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par Jean-François Jagielski

Juillet 1946

Juillet 46 : Léon Pignon, conseiller politique de D’Argenlieu, reproche au commandement militaire français d’avoir joint ses forces à celles de la R.D.V. pour chasser les nationalistes prochinois. Il en rend compte à son supérieur. Selon lui, les nationalistes sont plus anticommunistes qu’antifrançais et ce, malgré la violence de leurs discours. Il présente sa stratégie : « L’opposition au gouvernement actuel de la République Démocratique du Vietnam doit servir les intérêts permanents de la France dans le pays. Il faut en tirer profit, quelles que soient la valeur et la nature de ses dispositions apparentes à notre égard. » Dans ma même optique, il conseillera toujours aux autorités françaises de s’appuyer sur le nationalisme - fût-il intransigeant - de la monarchie au sein de la future « solution Bao Daï » pour contrer le VM. Il sera entendu par D’Argenlieu dès janvier 1947 (voir 14 janvier 1947) (Goscha, 2014, p. 46).

Après avoir liquidé en juin la plupart des bastions du D.M.H., le VM s’en prend, toujours au Nord, aux zones encore contrôlées par le V.N.Q.D.D. Leur chef, Vu Huong Khan, se retire avec quelques centaines de partisans sur Lao Kay (frontière chinoise) qui tombera dans les mains du VM en novembre (Fall, 1960, p. 50).


2 juillet 46 : Après une très longue attente qui l’a exaspéré et même agacé, HCM est enfin reçu pour un déjeuner par Georges Bidault qui vient de succéder à Félix Gouin au poste de président du Conseil. Selon Salan, « la rencontre entre les deux hommes est sympathique. » (Salan 1, 1970, p. 398) Mais le leader vietnamien ne se prive pas de rappeler à son hôte ce pour quoi il est venu en France : « […] Le Vietnam et la France sont fraternellement associés dans le sein de cette union, peuples libres et égaux, animés du même idéal démocratique et de la même passion pour la liberté […] Le Vietnam est sur la voie de l’indépendance. Il jouera bientôt, j’en ai la conviction, le rôle qu’il mérite dans le Pacifique, comme pays indépendant, pour le plus grand honneur de la France. » (cité in Fonde, 1971, p. 261)


2 – 3 - 4 juillet 46 : HCM est à nouveau « baladé » en France avant l’ouverture de la conférence de Fontainebleau (Salan 1, 1970, p. 398). C’est l’ouverture du volet « visite officielle » : visites au chef du gouvernement, grands déjeuners, dépôt d’une gerbe sur la tombe du Soldat inconnu, visite du château de Versailles, du mont Valérien, de l’Hôtel de Ville et soirée à l’Opéra.


3 juillet 46 : Lettre de Leclerc au colonel Crépin (adjoint de Salan). Le ton est plus que jamais à la fermeté : « […] Il s’agit bien de montrer que nous sommes plus forts que le gouvernement de Hanoi, c’est le seul moyen  d’obtenir une attitude conciliante de leurs envoyés à Paris. Je sais que ce n’est pas votre point de vue mais vous commettez une erreur. Il ne s’agit pas encore une fois, de partir en guerre mais bien d’affirmer notre force et toutes les fois que nous l’avons fait nous avons gagné. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 258)


4 juillet 46 : Dans une lettre adressée à Bidault, D’Argenlieu estime étrangement, malgré l’échec de la première conférence de Dalat, que la situation est « beaucoup plus favorable qu’à la veille du 6 mars ». Défendant un point de vue colonialiste (et gaulliste), il estime que la France « ne peut abandonner d’un trait de plume plus de vingt millions d’êtres dont un nombre important, et la grande majorité même dans certaines régions, répugnent à l’idéologie et aux méthodes du parti au pouvoir, pour le seul soucis de sauver ses intérêts économiques au Vietnam […] » (cité in Devillers, 1988, p. 200). Il justifie la formation du gouvernement provisoire de Cochinchine. Il constate d’abord que « le gouvernement de Hanoi était parfaitement au courant du déroulement de la situation en Cochinchine. La campagne de terreur déclenchée dans ce malheureux pays par le Vietminh a provoqué une réaction immédiate » de la population contre ces violences. Il ajoute : « Le président Ho Chi Minh connaissait parfaitement notre position et je l’en avais personnellement entretenu lors de notre entrevue du 20 mai. La formation du Gouvernement de Cochinchine ne pouvait, dans ces conditions, revêtir le moindre caractère de provocation. » Selon lui, « […] le peuple de Cochinchine ne désire nullement être placé sous la botte des gouvernants de Hanoi et voir son pays devenir « la vache à lait » de révolutionnaires prévaricateurs […] » (D’Argenlieu, 1985, p. 289).

