979, pp. 573-574). 68 000 personnes et 11 000 tonnes de matériels ont été récupérées. Les pertes françaises sont de 65 tués tandis que celles du VM sont estimées à 500 (Cadeau, 2019, p. 510).
Mendès France, dans une allocution radiodiffusée, annonce que « la concentration de nos forces qui vient d’être exécutée dans le Delta permettra à notre délégation de Genève de négocier en conformité avec notre politique, sans être dominée et presque paralysée par une menace grave et immédiate pour la sécurité de nos armées. » (cité in Salan 2, 1971, pp. 428-429)
4 juillet 54 : Retour d’Ély à Saigon. Il est accueilli par le nouveau président du Conseil, Diem.
L’opération Auvergne se termine sur un succès : 45 000 soldats vietnamiens et 50 000 civils ont pu se replier du Sud-Tonkin (Salan 2, 1971, pp. 428-429 ; Ély, 1964, pp. 183-189).
6 juillet 54 : Vu les menaces qui pèsent sur la route Hanoi-Haïphong, le maréchal Juin (conseiller militaire du gouvernement), que l’on peut difficilement soupçonner de défaitisme, conseille d’évacuer Hanoi (Roussel, 2007, pp. 260-261).
7 juillet 54 : Le nationaliste Diem, président du Conseil de Bao Daï, forme son premier gouvernement (composition in Truong Vinh Le, 1989, pp. 20-21). Il est complètement ignoré dans les négociations de Genève (voir 18 juin). Seuls quelques nationalistes au S-V déclarent vouloir poursuivre la guerre pour éviter la partition, mais sans moyens.
Voulant prouver sa fermeté dans les négociations en cours, Mendès France demande à l’Assemblée nationale l’envoi du contingent en Indochine s’il n’y a pas d’accord le 20 juillet. Il réclame la présence des Américains à Genève « afin de ne pas donner l’impression qu’il y a une dispute entre les trois Occidentaux. » Or Dulles a adopté d’entrée une position de retrait à Genève, position que ne partage pas totalement Eisenhower qui l’envoie à Paris pour discuter avec Mendès France et Eden (Affaires étrangères britanniques) (De Folin, 1993, p. 285).
Mendès France reçoit l’ambassadeur des États-Unis Douglas Dillon. Il se montre conciliant sachant que Dulles est embarrassé par l’attitude intransigeante de Diem. Il demande simplement aux Américains de le persuader d’avaliser un accord conforme à la solution en 7 points adoptés à Washington lors de la visite de Churchill (Roussel, 2007, p. 247).
Ély quitte Saigon pour se rendre à Hanoi. Il fait avec Cogny un point sur l’opération Auvergne et donne des instructions pour la période à venir. Le rapport de force au Tonkin demeure disproportionné : si l’on excepte les unités françaises statiques, le VM dispose de 60 bataillons contre seulement 30 pour les Français, appuyés certes par l’aviation et la marine. Ély rappelle à Cogny qu’il préfère perdre une bataille à Hanoi plutôt que d’abandonner la ville. Pour l’instant, le commandant en chef n’a pas l’intention d’opérer les replis dictés par les directives gouvernementales du 15 mai. De son côté, Cogny estime que, même en cas d’attaque, « l’affaire [est] jouable ». Ély lui attribue quelques renforts au détriment du reste de l’Indochine. Du côté du gouvernement vietnamien, la situation n’est guère meilleure tant du point de vue militaire que civil (carences administratives face à la propagande du VM sur le partage des terres) (Ély, 1964, pp. 194-197).
7 - 20 juillet 54 : Pensant à un repli massif des populations au sud du Delta, le VM attaque la ligne de défense occasionnée par l’opération Auvergne. L’armée franco-vietnamienne réagit bien dans les régions de Sontay, Vinh Yen et Luc Nam, bien soutenue par l’aviation et les blindés.
10 juillet 54 : Dulles écrit à Mendès France et lui fait part très franchement de ses réserves quant à la position française. Il ne fermera toutefois pas la porte à toute évolution si le contexte change. Eisenhower approuve cette position. Mendès part au soir pour Genève pour avoir un premier entretien avec Molotov. Celui-ci fera une discrète pression sur les N-V pour qu’ils se montrent plus accommodants sur la fixation de la ligne de partage (Roussel, 2007, p. 247 et p. 250).
