Juillet 53 : Le gouvernement Laniel fait savoir qu’il ne peut financer le plan Navarre sans un doublement de l’aide américaine. Les Américains donnent un accord de principe mais à condition de recevoir une demande écrite, dûment rédigée et circonstanciée. Ce que les Français rechignent à produire pour garder leur autonomie dans la conduite de la guerre (David, 2007, p. 7).
Les troupes aéroportées sont enfin débarrassée d’une servitude : elles ne sont plus obligées de récupérer leurs parachutes après un saut (Cadeau, 2019, p. 604, note 50 ; Ély, 2011, p. 195)
2 juillet 53 : Navarre quitte Saigon pour Paris. Ce voyage avait été convenu avant son départ avec l’ancien gouvernement. Le nouveau semble quant à lui totalement ignorer ce qui avait été convenu avec Mayer. Le commandant en chef doit aller faire part de « ses propositions sur le plan d’action » qui lui ont été demandées par le précédent gouvernement mais que le gouvernement Laniel semble totalement ignorer (Navarre, 1956, p. 7). Navarre sera obligé de rester à Paris jusqu’au 1er août, contrairement à ce qui avait été prévu par le nouveau président du Conseil qui avait quant à lui évoqué un séjour de « deux ou trois jours » (voir 29 juin). Plus que jamais, l’avenir de la situation militaire en Indochine n’est pas une priorité gouvernementale.
Cogny adresse un courrier sibyllin à Navarre au sujet de l’évacuation de Na San en vue de se couvrir quoi qu’il arrive. Il approuve ce transfert voulu par le commandant en chef mais spécifie « en contrepartie ce que l’opération d’évacuation [a] de scabreux » à son interlocuteur. Après 3 semaines de réflexion, il a opté pour cette évacuation mais s’est bien gardé de la mentionner dans l’étude récente qu’il a adressée à Navarre, ce qui ne peut qu’étonner le commandant en chef. Cogny a fait une grande partie de sa carrière dans les cabinets ministériels, il sait donc se ménager. Selon Pouget (aide de camp de Navarre), « il est beaucoup plus familiarisé avec les arcanes, les replis les réserves des actes politiques qu’avec les opérations militaires. Quel que soit le mobile de son étrange attitude, il reste que pour Na San, il a tout prévu. Échec ou succès, il est prêt à justifier son attitude. Succès : n’a-t-il pas proposé l’opération avant même d’en recevoir l’ordre ? Échec : il a reçu un ordre d’exécution et a présenté des objections qui se sont révélées justes. Suivant le cas, il sortira l’un ou l’autre dossier. » (Pouget, 2024, pp. 95-96) De cette habile et prudente attitude, Cogny ne se départira pas, notamment au moment où les choses tourneront mal à Dien Bien Phu.
3 juillet 53 : Nomination en conseil des ministres de Maurice Dejean en tant que haut-commissaire d’Indochine en remplacement de Letourneau qui assurait l’intérim depuis le 19 avril 1952. Il occupera ce poste jusqu’au 4 juin 1954. Il a été ambassadeur à Tokyo et un proche collaborateur de Paul Reynaud (actuel vice-président). Navarre apprendra cette nomination le lendemain à son arrivée à Paris. Sa demande de clarification au sujet des relations entre pouvoir civil et militaire en Indochine (voir début juin) est donc restée lettre morte…
Après bien des tergiversations entre le vice-président du Conseil, Paul Reynaud (voir 28 juin), favorable à l’indépendance totale des États associés et Bidault (Affaires étrangères), partisan de l’Union française, Laniel (président du Conseil) annonce que « la France estime qu’il y a lieu de parfaire l’indépendance et la souveraineté des trois États d’Indochine en effectuant avec les trois gouvernements le transfert des compétences qu’elle a encore conservées. » (Laniel, 1957, pp. 11-12) C’est un changement important qui met le concept d’Union française de côté mais qui, dans les faits, est une fois de plus non dénué d’ambiguïté. La France se dit prête à négocier avec chaque État indochinois par le biais du nouveau commissaire général Dejean. Les négociations s’engagent immédiatement avec plus ou moins de succès selon les États. Des accords aboutiront avec le Laos (voir 11 et 22 octobre) et le Cambodge (voir 11 septembre et 17 octobre). Mais la situation s’avère beaucoup plus complexe au Vietnam du fait l’inflexibilité de Bao Daï. Ce dernier demeure opposé à cette proposition qui, selon lui, ne fera qu’exacerber les revendications des nationalistes qui ne manqueront pas, en effet, de s’exprimer (voir 6 septembre) (Gras, 1979, pp. 508-510).