Alors que l’ouverture de la conférence de Fontainebleau est imminente, l’amiral annonce dans une instruction au gouvernement son intention de réunir une seconde « conférence préparatoire » à Dalat (voir 1er août) à laquelle « seraient conviés les représentants des gouvernement du Cambodge, de Cochinchine, du Laos et éventuellement du Sud-Annam. L’objet serait de rechercher les bases des accords qui recevraient ensuite leur forme définitive à Paris. » (cité in Devillers, 1988, p. 200). Lorsque l’amiral quittera Paris le 10 juillet pour rejoindre Dalat, le gouvernement, qui lui a renouvelé sa confiance, n’aura nullement réagi à cette proposition.

Le général Valluy, nommé responsable de la coordination franco-vietnamienne pour l’ordre et la sécurité, déplore dans une lettre adressée à Giap l’absence de collaboration entre les forces françaises et vietnamiennes telle qu’elle avait été prévue par les accords 6 mars et les conventions militaires du 3 avril. Les Vietnamiens pratiquent la politique de la chaise vide car aucune « Délégation vietnamienne » n’a en fait été constituée. Cette lettre restera sans réponse malgré une relance faite le 19 juillet (voir 13 juillet) (Valluy 2, 1967, pp. 202-203).

Ancienne possession américaine, les Philippines accèdent à leur souveraineté. Les Américains y conservent des privilèges économiques ainsi que des bases aériennes et navales contre de substantiels avantages financiers (Pedroncini, 1992, p. 319).


5 juillet 46 : Georges Bidault, nouveau président du Conseil, donne des ordres fermes à Max André (président de la conférence de Fontainebleau) : « En aucun cas, n’acceptez que le futur gouvernement jouisse de la personnalité internationale […] Quoi qu’il se passe, ne lâchez rien sur les affaires étrangères. De cela dépendra le maintien du Vietnam dans le giron de la France ou de son passage dans l’orbite des Soviets. » (cité in Turpin, 2005, p. 258)


6 juillet 46 – 10 septembre 46 : Ouverture de la conférence de Fontainebleau. Elle doit régler 5 problèmes : l’intégration du Vietnam à l’Union française et la Fédération indochinoise ; la question de l’unité du pays ; l’examen des problèmes économiques et douaniers ; l’établissement d’un traité définitif entre les 2 pays (ordre du jour in Devillers, 1952, p. 295).

Sont présents côté français : Max André (M.R.P.), président (simple conseiller municipal de Paris, déjà présent à première conférence de Dalat…), deux députés, Juglas (M.R.P.) et Lozeray (P.C.), des fonctionnaires et experts ayant servi en Indochine. D’Argenlieu qui devait assurer la présidence ne s’est pas déplacé sur le lieu même de la conférence, officiellement, selon la presse, pour raison de santé. Mais il la suit dans un premier temps en coulisse, jusqu’au 10 juillet, date de son retour à Saigon pour aller assister à la seconde conférence de Dalat. Leclerc, qui a annoncé son départ (voir 19 juillet), ne veut pas se rendre à Fontainebleau (Salan 1, 1970, p. 400). Son pâle président, Max André, reconnaitra  ultérieurement : « Au premier rang des directives verbales qui me furent communiquées par M. Georges Bidault […] au début de la Conférence de Fontainebleau figurait celle-ci : obtenir toutes les garanties pour que, sur le plan extérieur, le Vietnam ne pût devenir un nouveau pion du jeu soviétique, un nouveau satellite de   Moscou. » (cité in Ruscio, 1992, p. 71)

Côté vietnamien : Pham Van Dong, président, Phan An, Duong Bach Mai, Ta Quang Buu, Hoang Minh Giam, Nguyen Manh Ha. Comparé à sa venue dans le cadre de la délégation vietnamienne « good will », Pham Van Dong a alors totalement « changé d’attitude » (Sainteny, 1967, p. 206). D’entrée, en réponse à l’allocution d’ouverture de Max André, il dénonce avec véhémence l’attitude des troupes françaises qui se sont emparées, en violation des accords du 6 mars, « des riches plateaux de Pleiku et de Kontum » et se prononce « contre la création d’un État libre de la Cochinchine » qu’il considère comme « la mutilation de notre patrie »  (D’Argenlieu, 1985, p. 300 ; Devillers, 1988, p. 194).