11 juillet 54 : A Genève, après avoir été consultés dans leurs pays d’origine, les représentants des différentes délégations se retrouvent. On aborde alors la question des clauses du futur traité (Ruscio, 1992, p. 220).
Douglas Dillon (ambassadeur) s’envole pour Genève pour transmettre à Mendès France la réponse négative de Dulles aux propositions françaises. Mendès ne cède pas et apprend qu’Eisenhower a demandé à Dulles de se rendre à Paris en compagnie d’Anthony Eden afin de mettre au point un front uni occidental. Si les entretiens se passent bien, Dulles retournera à Genève prendre la tête de la délégation américaine (Roussel, 2007, pp. 247-248).
En France, nouvelle journée d’action contre la guerre au Vietnam. Ces manifestations servent la cause de Mendès France à 9 jours de l’échéance qu’il s’est fixée pour aboutir à un compromis à Genève (Ruscio, 1985, p. 306).
12 juillet 54 : Ély, ayant décidé de résister au Tonkin en protégeant Hanoi, pense que ces mesures ne peuvent que favoriser la France dans les négociations genevoises. Il a pris seul certaines décisions, sans en référer à Mendès France. Salan et son entourage civil le pressent d’en rendre compte à Paris. Il acquiesce en envoyant à Paris son chef de cabinet, le colonel Brohon (voir 14 juillet) (Ély, 1964, p. 201).
13 juillet 54 : Mendès France (qui a revu à Genève une deuxième fois Zhou En laï) reçoit Dulles (secrétaire d’État) et Eden (ministres des Affaires étrangères britannique) à Matignon. Ayant accepté les 7 points définis par les Anglo-Saxons (voir 25 et 29 juin), il demande à l’Américain de « venir nous aider car votre absence affaiblit la France ». Malgré le soutien d’Eden, la réponse de Dulles demeure pour l'instant dilatoire (De Folin, 1993, p. 286 ; Roussel, 2007, pp. 248-249).
C’est à ce moment que le secrétaire d’État américain évoque pour la première fois le projet de la future O.T.A.S.E. (voir 6 septembre), y voyant un instrument à mettre en place rapidement pour intervenir en Indochine, projet auquel Mendès France adhère (Burchett, 1970, p. 127).
13 – 17 juillet 54 : L’armée cambodgienne parvient à mettre en déroute les forces du VM lors de la bataille de Sre Chris qui a lieu dans la jungle des hauts-plateaux moïs. Cette victoire va conforter la position du Cambodge au cours des négociations de Genève (Cambacérès, 2013, p. 103).
14 juillet 54 : Reprise des discussions à Matignon (voir 13 juillet). Un texte a été rédigé durant la nuit pour définir la position franco-américaine. Il est conforme aux 7 points du 29 juin. Il est signé par les deux parties. Le sous-secrétaire d’État Bedell Smith reprend sa place à Genève, décision approuvée et même appuyée par Eisenhower (De Folin, 1993, p. 286). Dulles en informe le président. Il est décidé que Bedell Smith aille à Genève (si son état de santé défaillant le permet) pour représenter les États-Unis au niveau ministériel. Mendès rédige un courrier adressé à Dulles qui lui répondra le 16 (Roussel, 2007, p. 249).
Ély a envoyé le colonel Brohon pour rencontrer Guy De La Chambre (États associés). Or ce dernier est à Genève. Brohon le rejoint, fait un point sur la situation et rencontre Mendès France. Il confie à ce dernier la pensée d’Ély : « Un accord, fût-il médiocre, [est] préférable à pas d’accord du tout. » Des échanges ont lieu entre Ély et Mendès France. S’il n’y a pas d’accord, la situation risque de devenir catastrophique car Ély craint une importante défection des troupes vietnamiennes du corps expéditionnaire (Ély, 1964, pp. 201-202).
Selon Ély, et son impression est bonne, Diem – placé volontairement sur la touche – n’est guère mis au courant de ce qui se trame à Genève. Ce dernier n’a toujours pas été informé du projet de partition du Vietnam par son ministre des Affaires étrangères, Tra Van Do, pourtant présent à Genève mais peu au courant des tractations en cours (Ély, 1964, pp. 206-207).