4 juillet 53 : Arrivée de Navarre à Paris. Contre toute attente, il y restera jusqu’au 1er août. Le gouvernement Laniel ayant été constitué le 28 juin, il apprend la nomination de Maurice Dejean au poste de commissaire général actée la veille en conseil des ministres. C’est à la radio, en se rendant à son domicile, qu’il entend parler d’une déclaration gouvernementale reconnaissant l’indépendance des États associés et qui les invite à négocier des accords bipartites pour entrer dans l’Union française… Or, il y bien longtemps que la chose est accomplie et le nouveau gouvernement semble soudain découvrir l’existence de ce qui existait déjà… (Pouget, 2024, p. 71)
Une réunion du Comité des chefs d’état-major est présidée par le maréchal Juin (chef d’état-major des Forces armées) suite aux annonces gouvernementales de la veille. L’intervention militaire française ne peut plus correspondre aux missions de maintien de l’ordre et de défense des intérêts français en Indochine. Le nouveau système militaire à définir doit prendre en compte un conflit général en Extrême-Orient où l’adversaire principal est la Chine et dans lequel la France peut être engagée aux côtés des grandes puissances occidentales (Ély, 1964, p. 283).
6 juillet 53 : Comité des chefs d’état-major à Paris dans ma matinée. Sont réunis les généraux Fay (armée de l’Air), Blanc (armée de Terre), l’amiral Nomy sous la présidence du maréchal Juin. Navarre expose son plan, remet à chacun des participants un exemplaire de son mémorandum et répond à leurs questions. Les participants doivent soumettre leurs impressions au gouvernement le 8 (Pouget, 2024, p. 81).
7 juillet 53 : Lettre du général américain O’Daniel « en mission à Saigon » à Navarre. Les Français doivent former en Indochine des divisions car « l’organisation en divisions est source de continuité et d’élan ». Les Américains ont en tête de former eux-mêmes l’armée vietnamienne sur le modèle de ce qu’ils ont accompli en Corée du Sud. Or les Français, qui ont structuré depuis fin 1949 leur armée différemment (G.M.), y sont opposés : ils ne veulent pas voir les Vietnamiens jouer les officiers américains contre eux ; une structuration de l’armée vietnamienne en régiments et divisions entraînerait la nomination de colonels et de généraux indochinois qui revendiqueraient rapidement des pouvoirs politiques (David, 2007, p. 6).
8 juillet 53 : Les chefs d’état-major qui s’étaient réunis le 6 donnent un premier avis sur le mémorandum que leur a remis Navarre : « Le comité des chefs d’état-major estime que, parmi les solutions proposées par le général Navarre, celle qui vise la libération des États associés et la réalisation de leur indépendance dans le cadre de l’U.F. est seule à retenir. » Ils jugent souhaitable et pensent pouvoir obtenir une aide sérieuse des alliés de la France « dans le cadre de la lutte commune contre l’expansion du communisme ». La question des renforts demandés par le commandant en chef n’a pas été traitée, faute de temps. Ils reviendront sur cette question le 17 (Pouget, 2024, pp. 81-82).
Un combattant en Indochine, Robert Merglen, écrit : « Il n’y a pas de doute : les cadres de l’armée active reviendront marqués moralement par cette campagne. Ils auront acquis un solide mépris du gouvernement français et aussi du peuple français qui, l’un comme l’autre, se foutent pas mal de nos efforts, de nos pertes, de nos charges et de l’angoisse de nos familles. » (cité in Cadeau, 2019, pp. 558-559).
10 juillet 53 : Un décret fixe le rôle du secrétaire aux États associés (Marc Jacquet). Il est responsable des relations avec ces mêmes États et assiste « le Président du Conseil en ce qui concerne la direction des forces armées affectées à la défense de l’Indochine et le coordination de la mise en œuvre de cette défense ».