Cette conférence aurait pu être la conférence de Paris, souhaitée comme telle par HCM. Mais les Français, en la délocalisant à Fontainebleau, voient là un moyen de ne pas donner trop d’importance ni au VM ni à l’Indochine qui ne fait d’ailleurs absolument pas partie des préoccupations majeures du pays à cette époque. C’est ce que montre également la faible représentativité politique de la délégation française constituée de « seconds couteaux ». Fontainebleau devient alors la simple poursuite de la première conférence de Dalat qui s’était soldée par un échec (voir 17 avril – 11 mai). La délocalisation de la conférence sur Fontainebleau  permet également, côté français, de s’éloigner un tant soit peu de la pression médiatique si redoutée par certains.

Côté vietnamien, la conférence est dominée par des hommes d’HCM (Pham Van Dong) sachant que le président de la R.D.V.N. ne participe pas directement aux pourparlers. Il profite de son séjour en France pour poursuivre une vaste opération de relations publiques : rendez-vous avec des hommes influents, conférences de presse. Selon De Folin, il se présente « comme un vieux sage, calme, raisonnable, simple, ironique, courtois, plein de bonne volonté, sans rancune. » Il parle aussi publiquement d’« indépendance » et d’un « État libre » (voir 24 et 26 août) (De Folin, 1993, p. 150). Georges Bidaut espère de lui qu’il puisse servir de recours en cas de blocage. Ce que le président du Vietnam ne fera d’ailleurs pas directement.

Au moment où s’ouvre cette conférence, pour complexifier encore un peu plus les choses, la République française vit toujours dans le provisoire : les Français ont rejeté par référendum le 5 mai le projet mis au point par la première assemblée constituante.

Comme lors de la première conférence de Dalat, 5 questions sont à l’ordre du jour de la conférence de Fontainebleau : intégration du Vietnam dans l’Union française ; intégration du Vietnam dans la Fédération indochinoise ; question de l’unité du Vietnam ; problèmes économiques et projet de traité. D’entrée, la délégation vietnamienne parle quant à elle d’indépendance « dans un délai de trois ans. » (De Folin, 1993, p. 151).

Cette conférence qui aurait pu être une nouvelle chance ne fait que conforter et officialiser en métropole les profondes divergences entre Français et Vietnamiens, identiques en tout point à celles de la première conférence de Dalat. Pour les gens d’Hanoï, l’expression « État libre » qui figurait dans les accords du 6 mars 1946 signifie « État indépendant ». Pour les Français, « libre » veut dire ne disposant que d’une certaine dose d’autonomie interne au sein de l’Union française et de la Fédération indochinoise. Pour les Vietnamiens, la question de savoir si la Cochinchine fera partie ou non du Vietnam ne se pose même pas. Elle est un point de blocage pour les Français qui la considèrent toujours comme leur colonie. L’organisation du référendum d’autodétermination sur cette question ne pouvant être confiée qu’à la seule administration coloniale, ce que refuse nettement le VM.


7 juillet 46 : Incidents de Hongay. L’arraisonnement d’un sampanier employé par les Français dégénère en bataille rangée. L’armée française est prise à partie par le comité local du VM malgré les accords du 6 mars. Il y a des morts et des blessés côté français. Selon Valluy, l’intervention  des groupes de liaison franco-vietnamiens prévue par les accords d’états-majors d’avril demeure totalement inefficace (Valluy 2, 1967, p. 206).

Une lettre assez véhémente de D’Argenlieu exprime son point de vue : il s’agit de ne pas laisser ses adversaires « hausser le ton » et à son auteur d’ajouter : « Qu’il me soit permis de réaffirmer que notre autorité est à ce point rétablie en Indochine […] que nous sommes en mesure [d’y] faire prévaloir […] selon nos desseins la politique libérale et éclairée du Gouvernement de la République. » (citée in Devillers, 1988, p. 194, note ; son destinataire n’est pas mentionné).


8 juillet 46 : Continuant leur progression (voir 20 juin), les troupes françaises se réinstallent à Langson sans que cela provoque des troubles sérieux.

Série d’attentats à Hanoi.

Leclerc entame une tournée en Annam à Ban Me Thuot, Pleiku, Kontum (nouvellement reconquises) puis se rend à Hanoi (Pedroncini, 1992, p. 397).

Une note de l’inspecteur des Colonies Montguillot stigmatise, deux jours après l’ouverture de la conférence de Fontainebleau, le « manque de coordination des différents services qui, au Département, et à la Présidence, ont connu cette affaire. » Il dénonce également un manque « dramatique » de documentation (voir 29 juillet) (Turpin, 2005, p. 252).