15 juillet 54 : Arrivé ce jour, Mendès France entre dans la négociation de Genève à 5 jours de l’échéance qu’il s’est fixée et imposée dès le départ, avec la date butoir du 20 (voir 18 juin). Trois questions demeurent en suspens : la ligne de partage (13e, 14e, 16e parallèle ?), la composition de la commission de contrôle des accords, la date des élections en vue de la réunification. Et il faut convaincre les Vietnamiens sur ces 3 points. Le VM est disposé à accepter le 16e parallèle car il craint, par la voix de Bedell Smith, le retour de Dulles dans les négociations à l’approche de l’échéance fixée par Mendès.
Au soir, Mendès reçoit Molotov à dîner. La discussion est serrée. On discute de la date des élections au Vietnam que le président du Conseil ne veut pas trop rapprochée. On convient dans un premier temps qu’elle sera fixée à l’issue de la conférence. La discussion se poursuit après le dîner en tête à tête. Après avoir exposé ses arguments, Mendès doit faire face au légendaire mutisme et à la ténacité de Molotov. Mendès propose à son interlocuteur une réunion qui ne comprendrait que Molotov, Eden et lui-même (et donc sans les Américains et les Chinois). Elle est fixée au 16. Puis la conversation redevient plus difficile. Molotov revient sur la question des élections. Le président du Conseil évoque alors la nécessité d’avoir du temps pour évacuer l’armée française et les populations civiles, réorganiser l’administration. Rien n’y fait. Le débat sur le parallèle devant départager les deux pays est tout aussi pénible pour le Français (Roussel, 2007, pp. 254-256).
Ély est favorable au 17e parallèle. Il estime que les délais d’évacuation des troupes françaises doivent être raisonnables et mesurés au cas où il y aurait rupture du cessez-le-feu par le VM (Ély, 1964, pp. 202-204).
Mi-juillet 54 : Parti se reposer sur la côte basque, Navarre entame de sa propre initiative la rédaction d’un rapport sur son commandement en Indochine. Ayant perdu la bataille de Dien Bien Phu, il sait que tous entendent lui « faire porter le chapeau ». Notamment, solution commode, les politiques. Koenig (Défense) et Juin lui conseillent de « faire le gros dos ». L’ancien commandant en chef commence à évoquer avec eux le projet de demander une commission d’enquête. Cependant, Koenig lui fait remarquer que cela ne peut se faire que s’il se juge être la victime d’un préjudice de carrière. Or le ministre de la Défense lui proposera sous peu une nomination. Si le gouvernement s’y oppose, il sera alors temps d’aviser (voir mi-août) (Navarre, 1979, pp. 400-401).
16 juillet 54 : Arrivée de Bedell Smith à Genève. Dulles lui a envoyé des instructions : « Ne pas dépasser le rôle de représentant d’une nation amie qui désire aider à un juste règlement, quand on le demande. » Il précise de ne surtout pas s’écarter des 7 points convenus avec les Britanniques les 25 et 29 juin et de déclarer qu’une reprise des hostilités constituerait une menace pour la paix internationale (De Folin, 1993, pp. 286-287).
Le secrétaire d’État américain répond au courrier de Mendès du 14 : « J’admire et je respecte la rectitude avec laquelle vous abordez les problèmes vitaux auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés. » (cité in Roussel, 2007, p. 249)
Avant même que les accords ne soient signés, création par le VM, avec l’accord de Giap, du Groupe 100 pour parfaire l’instruction politique et militaire du Pathet Lao afin de former l’embryon d’une armée en vue de prendre le pouvoir au Laos (Cadeau, 2019, p. 522).
17 juillet 54 : Une entrevue entre Mendès France et Pham Van Dong n’aboutit à rien.
Mendès, Eden et Smith se voient à deux reprises dans l’après-midi. On progresse avec les Américains. Mais, autre point d’inquiétude, la séance plénière du lendemain pour laquelle Molotov a fait savoir, selon le journal d’Eden, « que nous n’avons rien à nous dire de plus ». (Roussel, 2007, p. 256)
Enfin mis au courant, le ministre s-v des Affaires étrangères vietnamien, Tran Van Do, s’élève contre la partition du Vietnam mais reconnaîtra, dès le lendemain, qu’il n’y a d’autre alternative.
