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par Jean-François Jagielski

Juillet 1945

Juillet 45 : Le Vietminh soumet à Sainteny, par le biais de Patti, un texte en anglais où sont proposées 5 conditions qui rendraient le futur statut de l’Indochine acceptable. Les revendications portent sur  le suffrage universel, l’indépendance, la maîtrise de l’économie, les libertés à accorder aux Vietnamiens par le bais de la charte de l’O.N.U. et l’interdiction de la vente d’opium. Ce texte est également transmis à l’inspecteur des Colonies De Raymond, chef de la délégation de la France d’Outre-mer à Calcutta, à son adjoint Léon Pignon et au général Alessandri, nouveau commandant supérieur des troupes françaises réfugiées en Chine (Sainteny, 1967, p. 54). Sainteny retournera en France pour expliquer la situation au Tonkin et avoir une entrevue avec De Gaulle qu’il n’obtiendra pas (voir 13-26 juillet). Il faudra attendre le 15 octobre pour que s’ébauche un premier dialogue qui aboutira aux accords Sainteny-HCM (Francini 1, 1988, p. 223).


2 juillet 45 : Rencontre entre le chef de bataillon Revol de Mission 5 et un chef local du VM en vue de combattre conjointement les Japonais (Sainteny, 1967, p. 54-55).


4 juillet 45 : Le général Blaizot écrit au chef d’état-major de la Défense nationale que l’Indochine doit être libérée au moyen d’un corps expéditionnaire français important, placé sous le commandement du South East Asia Command, lui-même placé sous le commandement de Mountbatten. Les Anglais ont fixé à quatre le nombre de leurs divisions devant intervenir en octobre en Indochine, une fois Singapour pris. Ils sont prêts à confier le commandement de cette force à un général français si les unités françaises constituent la moitié des effectifs de ce corps (Bodinier, 1987, p. 27). Deux divisions composées de troupes françaises et sénégalaises pourraient être dirigées vers l’Indochine.


5 juillet 45 : Élections législatives au Royaume-Uni. Winston Churchill, battu par les travaillistes, doit quitter ses fonctions de premier ministre. Il est remplacé par Clement Attlee, un homme de gauche favorable à un vaste mouvement de décolonisation.


6 juillet 45 : Le général De Saint Didier a un entretien avec le général Marshall. L’implication de la France dans la guerre contre le Japon est repoussée car les Américains estiment que l’organisation des opérations est trop avancée (Turpin, 2005, p. 94).


7 juillet 45 : Face aux difficultés croissantes rencontrées par le développement de l’activité de Mission 5 avec les Américains, les Chinois et les nationalistes vietnamiens, Sainteny quitte Kunming pour Paris. Il y arrivera le 13 (Devillers, 1988, p. 62).

Dans une lettre de Pignon à La Laurentie (directeur des Affaires politiques au ministère des Colonies) adressée de Kunming, le premier mentionne le lien étroit entre le VM et le P.C.I. :   « Le seul parti véritablement intéressant est d’ailleurs le Viet-Minh, sorte de Front national, à direction communiste, qui a le vent en poupe et est à peu près indépendant des Chinois. » (cité in Turpin, 2005, p. 110, note 135)


13 - 26 juillet 45 : Sainteny se rend de Kunming à Paris via Calcutta pour alerter les autorités sur « l’opposition à laquelle nous devons nous attendre de la part du nationalisme annamite. » En vain. Sainteny constate dans ses écrits sur la période : « Les avertissements que je multiplie à ce sujet ne rencontrent que le scepticisme. Beaucoup trop de Français s’imaginent que les Indochinois attendent notre retour avec impatience et s’apprêtent à nous recevoir bras ouverts. » Au vu des faibles moyens engagés, il envisage une seule solution : « composer avec les Indochinois eux-mêmes… » Réaliste, il observe que le problème indochinois n’est pas une priorité « dans l’ordre des innombrables soucis de la métropole. En réalité, si on ne l’a pas entièrement négligé la question, du moins l’a-t-on dangereusement sous-estimée. » (Sainteny, 1967, p. 44) Au ministère des Colonies, à l’exception du gouverneur La Laurentie (directeur des Affaires politiques au ministère des Colonies), Sainteny n’est pas écouté. En parlant de ce ministère, un de ses collaborateurs, Louis Fauchier-Magnan, observe : « En fait, il y avait trop de rouages à convaincre, notamment au ministère des Colonies où, je le crains, se trouvaient des personnes, des agents de l’administration qui souhaitaient retrouver leur poste en Indochine […] en négligeant complètement le fait qu’il y avait à Hanoi un nouveau personnage qui s’appelait Ho Chi Minh et qui était bien en place. » (cité in Pedroncini, 1992, pp. 126-127) Sainteny rencontre le colonel Passy (dont il dépend, voir mars 1945) et lui expose la situation. Ce dernier lui demande d’attendre le retour de De Gaulle qui est alors en Bretagne. Mais au final, Sainteny apprend que le chef du gouvernement ne pourra le rencontrer, faute de temps. Passy lui demande alors de rejoindre la Chine. Le 26 juillet, Sainteny rencontre le général Juin (chef d’état-major de la Défense nationale) et apprend de sa bouche les décisions catastrophiques de la conférence de Postdam (voir 17 juillet - 2 août). Il en conclut dès son retour en Chine : « […] la partie politique de ma mission a totalement échoué. Il faut bien admettre qu’une fois de plus […] la France se refuse à voir le péril ou la minimise dangereusement. Elle abordera le problème indochinois sans préparation ni programme. » (Sainteny, 1967, p. 50)