Selon Navarre, « il ne fut jamais qu’une simple boîte aux lettres » car « ni sa position dans le ministère ni la personnalité du titulaire ne permettait qu’il fût autre chose. » Toujours selon le même, c’est Paul Reynaud (vice-président du Conseil) qui double cette fonction puisqu’il a été missionné par Laniel qui s’est déchargé sur lui du pesant dossier indochinois. Ce qui ajoute encore de la confusion à la confusion au niveau décisionnel (Navarre, 1979, p. 279).
12 juillet 53 : Bidault (Affaires étrangères) lance à Washington un vigoureux appel pour lier la cessation de la guerre en Indochine à celle de Corée. Dulles n’écarte pas cette possibilité et les deux hommes seront entendus, notamment lors de la future conférence de Genève qui traitera des deux conflits (De Folin, 1993, p. 261). La Chine et l’U.R.S.S. laissent entendre par voie de presse qu’elles ne sont pas opposées à un tel traitement.
13 juillet 53 : Une réunion des ministres des Affaires étrangères (France, Angleterre, États-Unis) en vient à la conclusion prudente que « tout armistice accepté par les Nations Unies [en Corée] constituerait un progrès pour la cause de la paix dans l’ensemble du monde, et en particulier en Extrême-Orient. » L’idée de lier le conflit coréen à celui d’Indochine continue à donc faire son chemin (voir 12 juillet et 2 septembre) (De Folin, 1993, p. 262).
17 juillet 53 : Le comité des chefs d’état-major revient dans une note adressée au ministre de la Défense sur la question des renforts humains et matériels demandés par Navarre, question qui n’avait pu être traitée le 8, faute de temps. Navarre a réclamé dans son mémorandum à l’armée de Terre 12 bataillons d’infanterie, un groupe d’artillerie aéroporté, un bataillon de génie, 143 officiers et 2 543 sous-officiers pour améliorer l’encadrement déficient. A l’aviation, il demande un groupe de transport C-47 Dakota et un groupe de B-26 de 20 appareils. A la marine, il demande un porte-avions, un aviso ou un destroyer, 2 L.S.T. et un petit cargo. Le comité reconnaît le bienfondé de ces demandes de renforts humains et estime qu’il faut les faire parvenir au 1er octobre, soit 2 mois avant la date voulue par Navarre. Mais cette ponction suppose que l’on affaiblisse la tenue de la couverture en Allemagne. Les Dakota devront être demandés aux U.S.A., les B-26 sont disponibles mais manquent de personnels pouvant assurer leur maintenance (Pouget, 2024, p. 81).
17 - 19 juillet 53 : Opération Hirondelle : raid de va-et-vient aéroportés sur les importants dépôts vietminh de Langson, abandonnés depuis trois ans, suite à l’affaire de la R.C. 4. L’opération réussit partiellement. Les troupes françaises devront se replier sur Tien Yen dès le 19 et ne pourront récupérer toutes les armes (Gras, 1979, pp. 515-516). Cette « opération-communiqués » (selon les mots du colonel parachutiste Langlais, voir 29 juin) joue en faveur de Navarre, notamment dans la presse, puisqu’il a toujours l’initiative. Cependant, a postériori, il critiquera dans ses mémoires la portée de cette opération tant vantée par Bigeard dans les siennes : « Le réalité était tout autre. Faites avec précipitation, les destructions furent très incomplètes et le Vietminh put récupérer la plus grande partie du matériel : 80 % au moins. (Renseignements sûrs, obtenus par décryptements.) » (Navarre, 1979, pp. 297-298, note 1)
24 juillet 53 : Le général Navarre a été nommé le 8 mai au poste de commandant en chef des troupes en Indochine. Il suscite beaucoup d’espoir sous l’appellation purement journalistique de la réalisation d’un « plan Navarre » (séries d’opérations militaires, cartes in Fall, 1967, p. 149 ; Navarre, 1956, p. 83 ; Navarre, 1979, p. 264). Un conseil de Défense se tient ce jour à l’Élysée. Sont présents Auriol, le maréchal Juin (chef d’état-major et conseiller militaire du gouvernement), Bidault (Affaires étrangères), Pleven (Défense), De Chevigné (secrétaire d’État à la Défense) et Faure (Finances). Navarre présente donc son « plan » mais sans que les membres du comité l’approuvent clairement ni ne l’adopte (l’annexe VII du Journal d’Auriol pour l’année 1953 reproduit in extenso le « mémorandum Navarre », pp. 504-520). Aucune directive n’est donnée au commandant en chef quant à la politique que