18 juillet 54 : En commission plénière, Molotov ne dit rien d’explosif. La surprise vient plutôt de Tra Van Dong (ministres des Affaires étrangères du gouvernement vietnamien) qui proteste de manière solennelle contre le sort réservé à son pays en cas d’accord. Les Français sont étonnés de cette réaction puisqu’ils avaient obtenu des avancées quant à la future ligne de démarcation. Eden émet des réserves sur la complexité des regroupements au Laos. Les Américains redoutent cette fois un échec de la conférence. On envisage même un message d’Eisenhower visant à soutenir Mendès sans que ce dernier soit mis au courant de cette intention (Roussel, 2007, pp. 257-258).
Zhou Enlaï obtient un accord des N-V sur la commission de contrôle à venir (voir 8 mai).
Ély, pessimiste quant à la situation au Tonkin, rédige un message alarmiste à destination de Mendès France. Salan et Allard (ancien chef d’état-major de Salan) tentent de le faire évoluer dans un sens différent. En vain (Salan 2, 1971, p. 431).
19 juillet 54 : A la veille de l’échéance que s’est imposée Mendès France, ce dernier reçoit Eden pour évoquer le Laos. Puis il déjeune avec Albert Sarraut, président de l’Union française et ancien gouverneur général d’Indochine.
En fin d’après-midi, il rencontre Pham Van Dong pour une ultime rencontre. Il ignore alors que, trois jours plus tôt, HCM a expliqué que, lors de la 6e conférence du Lao Dong, les mots d’ordre avaient changé. De « Résistance jusqu’au bout » on est passé à « Paix, unité nationale, indépendance, démocratie ». En fait, la pression des Chinois a produit ses effets (Roussel, 2009, pp. 258-259).
Tran Van Do, ministre des Affaires étrangères du gouvernement vietnamien, rejette la création des zones de regroupement. Mais, faute d’en avoir été informé plus tôt, il a fait connaître son opposition trop tardivement, au moment où les accords ont déjà pris leur forme définitive (Prados, 2011, p. 95). Il est vrai que la voix des S-V n’a jamais véritablement été entendue par les grandes puissances qui n’ont vu à Genève que leurs propres intérêts du moment.
20 juillet 54 : La conférence de Genève aboutit à un résultat (voir texte partiel des accords définitifs in Fall, 1969, pp. 416-418).
Le Vietnam subit une partition provisoire en deux parties à hauteur du 17ème parallèle avec constitution d’une zone démilitarisée (carte in Tertrais, 2004, p. 30).
Les statuts du Laos et du Cambodge sont redéfinis.
Pour le Laos, la délégation menée par Sanakinone (son président et ministre des Affaires étrangères appuyé par les Américains) refuse dans un premier temps de signer car cette signature implique la reconnaissance du Pathet Lao. Finalement, on parvient à un accord le 21 qui est signé par Kou Voravong (vice-président, ministre de la Défense) : reconnaissance de l'indépendance de la souveraineté totale du Laos ; principe de neutralité qui interdit au Laos d'une part, l'adhésion à des alliances militaires, et, d'autre part l'introduction des troupes et d’armes étrangères sur son territoire ; les forces françaises et du VM doivent conjointement libérer le pays. Le Pathet Lao se voit attribuer deux provinces (Sam Neua et Phong Saly) qui demeurent sous la tutelle du gouvernement royal mais dans lesquelles les communistes ont droit à une représentation administrative. Un cessez-le-feu est signé mais la situation demeure potentiellement conflictuelle. Maintien, en théorie, de deux bases françaises à Savannakhet et Seno. Dans les faits, seule la seconde sera opérationnelle et demeurera réservée à la formation de l’armée laotienne jusqu’en 1962 (Ély, 1964, p. 272).
Pour le Cambodge, pays étant déjà indépendant depuis le 9 novembre 1953, l’intégrité territoriale est maintenue à l’arraché face aux prétentions du VM. L’accord entre le Cambodge et le VM sera signé le 21. Contrairement au Laos, les Khmers issaraks du Front uni issarak (F.U.I.) n’obtiennent aucun territoire dévolu mais peuvent accompagner le VM qui est censé évacuer le pays. Le Cambodge se voit octroyer le droit - et il est le seul à l’obtenir - de faire stationner des troupes étrangères sur son sol (selon une volonté de la Chine). Là encore, on assiste à l’institutionnalisation d’une situation bien ambigüe pour la suite.