13 - 28 juillet 45 : Sainteny rencontre l’un des leaders du V.N.Q.D.D. (et futur ministre des Affaires étrangères, voir 2 et 24 mars 1946), Nguyen Tuong Tam, à Kunming. Ce dernier se dit satisfait de rencontrer un « Français nouveau » (expression désignant les métropolitains n’ayant jamais résidé en Indochine avant 1945). Il  le met au courant de l’évolution de l’idée d’indépendance au Vietnam et tout particulièrement au Tonkin. Selon les mots de Sainteny, les Vietnamiens « exigeront des Français une révision radicale de leur position en Indochine, en admettant toutefois qu’il soit possible d’en conserver une. » Il précise que ce fut là son premier et seul contact avec un chef nationaliste annamite en Chine (Sainteny, 1967, p. 52). A son retour de Kunming, Sainteny sera saisi des 5 propositions politiques du VM (voir 25 juillet).


14 juillet 45 : Dans le Sud, inauguration de l’École de la jeunesse d’avant-garde. Les J.A.G. (Thanh Nien Thien Phong en Vietnamien) ont été mises sur pied dès avril 1945 avec le soutien  du gouverneur japonais de la Cochinchine, Minoda, et placées sous le commandement de Phan Ngoc Tach, un élément pro-vietminh. Il s’agit d’un organisme qui a pour but d’encadrer la jeunesse en lui donnant une instruction politique, sportive et militaire. Elles serviront de creuset à la future armée du VM (Cadeau, 2019, p. 125).


15 juillet 45 : Une opération vietminh est montée contre la garnison nippone de la station d’altitude de Tam Dao (nord de Vinh Yen) (Deroo, Dutrône, 2008, p. 15). C’est le genre d’opération de propagande de modeste envergure censée montrer aux Américains que le VM combat les Japonais. On libère 180 civils français qui sont reconduits à la frontière chinoise, signe que le VM sait aussi faire preuve de bonne volonté envers les Français (Devillers, 1988, p. 63).


Mi-juillet 45 : Au sujet d’une éventuelle réoccupation de l’Indochine par les Français, une note émanant du Cominindo précise : « en dépouillant le mot de tout ce qu’il a de péjoratif, c’est bien d’une reconquête qu’il s’agit » (cité in Cadeau, 2019, p. 139). Tout ce dont les Américains ne veulent pas.


16 juillet 45 : Pour encadrer les troupes du VM, les Américains parachutent dans la zone qu’elles contrôlent (Tuyen Quang) le commandant Alison Thomas (O.S.S.-A.G.A.S., voir 30 juin) et quelques hommes qui sont chargés de former 200 soldats du VM au maniement des armes qui ont été fournies en mai (Marangé, 2012, p. 144). Un groupe de Français dirigé par un officier les accompagne mais ne peut obtenir aucun contact politique espéré. Cet officier observe une hostilité générale à l’égard des Français dans les maquis vm antijaponais (Devillers, 1988, p. 63).


17 juillet 45 : Le VM s’en prend aux forces de gendarmerie japonaise dans la station d’altitude de Tam Dao. Il s’agit de la seule attaque du VM regroupant un effectif numériquement important (500 hommes). Les Japonais perdent 8 hommes sur 40 (Fall, 1960, p. 19). Ce type d’attaque vise à se procurer de l’armement.


17 juillet – 2 août 45 : Conférence de Postdam, hors de la présence française, durant laquelle les alliés (Churchill, Truman et Staline) décident que les Français ne retourneront pas immédiatement en Indochine. Après le décès de Roosevelt en avril, le général Marshall (président du Combined Chiefs of Staff américano-anglais), au vu des divergences anglo-américaines sur la question de l’Indochine (voir 12 - 16 septembre 1944) coupe la poire en deux et divise l’Indochine en deux zones d’occupation, chinoise au nord du 16e parallèle et britannique au sud. Chinois et Britanniques ont pour mission commune de désarmer les Japonais. Ces décisions ne seront communiquées officiellement aux Français que le 9 ou 10 août. Leur crainte de voir les Chinois s’immiscer au Tonkin se concrétise (Francini 1, 1988, p. 224 ; De Folin, 1993, p. 62). De Gaulle tentera lors d’un voyage à Washington d’atténuer les décisions prises à Postdam, mais en vain (D’Argenlieu, 1985, p. 40).