9 juillet 46 : André Labrouquère est remplacé par Pierre Messmer au poste de secrétaire général du comité interministériel de l’Indochine (Cominindo) (D’Argenlieu, 1985, p. 302). Toutefois le nouveau secrétaire ne prendra effectivement ses fonctions qu’au mois d’août. Selon Messmer, «  […] ma promotion s’explique par l’échec administratif de mon prédécesseur autant que par le désir de Georges Bidault d’écarter un homme très marqué politiquement. » (Messmer, 1992, p. 176) Adhérent à la S.F.I.O. depuis 1933, organisateur du Parti socialiste clandestin en Cochinchine sous l’occupation japonaise, arrêté le 27 juillet 1942 et déporté au centre de Travinh puis à Vinh-Long jusqu’à la reddition japonaise le 9 mars 1945, André Labrouquère avait été fondateur de la fédération socialiste d’Indochine (Maitron, https://maitron.fr/spip.php?article136580&id_mot=) Après avoir pris ses fonctions, Messmer notera : « Ma fonction de secrétaire général  du Comité, qui se réunit rarement mais par lequel passent les télégrammes, les rapports, les instructions, me permet de constater chaque jour la contradiction entre les directives de fermeté et le refus d’en assumer voire d’en imaginer les conséquences. » (Messmer, 1992, p. 178).


10 juillet 46 : D’Argenlieu quitte la France pour retourner à Saigon préparer la deuxième conférence de Dalat (D’Argenlieu, 1985, p. 302). À son retour au Vietnam, l’amiral a les mains libres : il n’a pas eu de retour négatif du gouvernement à sa proposition d’une deuxième conférence de Dalat et Leclerc est sur le point de partir (voir 19 juillet). Quant à Sainteny et ses collaborateurs, ils sont en France depuis le 18 avril.


11 juillet 46 : A la conférence de Fontainebleau, les Français remettent une note de base qui n’est, selon Devillers, « qu’une nouvelle version de la vieille thèse assimilationniste » au sein de l’Union française avec une « mise en commun de notre potentiel militaire et économique », la Défense et la diplomatie ne peuvent « s’exercer que par des organes qualifiés de l’Union française, chacun ayant la possibilité, au sein de cette Union, de faire entendre sa voix […] » (Devillers, 1988, p. 195). On est aux antipodes de la conception vietnamienne qui veut un rapport d’État à État lui accordant toutes les prérogatives régaliennes.


11 – 12 juillet 46 : Au Vietnam, Giap a également les mains libres. En sa qualité de ministre de l’Intérieur, il procède à l’arrestation de nombreux membres de l’opposition prochinoise. Il ordonne provisoirement (voir 18 juillet) la suspension du journal du V.N.Q.D.D. intitulé Vietnam (Fall, 1960, p. 51).


11 - 13 juillet 46 : Sous prétexte de complot, Giap « purge » Hanoï des derniers leaders nationalistes du V.N.Q.D.D.qui sont arrêtés et emprisonnés ou en fuite vers la Chine. Il interdit leur journal Le Vietnam qui, après une « autocritique constructive », loue les « vertus » du régime communiste n-v qu’il fustigeait une semaine auparavant. La dictature communiste poursuit son installation en éliminant les organes de presse qui la gêne. Un nouveau fac-similé du V.N.Q.D.D. renaitra après quelques jours. Il est désormais totalement favorable au gouvernement… (Gras, 1979, p. 125)


12 juillet 46 : A Fontainebleau, la délégation vietnamienne répond à la note de base des Français du 11 : les rapports entre les deux pays doivent faire l’objet de « rapports contractuels à définir par voie de traité. Ces rapports sont établis sur les bases suivantes :

-         libre association

-         égalité de statut

-         solidarité pour la sauvegarde des intérêts communs »

Dans une conférence de presse tenue ce même jour, HCM précise sa conception de l’Union française : « Sur le plan politique, les rapports entre la France et le Vietnam doivent découler d’un traité. Ce traité repose sur un principe fondamental : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes […] » La portée de la Fédération indochinoise « doit être essentiellement économique ». Le leader annonce que Vietnam « est décidé à empêcher le Fédération de devenir une sorte de Gouvernement général déguisé. »

Selon HCM, la Fédération indochinoise ne peut donc se substituer à l’existence d’un État vietnamien qui entend garder des prérogatives régaliennes : posséder et commander sa propre armée, percevoir ses recettes douanières, gérer sa diplomatie, pouvoir être représenté à l’O.N.U. En échange, les intérêts économiques français seront quant à eux préservés dans le respect des lois vietnamiennes : sécurité des capitaux investis ; liberté d’établissement ; mêmes droits pour les entreprises françaises et vietnamiennes. Du point de vue militaire, on s’en tient à ce qui a été fixé lors de la conférence d’état-major du 3 avril. Les Français disposeront pour une durée de 5 ans de bases aériennes et navales, et ce, jusqu’au 6 mars 1951. Les troupes françaises bénéficieront durant cette période d’un droit à la libre circulation sur tout le territoire vietnamien (Devillers, 1988, pp. 196-198).