Ély, avec accord de Mendès France, désigne le général Delteil pour signer les accords d’armistice avec le vice-ministre de la Défense n-v, Ta Quang Buu (Salan 2, 1971, p. 431). Au préalable, Mendès France avait demandé à Delteil de le représenter à la signature sans que le commandant en chef français à Saigon (Ély) ait été mis au courant de la teneur militaire et politique de l’accord qui ne lui est envoyé, au final, que dans l’urgence… (Ély, 1964, pp. 207-208)
Les dates du cessez-le-feu pour l’ensemble de la péninsule s’étalent du 27 juillet au 3 août (voir 21 juillet). Elles ne seront que théoriques, au vu de ce qui va réellement se passer dans tout le Vietnam (insurrections, massacres, révoltes, vengeances).
Les résultats de cette conférence, avec leurs faiblesses, ne satisfont pas les U.S.A. qui déclarent « qu’ils considéraient avec la plus grande inquiétude et comme une menace sérieuse à la paix internationale et à la sécurité tout retour à l’agression qui violerait les accords en question. » (cité in Fall, 1967, p. 268)
La date des élections pour la réunification a été l’enjeu d’un débat serré entre les Français et les communistes vietnamiens qui a lieu jusqu’aux dernières heures de la conférence. Pham Van Dong, assuré d’une victoire certaine, voulait qu’elles aient lieu 6 mois après la signature des accords. Mendès France refuse et obtient finalement un délai de 2 ans avec des élections prévues en juillet 1956. Les estimations américaines de l’époque prévoyaient une victoire communiste à hauteur de 80 % si les élections avaient eu lieu dans un avenir immédiat (Ruscio, 1992, p. 227).
A l’issue des accords :
Le N-V obtient la souveraineté au nord du 17e parallèle (il aurait souhaité au minimum le 16e). Le pays est directement adossé à son allié chinois. En vue de son expansion vers le Sud-Vietnam, il a infiltré le Laos par le biais du Pathet Lao. Il est le plus peuplé des deux Vietnam, ce qui est un avantage en vue du référendum d’autodétermination prévu pour juillet 1956.
Le S-V de Bao Daï est le grand perdant de l’accord : il perd les minorités ethniques du Haut-Tonkin qui n’étaient pas toutes favorables au Vietminh. Il perd définitivement Hanoï, capitale administrative, ainsi que Haïphong et ses industries. Les implantations communistes au S-V en « tâches de léopard » seront officiellement désarmées et évacuées mais, en réalité, elles constitueront autant de cellules dormantes toujours prêtes à être réactivées à la moindre occasion. Mécontent, le ministre des Affaires étrangères s-v, Tran Van Do, fait savoir que son gouvernement « se réserve une complète liberté d’action » quant au respect des accords. Bao Daï en fera de même le 21 (Prados, 2001, p. 95).
Le S-V, totalement ignoré des négociations, proteste solennellement « contre la façon dont l’armistice a été conclu » et contre l’article 7 qui prévoit des élections en 1956 en vue de la réunification. Il considère, comme les États-Unis, « qu’ils n’ont pas été parties aux décisions prises par la Conférence et n’étaient pas liés par celles-ci. » La France, le Royaume-Uni et les États-Unis entérineront officiellement et ultérieurement cette position divergente (voir 12 novembre).
Progressive éviction de l’armée française (70 000 hommes). Diem va accompagner sa prise de contrôle de l’armée s-v par une maladroite campagne de dénigrement antifrançais qui aboutira aux autodafés d’insignes et de décorations en place publique dans la cour du ministère de la Défense (voir 12 février 1955). Ce qui est mal perçu par la partie de l’armée s-v qui a combattu aux côtés des Français et qui va dresser une partie des militaires s-v les uns contre les autres.
Dans le texte de l’accord, du fait de la partition, apparaissent désormais les termes « Nord-Vietnam » et « Sud-Vietnam ».
La forme juridique de l’accord est particulière :
3 accords militaires de cessez-le-feu pour le Vietnam, le Laos et le Cambodge sont signés par les 2 chefs des délégations militaires, le général Delteil pour la France (désigné par Ély) et Tha Quang Buu, ministre de la Défense n-v. Ils seront contrôlés par une commission internationale, la Commission internationale de contrôle (C.I.C.), présidée par l’Inde (neutraliste), le Canada (pro-occidental) et la Pologne (procommuniste). L’U.R.S.S. et la Grande-Bretagne sont co-présidentes.