le gouvernement entend mener, notamment sur la question cruciale des buts de guerre, notamment sur la question de la défense totale ou partielle du Laos (Navarre, 1979, p. 266). Navarre est assez pessimiste. Il voit les choses en 3 mouvements : éviter la bataille générale au nord du 18e parallèle pendant la campagne 1953-1954 en gardant une attitude défensive pour constituer des forces mobiles ; assainir le Sud et le Centre par des opérations ponctuelles ; à partir de l’automne 1954, une fois les forces reconstituées, prendre l’offensive au nord de ce même parallèle. Au mieux, Navarre espère-t-il, selon une expression qu’il emploiera le 19 février 1954, un « coup nul » (Navarre, 1956, p. 181). Toute cette vision repose sur un postulat des plus hasardeux : que le VM n’entreprenne rien. Durant ce conseil, le maréchal Juin déclare : « Nous nous en sommes bien tirés grâce à la valeur de notre commandement et de nos troupes, mais il n’en reste pas moins que nos résultats [sont] médiocres. » Il revient à nouveau sur « la mauvaise stratégie des hérissons » (voir 2 - 3 décembre 1952) tout en reconnaissant que l’on ne peut faire mieux dans l’instant (Cadeau, 2019, p. 440). C’est Auriol qui conclut la réunion en s’adressant au commandant en chef : « Mon général, les membres du Comité de Défense nationale vous remercie de votre exposé. Je vous exprime également les félicitations du gouvernement pour votre action et les résultats obtenus. Vous pouvez regagner Saigon dès maintenant. Le gouvernement vous fera connaître sa décision. » (cité in Pouget, 2024, p. 86) Malgré toutes les précautions prises lors de ce conseil de Défense (huis clos, comité restreint, interdiction de prendre des notes), son contenu fuitera dans la presse (voir 30 juillet).
En sortant de l’Élysée, Navarre met une dernière touche aux « directives de la campagne d’automne de la bataille d’automne ». Cette note avait été préparée en juin et son auteur a revu le texte à Paris. Elle sera envoyée le lendemain. C’est une mise en garde : dès l’ouverture de la campagne, Giap peut attaquer le Delta et combiner cette attaque avec une offensive dans le Centre en coupant la ligne entre Vinh et Thatkkek. Il peut également effectuer une nouvelle poussée vers le Haut-Laos. Son auteur évoque pour la première fois par écrit Dien Bien Phu et l’idée d’y implanter une base aéroterrestre (Pouget, 2024, p. 92).
Selon Navarre, son principal interlocuteur au cours de son long séjour parisien est Paul Reynaud (vice-président du Conseil), Laniel lui ayant délégué l’épineuse question de l’Indochine (Navarre, 1979, p. 262, note 2). Selon Auriol, ce dernier « ne croit pas possible de maintenir ou même de ressusciter l’Union française de 1946, mais il souhaite obtenir des avantages équivalents notamment sur le plan militaire, économique et culturel. » (Auriol 7, 2003, p. 231)
Navarre a au préalable établi un mémorandum pour ce Comité de défense nationale. Il constate que jusqu’alors les formations qui ont été mises en place par les États associés ne peuvent être qualifiées de véritables armées. Il les considère comme des forces complémentaires pour le Corps expéditionnaire mais non comme « des armées nationales engagées pour la libération de leur pays. » Selon lui, ses efforts pour les rendre autonomes se heurteront « à des difficultés sans nombre » : dualité du pouvoir civil et militaire, et de ce fait, multiplicité des instances de commandement ; tensions entre les conceptions française et américaine concernant les forces des États associés ; refus des Américains de voir les dotations de ces armées être gérées par les seuls Français (Navarre, 1956, pp. 131-133). L’entente franco-américaine sur la conduite de la guerre est donc loin d’être parfaite (voir 7 juillet) car il y a désormais concurrence et même réelles rivalités entre les deux nations quant à al conduite de la guerre en Indochine. Les Français entendent poursuivre avec les forces des États associés ce qu’ils ont établi avec leurs troupes autochtones, à savoir un amalgame. Les Américains, principaux bailleurs de fonds, entendent avoir leur mot à dire à l’aune de leur expérience coréenne. Même si – et les Américains ont beaucoup de mal à le comprendre - les deux conflits n’ont rien de comparables.