Le général Leclerc est sur le point de quitter son commandement en Indochine pour celui d’inspecteur des forces terrestres en Afrique du Nord selon la promesse que lui avait faite le général Juin. Il sera remplacé par son adjoint, le général Valluy. Avant de partir, il confie à Cédille : « Je m’en vais, faites comme moi. Tout cela finira mal. Nous, Français libres, n’avons plus rien à faire ici. » (cité in Chaffard, 1969, p. 61)

 

13 juillet 46 : Leclerc vient faire ses adieux à Hanoi. Le commandant Fonde, chargé de la « Mission française de liaison » suite aux « accords d’état-major » franco-vietnamiens du 3 avril a un dernier entretien avec son supérieur. Pour Leclerc, « […] l’insuccès est certain… Voyez Dalat [...] » Fonde reçoit de son supérieur les ordres suivants : « Ici, vous restez avec votre équipe. Vous continuerez à défendre les intérêts français, tant que vous pourrez… Pour cela, s’il le faut, tendez la corde, tirez dessus, tirez pour la France. Mais surtout, qu’elle ne casse jamais !... jamais !... vous entendez !... Il nous faut la paix ! hein… Vous avez bien compris… Allez maintenant. » (cité in Fonde, 1971, pp. 236-237) Pour Leclerc, il faut créer un climat de détente malgré tout. Une rupture et le repli de Hô dans le maquis seraient catastrophiques. Fonde va essayer de faire au mieux, non sans un certain parti-pris mais avec une honnêteté reconnue par les Vietnamiens. Il se heurte sans cesse à des incidents graves (Hongay, le 7 juillet ; Bac Ninh, le 4 août), tous provoqués par le déplacement des troupes françaises. La notion d’« empiètement sur la souveraineté vietnamienne » étant utilisée à tout-va… L’armée française semble coincée, selon l’expression de D’Argenlieu, dans « une véritable camisole de force ».

Avant son départ pour la France, Leclerc se rendra dans les mines de Camphra. Il s’intéresse alors aux misérables salaires des mineurs qui le scandalisent : « Ce n’est sûrement pas pour perpétuer cela que des jeunes Français sont venus… » (cité in Fonde, 1971, p. 238).


14 juillet 46 : HCM revient dans une interview au journal Le Monde sur le principal point d’achoppement de la conférence en cours, à savoir le statut de la Cochinchine : « C’est une terre vietnamienne. C’est la chair de notre chair, le sang de notre sang […] Avant que la Corse fût française, la Cochinchine était déjà vietnamienne […] Sur ce point, j’affirme que j’ai confiance dans la France nouvelle […] Un référendum coûte cher. Si on peut s’entendre en s’en passant, ce sera préférable […] Sinon, on le fera sincèrement et loyalement, et le résultat sera le même. » (cité in Devillers, 1988, p. 199).


17 juillet 46 : D’Argenlieu estime que « le départ [= démarrage] du gouvernement provisoire [de Cochinchine] est médiocre » : manque d’unité, tendance dictatoriale, décisions prises à la légère, aucune entente avec le commissaire de la République Cédile (D’Argenlieu, 1985, p. 286).

Dîner d’honneur pour le départ de Leclerc en présence de D’Argenlieu. Le conseil des ministres en date du 14 lui a attribué sa cinquième étoile.

A la veille de son départ, Leclerc adresse une lettre à D’Argenlieu : « Au moment de quitter l’Indochine, je crois nécessaire de vous redire les raisons qui m’ont poussé à ce départ. J’ai demandé ma relève dès que j’ai senti que la confiance entre nous n’était pas entière et, à ce titre, la mission que vous avez confiée à l’amiral Auboyneau m’a douloureusement surpris [voir 14 avril]. D’autre part, nos idées sur les méthodes et procédés de commandement n’étant pas exactement identiques, il est préférable que je m’efface. Vous avez pu constater  que la bonne marche su service n’a jamais souffert de ces divergences de vue. Je tiens, en outre, à vous exprimer combien j’ai admiré la hauteur de vue avec laquelle vous appréciez les intérêts français. Dans ce domaine, l’accord fut toujours complet. Vous êtes décidé à sauver l’Indochine, je souhaite vivement que vous y réussissiez et ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous aider. » (cité in Pedroncini, 1992, p. 260 ; Turpin, 2005, pp. 234-235, note 78)


18 juillet 46 : Valluy prend la succession de Leclerc au poste de commandant du C.E.F.E.O. par intérim (Cadeau, 2019, p. 185).