6 déclarations unilatérales : deux pour la France, deux pour le Laos, deux pour le Cambodge. Elles portent sur des domaines relevant de la seule compétence des trois États.
Une déclaration finale constate que la ligne de partage est « provisoire » et que chaque Vietnamien pourra choisir sa zone avant les élections de juillet 1956. Elle est un « acte » de la conférence mais n’est signée ni par les Américains ni par les S-V qui se contentent de « prendre acte » (De Folin, 1993, p. 288).
Ély propose à Paris de présenter aux autorités vietnamiennes les projets de certains transferts de compétences : statut du port de Saigon, aéronautique civile, pouvoirs judiciaires, énergie électrique, services de sécurité s-v (non gérés par les Français). Il estime que ceux-ci ne pourront être réalisés dans les délais voulus par Paris (fin du mois) car tout doit être discuté dans des rencontres quadripartites. Selon Ély, on règle les choses « sur place, au mieux, en dépit de la crise politique intérieure et de l’atmosphère qui en résultait dans nos relations avec le gouvernement vietnamien. » Ély a une divergence avec Paris, il estime qu’il faut signer un traité d’association en même temps que s’opèrent les transferts. Or Paris veut séparer les 2 questions. Le transfert des questions militaires traînera, en partie du fait des tensions entre Diem et son chef d’état-major, le général Nguyen Van Hinh (Ély, 1964, pp. 259-261).
Des discussions informelles franco-vietnamiennes ont lieu sur des aspects techniques, notamment la question de la situation de la future ligne de démarcation entre les 2 Vietnam (Ruscio, 1992, p. 219).
21 juillet 54 : Signature à 3 h 20 du matin des accords de Genève. Vu la mauvaise qualité des transmissions n-v pour diffuser l’information, l’entrée en vigueur du cessez-le-feu est différée dans le temps : 27 juillet pour le Tonkin, 1er août pour l’Annam, 11 août pour la Cochinchine, 6 août pour le Laos et 7 août pour le Cambodge (Cadeau, 2019, p. 519). Le départ définitif des Français du N-V est fixé au 19 mai 1955.
Côté français, c’est le général Delteil qui est chargé d’apposer sa signature. Selon Chauvel, « M. Mendès France me dit alors qu’il n’y assisterait pas, que ce règlement, qu’il avait passionnément désiré, lui fendait le cœur et qu’il ne se sentait pas le courage d’être présent au moment de le consacrer. » (Chauvel, 1973, p. 86)
Échange épistolaire entre Pham Van Dong et Mendès France. Le premier s’engage à respecter sans entrave les personnes quittant le N-V et garantit « les intérêts légitimes des ressortissants français. Ils pourront poursuivre leurs activités antérieures. Les entreprises souhaitant demeurer au N-V le pourront. Selon Cadeau, « cet échange de lettres devient la base juridique régissant les rapports entre Paris et Hanoi. » (voir 25 juillet) (Cadeau, 2019, p. 535)
Eté 54 : Début de l’opération américaine Exodus visant à évacuer 900 000 réfugiés du N-V vers le S-V. Elle doit être terminée avant la date butoir du 18 mai 1955. La France y participe très activement. Selon Ély, « les Français poussaient également les Tonkinois à l’exode pour des raisons sentimentales et politiques. Il leur répugnait d’abandonner à l’ennemi ceux qu’ils avaient aimés au cours de leurs opérations et s’estimaient responsables d’un abandon qu’ils n’avaient pu éviter ; par ailleurs, sur le plan de la propagande politique, un transfert massif de populations était un camouflet pour l’adversaire. » L’échec n’est donc pas permis (Ély, 1964, p. 221).
L’évacuation des populations ne peut se faire que par voie aérienne ou maritime, en 2 vagues. La première comprend un total de 330 000 personnes qui sont évacuées entre le cessez-le feu et l’évacuation d’Hanoï (117 000 personnes sont évacuées par voie aérienne, 103 000 par voie maritime). De son côté, la marine américaine évacue 110 000 habitants de la zone du delta du Fleuve Rouge. La seconde vague intervient à partir d’octobre 1954 et s’entendra jusqu’en mai 1955. Au total, on estime le nombre de déplacés entre 800 000 et 1 000 000, estimation haute (Cadeau, 2010, pp. 6-7). Lansdale en est le l’instigateur et le coordinateur. Les bâtiments de la 7e flotte évacuent des villages entiers. 65 % des catholiques émigrent vers le Sud. Le gouvernement des U.S.A. consacrera 93 millions de dollars pour leur installation entre 1955 et 1956. Cet afflux de réfugiés constitue assurément un capital électoral pour Diem (Sheenhan, 1990, p. 173). Au sud du 17e parallèle, les réfugiés sont pris en charge par les S-V aidés par les Français.