Le nouveau commandant en chef est présenté ce jour au Sénat américain par Foster Dulles (Secrétaire du département d’État) comme étant l’homme destiné à « briser l’organisation de l’agression communiste pour la fin de 1955 ». Les États-Unis qui approuvent ce plan et accordent 385 millions de dollars pour le financer (Gras, 1979, p. 538). Mais faute de directives claires émanant du gouvernement français, Navarre l’élabore seul et se donne un délai d’un an pour rétablir la situation. Le Conseil de Défense soutient du bout des lèvres ce plan et propose d’envoyer quelques renforts mais sans en fixer le volume qui devraient être retirés d’Europe, cette dernière demeurant cependant un espace prioritaire (voir 13 novembre). Le débat autour de la défense pourtant importante du Haut-Laos demeure confus, sans directives claires du gouvernement qui visiblement se décharge sur le commandant en chef. Aucun écrit censé l’épauler ne lui sera adressé par le Conseil de défense (contrairement aux propos tenus par Auriol, voir ci-dessus) (Gras, 1979, pp. 512-514).
La mise en place ce jour du cessez-le-feu mettant fin à la guerre de Corée rejette tout le potentiel de guerre chinois sur l’Indochine (voir 27 juillet). Navarre et le gouvernement français en sont conscients. Les Américains beaucoup moins.
25 juillet 53 : Départ de Paris de la directive de Navarre sur « la préparation de la bataille d’automne ». Revue et validée par Navarre avant et pendant son séjour dans la capitale, elle est mise en place en Indochine par le vice-amiral Auboyneau qui assure l’intérim du commandant en chef. A cette date, le principal des forces vietminh est concentré de part et d’autre du delta tonkinois et au nord-est du Laos (Gras, 1979, p. 514). Navarre dispose de 226 000 hommes (armée vietnamienne incluse) mais dont les forces mobiles ne constituent qu’un dixième de cet effectif (G.M., blindés, dinassauts, 336 avions de combat). Navarre, reprenant au final la tactique de Salan, estime dès lors que la prise de Dien Bien Phu est déterminante pour barrer la route à l’adversaire au Laos. Le « plan Navarre » redevient un « plan Salan », faute de mieux.
27 juillet 53 : En Corée, signature de l’armistice à Panmunjom. Il aurait dû être suivi d’une conférence de paix qui aurait dû avoir lieu dans les trois mois, mais ce délai sera plus long (voir 26 avril 1954) et n’aboutira même jamais. Le gouvernement Laniel commence à penser que cette conférence portant sur le Sud-Est asiatique peut être l’occasion d’obtenir un règlement du conflit indochinois. Bao Daï n’y est d’entrée pas favorable et demeurera inflexible sur ce point, y compris durant la future conférence de Genève.
Dans une lettre adressée à Cogny, Navarre évoque le futur repli plus que délicat des unités thaïes qui seront potentiellement laissées en arrière-garde au moment de l’évacuation de Na San : « […] Nous étions tombés d’accord sur le fait que cette opération était très risquée, qu’on y laisserait des plumes et que les bataillons thaï [il y en avait 2 dans la base] ne pouvaient être employés ailleurs – que par conséquent, ils seraient perdus si on lâchait complètement Na San […] Dès que j’aurais vu vos projets, je vous ferai connaître ma décision […] » (cité in Rocolle, 1968, p. 161, note 21)
Il évoque également la bataille d’automne en précisant : « Le général commandant les F.T.V.N. étudiera en liaison avec le général commandant les F.T.L. [forces terrestres au Laos] une action préventive visant :
- A s’emparer par surprise de la position de Dien Bien Phu ;
- A y implanter une base aéroterrestre dont la garnison pourrait comprendre, en totalité ou en partie, celles de Na San (4 bataillons) et Laïchau (1 bataillon minimum), dans la mesure où les considérations politiques ou techniques – à préciser – ne s’opposeraient pas à l’adoption de cette solution.