Le journal du V.N.Q.D.D. intitulé Vietnam dont la parution avait été interdite par Giap le 11 juillet reparaît avec la même rédaction qu’auparavant. A sa une figurent une autocritique d’un style marxiste purement orthodoxe ainsi qu’une justification de l’opération de police menée par le gouvernement contre lui. Dans ce même numéro, Nguyen Van Xuan (qui avait fait partie du premier gouvernement d’HCM) en appelle à un V.N.Q.D.D. « rénové » qui s’intégrerait dans le Lien Viet (« Front national uni ») créé en mai par le gouvernement. A ce moment, ce qu’exige Giap par des moyens policiers, c’est que la formation politique ne puisse plus être puisse être qu’un parti fantoche suivant la voie dictée par les autorités en place (Fall, 1960, p. 51).


19 juillet 46 : Leclerc quitte l’Indochine suite à ses graves divergences avec d’Argenlieu et, plus encore, une forme de dépit face à l’évolution de la situation politique tant en Indochine qu’en métropole. Dans son rapport de fin de mission, il note : « Comme Janus, ce gouvernent a deux visages. » (Gras, 1979, p. 130). Le général Jean Valluy qui  remplace Leclerc au poste de commandant supérieur des troupes en Extrême-Orient par intérim entrera en fonction officiellement au poste de commandant en chef le 1er octobre.


22 juillet 46 : Lettre menaçante d’HCM à Marius Moutet (voir ses propos du 31 mai adressés à Salan) : « La France veut-elle avoir en Orient 25 millions d’amis ou 25 millions d’hommes assujettis mais ennemis ? » (cité in De Folin, 1993, p. 150).

D’Argenlieu confirme que la seconde conférence de Dalat aura lieu le 1er août. Il la nomme « conférence préparatoire d’étude du statut de la Fédération » (Turpin, 2005, p. 261). La presse diffuse cette annonce alors que le gouvernement fait mine de la découvrir (voir 4 juillet) et pour certains, comme Moutet, de s’en offusquer. Cette annonce va naturellement entraîner des protestations officielles de la délégation vietnamienne à Fontainebleau dès le 26.


24 juillet 46 : Pignon (commissaire fédéral aux Affaires politiques de D’Argenlieu) s’en prend par le biais d’une note à la maladresse des militaires basés en Cochinchine dans leurs relations avec les Vietnamiens : « Des accords locaux avaient été passés en Cochinchine – accords caractérisés par l’extrême naïveté des militaires français qui réussirent à se placer un peu partout dans des positions intenables. A la faveur de ces accords, se développa aussitôt une action de terrorisme contre les Annamites qui s’étaient ralliés à notre cause. » (cité in Salan 1, 1970, p. 401) Côté français, les habituelles tensions entre pouvoir civil et militaire se réactivent.


25 juillet 46 : D’Argenlieu rend publique l’annonce de la seconde conférence de Dalat qui s’ouvrira le 1er août. Elle est cette fois ouverte à la Cochinchine au Laos et au Cambodge, manière de montrer qu’HCM et la seule R.D.V.N. ne comptent pas seuls aux yeux des Français. Cette annonce se produit en pleine conférence de Fontainebleau, pour mieux tenter de l’abattre… (De Folin, 1993, p. 152).

La confusion règne toujours à Fontainebleau faute d’union au sein de la délégation française. Le député communiste Lozeray fait siennes les thèses du VM au sujet de l’union des trois Ky. Le président M.R.P. de la conférence, Max André, ainsi que le député Jean-Jacques Juglas s’opposent vigoureusement à leur collègue (Turpin, 2005, p. 252).