21 juillet 54 : Déclaration d’Eisenhower : « Les États-Unis n’ont pas été partie aux décisions prises par la Conférence et ne sont pas liés à elles. Nous espérons cependant que ces décisions mèneront à l’établissement d’une paix conforme aux droits et aux besoins des intéressés. Nous avons essayé d’aider à Genève là où on nous le demandait. Mais l’accord intervenu contient des éléments que nous n’aimons pas. Beaucoup dépendra de la façon dont ces éléments seront appliqués. » (cité in Chaffard, 1969, p. 174)
Le sous-secrétaire d’État Bedell Smith envoie cependant un message à Mendès France : « Les résultats obtenus sont les meilleurs auxquels nous pouvions nous attendre dans les circonstances présentes. » Mais, confronté à la « déclaration finale », il précise : « […] mon gouvernement n’est pas disposé à s’associer à une déclaration commune des membres de la Conférence comme celle qui est énoncée […] Le gouvernement des États-Unis […] prend acte des accords conclus à Genève les 20 et 21 juillet […] ainsi que des paragraphes 1 à 22 de la déclaration présentée à la conférence le 21 juillet 1954 […] déclare en ce qui concerne les Accords et paragraphes susmentionnés, qu’il s’abstiendra de leur porter atteinte. » (cité in Chaffard, 1969, pp. 206-207). L’ambassadeur français Jean Chauvel, réaliste et critique, confie : « A une mauvaise affaire il n’est pas de bonne solution. » (cité in De Folin, 1993, p. 289)
Pham Van Dong, à l’issue de la conférence, lance : « Nous gagnerons l’unité du Vietnam comme nous avons gagné la paix. Aucune force au monde ne nous en détournera […] Peuple du Vietnam, compatriotes du Sud, la victoire est à nous ! » (cité in De Folin, 1993, p. 289).
Annonce du cessez-le-feu pour le Vietnam. Elle provoque une grave crise dans l’armée vietnamienne et un fort courant de désertions (4 000 hommes entre le 22 et 30 juillet). Elle est placée au centre du dispositif français et protégée par lui. Des transferts sont opérés vers le Sud (Gras, 1979, p. 579). Les populations civiles ont 300 jours pour choisir entre le Nord ou le Sud-Vietnam. Entre 800 000 et un million de réfugiés vont choisir la voie de l’exil. Certaines régions du Tonkin peuplées de minorités vont connaître un exode massif : les Nung de Monkay et Tien Yen, les Thaï et Méos au nord. Une bonne partie de ces populations se retrouveront à Haïphong et seront prises en charge par la marine française, aidés de navires britanniques et américains (voir été 1954). Le VM cherche à retenir ou nuire à l’exode de ces populations, selon les cas (Gras, 1979, pp. 580-581).
22 juillet 54 : Entrée en vigueur du cessez-le-feu et des accords de Genève : fixation des échéances de cessez-le-feu ; partage provisoire du Vietnam au niveau du 17e parallèle ; les parties disposent de 300 jours pour faire le déplacement de leurs forces ; la C.I.C. contrôle l’application de l’accord (voir 8 mai) ; les Français ont 80 jours pour évacuer le région d’Hanoi, 10 jours pour celle de Haiduong et 300 pour Haïphong ; les prisonniers de guerre et internés civils seront libérés dans un délai de 30 jours à partir des dates de cessez-le-feu ; des élections auront lieu dans les deux ans pour fixer la réunification du Vietnam (Salan 2, 1971, p. 432).
Mendès France adresse à Pham van Dong une lettre dans laquelle il envisage des possibilités du maintien de la R.D.V.N. dans la zone « franc ». Il évoque de futurs possibles échanges commerciaux avec la France (Fall, 1960, p. 140 ; Devillers, 1988, p. 370). Il n’en sera rien ou très peu (voir 11 décembre).