J’attache une importance particulière à cette opération qui aurait un grand retentissement, allègerait si elle ne la supprimait la menace latente sur Luang Prabang, permettrait en définitive de rétablir la situation au Laos en conjuguant une intensification de la contre-guérilla des actions offensives débouchant de Luang Prabang – dont la garnison pourrait être allégée – et du Tran Ninh.
Elle pourrait, en outre, contraindre l’ennemi à modifier au dernier moment son plan de campagne, me permettre de gagner du temps, voire de reprendre l’initiative d’ensemble des opérations dans le cas où l’ennemi déciderait de diriger ses gros sur Dien Bien Phu pour le reprendre. » (cité in Rocolle, 1968, p. 162, note 24)
28 juillet – 4 août 53 : Opération Camargue, au nord-ouest d’Hué sur la R.C. 1, destinée à nettoyer la « Rue sans joie », zone vietminh dont la traversée par la route s’avérait toujours meurtrière depuis 1950 (voir 4 mai 1950) et tout particulièrement durant l’hiver 1951-1952. De gros moyens sont mis en œuvre, terrestres (10 000 hommes) et blindés, maritimes et aéroportés. L’opération n’est qu’un demi-succès car une bonne partie des forces du VM du régiment 95 arrive à passer au travers des mailles du filet. La tactique de nasse voulue par les Français ne parvient à se refermer faute d’effectifs et de moyens suffisants. Ce que montrera une étude de l’armée américaine en 1960 qui estime que dans les guerres révolutionnaires qui ont eu lieu depuis 1940, toute armée régulière ne peut remporter une victoire contre la guérilla qu’avec une supériorité de 15 contre 1. Si les pertes françaises sont limitées (17 tués et 100 blessés), le résultat de l’opération est maigre : 182 tués et 387 blessés côté vietminh et la prise de 51 fusils, 2 mortiers, 8 mitrailleuses et 5 fusils-mitrailleurs (Fall, 2020, pp. 171-201, cartes p. 174 et p. 191 ; Gras, 1979, p. 517).
29 juillet 53 : Au Cambodge, mise en place d’un nouveau gouvernement dirigé par Sihanouk qui demeurera en place jusqu’au 22 novembre (Jennar, 1995, p. 147).
30 juillet 53 : Un article de l’hebdomadaire France-Observateur intitulé « En un combat douteux » et signé de la plume du journaliste Roger Stéphane donne un compte rendu précis de la réunion du Comité de Défense du 24. Des détails confidentiels sur la défense du Laos sont révélés au grand public (article partiellement cité in Rocolle, 1968, p. 60, note 101) et donc au VM. Sont notamment révélées les craintes de Navarre d’une attaque vm sur cette région que, pour l’instant, il ne peut défendre. Les poursuites judiciaires contre l’hebdomadaire n’aboutiront qu’à un jugement en correctionnelle et à une relaxe (puisqu’officiellement la France n’est pas en guerre et qu’il n’y a donc pas divulgation de secrets militaires) (Navarre, 1956, pp. 114-117). Selon Rocolle, Navarre a renoncé à engager des poursuites judiciaires contre l’hebdomadaire pour ne pas accréditer les dires du journaliste (ibid.) Au-delà de ces poursuites judiciaires non abouties, il y a bien un problème de confidentialité et même de « fuites » au sein du Comité de défense…
31 juillet 53 : Cogny fait savoir à Navarre qu’en tant que commandant du Tonkin la défense de Luang Prabang au Laos ne l’intéresse pas directement. Il a étudié la prise de Dien Bien Phu comme une suite de l’évacuation de Na San. Les derniers éléments de la base aéroterrestres ne pouvant être évacués par avions devront se replier à pied sur Dien Bien Phu. L’organisation défensive du nouveau camp retranché se ferait à partir de centres de résistance bien soudés interdisant l’approche du terrain d’aviation. Cogny demande l’autorisation d’abandonner Na San, ses effectifs devant permettre de constituer la garnison de la nouvelle base aéroterrestre (Pouget, 2024, pp. 92-93).
Le premier ministre de Sihanouk, Penn Nouth, lance un premier appel neutraliste pour le Cambodge : « Quoique nous ne soyons pas communistes, nous n’avons pas à prendre parti contre le communisme, à condition que celui-ci ne vienne pas s’imposer par la force et de l’extérieur à notre peuple. Ce qui se passe au Vietnam ne nous regarde pas. » (Burchett, 1970, p. 36)