Lors d’une séance privée de la délégation française, La Laurentie, directeur des affaires politiques au ministère de la France d'Outre-mer, continue à défendre la thèse d’une relative autonomie de la Cochinchine : « […] Je ne crois pas que nous arriverons jamais à un accord sérieux avec les Vietnamiens quels qu’ils soient, tant qu’ils n’auront pas l’assurance que la Cochinchine ne sera pas séparée de leur pays […] Il y a un fait que nous n’avons pas le droit d’oublier je crois, c’est que les gens du Nord nous ferons la guerre sur tous les terrains, tant que nous serons derrière le séparatisme cochinchinois […] Je ne suis pas partisan de la suppression du référendum, je tiens à dire qu’un accord signé avec les Vietnamiens qui ne leur donnerait pas un maximum de satisfaction sur la Cochinchine, serait un accord qu’ils n’appliqueraient qu’à contrecœur. »  (cité in Turpin, 2005, p. 253)


26 juillet 46 : Le Conseil consultatif pour la Cochinchine qui était de 12 membres passe à 42 (14 Français, 28 Cochinchinois). Il est dirigé par le docteur Thinh, un modéré, mais qui demeure peu représentatif de la population locale (De Folin, 1993, p. 149). C’est une voie ouverte au séparatisme de la Cochinchine, soutenue par D’Argenlieu, et honnie par le VM.

Leclerc qui a quitté Saigon le 19 arrive à Paris. Il a été reçu en audience le 25 par le pape lors d’une escale à Rome (Pedroncini, 1992, p. 397).

À Fontainebleau, le délégué vietnamien originaire du Nam Bo, Duong Bach Mai, déclare en séance plénière au sujet de la Cochinchine : « Le sort de cette conférence dépend étroitement du problème des trois Ky. Tant que la Cochinchine, d’une manière ou d’une autre, sera détachée du Vietnam, il n’y aura pas d’entente possible entre la France et le Vietnam. Tout dépend de la question de Cochinchine, l’amitié franco-vietnamienne, la paix comme l’ordre au Vietnam, l’avenir de nos relations. Il faut régler cette affaire le plus tôt possible. » (cité in Devillers, 1988, p. 199).

Après l’annonce par D’Argenlieu de la tenue de la seconde conférence de Dalat, comme cela était prévisible, vives protestations de la délégation vietnamienne à Fontainebleau en séance plénière (Devillers, 1988, p. 200).


27 juillet 46 : Lettre de D’Argenlieu à De Gaulle : « […] Or depuis mon retour [en métropole], les informations reçues de la conférence de Fontainebleau m’inquiètent chaque jour d’avantage. Le manque de considération et de prévision comme le défaut de caractère s’affirme dans les sphères supérieures […] En vous quittant j’étais résolu à tenir le coup pendant les mois qui s’ouvrent. Il y a des limites à la patience, et nous les avons apprises sur vos pas. » De Gaulle lui répondra le 10 août lui demandant de « tenir et agir » (D’Argenlieu, 1985, p. 308).

Première rencontre entre HCM et Raymond Aubrac à Paris dans la roseraie de Bagatelle dans le bois de Boulogne. Les 2 hommes sympathisent rapidement car lorsqu’il était commissaire de la République à Marseille, Aubrac avait mis fin août-début septembre 1944 à un trafic (jeux clandestins, prostitution, marché noir) qui sévissait dans des camps de travailleurs indochinois proches de Marseille dans lesquels ils vivaient dans la misère (Aubrac, 2000, pp. 227-228).


27 juillet – 5 août 46 : Leclerc, de retour définitif à Paris, voit Bidault, Michelet, Moutet, Pleven, Sainteny et le général Juin. Il donnera deux conférences de presse, une au ministère des Armées le 31 juillet et l’autre au ministère des Affaires étrangères le 5 août (Pedroncini, 1992, p. 397).

Lettre de D’Argenlieu à De Gaulle : « Lors de ma dernière visite, le 8 juillet, je vous faisais part de la fâcheuses impression causée par un séjour de trois grandes semaines à Paris. La crise d’autorité y sévissait au point de m’alarmer sérieusement quant à ses incidences sur le problème indochinois. Je dis sérieusement puisque, vraiment notre position est assez forte pour nous permettre de réaliser les desseins de la France sur le pays tout entier et au besoin les imposer. Cela pourrait se faire en trois mois aisément pour l’essentiel en agissant avec constance, force et suavité. Or depuis mon retour, les informations reçues de la conférence m’inquiètent chaque jour d’avantage. Le manque de considération et de prévision comme le défaut de caractère s’affirme dans les sphères supérieures […] » (citée in Turpin, 2005, p. 253)