Bien que ne désirant plus prendre la parole, sur les conseils de Chauvel, Mendès tire les leçons du sens et de la portée des accords : « La conférence de Berlin nous avait assigné une tâche difficile, qui était la paix en Indochine. Nous nous sommes acquittés de cette tâche. Nous l’achevons aujourd’hui […] La paix rétablie n’est pas parfaite. Elle sera en création continue ; c'est-à-dire que cela dépend de nous. Elles sera renforcée de jour en jour si toutes les parties maintiennent cet esprit de compromis qui nous a amené ici, et si elle est renforcée, comme la délégation française le souhaite de toutes ses forces, ses effets s’étendront au-delà des frontières de l’Indochine, acheminant ainsi votre monde déchiré vers la guérison qu’il espère et dont tous nos peuples, après tant d’épreuves, ont tant besoin. » (cité in Roussel, 2007, pp. 261-262)
Diem dénonce dans un discours radiodiffusé une protestation contre « l’iniquité qui livrait aux communistes tout le nord du pays et plus de quatre provinces au centre. »
Rencontre au cours d’un dîner entre Zhou Enlaï et Ngo Dinh Luyen, frère de Diem et son représentant à la conférence de Genève. Tchou est l’invitant. Il évoque à demi-mot la possibilité d’installer à Pékin une légation s-v, forme de reconnaissance du gouvernement s-v. Ce qui mettra Pham Van Dong en fureur. C’est aussi une preuve que la Chine ne croit guère à la réunification du Vietnam et, qui plus est, n’y est pas foncièrement favorable. Le pro-américain Diem ne donnera aucune suite à cette proposition (Nguyen Phu Duc, 1996, pp. 104-106 ; Ruscio, 1992, p. 218).
23 juillet 54 : Lors d’un débat au Parlement sur les accords de Genève, Bidault (M.R.P. retourné dans l’opposition) dénonce le statut attribué aux Laos et Cambodge, un arrangement artificiel que les communistes n’ont pas reconnu. Pour autant, les accords sont approuvés par l’Assemblée nationale par 462 voix (dont 95 communistes) contre 13. Parmi les 134 abstentions, 70 proviennent du M.R.P. de Bidault (De Folin, 1993, p. 290).
25 juillet 54 : Suite à un échange épistolaire avec Pham Van Dong (voir 21 juillet), Pierre Mendès France (président du Conseil) demande à Sainteny de devenir représentant de la France auprès de la R.D.V.N. à Hanoï (Sainteny, 1970, p. 132). Ce dernier refuse dans un premier temps et repart pour la Corse car il n’entend pas jouer « les liquidateurs ». Mais il acceptera le 15 août, après avoir rencontré Mendès France à Marly (Sainteny, 1970, pp. 132 et 134).
Suite aux accords de Genève, des cargos américains d’aide militaire aux Français font demi-tour avec leurs cargaisons (Toinet, 1998, p. 151).
27 juillet 54 : Application du cessez-le-feu au Nord-Vietnam (issu des accords de Genève).
Début des négociations concernant le sort des prisonniers. Selon Cadeau, « les délégués de l’A.P.V. font en sorte de retarder par tous les moyens la date du début des échanges. Sous prétexte d’organiser méthodiquement les remises, de nouvelles exigences se font jour quotidiennement. » (Cadeau, 2019, p. 631, note 13) Un compromis ne sera trouvé que le 14 août et les premières libérations auront lieu le 18 (ibid., p. 527)
29 juillet 54 : Salan (qui assure l’intérim d’Ély) se rend à Moncay pour évacuer les Nung (20 000 personnes) puis à Pham Ri (Sud-Annam) (Salan 2, 1971, p. 432).
Fin juillet 54 : Ély mentionne une lettre de Guy De La Chambre (États associés) émettant le vœu d’un rééquilibrage dans les rapports entre la France, le N-V et le S-V. Pour ce faire, le gouvernement français a proposé au début du mois d’envoyer au N-V Jean Sainteny qui a entretenu des rapports privilégiés avec HCM en 1945 et 1946. Il est pressenti au poste de délégué général au N-V. Sainteny a hésité et va finalement accepter après avoir consulté De Gaulle (voir 15 août). Ély, opposé à cette nomination, émettra « un avis nettement défavorable », estimant cette présence mal venue dans un pays que la France a longuement combattu. Il ne sera pas entendu (voir 6 août) (Ély, 1964, pp. 234-235).