18 juillet 45 : Les Français font savoir qu’ils estiment pouvoir envoyer 66 000 hommes combattre auprès des Anglo-américains. Ils pensent pouvoir rassembler tant bien que mal une flotte qui « pourra être considérée comme très satisfaisante ». Leur offre est rapidement déclinée (voir 19 juillet) (Cadeau, 2019, p. 138).


19 juillet 45 (21 juillet selon Turpin, 2005, p. 94) : Le Combined Chiefs of Staff (C.C.S., état-major interallié dirigé par le général américain Marshall) répond positivement à la proposition française du 25 mai d’envoyer un corps expéditionnaire français en Extrême-Orient. Mais le général De Saint Didier apprend de la bouche de Marshall que, pour l’instant et du fait des décisions qui sont en train d’être prises à Postdam, l’offre de transport de troupes françaises est différée au printemps 1946 (Bodinier, 1987, p. 31). Le C.C.S. ne se prononce toujours pas sur l’appartenance de l’Indochine au futur théâtre d’opération, américain ou britannique ? Les Américains font à l’évidence traîner les choses sur l’épineux dossier du retour des Français en Indochine (voir 13 mars).


24 juillet 45 : Léon Pignon (haut fonctionnaire au ministère des Colonies) revient dans une note sur la portée de la déclaration du 24 mars : « Le fait brut à retenir c’est que la déclaration du 24 mars n’est pas connue en Indochine, nous ignorons donc a fortiori les réactions qu’elle soulèvera […] Les critiques que nous enregistrons auront infiniment plus d’intérêt que celles provenant des milieux émigrés, détracteurs par définition de l’œuvre française et surtout très influencés par nos propres conceptions occidentales, comme très au courant des fluctuations de notre politique intérieure. » (cité in Isoart, 1982, p. 49, note 159) Dans les faits, cette déclaration est rapidement et fermement rejetée, et dans les milieux intellectuels annamites en Indochine comme France. Ce que l’auteur de cette note, qui est aussi l’un des inspirateurs de la déclaration du 24 mars, feint d’ignorer.


20 juillet 45 : Par décision des Japonais (voir 11 juin) et pour satisfaire le gouvernement vietnamien qui lui est favorable, Hanoi, Haïphong et Tourane qui étaient administrées par les Français sont rattachées au territoire du Vietnam indépendant (Pedroncini, 1992, p. 40).


25 juillet 45 : Déçu comme la plupart des Indochinois par la déclaration du 24 mars, HCM cherche en vain à rencontrer Sainteny qui est parti pour Paris. Il transmet un programme politique en 5 points en langue anglaise. Ce Viet Minh League Proposal  demande l’instauration du suffrage universel. En attendant, un gouverneur français d’Indochine serait président avant l’indépendance et désignerait un cabinet (dont la répartition des pouvoirs à discuter ultérieurement). Le texte demande l’indépendance dans un délai de 5 à 6 ans maximum, la jouissance des ressources naturelles au peuple indochinois (avec certaines concessions à la France). Les libertés définies par les Nations Unies doivent être reconnues par les Indochinois (Francini 1, 1988, p. 201). Fautes de directives, Sainteny et Alessandri n’acceptent pas ces points mais prennent acte de la demande. Ce texte est pourtant modéré par rapport aux exigences de l’habituelle propagande vietminh.


26 juillet 45 : Signature de la Charte des Nations Unies.

Sainteny, toujours à Paris, apprend par l’intermédiaire du capitaine de vaisseau Barjot les résultats de la conférence de Postdam, à savoir la potentielle partition de l’Indochine en deux zones d’opération dès la capitulation japonaise, avec occupation chinoise au Nord et britannique au Sud (Devillers, 1988, p. 62).

La décision du partage de l’Indochine au niveau du 16e parallèle a été prise entre Américains et Britanniques au niveau du C.C.S. Le nord de la péninsule au-dessus de cette limite est placé dans le théâtre de la Chine. Mais la décision est pour l’instant maintenue secrète (Turpin, 2005, p. 97).


27 juillet 45 : René Massigli (ambassadeur de France à Londres) informe Georges Bidault (Affaires étrangères) que la question des futurs théâtres d’opération à répartir entre Américains et Britanniques dans le Pacifique n’a toujours pas été tranchée à Postdam (Turpin, 2005, p. 96). Or la décision a été prise la veille par le C.C.S. mais maintenue secrète. Les Français demeurent donc dans l’expectative quant au sort de l’Indochine alors que la formation du C.E.F.E.O. est toujours en cours.


31 juillet 45 : Sainteny qui était à Paris est de retour à Kunming (Devillers, 1988, p. 62).


Fin juillet 45 : Par l’intermédiaire d’un militaire américain, Gordon, HCM fait savoir qu’il est prêt à venir rencontrer Sainteny à Kunming. Mais les conditions météorologiques interdiront cette tentative de rencontre (Sainteny, 1967, p. 56).

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