28 juillet 46 : Moutet réagit plus que tardivement à l’annonce faite par D’Argenlieu de la seconde conférence de Dalat. Or l’amiral en avait informé le gouvernement dès le 4 juillet. Le ministre de la F.O.M. lui écrit avec une mauvaise foi évidente : « Votre dépêche du 24 courant annonçant nouvelle conférence Dalat 1er août sur projet de fédération m’a vivement surpris. Gouvernement jamais consulté sur opportunité de cette réunion pendant que siège conférence de Fontainebleau. Suis informé par dépêche mercredi alors que radio et presse dès lundi donnaient nouvelle. Ho Chi Minh protestait près de moi mardi. Je ne pouvais rien répondre, n’étant pas informé […] » Moutet estime que c’est une « double erreur » qui place le gouvernement devant un « fait accompli » et qui crée un « climat moins favorable » aux négociations en cours à Fontainebleau. Cela s’ajoutant à la proclamation d’un gouvernement autonome en Cochinchine, à occupation des plateaux Moïs et la réoccupation par les Français du palais du gouvernement à Hanoi, Moutet conclut : « Fais toute réserve, n’ayant pas pu encore pu saisir gouvernement. » (cité in Devillers, 1988, p. 201)


29 juillet 46 : La confusion règne du côté du G.R.P.F. depuis le début des négociations de Fontainebleau à tel point que la commission consultative du Comité de l’Indochine composée d’experts des différents ministères demande à ce que lors de sa réunion du 5 août « soit précisée en même temps que les instructions données aux délégués français à Fontainebleau la politique générale de la France en Indochine. » (Turpin, 2005, p. 252)

A la suite de Moutet, Labrouquère, toujours – mais pour peu de temps – à la tête du Cominindo envoie un télégramme à D’Argenlieu : « Je n’ai jamais connu accord Gouvernement ni décision Comité interministériel  sur Conférence fédérale telle que vous la concevez  en l’absence représentant Vietnam. Conférence sans lui apparaît contre lui. Même si conférence devait avoir lieu dans ces conditions il aurait fallu nous permettre choisir date et avertir les représentants Vietnam. […] » (cité in Turpin, 2005, p. 261, note 193)


30 juillet 46 : D’Argenlieu justifie par lettre adressée au gouvernement la tenue de la seconde conférence de Dalat, quitte à « suspendre » celle de Fontainebleau (voir 2 août). Il qualifie cette deuxième conférence de « conférence consultative et préparatoire destinée à permettre à des points de vue […] de s’exprimer librement sur un point capital pour leur devenir politique. » Elle n’est, pour lui, pas opposée aux accords du 6 mars et permet aux « populations d’Indochine » de ne plus avoir « l’impression que la France subordonnera tout leur devenir à ses pourparlers avec le seul gouvernement du Vietnam. » (D’Argenlieu, 1985, pp. 303-304)


31 juillet 46 : Un appel secret  des cadres du VM aux militants demande à chacun de « se tenir prêt militairement et politiquement à toute éventualité » (Ruscio, 1985, p. 113).

Une autre séance privée de la délégation française souligne une fois de plus ses divisions sur la question cochinchinoise. Messmer (futur secrétaire du Cominindo), Caput et René Bousquet (futur conseiller à la Banque d’Indochine) sont pour un apaisement de la question cochinchinoise. Au contraire, Pignon, Torel et Gonon jouent la carte D’Argenlieu, en refusant toute confiance à HCM au vu  des manquements aux accords du 6 mars et à la perpétuation des actes terroristes. Selon le compte rendu de la séance, « Pignon déclare que la thèse de Messmer repose sur un postulat faux. Le Gouvernement du Vietnam est un gouvernement de parti fait pour le combat et non pour organiser un État viable. Sa seule préoccupation consistera donc à poursuivre la lutte contre la France, jusqu’à la destruction du dernier vestige de notre influence. »  (cité in Turpin, 2005, p. 253)

Suite à leur rencontre du 27, HCM se rend pour la première fois dans la résidence de Raymond et Lucie Aubrac à Soisy-sous-Montmorency (Val d’Oise) pour y prendre le thé. Peu satisfait des son hôtel rue de l’Étoile, HCM demande l’hospitalité dans la grande demeure des Aubrac : « Votre second étage n’est pas occupé. J’aime votre jardin. Je serais ici bien mieux que dans mon palace. » (cité in Aubrac, 2000, p. 229) Mais c’est également une manière d’échapper à l’invitation forcément limitée dans le temps des autorités françaises… Selon Aubrac, « sans être membres du parti communiste, nous étions, Lucie et moi, considérés comme des sympathisants actifs, ce qu’on appellerait des « compagnons de route ». Il nous semblait qu’il y avait là une continuité dans nos engagements successifs. Nous avions conservé des relations amicales avec nos camarades de la Résistance, qui occupaient les positions politiques les plus variées. Mais nous étions influencés par les analyses du parti communiste et nous avions le souci d’être du côté de ceux qui cherchaient la justice. C’était bien le cas de ces dirigeants vietnamiens engagés vers l’indépendance de leur pays. » (Ibid.)

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